Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 30 octobre 2019


Edito du PES n° 57

Syrie. Massacres et trahisons en séries

La décision de Trump, l’histrion du tweet, de retirer les troupes US de la frontière turco-syrienne, est le dernier épisode d’une longue suite de trahisons dont est victime le peuple kurde.

Tout a commencé après la promesse non tenue d’indépendance suite au démembrement de l’Empire ottoman, avant la fin de la 1ère guerre mondiale. Pour vaincre l’Etat Islamique, ce monstre surgi des entrailles de l’invasion et de l’occupation étatsunienne en Irak, Obama puis Trump, pour éviter de s’embourber dans cette « guerre sans fin », ont utilisé les combattants kurdes comme chair à canon pour débusquer les « fous de dieu » embusqués dans les ruines des villes bombardées par leurs soins. Cette trahison a été longuement murie pour des motifs des plus cyniques : électoralistes d’abord, afin de conserver un socle de confiance auprès des populations étatsuniennes les plus isolationnistes. Pour tenter, ensuite, de contenir Erdogan dans l’OTAN et contrarier ses volontés d’alliance avec la Russie poutinienne. Enfin, parce que le projet politique des Kurdes syriens, parvenant à s’unifier avec les Arabes et différentes confessions (comme les Yézidis) était insupportable : démocratie par en bas, égalité hommes-femmes, volonté d’autonomie sans ingérence et, qui plus est, solidarité active avec le PKK.

Cette dernière trahison a été longuement murie, contrairement à ce que les commentateurs veulent nous faire croire. Certes, le bouffon à la mèche blonde est imprévisible dans ses réactions, mais nombre de réalités laissaient présager cette issue : la fragilisation du sultan Erdogan face aux résistances des fractions du peuple, les milliers d’arrestations, la répression des Kurdes de Turquie, son alliance avec la Russie de plus en plus visible, les premières incursions de son armée en Syrie, les plus de 3 millions de réfugiés syriens qu’il ne supporte plus, tout en armant, entraînant en Turquie des milices, supplétifs assoiffés de vengeance contre les « mécréants » kurdes. Et enfin, avant la décision de le maquignon Trump, les troupes turques massées à la frontière, le chantage exercé vis-à-vis de l’Europe qui boudait le satrape et mégotait à verser l’ensemble des milliards d’euros promis pour contenir l’immigration vers l’Europe.

Après avoir payé de leur sang (11 000 morts) la victoire contre l’EI et gagné en autonomie démocratique, les Kurdes syriens n’ont vu d’autre issue, face à la puissance de feu de l’armée turque, que de s’allier avec Poutine pour le contenir. Les populations civiles fuyant les bombardements des villes, se réfugiant au Kurdistan iranien, sont autant de facteurs qui les ont décidés. Sans eau, le poisson crève.

Pour l’heure, l’accord entre Poutine et Erdogan, pour geler sur une distance de plus de 30 kms la frontière avec des patrouilles conjointes, constitue une nouvelle trahison. Il faut s’attendre à l’exode des populations kurdes, abandonnant les villes à la soldatesque des bouchers réconciliés, Assad et Erdogan. La guérilla kurde peut-elle y survivre ? Assad, le féroce massacreur de son peuple, n’a qu’une idée qu’il partage avec la Russie : restaurer son pouvoir sur l’ensemble de la Syrie. Alors, la messe funèbre serait-elle dite ? Faut-il rappeler les trahisons successives vécues par les populations syriennes : les manifestations pacifiques instrumentalisées, puis perverties par les ingérences concurrentes de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Turquie soutenant, armant des soldatesques à leurs services et ce, sans oublier les Occidentaux, France en tête, manipulant ladite Armée Syrienne Libre. Quant à Erdogan (tout comme Assad, libérant les « fous de dieu » incarcérés), il a laissé les apprentis  terroristes internationaux franchir la frontière pour rejoindre l’Etat islamique ou des milices de même acabit, pour alimenter les brasiers des massacres. Un slogan kurde dit que leurs seules alliées sont les montagnes, mais, en Syrie à l’Est de l’Euphrate, c’est le désert !

Faut-il croire, qu’au-delà de leurs meurtrissures actuelles, les peuples arabes vont, à l’image du Rojava, se débarrasser des grilles de lecture religieuses manipulées, qui les dressent les uns contre les autres, chiites contre sunnites de différentes obédiences ? N’est-ce pas déjà ce qui émerge des soulèvements populaires en Irak, au Liban, en Algérie… ?

GD le 27.10.2019 

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Billet d’humeur
Dans l’attente du 5 décembre…

Après les séquences Benalla, Gilets Jaunes, Macron l’arrogant, comme un dindon, tente de se faire plus discret. Il marche sur des œufs, évitant d’en casser, lui qui a horreur du jaune !

Sous les braises le feu de la colère couve toujours et s’alimente des irritations et indignations multiples : les personnels des EPHAD, des hôpitaux, les licenciés, les pompiers et même les flics, n’en peuvent plus.

Pour apaiser l’irascibilité justifiée des cheminots et autres futurs retraités, Macron et ses godillots pensent que la négociation est toujours possible en maintenant le cap de la destruction des retraites par répartition et de la sécurité sociale. Il laisse entendre que les actifs en poste ne seraient pas touchés. Les générations suivantes trinqueront. Donc, inutile la grève prévue le 5 décembre !!!

Se voulant astucieux, il a suscité un débat nauséabond sur l’immigration à l’assemblée nationale, lui, le protecteur autoproclamé des Français… Cette opération de diversion a mal tourné ; des macronistes s’en sont offusqués, l’extrême droite s’en est servi pour dévoiler cette récupération de leurs diatribes racistes. Quoi ? Le dindon se permettait de picorer dans leur gamelle ! Pas sûr que cette division de l’électorat et cette chasse aux droitiers et autres « laïcards » angoissés  parviennent à étouffer les rafales qui soufflent sur les braises.

Mais le roitelet persiste, le maître de la triangulation (3ème voie) chère à l’anglais Blair, se projette déjà à l’horizon des prochaines présidentielles. Il flatte, rassure tous azimuts, les écolos bon chic bon genre, se posant en juste, équitable, en homme d’ordre, intraitable contre la violence, qu’il sème à tous vents.

Faudrait vraiment être déprimé pour croire que ce chef de basse-cour a de l’avenir.

Serge, le 28.10.2019

… et du 14 novembre

Hôpitaux : la coupe est pleine !
7 mois après le début de la grève des urgences, la mobilisation s’étend à l’ensemble des services hospitaliers. Mouvement sans précédent qui touche tous les soignants, y compris les médecins. Aux trois principales revendications portées par le Collectif inter-urgences (salaires, ouverture de lits et embauche de personnels) se sont greffées d’autres demandes, portant sur la loi HPST et le financement des hôpitaux, dénonçant la tarification à l’activité, profondément inadaptée aux pathologies chroniques. Ce système inégalitaire ne prend pas en compte les vulnérabilités individuelles, sociales ou autres. Ce n’est pas « le juste soin au moindre coût » mais « le moindre soin au meilleur coût » ! Le plan Macron/Buzin « Ma santé 2022 » renforce encore le modèle de l’« hôpital-entreprise » où le soin est un objet de production comme un autre, aboutissant à la marchandisation de la santé au détriment du service public. Pour le gouvernement, notre système ne souffrirait pas d’un problème de sous-financement mais d’organisation !!! Ce système installe une santé à plusieurs vitesses, qui contraindra les plus pauvres à renoncer aux soins, entraînant la dégradation de l’état de santé d’une partie croissante de la population, avec des prises en charge plus onéreuses. Tandis que les méga-entreprises en santé, privées, vont continuer à faire profiter leurs actionnaires de la manne financière générée par cette dérégulation. Une sacrée aubaine !
Une sacrée colère des soignants et des usagers qui lancent un appel à manifester le 14 novembre prochain ! Sur https://npa2009.org

Nous avons lu


La France à l’heure du monde.
De 1981 à nos jours

En 15 chapitres, nourris des travaux les plus neufs en histoire, sociologie et sciences politiques, l’auteure dresse un bilan éclairant des évolutions qui ont marqué ces 40 dernières années : mondialisation, néolibéralisme, conscience de crise. De Mitterrand à Macron s’est opérée l’alternance sans alternative. De la rose du PS, on ne retient aujourd’hui que les épines tant la période est marquée par la domination du néolibéralisme et ses contestations inabouties. L’histoire de la France s’est désormais installée dans la morne plaine de l’Europe des désillusions, insérée qu’elle est dans un ordre du monde désorienté. « Les temps sont incertains ».

