Icône pour le climat
Jusqu’au
23 septembre (et son intervention à l’ONU), Greta Thunberg, portée au pinacle
par les médias, suscitait, chez les « puissants » une certaine
admiration condescendante ; les cercles du pouvoir l’admettaient avec une
suffisance paternaliste, voire même s’en servaient comme une caution de leur
engagement pour le climat, sans que cela ne se traduise en actes. Sa diatribe à
l’ONU contre les dirigeants de ce monde ne tenant aucun compte de l’alarme des
scientifiques : « Comment osez-vous
prétendre que vous agissez ? », la fit tomber aussi vite dans
l’oubli médiatique, enterrant du même coup l’icône et le message ; elle
était devenue « irrationnelle », « illettrée »,
« louche », « ridicule », « fanatisée » et même
« totalitaire ». Il ne fait pas bon dire la vérité aux « puissants »,
que l’on soit une adolescente suédoise, Edward Snowden ou autres. Il est vrai
qu’elle avait mis dans la rue, le 20 septembre plus de 4 millions de
manifestants pour le climat et que, depuis 2018, les jeunes adolescents (et pas
que) mènent des grèves de l’école, dénonçant l’irresponsabilité des décideurs
actuels, vis-à-vis des générations à venir, en matière de survie planétaire.
Icône
devenue sorcière
Surprenant
que cette adolescente suédoise ait été invitée à intervenir en ouverture du
sommet exceptionnel sur le climat, commandé par Antonio Guterres (SG de l’ONU),
le 23 septembre dernier. Elle avait déjà prouvé qu’elle ne pratiquait pas la
langue de bois : devant le parlement suédois le 20 août 2018 « Nous, les enfants, nous ne faisons souvent
pas ce que vous dites, mais ce que vous faites. Puisque vous vous foutez de mon
futur, moi aussi » ; elle avait condamné l’inaction des
politiques et des adultes en général face à l’imminence de la catastrophe, à la
tribune de la conférence Climat (COP 24) à Katowice en Pologne ; en
décembre 2018, elle fustigeait le manque de « maturité » des leaders
politiques et prévient « le
changement arrive, que cela vous plaise ou non » ; en janvier
2019, invitée au forum économique
mondial à Davos, elle lançait « Je
veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si votre maison était
en feu parce qu’elle l’est ». Ces invitations successives aux tribunes
des « grands » de ce monde pouvaient la rendre suspecte, aux yeux
d’un certain nombre de militants, voyant
là une tentative de récupération, mais qu’elle ne fut pas la surprise de
l’entendre prononcer des phrases accusatrices que d’aucuns militants syndicaux et
politiques n’osent même plus utiliser dans ce monde politique
« aseptisé ». Ses prises de parole véhémente dans les arènes
internationales, les millions de manifestants dans les rues des grandes
capitales du monde, le 20 septembre, nous réjouissent, sans pour autant nous
faire oublier qu’ils ne suffisent pas pour « changer le système ». Piqué
au vif par son annonce de mise en cause de la France (ainsi que quatre autres
pays) devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU (encart), Macron réagissait,
hautain : « Je ne suis pas sûr
que ce soit la voie la plus efficace… les positions très radicales, c’est de
nature à antagoniser nos sociétés », puis Blanquer : « Il ne faut pas non plus créer une génération
de déprimés autour de ce sujet » ou encore Brune Poirson : « Je ne crois pas qu’on puisse mobiliser la
population avec du désespoir ». Et bien si, madame, ne vous en
déplaise !
Aux
yeux des puissants, Greta est devenue une « sorcière » !
Et
après ? Quelle écologie voulons-nous ?
Une
icône doit rester éphémère. Tout comme un lanceur d’alerte n’est utile que si son
alerte est relayée dans une contestation collective. Que l’icône Greta retombe
dans l’oubli, c’est mieux. Ce qui compte c’est le mouvement qu’elle a suscité
et la question suivante : de quelle écologie parlons-nous ? Cette
question est primordiale pour le mouvement Pour le Climat, réunissant des
milliers de personnes, mues par une cause commune mais empruntant des chemins
différents pour parvenir à des objectifs non encore formulés. Voulons-nous une
écologie de consensus signifiant la fin des conflits, zéro idéologie, ni de
droite ni de gauche ? Avec un nouveau spectre, le réchauffement, qui imposerait
une Sainte Alliance et mettrait fin à l’histoire de toute société jusqu’à
nos jours qui n’a été que l’histoire de luttes de classes ? L’impératif,
sauver la planète, nous rassemblerait tous, riches et pauvres, damnés de la
Terre et actionnaires, par-delà les frontières, tous unis contre la catastrophe
en cours ? Au contraire. La crise écologique aiguise cette lutte, la
renforce ; les 10 % les plus riches émettent huit fois plus de GES que les
10 % les plus pauvres. La « guerre » ne porte plus seulement sur le
niveau de vie mais sur la vie elle-même. La guerre des classes existe aussi
pour l’environnement (1).
