Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 26 avril 2020


Pourquoi les jeunes Gabonais s’exilent

Afin de préparer la « super » émission de radio mensuelle du Cadm70 (1), Itin’Errances sur Fréquence Amitié Vesoul (2) quelques membres des AES (3) ont rencontré de jeunes migrants afin de définir  le thème de la 17ème émission du 22.01.2020. Prince Alogo (nom d’emprunt) a particulièrement insisté pour que nous parlions de son pays. Un pays où les conditions de vie sont déplorables et catastrophiques. Ce pays, c’est le Gabon. J’avoue avoir été surpris par les mots de ce jeune car, pour moi, le Gabon n’évoquait pas la misère, la répression, les violences. Et les premières recherches pour mieux connaître ce pays me confortaient dans l’image que j’en avais.

Le Gabon est un petit Etat d’Afrique Equatoriale, sa superficie représente la moitié de la France. Il est peuplé d’environ 2 millions et demi d’habitants. Il est recouvert à 80% de forêts de bois précieux. 10% de son territoire est constitué de Parcs Nationaux assurant une bonne protection de la faune et de la flore. Il possède de grandes richesses naturelles : pétrole, uranium, gaz, fer...Il a «bénéficié», durant la période coloniale, de la présence française pour mettre en valeur toutes ses richesses. Indépendant depuis 1960, il a gardé des relations privilégiées avec la France qui l’a « soutenu » dans son développement. Politiquement, ce pays est un exemple de stabilité : depuis 1967, 2 présidents se sont succédé à sa tête. Omar Bongo réélu 6 fois, avec, par exemple, en 1986, 99, 97% des voix et depuis, 2009 Ali Bongo, son fils, actuel président. La gestion des richesses par ses dirigeants « adulés»  par le peuple a  fait de ce pays un des plus riches d’Afrique. Le PIB par habitant y est d’environ 20 000 dollars. Pour comparer, au Mali il est de 2 000 et en France de 43 000.

Le Gabon serait-il un petit coin de paradis en Afrique ? Avec une capitale qui s’appelle Libreville et le principal Port qui s’appelle Port Gentil, on pourrait le penser.

Allons voir ce qui se cache derrière ce décor trop parfait !

En ce qui concerne la protection de la faune et de la flore, il est vrai que le Gabon fait de réels efforts avec de bons résultats.
Concernant la présence européenne, le peuple gabonais en a beaucoup plus souffert qu’il n’en a bénéficié. Les premiers arrivés, les Portugais, ont rapidement initié la population aux « bienfaits » de l’esclavage et l’ont fermement conviée à participer aux pillages de la forêt au plus grand profit de ces « civilisateurs ».

En 1840 la France prend le relais avec ce « brave » Savorgnan de Brazza qui nous fut représenté à l’école primaire comme un grand bienfaiteur de l’Afrique....! Un exemple des bienfaits de la présence française au Gabon fut la construction, à partir de 1920 d’une ligne de chemin de fer à travers le pays. A noter qu’elle fut construite par des travailleurs forcés et qu’environ 30 000 y trouvèrent la mort. La colonisation française peut se résumer à une quasi mise en esclavage du peuple gabonais afin de piller les ressources naturelles de leur pays au profit de la France.

L’Indépendance en 1960 va donc rendre la liberté, l’honneur, la prospérité au peuple gabonais... pas tout à fait !

En mars 1967, Omar Bongo est élu vice-président du Gabon et en devient le président en septembre après la mort de Léon Mba. En réalité, Omar Bongo est installé par la France à la tête du Gabon. L’idée de De Gaulle et de Foccart, son éminence grise pour l’Afrique, était, comme dans quasiment toutes les anciennes colonies, d’y installer une indépendance de façade. Installer un clan familial ou ethnique à la tête de ces Etats afin d’assurer un pouvoir fort, stable, favorable économiquement et politiquement aux intérêts de la France, en lui assurant l’aide de celle-ci en cas de conflits avec un Etat extérieur ou en cas de problème intérieur. En échange de ses services, la France fermait les yeux sur la manière d’agir de « ses »  dirigeants : non-respect des droits de l’Homme, utilisation de la violence, enrichissements personnels ...

En ce qui concerne la mise en place d’un Etat fort et stable, Omar Bongo va se montrer « exemplaire ».

Dès 1968, il va installer un système politique avec un parti unique. A chaque élection présidentielle (1973-79-86) il sera donc seul candidat, ce qui explique son score 99,97% des voix en 1986. Ses opposants sont soit assassinés comme Germain Mba en 1970, ou Ndouna Dépénaud en 1977, soit disparaissent comme Joseph Rendjanbé en 1990. Pendant toutes ces années, Omar Bongo, parallèlement à une répression sans répit et sans faille, contient le mécontentement populaire en distribuant de temps en temps quelques miettes de la manne pétrolière. En 1990, les ressources pétrolières baissant significativement, il fut confronté à une grève générale et à une révolte étudiante  qui le forcèrent à accepter quelques réformes démocratiques, dont le multipartisme politique. Ce saupoudrage démocratique ne l’empêchera pas d’être à nouveau réélu en 1993-98-2005. A chacune de ces élections, les résultats seront contestables et contestés par l’opposition qui sera réprimée sans ménagement.