Tous ceux qui pensent que la connaissance du passé proche est indispensable pour comprendre le présent et transformer l’avenir, que les dominants veulent imposer, doivent se plonger dans cet essai pour affronter les défis d’aujourd’hui. GD

Ludivine Bantigny, ed. Points Histoire, 2013 (11,80€)


L’Espagne : un pays qui sait garder ses traditions !

Si vous cherchez un lieu de villégiature dans un pays qui sait entretenir le souvenir de son glorieux passé, qui sait ne pas oublier le souvenir des hommes qui l’ont fait, un pays en Europe s’impose à vous sans hésiter : l’Espagne.

Vous pourrez, par exemple, chaque 14 octobre participer à la fête nationale, la fête de l’hispanisation, et festoyer ainsi en souvenir de la « grandiose œuvre humaniste d’évangélisation des civilisations » de libération, bref de « bonheurisation » des peuples autochtones d’Amérique du Sud … ! Les conquistadors ont même, dans leur immense sagesse et bonté, introduit par exemple au Mexique l’ancêtre du planning familial et le contrôle de l’évolution démographique. En effet, en 1500, ce pays comptait près de 20 millions d’Indiens alors qu’en 1600, après 100 ans de colonisation  espagnole,  il n’en comptait plus que 2 millions.

Vous auriez pu, ce 25 octobre, participer avec la fondation Francisco Franco à la manifestation visant à empêcher le déplacement de la dépouille de ce « brave » Francisco, du monument dédié aux victimes de la guerre civile : Valle de los Caïdos (monument construit par 20 000 prisonniers politiques) vers le cimetière familial de ce personnage illustre. Vous auriez pu à cette occasion interpréter des chants, exécuter des saluts fascistes dans un esprit de fraternité avec les membres de cette fondation.

Car en Espagne, la Fondation Francisco Franco existe toujours. Ses objectifs sont de « diffuser et promouvoir l’étude et les connaissances sur la vie, la pensée, l’héritage et le travail de F. Franco Bahamonde dans sa dimension humaine, militaire, politique ainsi que sur les accomplissements de son mandat de chef d’Etat espagnol ». Cette fondation est toujours reconnue d’intérêt général et vous y serez en excellente compagnie puisque le Président d’honneur en est Louis Alphonse de Bourbon, cousin germain de Felipe VI. Les socialistes du PSOE promettent régulièrement de l’interdire mais ne l’ont toujours pas fait. Certes en 2007, le gouvernement de Zapatero promulgua la loi de mémoire historique visant à retirer les vestiges de la dictature, identifier les milliers de corps jetés dans les fosses communes, réhabiliter la mémoire des Républicains vaincus et condamnés…. Mais, fort heureusement le Parti Populaire est revenu au pouvoir et Mariano Rajoy, son chef, pouvait se vanter publiquement en 2017 de ne pas avoir dépensé un euro pour appliquer cette loi.

De plus, l’Espagne, ces derniers temps, a fait un effort notoire pour renouer avec son célèbre passé en remettant au goût du jour les procès politiques. En effet ont été jugés des hommes et des femmes politiques ainsi que des responsables d’associations pour avoir organisé, le 1° octobre 2017, une consultation populaire en Catalogne portant sur l’accession à l’indépendance de cette région. Aux dires de l’Etat espagnol, ce procès fut parfaitement équitable, ce qui n’est pas tout à fait l’avis d’Alexandre Faro observateur de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme : « La séparation des pouvoirs ne saute pas aux yeux dans cette juridiction. Les juges du Conseil Général du pouvoir judiciaire sont nommés par les partis au pouvoir. Le juge qui préside cette instance est un proche affiché du Parti Populaire. De plus au cours des auditions, les policiers ont témoigné en présence de leurs supérieurs hiérarchiques ». Donc, pour avoir mis en œuvre le programme avec lequel ils avaient été élus, ces hommes et ces femmes ont été condamnés à des peines allant de 9 ans et demi à 13 ans de prison.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi certains Catalans veulent se séparer de cette Espagne au si glorieux passé et au si noble présent !

Jean-Louis Lamboley (et son humour grinçant)


 25 octobre 2019. En plus des nombreuses mobilisations et manifestations en Catalogne, des centaines et des centaines de citoyens basques ont revendiqué leur solidarité avec les prisonniers politiques condamnés. Ils ont illuminé plusieurs cimes basques et lieux naturels emblématiques signifiant clairement aux Catalans et au monde entier leur soutien, leur solidarité infaillible. Un message fort de solidarité et de résistance face à l’oppression du pouvoir espagnol exprimé par une citoyenne : « Célébrer un référendum n’est pas un délit !! ».  Lucette.

En Catalogne, chaque jour, il y a des actions pour dénoncer  la non-démocratie du pouvoir espagnol. Le mouvement pacifiste continue à revendiquer le droit à l’autodétermination et surtout la liberté des prisonniers politiques en organisant des actions spectaculaires non violentes comme la longue « marche de la liberté » à l’image de celle de Gandhi ou de Mandela. Les jeunes se sont maintenant unis derrière le mot d’ordre : « Ja no pot ser…el nostre futuro està en perill… la llibertad d’expressio ha desaparegut….». La police suréquipée et surarmée (la Guardia Civil de Madrid a pris le contrôle des Mossos catalans…) lance des offensives avec des armes interdites (selon une amie militante du mouvement Assemblea Catalana)  contre les jeunes, faisant de nombreux blessés. Les interpellations et incarcérations sont journalières.  Lucette.



Nous avons lu…

Là où est l’argent
Ce livre relate à la fois une histoire assez extraordinaire, celle de l’auteur, espion bénévole, et la réalité des paradis fiscaux. Travaillant à Jersey, puis au Luxembourg, ayant à connaître l’ingénierie financière organisée telle des poupées russes, des comptes off-shore gérés en toute impunité pour organiser l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent sale, les liquidations frauduleuses, l’abus de biens sociaux… Par « patriotisme économique » et devant l’ampleur du dépeçage des entreprises françaises auxquels se livrent les fonds d’investissement spéculatif, Maxime Renahy contacte les services secrets français. Initié par ceux qui se « considèrent comme un rempart en cas d’effondrement de l’Etat », il apporte une suite de révélations : par exemple, au-delà des prête-noms ce sont des avovats d’affaires, des cabinets conseils qui gèrent des entités aux noms exotiques. Ils organisent entre autres la dette fictive de telle entreprise pour soustraire ses bénéfices à l’impôt et provoquer des licenciements. Toutes les sommes maniées circulent à la vitesse de la lumière et se réfugient aux îles Caïmans, Singapour, Hong Kong, dans l’Etat du Delaware aux USA, au Lichtenstein, aux Bahamas. A la lecture de cet essai, on mesure l’hypocrisie des gouvernements qui jurent de supprimer les paradis fiscaux, s’inquiètent de l’ampleur du capital détourné et ne font presque rien pour les combattre. « Selon la commission européenne, l’Europe perd chaque année via la fraude et l’évasion fiscale, 1 000 milliards d’euros ». Découvrir ce monde opaque, c’est aller de surprise en surprise : Axa l’assureur, Lactalis, la Légion du Christ, filiales de banques gérées par des expatriés dans les paradis fiscaux permet de jeter un regard impudique sur les financiers douteux bien installés, y compris dans les hautes sphères des Etats. GD
Maxime Renahy. Préface d’Eva Joly, ed. Les Arènes, 2019, (20€)  