« Si
la mobilisation écologiste semble de retour, elle doit éviter de se laisser
enfermer dans le seul combat pour le climat et réinvestir le champ de la lutte
sociale pour cesser d’être une » préoccupation bourgeoise (2). Les actions
pour le climat nombreuses, innovantes, n’ont pas réussi à entamer la détermination
de l’oligarchie à poursuivre dans la voie d’une politique socialement et
écologiquement destructrice. Le mouvement climat doit sortir de « l’entonnoir
climatique » dans lequel il s’est laissé enfermer pour devenir écologiste
à part entière. L’objectif est-il de parvenir,
grâce à un peu de sobriété énergétique et beaucoup de solutionnisme technoloqique,
à une société « décarbonée » qui maintiendrait l’essentiel du mode de
vie et des structures sociales actuels ? Si oui, les ingénieurs du capitalisme
vert y travaillent, les « solutions » arrivent. Faire de la
« neutralité carbone » l’étendard de la lutte dépolitise l’écologie
et dissimule les causes véritables de la catastrophe. Faire décroître
drastiquement et rapidement les émissions carbone est évidemment indispensable,
vital même : mais en faire le fil d’Ariane de la lutte est un piège dont
il faut sortir au plus vite ; l’écologie n’est pas une affaire de
comptabilité d’émissions : elle doit être une transformation de notre
rapport quotidien et pratique au monde. Il faut faire accoucher l’écologie de
la justice sociale qu’elle porte dans ses flancs. C’est seulement quand le mouvement climat
parviendra à percevoir comme aussi intensément urgentes et écologiques des
questions sociales a priori étrangères au climat (violences policières,
écrasement des classes pauvres, racisme, casse du code du travail ou de l’hôpital)
que l’écologie cessera d’être cette préoccupation « bourgeoise »
qu’elle est partiellement devenue dans les pays du Nord ».
« Pour
cela, il faut se réarmer intellectuellement et comprendre à nouveaux frais,
sans se laisser épouvanter par les fantômes du passé, comment le capitalisme,
appuyé sur une apparence trompeuse de démocratie représentative, tend par
nature, depuis son apparition, à détruire la vie sur Terre et à rendre
impossible toute forme de société digne et égalitaire ».
Que faut-il
combattre ?
Bien
sûr, il faut dénoncer les engagements non tenus, ceux de l’accord de Paris, signé en 2015 par
196 pays, promettant de diminuer l’émission des Gaz à effet de serre, pour un
réchauffement à 2°C, voire 1.5 °C, alors que, pour l’heure, ces pays mettent la planète sur une trajectoire
de réchauffement de 3.2 °C d’ici à la fin du siècle. Il faut informer de l’inaction
de l’Union européenne, 3ème pollueur mondial après la Chine et les
Etats-Unis, incapable d’adopter un plan de neutralité carbone en 2050 ; il
faut dénoncer les pays pollueurs, comme Canada, Australie, Brésil ou Afrique du
Sud, qui n’ont même pas fait le déplacement à l’ONU, ou Trump qui n’y a fait
qu’une apparition sans prendre la parole (en 2017, il avait annoncé vouloir se
retirer du traité) ou encore la Chine et l’Inde qui se sont bornées à des
promesses rituelles. Les Etats savent pertinemment que leurs engagements sont
intenables et les échéances de la COP 25 au Chili en décembre et de la COP 26 à
Glasgow fin 2020, ne les inquiètent guère. Les gouvernants s’emparent du sujet
quand des échéances électorales approchent et, par les temps qui courent, il
est bon de ne pas oublier l’écologie dans son programme !
Car
qui sont les « coupables
climatiques » ? Sans doute pas les individus qui roulent au
gasoil ou les locataires qui chauffent leurs logements « passoires »
car mal isolés. Ce sont les firmes qui pratiquent l’exploitation implacable des
réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon. Le Guardian a révélé récemment (3) les 20 firmes de combustibles
fossiles produisant plus d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de
serre. Les entreprises identifiées vont des entreprises appartenant à des
investisseurs – Chevron, Exxon, BP et Shell, à des entreprises d’Etat, Saudi
Aramco et Gazprom. Michael Mann, l’un des plus éminents climatologues du monde,
a appelé les politiciens à prendre d’urgence des mesures pour maîtriser leurs
activités lors des prochaines négociations sur le climat au Chili en décembre
2019. Peine perdue ! Dans le système économique actuel, ce ne sont pas les
Etats qui décident. « La grande tragédie de la crise climatique est que
7,5 milliards de personnes doivent payer le prix, sous la forme d’une planète
dégradée, pour que quelques dizaines de firmes polluantes puissent continuer à
faire des profits record ».
Alors,
sauver la planète nous rassemblerait tous, riches et pauvres, sans distinction
de classes ? « La compagnie
Exxon Mobil, au début des années 1990, en pleine connaissance de cause, après
avoir publié d’excellents articles scientifiques sur les dangers du changement
climatique, prend sur elle d’investir massivement à la fois dans l’extraction
frénétique du pétrole et dans la campagne, tout aussi frénétique, pour soutenir
l’inexistence de la menace. Ces gens-là – ceux qu’il faut désormais appeler les
élites obscurcissantes – ont compris que, s’ils voulaient survivre à leur aise,
il ne fallait plus faire semblant, même en rêve, de partager la terre avec le
reste du monde ». (1)
Odile
Mangeot, le 2610.2019
(1)
François Ruffin
« Ecologie. Tous sur le même bateau ? » Fakir sept. Nov. 2019
(2)
Maxime Chédin
dans Politis 29/08/2019
(3)
Le Guardian du 9
octobre 2019 – paru sur alencontre.org
Seize
jeunes de 8 à 17 ans, venus de douze pays ont annoncé, le 23 septembre, le
dépôt d’une plainte visant 5 pays pollueurs : France, Allemagne, Argentine,
Brésil, Turquie, estimant l’inaction des dirigeants comme une atteinte à la
convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Un « protocole
optionnel » de la convention autorise, depuis 2014, des enfants à porter
plainte devant cette instance, s’ils estiment que leurs droits sont bafoués.