Omar Bongo décède en 2009 après 42 ans de pouvoir. Au fil de ces années il a placé sa famille au coeur de l’Etat gabonais (gouvernement, administration, économie, médias...), toujours à des postes stratégiques. Par exemple, Marie-Madeleine Mborantruo, une de ses nombreuses maîtresses avec qui,  il aura 2 enfants, sera nommée présidente de la Cour Constitutionnelle, ses enfants seront à la tête d’Air Gabon et de Gabon Télécom. La liste est très très longue car Omar Bongo a reconnu 53 enfants. Le mieux pourvu sera Ali puisqu’il sera le candidat du clan Bongo pour succéder à son père et donc sera élu, en 2009, président du Gabon. Ali présentait bien sûr toutes les compétences pour ce poste puisqu’avant cette élection, ses principales occupations étaient de collectionner les voitures de luxe, les grands vins, et d’avoir enregistré un album de musique funk...!

On a vu que l’Etat français, pour assurer la stabilité des régimes mis en place, ferme les yeux sur les diverses malversations des responsables politiques. En ce qui concerne le clan Bongo, il a fallu réellement les fermer très très fort. La famille Bongo, en matière de détournement de fonds est un exemple. L’affaire des Biens mal acquis, révélée grâce aux plaintes de 3 ONG (dont Sherpa et Transparency International) a permis de se rendre compte que la famille Bongo possédait en France (le Monde janvier 2008) une fortune immobilière et mobilière estimée à 150 millions d’euros. Ces biens (hôtels particuliers, appartements, bijoux, voitures de luxe...) correspondent à environ 800 années du salaire de président d’Omar Bongo. Le Sénat américain a estimé, lui, la fortune du clan Bongo aux USA  à environ 100 millions d’euros. L’énormité de ces transactions financières n’a pourtant pas éveillé les soupçons de l’Etat français ou des banques par  lesquelles l’argent a transité. A noter qu’actuellement ces biens ont été saisis mais personne n’a été condamné et rien n’a été restitué au peuple gabonais. Tout cet argent a, bien sûr, été détourné  par le clan Bongo au détriment de  l’Etat et du peuple gabonais. Le 16 juin 2009, se déroulèrent à Libreville les obsèques nationales du « grand » président que fut Omar Bongo. Assistèrent à ses obsèques, pour la France, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Bernard Kouchner, Alain Joyandet, Loïc Le Floch Prigent, Patrick Balkany. Un grand parfum d’honnêteté, d’intégrité, de rigueur morale, d’humanisme, flottait ce jour-là sur Libreville...!

On a vu que le clan Bongo a bien profité de la situation mise en place par la France à l’Indépendance. L’ancien Etat colonisateur en a également bien tiré parti. Il s’est accaparé à vils prix une grande partie des richesses gabonaises : le pétrole avec Elf et Total, l’uranium avec le CEA, puis Cogema et enfin Areva, le bois précieux avec en particulier le groupe Rougier... D’autres grandes entreprises philanthropiques ont également bien profité du gâteau gabonais : Véolia qui, à travers une filiale, assure la production et la distribution d’eau potable au Gabon ainsi qu’une partie de la production d’électricité, Bolloré qui assure, lui, de nombreux travaux d’infrastructures dont la construction du Port en eau profonde d’OWENDO, sans oublier Bouygues (BTP, Telecom) ...
La France a toujours pu compter sur le soutien du Gabon dans la diplomatie africaine. Elle dispose d’ailleurs toujours d’une base militaire permanente à Libreville.

Le Gabon : petit paradis ?
Pour le clan Bongo, assurément, pour les entreprises françaises certainement, pour le peuple gabonais, absolument pas. Le peuple a dû, et doit encore, subir les détournements du clan Bongo et surtout son régime de fer. Le Gabon c’est : des responsables politiques qui roulent en Ferrari d’une part et d’autre part le peuple gabonais qui vit quotidiennement la misère, la répression et l’injustice. Au Gabon, pays couvert de bois précieux, la plupart des écoles n’ont pas de mobilier, les enfants sont assis par terre et, en plus, il faut payer pour aller à l’école. Dans ce pays relativement riche, le salaire minimum, pour ceux qui ont la chance d’avoir un travail rémunéré, est d’environ 120 euros. Pour ceux qui n’ont pas ou plus de travail, bien évidemment il n’y a pas d’assurance chômage. C’est la survie au jour le jour.  Pour tous, pas de Sécurité sociale. Tout cela à cause d’un système mis en place par la France et toujours soutenu par la France. Je comprends mieux maintenant pourquoi certains jeunes quittent le Gabon au péril de leurs vies pour trouver une vie meilleure en Haute-Saône et ailleurs.

Petite lueur d’espoir ?
Face à la chute du prix du baril de pétrole, et donc des recettes pour l’Etat gabonais, il semblerait que ce dernier veuille reprendre la main afin d’assainir les finances et mettre fin à la gabegie à l’oeuvre jusque-là. Le ministre gabonais de l’économie déclarait en 2018 : « A cause des ‘ mains longues’ de certains groupes français , l’Etat gabonais a souvent largement perdu au change dans ses relations avec eux. Ces grands groupes sont habitués aux passe-droits multiples dans les pays de la zone Franc, le Gabon n’a plus les moyens de les financer ». Le gouvernement gabonais a ainsi infligé un redressement fiscal de 600 millions d’euros au groupe Bouygues et réclamé 12 millions d’euros de taxes impayées au groupe Bolloré. L’Etat gabonais a également mis en place une « opération mains propres»  visant à lutter contre la corruption. N’oublions pas que tout ceci se passe toujours sous l’autorité du clan Bongo, avec Ali au pouvoir, donc à observer avec prudence et discernement. A suivre.

Jean-Louis Lamboley

(1) Comité d’Aide et de Défense des Migrants (Haute-Saône) https://www.facebook.com/cadm70/
(2) Fréquence Amitié Vesoul 91.3. Les émissions sont à retrouver en podcast sur
(3) Amis de l’Emancipation Sociale  https://fr-fr.facebook.com/LesAmisdelEmancipationSociale