La crise que l’on n’ose voir venir

En apparence, la crise de 2007-2008 et le sauvetage des banques qui s’en est suivi, semblent s’être dissous dans l’endettement des Etats. L’heure serait à l’austérité budgétaire et au recul des conquis sociaux pour alléger les dettes publiques, dites souveraines. Quoique, venant perturber ce jeu, au multilatéralisme mondialisé se substitue en partie un unilatéralisme nationaliste, comme remède à l’impossibilité d’une relance de la « croissance » mondiale. En fait, la plupart des médias occultent des réalités plus sombres : l’endettement des entreprises, l’endettement des pays pauvres sur fond de ralentissement prononcé du commerce mondial, l’entrée en récession de nombreux pays et le phénomène de thésaurisation spéculative que camouflent les paradis fiscaux. Qui plus est, les banques privées, malgré l’injection de liquidités qu’elles ont connue, sont toujours à la peine. Quant aux banques centrales, les potions administrées pour relancer la « croissance » n’ont rien de magique, bien au contraire. Selon leurs experts, les Etats qui le peuvent, devraient les suppléer en recourant à un type de relance keynésienne… Sur fond de conflits commerciaux, de lutte des puissances entre elles, y compris par la guerre et la répression, une séquence de l’histoire du capitalisme est en train de se clore. Le moment que l’on vit se caractérise par le déchirement des formations sociales, les soulèvements populaires, les répressions étatiques y compris par la guerre et la déportation des populations. Ce sont quelques-unes de ces réalités que les descriptions qui suivent voudraient illustrer.

La dette des entreprises privées (et des ménages). Vers des faillites ?

La dette de l’ensemble des entreprises au niveau mondial, serait, selon certains économistes les plus avisés, le ferment de la prochaine crise économique et financière. Elle correspond à 91,4 % du PIB mondial, à comparer à celle des Etats (87,2 %) et des ménages (58,4 %). Le système est donc assis sur une montagne de dettes « immobilisées ». Même le FMI s’en inquiète dans des termes euphémisés : « En cas de ralentissement économique (ce qui est déjà en œuvre) de l’activité, 40 % de la dette des entreprises dans les huit plus grandes économies (soit 19 000 milliards de dollars) serait exposée à un risque de défaut (faillite) ». L’énorme bulle en constitution est de plus activée par le recours à l’endettement pour payer leurs propres échéances de remboursement ou pour financer les opérations de fusions-acquisitions qui sont, de fait, le signe de concentration capitaliste avec son cortège de restructurations-licenciements.

Et lorsque l’on braque son regard sur un certain nombre de pays, l’on ne peut que s’interroger sur le maillon le plus faible de cette chaîne de créances : la dette privée des pays asiatiques dits émergents a augmenté de plus de 66 % depuis 2008. Même la Chine est touchée. Et que dire de la dette étasunienne : 250 % du PIB si l’on ajoute celles de l’Etat fédéral, des entreprises et des ménages. Selon certains « elle est devenue folle » : 15 300 milliards de dollars soit 75 % du PIB ! Oui mais, la France c’est 315 % au total, 143 % seulement ( !) pour les entreprises et 60 % pour les ménages. Et l’Allemagne ne totalise que 178 % de dettes… Bref, tous ces chiffres auxquels il faut bien recourir donnent le tournis.

Mais ce n’est pas tant pour mesurer la course à l’abîme du  capitalisme financiarisé. Comme le dit Elizabeth Warren, candidate aux primaires démocrates aux USA : « les fonds d’investissement pillent les entreprises… ce sont des vampires qui (en) sucent le sang en s’enrichissant lorsqu’elles s’effondrent ». Le mécanisme utilisé, dit LBO, consiste en rachat d’actions (en partie ou en totalité) d’entreprises en difficulté. Ces fonds spéculatifs empruntent sur les marchés, font supporter le poids de cette dette à l’entreprise acquise, tout en exigeant des rendements de leurs dividendes supérieurs à 10 %. La firme est exsangue, c’est la faillite. Ne reste plus qu’à brader les machines et à l’Etat concerné à supporter un « plan social pour le (non) emploi » PSE et, au passage, à rafler les brevets. Aux USA, le trésor de guerre accumulé par ces fonds dits d’investissement, est de 1 200 milliards de dollars ; 5,8 millions d’employés dans ces fonds spéculatifs travaillent à dépecer les entreprises et à contaminer le marché de la dette (3 000 milliards de dollars fin 2018) et de la finance.

En France, les patrons s’inquiètent de la  nature de ces fonds « rugueux », « agressifs » qui s’attaquent à Pernod Ricard, Suez, Lagardère, Essilor, Casino (cf encart). Même l’Allemagne est touchée : Thyssen-Krupp est à bout de souffle, Siemens vend des actifs pour ne conserver que ses machines-outils et ses robots, Continental envisage la suppression de 20 000 emplois. Volkswagen et toute l’industrie automobile est fragilisée, non seulement par le scandale du dieselgate et ses innombrables procès, mais également par ses « surcapacités », comme ils disent. Le recours au travail partiel se généralise, évitant ainsi, pour le moment, des licenciements massifs. Selon l’institut IFO de Munich : « il est hautement probable que l’économie allemande entre en récession ». D’ailleurs, la production automobile a reculé de plus de 11 % sur les 8 premiers mois de l’année.  

Vers la récession. Les pays les plus pauvres, les plus touchés

Ce qu’il est convenu d’appeler la « croissance », celle du capital, surtout dans un système financiarisé, est en berne. Elle n’atteindrait que 3 % au plus, au niveau mondial, la Chine se maintenant à 6 ou 6,5 % en 2019. Dans les pays dits riches, elle stagnerait à 1,7 %, les USA subissant un décrochage à 2 % en 2020. Et le FMI de tirer la sonnette d’alarme : les « économies avancées » ont une trop faible productivité, une démographie vieillissante, les Etats concernés doivent relancer les dépenses budgétaires d’investissement, l’Allemagne et les Pays-Bas qui possèdent des excédents budgétaires, doivent les utiliser. Et tous ces experts de s’affoler : « le commerce mondial prend la direction d’une croissance nulle » (+ 1,2 % en 2019) ; la guerre commerciale à coups d’augmentation des droits de douane et de sanctions ne peut qu’aggraver la situation et provoquer la fin du multilatéralisme. Que va devenir l’Organisation Mondiale du Commerce ? Déjà les USA prévoient de se retirer de l’organe des différends, ces juges qui doivent régler « à l’amiable » les conflits entre les Etats et les multinationales, au profit de ces dernières… L’OMC y survivra-t-elle ? Et Sedkar du FMI est atterré de constater que les pays asiatiques émergents doivent se préparer (sic !) à une hausse des faillites lors du prochain changement de politique monétaire des économies « avancées » (1) qui seront d’autant plus agressives pour récupérer les emprunts souscrits.

En effet, la dette des pays les plus pauvres s’est considérablement accrue passant de 3 462 milliards de dollars en 2008 à 7 810 en 2018. Dépendants des politiques monétaires des pays riches, ils sont particulièrement vulnérables. Rien qu’en Afrique subsaharienne, les créanciers privés possèdent désormais 41 % des encours de dette contre 17 % en 2009. Rachid Bouhia de la CNUCED déplore  « que la dette n’est plus un instrument financier à long terme (permettant le « développement ») mais un actif financier risqué soumis aux intérêts à court terme des créanciers » cupides.

Autrement dit, au-delà des termes choisis pour désigner les pays pauvres, il faut s’attendre à l’accroissement de la misère dans ces pays, à son « cortège » de migrations des populations et à des irruptions de colères sociales, d’autant que les remèdes utilisés semblent amplifier la crise à venir.

Eteindre l’incendie avec ce qui embrasera le suivant

Retour sur le remède de cheval employé lors de la crise de 2007-2008 : les Etats, les banques centrales, ont injecté des milliers de milliards de dollars pour sauver les banques privées infestées de crédits pourris (les subprimes). Avec ces capitaux fictifs issus de la création monétaire, ces dernières devaient servir à relancer l’économie réelle par l’investissement productif. En outre, les banques privées devaient en profiter pour vendre sur le marché secondaire leurs actifs pourris. Or l’investissement tant privé que public n’a pas suivi. Les Etats, pour résorber leur endettement, ont renforcé leurs politiques d’austérité en diminuant par conséquent la consommation des ménages les plus touchés. Qui plus est, en privatisant leurs secteurs rentables, acquis pour l’essentiel par emprunts, ils ont accru l’endettement général. Quant aux entreprises, elles ont misé sur la rentabilité immédiate en licenciant, en se concentrant sur les secteurs susceptibles de trouver preneur sur le marché. Bref, on est entré dans un cycle de surproduction (les économistes parlent de surcapacité) et de sous-consommation, du fait de l’incapacité d’acheter les produits mis sur le marché. Mise à part la production de produits de luxe destinés aux super-riches, les remèdes antérieurs (recours au crédit, publicité) semblent, au niveau mondial, insuffisants. Dans la plupart des pays, la classe dite moyenne se rétrécit, la pauvreté et la précarité gagnent le plus grand nombre. Certes, il y a des exceptions (la Chine) mais pour combien de temps ! S’est donc constituée pour les milliers de milliards créés par les banques centrales, une énorme bulle financière.

Pour tenter de la contenir et d’éviter un nouvel effondrement des banques privées, la banque centrale européenne, pour ne prendre que cet exemple, a racheté des dettes privées et publiques à raison de 20 milliards d’euros par mois, espérant à terme, les revendre sur le marché dit secondaire. Elle n’a fait que déprécier ces actifs. Comme elle ne parvenait pas à convaincre les banques privées d’investir dans l’économie réelle, ces dernières préférant thésauriser dans les paradis fiscaux par l’intermédiaire de leurs filiales et reverser une partie de leurs liquidités à la banque centrale elle-même, la banque centrale a décidé d’utiliser ce dernier levier pour pénaliser les banques frileuses. Ainsi, leurs dépôts ont été taxés à 0,5 %. Comme cela ne semblait produire aucun effet d’importance, sinon alimenter la spéculation immobilière, la BCE, dans le même temps, a réduit à rien (de l’ordre de 0 %) son taux directeur. Autrement dit, les banques privées pouvaient se servir gratos auprès de la BCE pour prêter à des taux rémunérateurs auprès des entreprises et des particuliers. Et là encore, le remède se révéla poussif. Les banquiers centraux sont désormais pris de panique : « la politique monétaire ne peut pas tout, les gouvernements doivent faire leur part », en d’autres termes, investir directement dans l’économie réelle, soit dans les infrastructures, soit en augmentant les salaires. Diantre, il faudrait revenir aux politiques interventionnistes, voire keynésiennes ? Les Etats comme l’Allemagne qui possèdent des excédents budgétaires, refusent, les autres, endettés, ne peuvent souscrire à cette injonction, empêtrés qu’ils sont dans leurs politiques austéritaires et de bradage des biens publics. De fait, les taux pratiqués par les banques centrales sont une véritable bombe à retardement.

Cela n’a nullement empêché l’accroissement des dettes publiques. Les 36 pays de l’OCDE ont vu leurs dettes passer de 50 à 73 % du PIB de 2007 à 2018. Même si les taux d’emprunt ont baissé sur les obligations, la dette de l’Etat français culmine à 2 375 milliards d’euros soit près de 100 % du PIB. En Inde, pour prendre un autre exemple, on assiste à un écroulement des investissements (- 72 %), malgré la baisse des taux directeurs de la banque centrale indienne, et ce, 5 fois d’affilée. En revanche, ce qui a explosé, ce sont les créances douteuses car il ne reste, pour les rapaces, que la spéculation à tout crin pour enrichir quelques-uns au détriment du plus grand nombre.

Thésaurisation et spéculation comme remèdes ?

Les paradis fiscaux, malgré les révélations des lanceurs d’alerte, sont loin d’avoir disparu. Les avoirs qui y sont détenus atteindraient, au bas mot, 7 900 milliards d’euros, ce qui représenterait 40 % des profits des transnationales, soit une base taxable (au profit des Etats) de 600 milliards. Pour le dire autrement, les entreprises, fonds d’investissement et super-riches, pour échapper à la spirale négative de rendements insuffisants à leur gré, préfèrent thésauriser en échappant à l’impôt dans l’attente de jours meilleurs ou en spéculant. Reste que l’argent ne produit pas de l’argent comme le poirier des poires et que pointe la dévalorisation de ces actifs, la fameuse bulle.

Toutefois, dans l’immédiat, la fuite en avant continue. Les banques européennes privées se doivent de nettoyer leurs bilans et tenter de se débarrasser des 606 milliards de crédits dits douteux. La solution est de vendre à des fonds « d’investissement » spéculatifs à bas prix, soit pour Blakstone, à 17 % de leur valeur. Autre exemple, celui des banques grecques percluses de leurs 30 milliards d’euros à risque et des 75 milliards de créances douteuses : quoi de mieux que de recourir à la titrisation, ce plan dénommé Hercule du nouveau gouvernement très droitier, consistant à vendre ces actifs pourris sur le marché. Pour appâter les voraces, la garantie de l’Etat est proposée, ce qui signifie qu’en cas de problème… l’Etat grec indemnisera les fonds vautours ; bien évidemment, cette décision du gouvernement grec a reçu l’aval de la commission européenne. Les classes populaires grecques n’ont pas fini de souffrir.

Quant aux petites classes moyennes, employées dans les banques privées, rien qu’en Europe, elles vont déchanter. Quoi de mieux, pour espérer le retour à la rentabilité, que de « dégraisser » ? La Société Générale annonce la suppression de 3 900 postes, la Deutsche Bank 18 000, la Commersbank 4 300, Unicrédit Italie 10 000, HSBC 14 000 et HSBC France, la suppression-cession de 264 agences où travaillent 9 000 salariés.

Faut-il croire Immanuel Wallerstein, ce sociologue et historien du capitalisme (2) récemment décédé, qui, en novembre 2014 déclarait : « la possibilité d’accumulation du capital dans l’économie réelle, qui est la raison d’être du capitalisme, n’existe plus. La crise structurelle a commencé dans les années 70 ; l’effondrement se produira entre 2030 et 2050 ». Effondrement ? Entre temps, vont certainement se multiplier, outre le dérèglement climatique et ses catastrophes environnementales, les risques de guerre, de déportations de population fuyant les conflits et la misère ; des soulèvements populaires et la mobilisation des classes moyennes déchues, appelant à la restauration de l’ordre nationaliste et xénophobe, tel est l’horizon d’aujourd’hui et de demain.

Gérard Deneux le 25.10.2019

(1)    Soit l’augmentation inéluctable à terme, des taux directeurs des banques centrales
(2) Pour comprendre l’évolution du capitalisme, découvrir et redécouvrir Immanuel Wallerstein, en particulier :
     - Capitalisme et économie monde (t. 1 et 2) de 1450 à 1640 (1980) éd. Flammarion
     - L’après libéralisme. Essai sur un système monde à réinventer (1999) ed. L’Aube
     - L’utopistique ou les choix politiques du 21ème siècle (2000) ed. l’Aube
     - Le capitalisme historique (2002) ed. La Découverte
     - L’universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence (2008) ed. Demopolis
    

Encart  
Les 5 fonds d’investissement US les plus actifs
en France et en Europe

Elliot Management gère 38 milliards d’euros.
Principales cibles : Pernod Ricard, Telecom Italia, ATT Bayer

Third Point gère 18 milliards. Cibles : Nestlé, Sony, Essilor

ValueNetCapital :  14 milliards. Cibles : Olympus, Citigroup

Cevian Capital : 14 milliards. Cibles : Tyssen krupp, Ericson

Trian Partners : 10,5 milliards. Cibles : Général Electric, Procter et Gamble





Message d’Hassen

Amis du monde, de toutes les nations,
créons une sociale évolution
Devenons tous  amis de l’émancipation
Transformons-nous tous en électrons
pour redresser notre courant libre en fusion
Prends ta place pour devenir un de nos compagnons
Viens boire à la source des amis de l’émancipation
C’est urgent, il faut renforcer notre production
faire doubler nos protections
tous ensemble avec nous dans l’autodétermination
peuples du monde, tous en action
contre cette politique guidée par des lions
N’ayons pas peur, ce ne sont que des statues de plomb
ils sont enfermés dans leurs prisons
leurs seuls amis et frères sont des canons
Tous contre cette folie qui n’a qu’un nom
qui dénature le monde et la population
Pour eux nous ne sommes bons
qu’à nous taire ou servir de chair à canons
Erigeons-nous contre tous ces pollutions
Unissons nos voix contre ces moutons
contre ces capitalistes de la destruction
Arrêtons toutes ces exploitations
entretenues par des machinations en pleine expansion
en automatisation au maximum de leurs pressions
ces institutions en voie de robotisation
ces maîtres de la manipulation
plongent notre monde dans l’abomination
Nous ne sommes pas la cause mais bien la solution
pour une société de justice sociale et égalitaire
entre la nature et l’homme
que nous voulons multicolore, multiculturelle, solidaire
Protégeons la terre qui nous fait vivre
Ne la détruisons pas cultivons la et enrichissons la
Nous devons tous un big respect à la nature




Icône pour le climat

Jusqu’au 23 septembre (et son intervention à l’ONU), Greta Thunberg, portée au pinacle par les médias, suscitait, chez les « puissants » une certaine admiration condescendante ; les cercles du pouvoir l’admettaient avec une suffisance paternaliste, voire même s’en servaient comme une caution de leur engagement pour le climat, sans que cela ne se traduise en actes. Sa diatribe à l’ONU contre les dirigeants de ce monde ne tenant aucun compte de l’alarme des scientifiques : « Comment osez-vous prétendre que vous agissez ? », la fit tomber aussi vite dans l’oubli médiatique, enterrant du même coup l’icône et le message ; elle était devenue « irrationnelle », « illettrée », « louche », « ridicule »,  « fanatisée » et même « totalitaire ». Il ne fait pas bon dire la vérité aux « puissants », que l’on soit une adolescente suédoise, Edward Snowden ou autres. Il est vrai qu’elle avait mis dans la rue, le 20 septembre plus de 4 millions de manifestants pour le climat et que, depuis 2018, les jeunes adolescents (et pas que) mènent des grèves de l’école, dénonçant l’irresponsabilité des décideurs actuels, vis-à-vis des générations à venir, en matière de survie planétaire.

Icône devenue sorcière

Surprenant que cette adolescente suédoise ait été invitée à intervenir en ouverture du sommet exceptionnel sur le climat, commandé par Antonio Guterres (SG de l’ONU), le 23 septembre dernier. Elle avait déjà prouvé qu’elle ne pratiquait pas la langue de bois : devant le parlement suédois le 20 août 2018 « Nous, les enfants, nous ne faisons souvent pas ce que vous dites, mais ce que vous faites. Puisque vous vous foutez de mon futur, moi aussi » ; elle avait condamné l’inaction des politiques et des adultes en général face à l’imminence de la catastrophe, à la tribune de la conférence Climat (COP 24) à Katowice en Pologne ; en décembre 2018, elle fustigeait le manque de « maturité » des leaders politiques et prévient « le changement arrive, que cela vous plaise ou non » ; en janvier 2019, invitée au  forum économique mondial à Davos, elle lançait « Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si votre maison était en feu parce qu’elle l’est ». Ces invitations successives aux tribunes des « grands » de ce monde pouvaient la rendre suspecte, aux yeux d’un certain nombre de militants,  voyant là une tentative de récupération, mais qu’elle ne fut pas la surprise de l’entendre prononcer des phrases accusatrices que d’aucuns militants syndicaux et politiques n’osent même plus utiliser dans ce monde politique « aseptisé ». Ses prises de parole véhémente dans les arènes internationales, les millions de manifestants dans les rues des grandes capitales du monde, le 20 septembre, nous réjouissent, sans pour autant nous faire oublier qu’ils ne suffisent pas pour « changer le système ». Piqué au vif par son annonce de mise en cause de la France (ainsi que quatre autres pays) devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU (encart), Macron réagissait, hautain : « Je ne suis pas sûr que ce soit la voie la plus efficace… les positions très radicales, c’est de nature à antagoniser nos sociétés », puis Blanquer : « Il ne faut pas non plus créer une génération de déprimés autour de ce sujet » ou encore Brune Poirson : « Je ne crois pas qu’on puisse mobiliser la population avec du désespoir ». Et bien si, madame, ne vous en déplaise !
Aux yeux des puissants, Greta est devenue une « sorcière » !

Et après ? Quelle écologie voulons-nous ?

Une icône doit rester éphémère. Tout comme un lanceur d’alerte n’est utile que si son alerte est relayée dans une contestation collective. Que l’icône Greta retombe dans l’oubli, c’est mieux. Ce qui compte c’est le mouvement qu’elle a suscité et la question suivante : de quelle écologie parlons-nous ? Cette question est primordiale pour le mouvement Pour le Climat, réunissant des milliers de personnes, mues par une cause commune mais empruntant des chemins différents pour parvenir à des objectifs non encore formulés. Voulons-nous une écologie de consensus signifiant la fin des conflits, zéro idéologie, ni de droite ni de gauche ? Avec un nouveau spectre, le réchauffement, qui imposerait une Sainte Alliance et mettrait fin à  l’histoire de toute société jusqu’à nos jours qui n’a été que l’histoire de luttes de classes ? L’impératif, sauver la planète, nous rassemblerait tous, riches et pauvres, damnés de la Terre et actionnaires, par-delà les frontières, tous unis contre la catastrophe en cours ? Au contraire. La crise écologique aiguise cette lutte, la renforce ; les 10 % les plus riches émettent huit fois plus de GES que les 10 % les plus pauvres. La « guerre » ne porte plus seulement sur le niveau de vie mais sur la vie elle-même. La guerre des classes existe aussi pour l’environnement (1).

« Si la mobilisation écologiste semble de retour, elle doit éviter de se laisser enfermer dans le seul combat pour le climat et réinvestir le champ de la lutte sociale pour cesser d’être une » préoccupation bourgeoise (2). Les actions pour le climat nombreuses, innovantes, n’ont pas réussi à entamer la détermination de l’oligarchie à poursuivre dans la voie d’une politique socialement et écologiquement destructrice. Le mouvement climat doit sortir de « l’entonnoir climatique » dans lequel il s’est laissé enfermer pour devenir écologiste à part entière.  L’objectif est-il de parvenir, grâce à un peu de sobriété énergétique et beaucoup de solutionnisme technoloqique, à une société « décarbonée » qui maintiendrait l’essentiel du mode de vie et des structures sociales actuels ? Si oui, les ingénieurs du capitalisme vert y travaillent, les « solutions » arrivent. Faire de la « neutralité carbone » l’étendard de la lutte dépolitise l’écologie et dissimule les causes véritables de la catastrophe. Faire décroître drastiquement et rapidement les émissions carbone est évidemment indispensable, vital même : mais en faire le fil d’Ariane de la lutte est un piège dont il faut sortir au plus vite ; l’écologie n’est pas une affaire de comptabilité d’émissions : elle doit être une transformation de notre rapport quotidien et pratique au monde. Il faut faire accoucher l’écologie de la justice sociale qu’elle porte dans ses flancs.  C’est seulement quand le mouvement climat parviendra à percevoir comme aussi intensément urgentes et écologiques des questions sociales a priori étrangères au climat (violences policières, écrasement des classes pauvres, racisme, casse du code du travail ou de l’hôpital) que l’écologie cessera d’être cette préoccupation « bourgeoise » qu’elle est partiellement devenue dans les pays du Nord ».


« Pour cela, il faut se réarmer intellectuellement et comprendre à nouveaux frais, sans se laisser épouvanter par les fantômes du passé, comment le capitalisme, appuyé sur une apparence trompeuse de démocratie représentative, tend par nature, depuis son apparition, à détruire la vie sur Terre et à rendre impossible toute forme de société digne et égalitaire ».

Que faut-il combattre ?

Bien sûr, il faut dénoncer les engagements non tenus,  ceux de l’accord de Paris, signé en 2015 par 196 pays, promettant de diminuer l’émission des Gaz à effet de serre, pour un réchauffement à 2°C, voire 1.5 °C, alors que, pour l’heure, ces  pays mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3.2 °C d’ici à la fin du siècle. Il faut informer de l’inaction de l’Union européenne, 3ème pollueur mondial après la Chine et les Etats-Unis, incapable d’adopter un plan de neutralité carbone en 2050 ; il faut dénoncer les pays pollueurs, comme Canada, Australie, Brésil ou Afrique du Sud, qui n’ont même pas fait le déplacement à l’ONU, ou Trump qui n’y a fait qu’une apparition sans prendre la parole (en 2017, il avait annoncé vouloir se retirer du traité) ou encore la Chine et l’Inde qui se sont bornées à des promesses rituelles. Les Etats savent pertinemment que leurs engagements sont intenables et les échéances de la COP 25 au Chili en décembre et de la COP 26 à Glasgow fin 2020, ne les inquiètent guère. Les gouvernants s’emparent du sujet quand des échéances électorales approchent et, par les temps qui courent, il est bon de ne pas oublier l’écologie dans son programme !

Car qui sont les « coupables climatiques » ? Sans doute pas les individus qui roulent au gasoil ou les locataires qui chauffent leurs logements « passoires » car mal isolés. Ce sont les firmes qui pratiquent l’exploitation implacable des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon. Le Guardian a révélé récemment (3) les 20 firmes de combustibles fossiles produisant plus d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Les entreprises identifiées vont des entreprises appartenant à des investisseurs – Chevron, Exxon, BP et Shell, à des entreprises d’Etat, Saudi Aramco et Gazprom. Michael Mann, l’un des plus éminents climatologues du monde, a appelé les politiciens à prendre d’urgence des mesures pour maîtriser leurs activités lors des prochaines négociations sur le climat au Chili en décembre 2019. Peine perdue ! Dans le système économique actuel, ce ne sont pas les Etats qui décident. « La grande tragédie de la crise climatique est que 7,5 milliards de personnes doivent payer le prix, sous la forme d’une planète dégradée, pour que quelques dizaines de firmes polluantes puissent continuer à faire des profits record ».

Alors, sauver la planète nous rassemblerait tous, riches et pauvres, sans distinction de classes ? « La compagnie Exxon Mobil, au début des années 1990, en pleine connaissance de cause, après avoir publié d’excellents articles scientifiques sur les dangers du changement climatique, prend sur elle d’investir massivement à la fois dans l’extraction frénétique du pétrole et dans la campagne, tout aussi frénétique, pour soutenir l’inexistence de la menace. Ces gens-là – ceux qu’il faut désormais appeler les élites obscurcissantes – ont compris que, s’ils voulaient survivre à leur aise, il ne fallait plus faire semblant, même en rêve, de partager la terre avec le reste du monde ». (1)

Odile Mangeot, le 2610.2019

(1)    François Ruffin « Ecologie. Tous sur le même bateau ? » Fakir sept. Nov. 2019
(2)    Maxime Chédin dans Politis 29/08/2019
(3)    Le Guardian du 9 octobre 2019 – paru sur alencontre.org



Seize jeunes de 8 à 17 ans, venus de douze pays ont annoncé, le 23 septembre, le dépôt d’une plainte visant 5 pays pollueurs : France, Allemagne, Argentine, Brésil, Turquie, estimant l’inaction des dirigeants comme une atteinte à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Un « protocole optionnel » de la convention autorise, depuis 2014, des enfants à porter plainte devant cette instance, s’ils estiment que leurs droits sont bafoués.


A la mémoire des morts au Chili
le 11 septembre 1973
souvenir d’un jour de défaite


Comme des drapeaux moyenâgeux
en jour de fête bourgeoise
leurs têtes pendaient sinistres
du haut des façades grises

Ils avaient encore les yeux
de leurs beaux premiers ans
pour sourire de la beauté
d’un corps anéanti

Leurs âmes qui ne voulaient
qu’entendre les rires enfantins
faisaient naufrage au son des balles
pénétrant dans notre chair

Leurs visages exposés
au long de tous les chemins
semaient déjà la mort
de notre ennemi et vainqueur


Pedro Vianna

En toute nudité
Paris, 31.VII.1976




Solidarité avec le mouvement populaire chilien !

Le Chili vit depuis le 17 octobre une révolte sociale d’une force inouïe soutenue par les organisations syndicales avec un appel à la grève générale le 23 octobre. La hausse du prix du billet de métro à Santiago, a déclenché une vague de protestation initiée par la jeunesse qui a appelé à des journées de « non-paiement du métro ».  Actions sévèrement réprimées par les carabiniers dans les stations : gaz lacrymos, charges policières et coups de feu.  La répression n’a pas découragé la protestation mais a gagné du terrain et s’est étendue aux classes populaires vivant dans une précarité permanente alors que les familles de la grande bourgeoisie sont parmi les plus riches d’Amérique latine. Le Chili est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Le président multimillionnaire Pinera a déclaré l’état d’urgence et le couvre-feu à Santiago et dans plusieurs communes, déployant les militaires dans la rue, une mesure qui rappelle la sinistre époque du dictateur Pinochet (1973-1989 (cf poème en dernière page). Mais les luttes s’étendent, le mouvement pointe tout l’héritage de la dictature mais aussi des décennies de gestion du néolibéralisme par les différents partis au pouvoir depuis 1990. Au Chili, la santé, l’éducation, l’eau, le système de retraites, les transports etc… sont très largement privatisés et aux mains des capitalistes. Il y aurait 2000 manifestants détenus, plusieurs personnes sont mortes et il y a des centaines de blessés.

Toute notre solidarité va aux luttes du peuple chilien, qui s’inscrit dans une séquence de luttes à l’échelle de l’Amérique latine et plus largement de développement des mobilisations populaires au niveau mondial face au néolibéralisme autoritaire.

Basta de répression ! Basta de capitalisme néolibéral !



Réflexions sur l’incarcération

Au 1 Janvier 2019, 70 059 personnes étaient détenues dans les prisons françaises pour 60 151 places opérationnelles. Alors que la France est en proie à une surpopulation carcérale chronique, d’autres pays ferment des prisons ! Bien que l’enfermement puisse être source de magnifique évasion artistique, des voix s’élèvent pour questionner l’abolition du système pénal.

Tour d’horizon

Le système carcéral est en surpopulation chronique et contraint 2 à 3 personnes, parfois plus, à partager des cellules de 9m2 et à près de 1 400 personnes à dormir sur des matelas posés au sol. Le nombre de personnes détenues a plus que doublé en quelques décennies et a été multiplié par 2,4 ces 40 dernières années, passant de 29 482 en 1977 à plus de 70 000 aujourd’hui. Cette hausse est sans corrélation avec l’évolution de la délinquance mais s’explique par un durcissement des politiques pénales. « Ce n’est pas la criminalité mais la politique pénale qui détermine le taux de détention » précise Sonja Snacken, criminologue et ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe.

Parmi les facteurs ayant contribué à l’inflation carcérale en France, on peut noter :
-        la pénalisation d’un nombre de plus en plus important de comportements (création des délits de racolage passif, mendicité agressive, occupation d’un terrain en réunion, maintien irrégulier sur le territoire, correctionnalisation du défaut de permis de conduire ou d’assurance, etc.)
-        le développement de procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, qui aboutissent à un taux important de condamnation à l’emprisonnement ferme (environ 70%)
-        l’allongement de la durée des peines : ainsi de 2002 à 2014, la durée moyenne de détention est passée de 7,9 à 9,9 mois. On assiste à un double phénomène : d’un côté, l’augmentation des incarcérations pour de courtes peines de prison de moins d’un an ou de quelques mois ; et de l’autre, le prononcé de peines de plus en plus lourdes vis-à-vis d’autres publics
-        l’augmentation récente de la détention provisoire, 23% en 4 ans.

En Europe, beaucoup de pays ont vu leur population de détenus décroître. C’est notamment le cas pour les pays scandinaves, mais aussi pour l’Allemagne et les Pays-Bas. D’autres pays de l’Ouest de l’Europe, comme l’Irlande, l’Ecosse, l’Italie ou l’Espagne leur emboitent le pas.
Alors que la France compte 188 établissements pénitentiaires et projette la construction de 33 nouvelles prisons pour tenter d’endiguer la surpopulation, de nombreux pays les ferment. La construction continue de places de prison n’endigue pas la surpopulation carcérale. Car, avec une telle approche, on n’agit pas sur « les mécanismes qui en sont à l’origine » rappelle Sonja Snacken. On traite les symptômes, pas les causes.

« Des méthodes efficaces pour réguler de façon pérenne une population carcérale sont connues et reconnues. De même qu’il y a consensus sur les pires façons de le faire. La solution envisagée par le gouvernement français est l’une d’entre-elles » appuie Normann Bishop, fondateur du département de recherche et développement de l’administration pénitentiaire suédoise et également expert auprès du Conseil de l’Europe. La prison produit ce qu’elle entend combattre : elle aggrave l’ensemble des facteurs de délinquance en précarisant des populations d’ores et déjà « fragilisées d’un point de vue socio-économique et psychologique », souligne Sonja Snacken. Elle leur impose une « perte de liberté, d’autonomie, de sécurité personnelle, mais aussi perte de travail, des liens familiaux et sociaux, pertes financières, dommages psychologiques ». Autant de facteurs qui « rendent la réintégration après libération plus difficile et augmente, au lieu de la réduire, la récidive ». La prison favorise aussi les fréquentations criminogènes et n’offre, particulièrement en France, qu’une prise en charge lacunaire – voire inexistante – face aux nombreuses problématiques rencontrées par les personnes incarcérées. Si bien que près de 2/3 sont recondamnés dans les 5 ans, tandis que le taux tombe de 16 points en cas de peine alternative. Quel que soit le pays d’ailleurs, l’incarcération produit plus de récidive que les sanctions en milieu ouvert.

Si la France accepte un taux de détention croissant, beaucoup de pays ont vu leur population incarcérée décroître avec, pour chacun, une situation et des motivations bien particulières. Si, pour les Scandinaves, portés par la conviction que « les prisons sont un moyen onéreux de rendre des délinquants plus délinquants encore », une approche humaniste, rationnelle et volontariste a prévalu ; d’autres pays n’ont emprunté le chemin de la décroissance que parce qu’ils y ont été contraints, comme l’Italie. Après une croissance exponentielle de la population carcérale, le taux d’occupation des prisons de la péninsule atteignait 153 % en 2010. Face à l’ampleur de la surpopulation et devant le caractère systémique du problème, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné le pays par un arrêt-pilote, en 2013, l’obligeant à agir pour remédier à la situation.

Une baisse du nombre de prisonniers ne signifie d’ailleurs pas forcément un assouplissement global des législations : aux Pays-Bas et en Allemagne, la baisse du taux de détention masque une sévérité accrue pour certains types de crimes et délits, ainsi que l’abandon d’une approche réhabilitatrice pour les délinquants qu’on estime « irrécupérables ».

Les éléments d’une politique réductionniste sont connus. D’abord elle doit reposer sur un « scepticisme véritable des législateurs et des praticiens concernant les avantages possibles de la privation de liberté ». Cela revient à une reconnaissance des « effets délétères de l’emprisonnement, qui ont déjà été largement démontrés par la recherche » et sont régulièrement dénoncés par les organisations militantes, ce depuis des dizaines d’années. Aussi, législateurs et praticiens doivent partager la « conviction que la prison ne devrait pas servir de réponse à des problèmes qui sont surtout sociaux (pauvreté) ou sanitaires (alcoolisme, toxicomanie). Or c’est encore en France trop souvent le cas, d’après Sonja Snacken.

Derrière les barreaux

Pendant des siècles, les geôles n’étaient conçues que dans le but de mettre quelques jours en sûreté ceux qu’on allait juger ou convoyer. C’est la Révolution française qui a introduit l’incarcération comme une peine en soi. Officiellement, la prison d’aujourd’hui doit remplir trois rôles : surveiller, punir et réinsérer. La surveillance est une arme effrayante ; chacun rend compte de ses gestes. La punition est la « peine privative de liberté » par excellence. Le règlement des prisons de 1839 à 1945 indique que « cette punition doit tirer son efficacité de l’ennui ou plutôt du harassement moral causé par la monotonie ».Toutes les condamnations à la détention ont pour points communs d’être déshonorantes et avilissantes. La subordination permanente qu’on fait subir au prisonnier pervertit ou démolit les êtres humains. On a le droit d’exiger du condamné n’importe quoi ;  il est fréquent d’entendre des éducateurs affirmer qu’il faut « briser leur orgueil en les mettant devant leur échec » ou les discours des psychothérapeutes qui derrière la nécessité de « leur faire intégrer la loi », les forcent à respecter tout règlement et n’importe quelle injonction d’un surveillant. Et plus il acceptera n’importe quoi et plus il fera preuve d’aptitude à la réinsertion.

Le moyen simple pour obtenir sa soumission passe par sa seule raison de vivre : sortir. Or il peut être libéré à mi-peine s’il n’a jamais été condamné auparavant, sinon aux 2/ 3 de la peine, il peut être libéré… Mais les autorités ne le laisseront sortir que lorsqu’elles le jugeront bon, quand il aura payé les frais de justice, quand il aura montré patte blanche, quand il se sera écrasé. La réinsertion commence donc pour le personnel à « conscientiser » le détenu, à lui faire honte de son acte, du moins de son existence. Pour qu’il perde toute fierté, il devra demander permission pour tout. Pas un seul de ses gestes qui ne résulte d’une autorisation. De quoi devenir dément. On estime à 30% le nombre de détenus malades mentaux. Certes la France détient le record mondial des suicides, des dépressions et de la consommation de psychotropes. Mais cela ne suffit pas à comprendre pourquoi tous les trois jours quelqu’un se tue en prison, sept fois plus que dans la société, et sept fois plus au mitard – soit 49 fois plus que dehors ! Les psychiatres de la pénitentiaire osent enfin dire que l’allongement spectaculaire de la durée des peines est à l’origine du désespoir qui brise la raison.

L’un des principaux dangers est aussi celui du délire mystique. La prison est le lieu idéal de radicalisation de la haine. Quand un homme désaxé est gavé de son indignité, il ne demande pas mieux que d’accomplir son salut au nom d’une autre justice.

En plus de cet environnement nauséabond, la plupart des surveillants pénitentiaires sont des recalés de la police ou d’autres administrations et beaucoup sont d’extrême droite.

Les rapports de l’Observatoire des Prisons, de la Ligue des Droits de l’Homme, du Défenseur des droits et les multiples condamnations de la France par la Cour européenne des Droits de l’Homme se succèdent sans que l’Etat français ne réagisse. A l’instar de l’Armée, la Justice est, elle aussi, une « grande muette ». L’Etat est hors-la-loi jusqu’aux règles du Code du travail qui ne s’appliquent pas aux détenus lorsque leur est attribuée une activité. Il n’y a pas de contrat et le taux horaire est de 45% du SMIC pour une activité de production, et 33% du SMIC lorsque le détenu est affecté au service général. Surexploitation, main-d’œuvre bon marché, esclavage au service de l’Etat et de grandes entreprises… et silence total de la part des centrales syndicales. Dans son livre L’abolition de la prison (ed. Libertalia), Jacques Lesage de La Haye écrit : « L’évolution des prisons vers les entreprises privées et les multinationales met en évidence le fait que le système carcéral cherche de plus en plus de profit. Un de ses principaux objectifs est la rentabilité : pendant ce temps, les entreprises associées à l’industrie du châtiment tirent des bénéfices considérables du système de gestion des prisonniers et ont tout intérêt à ce que la population carcérale continue de s’accroître ».

Un mal nécessaire ? (1)

La punition est-elle nécessaire à la justice ? Le droit pénal, par définition, est fondé sur la peine. Une peine est une souffrance qu’on inflige. Est-ce bien de faire du mal à quelqu’un ? Est-ce intelligent ? Utile ? A qui ?

Est puni celui qui est jugé coupable d’avoir enfreint la loi, laquelle varie selon les groupes. La loi n’est pas l’expression d’une éthique quelconque : au service du pouvoir disposant des plus grandes forces de coercition, elle n’existe que par la sanction. Quelle que soit la situation, la loi est toujours celle du plus fort. En démocratie, c’est la police qui fait respecter la loi, la Justice qui punit les contrevenants.

Les défenseurs de l’incarcération argumentent qu’il faut punir et sécuriser. Les coupables ont fait souffrir, ils doivent souffrir à leur tour. On élimine ceux qui gênent ; on enferme des hommes excités et tout, en prison, concourt à les énerver davantage. On peut se demander d’où vient cette croyance selon laquelle en mettant des individus dangereux en cage ils deviennent inoffensifs. Punir celui qui a tué, c’est seulement lui montrer notre colère ; notre agressivité épouse la sienne. Il ne sert à rien de s’abaisser chaque fois jusqu’à ce degré de misère. Quant à la délinquance courante, on peut agir politiquement (agir dans la cité). La délinquance augmente non de la pauvreté mais de l’écart grandissant entre pauvres et riches. Dans ce cas, ce n’est plus tant l’envie qui anime le voleur que la rébellion.

L’autre argument est sécuritaire : on met des délinquants en prison pour s’en protéger. Mais c’est raté puisqu’on en sort. L’administration pénitentiaire ne peut donc garder la société des malfaiteurs. La prison ne met en sécurité personne, elle génère agressivité et rancune. Chaque jour sortent des individus plus pauvres, plus furieux, plus désespérés et plus avilis qu’ils n’étaient entrés. 25% des sortants de prison se retrouvent sur le trottoir de leur liberté avec moins de 15 euros sur eux. Et le récidiviste apparaît comme l’incarnation d’une pure perversité ?

La question alors n’est pas « Comment punir » mais « Comment n’être jamais ni violeur ni voleur ? ». La manière dont on punit autrui révèle toujours jusqu’à quel degré de cruauté on peut descendre. Or on peut concevoir la vie autrement. Dans certaines familles, il est exclu d’abaisser l’enfant par le châtiment, la sanction, la menace, la punition qui sont les armes de celui qui se veut le plus fort contre le faible et ne font passer de génération en génération qu’une chose, le goût pervers des auto-flagellations ou le désir de punir. Un enfant qui n’a jamais connu la clémence lorsqu’il a fait une bêtise n’éprouvera aucune pitié face à ses victimes. De la même façon, celui qui aura été condamné froidement à une peine sévère pour un hold-up n’hésitera pas à tuer tout aussi froidement lors d’un prochain braquage. La prison appelle la récidive parce qu’elle jette dehors des désaxés, miséreux, perdus pour tous.

Pistes abolitionnistes

Les abolitionnistes ont lutté contre l’impossible : l’esclavage, la peine de mort. Combat utopique et perdu d’avance puisque l’esclavage comme la punition par la mort avaient existé de tout temps et devaient donc, comme la soumission des femmes et des enfants, de tout temps exister. D’autres abolitionnistes ont engagé le combat contre la prison. On leur oppose indéfiniment cette même résignation : oui, incarcérer est un peu navrant, mais il n’y a pas moyen de faire autrement. On soupçonne les abolitionnistes d’angélisme. Mais n’est-ce pas plutôt de l’autre côté qu’est l’angélisme, quand on s’imagine que la prison peut permettre à la société de se protéger de la délinquance en amendant les détenus ?

Depuis mai 68, certains pays passent aux actes. Aux Pays-Bas, en 1970, seulement 35 condamnations de trois ans ou plus ont été prononcées, 49 personnes accusées d’homicides ont été condamnées à des peines de moins de trois ans. Au cours des années 90, dans presque toutes les contrées du monde, la population carcérale a augmenté de 20% et d’au moins 40% dans la moitié des pays. A deux exceptions près : la Suède et surtout la Finlande, seul Etat au monde à avoir enregistré une baisse constante des incarcérations tout au long de ces quinze dernières années. Sur 100 000 habitants, 700 sont en prison aux Etats-Unis, 54 en Finlande ; certes la délinquance est moindre en Finlande mais si l’on compare à des pays comparables en ce domaine, on voit qu’il y a cinq fois plus de détenus en Lettonie, Lituanie ou Estonie. Il y a en Finlande une volonté politique forte, qui s’est enracinée du temps du communisme en URSS, d’échapper à la violence d’un Etat policier.

On lutte efficacement contre le viol, le racket, les agressions physiques quand on s’attaque à la misère matérielle ou sexuelle, à l’alcoolisme, au manque de perspectives. La fermeture des prisons s’accompagnerait forcément d’une refonte totale de l’éducation (exit la culture du viol, etc.).

La prison peut et doit disparaître, parce qu’elle est afflictive, un désastre volontairement organisé par et contre des hommes, parce qu’elle est un supplice, qu’un châtiment est toujours une sordide affaire.

Stéphanie Roussillon
D’après le livre de Catherine Baker Pourquoi faudrait-il punir ? ed. Tahin-Party, résumé sur inkokiosques.net


Evasion artistique
L’enfermement peut aussi engendrer de la créativité artistique. Ainsi des résistants politiques, des victimes de guerre ou de leurs passions ont été jetés dans des geôles immondes, traités comme on ne traite pas même les animaux, humiliés. Leur enfermement a suscité d’admirables poèmes ou littératures. Ainsi Yannis Ritsos (1909-1990), poète grec communiste, déporté du fait de ses opinions politiques de 1948 à 1952 et pendant la dictature des colonels (1967-1974)

Li-ber-té
Tu rediras le même mot
nu
celui
pour lequel tu as vécu
et tu es mort
pour lequel tu as ressuscité
(combien de fois ?)
le même mot.

Ainsi toute la nuit
toutes les nuits
sous les pierres
syllabe à syllabe
comme le robinet qui coule
dans le sommeil de l’assoiffé
goutte à goutte
encore et encore
sous les pierres
toutes les nuits.

Epelé sur les doigts
simplement
comme on dit j’ai faim
comme on dit je t’aime
si simplement
en respirant
devant la fenêtre.

li-ber-té
Athènes, 1971


La prison, ça rapporte à qui ?

Au 1er janvier 2019, 74 établissements pénitentiaires fonctionnent avec des partenaires privés. Ils accueillent près des 2/3 de la population détenue. Bouygues et Eiffage dominent le marché conception/réalisation des prisons. Sodexo et Gepsa dominent dans les autres fonctions (entretien/maintenance/restauration).
Sources : OIP