Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 30 octobre 2019


La crise que l’on n’ose voir venir

En apparence, la crise de 2007-2008 et le sauvetage des banques qui s’en est suivi, semblent s’être dissous dans l’endettement des Etats. L’heure serait à l’austérité budgétaire et au recul des conquis sociaux pour alléger les dettes publiques, dites souveraines. Quoique, venant perturber ce jeu, au multilatéralisme mondialisé se substitue en partie un unilatéralisme nationaliste, comme remède à l’impossibilité d’une relance de la « croissance » mondiale. En fait, la plupart des médias occultent des réalités plus sombres : l’endettement des entreprises, l’endettement des pays pauvres sur fond de ralentissement prononcé du commerce mondial, l’entrée en récession de nombreux pays et le phénomène de thésaurisation spéculative que camouflent les paradis fiscaux. Qui plus est, les banques privées, malgré l’injection de liquidités qu’elles ont connue, sont toujours à la peine. Quant aux banques centrales, les potions administrées pour relancer la « croissance » n’ont rien de magique, bien au contraire. Selon leurs experts, les Etats qui le peuvent, devraient les suppléer en recourant à un type de relance keynésienne… Sur fond de conflits commerciaux, de lutte des puissances entre elles, y compris par la guerre et la répression, une séquence de l’histoire du capitalisme est en train de se clore. Le moment que l’on vit se caractérise par le déchirement des formations sociales, les soulèvements populaires, les répressions étatiques y compris par la guerre et la déportation des populations. Ce sont quelques-unes de ces réalités que les descriptions qui suivent voudraient illustrer.

La dette des entreprises privées (et des ménages). Vers des faillites ?

La dette de l’ensemble des entreprises au niveau mondial, serait, selon certains économistes les plus avisés, le ferment de la prochaine crise économique et financière. Elle correspond à 91,4 % du PIB mondial, à comparer à celle des Etats (87,2 %) et des ménages (58,4 %). Le système est donc assis sur une montagne de dettes « immobilisées ». Même le FMI s’en inquiète dans des termes euphémisés : « En cas de ralentissement économique (ce qui est déjà en œuvre) de l’activité, 40 % de la dette des entreprises dans les huit plus grandes économies (soit 19 000 milliards de dollars) serait exposée à un risque de défaut (faillite) ». L’énorme bulle en constitution est de plus activée par le recours à l’endettement pour payer leurs propres échéances de remboursement ou pour financer les opérations de fusions-acquisitions qui sont, de fait, le signe de concentration capitaliste avec son cortège de restructurations-licenciements.

Et lorsque l’on braque son regard sur un certain nombre de pays, l’on ne peut que s’interroger sur le maillon le plus faible de cette chaîne de créances : la dette privée des pays asiatiques dits émergents a augmenté de plus de 66 % depuis 2008. Même la Chine est touchée. Et que dire de la dette étasunienne : 250 % du PIB si l’on ajoute celles de l’Etat fédéral, des entreprises et des ménages. Selon certains « elle est devenue folle » : 15 300 milliards de dollars soit 75 % du PIB ! Oui mais, la France c’est 315 % au total, 143 % seulement ( !) pour les entreprises et 60 % pour les ménages. Et l’Allemagne ne totalise que 178 % de dettes… Bref, tous ces chiffres auxquels il faut bien recourir donnent le tournis.

Mais ce n’est pas tant pour mesurer la course à l’abîme du  capitalisme financiarisé. Comme le dit Elizabeth Warren, candidate aux primaires démocrates aux USA : « les fonds d’investissement pillent les entreprises… ce sont des vampires qui (en) sucent le sang en s’enrichissant lorsqu’elles s’effondrent ». Le mécanisme utilisé, dit LBO, consiste en rachat d’actions (en partie ou en totalité) d’entreprises en difficulté. Ces fonds spéculatifs empruntent sur les marchés, font supporter le poids de cette dette à l’entreprise acquise, tout en exigeant des rendements de leurs dividendes supérieurs à 10 %. La firme est exsangue, c’est la faillite. Ne reste plus qu’à brader les machines et à l’Etat concerné à supporter un « plan social pour le (non) emploi » PSE et, au passage, à rafler les brevets. Aux USA, le trésor de guerre accumulé par ces fonds dits d’investissement, est de 1 200 milliards de dollars ; 5,8 millions d’employés dans ces fonds spéculatifs travaillent à dépecer les entreprises et à contaminer le marché de la dette (3 000 milliards de dollars fin 2018) et de la finance.

En France, les patrons s’inquiètent de la  nature de ces fonds « rugueux », « agressifs » qui s’attaquent à Pernod Ricard, Suez, Lagardère, Essilor, Casino (cf encart). Même l’Allemagne est touchée : Thyssen-Krupp est à bout de souffle, Siemens vend des actifs pour ne conserver que ses machines-outils et ses robots, Continental envisage la suppression de 20 000 emplois. Volkswagen et toute l’industrie automobile est fragilisée, non seulement par le scandale du dieselgate et ses innombrables procès, mais également par ses « surcapacités », comme ils disent. Le recours au travail partiel se généralise, évitant ainsi, pour le moment, des licenciements massifs. Selon l’institut IFO de Munich : « il est hautement probable que l’économie allemande entre en récession ». D’ailleurs, la production automobile a reculé de plus de 11 % sur les 8 premiers mois de l’année.  

Vers la récession. Les pays les plus pauvres, les plus touchés

Ce qu’il est convenu d’appeler la « croissance », celle du capital, surtout dans un système financiarisé, est en berne. Elle n’atteindrait que 3 % au plus, au niveau mondial, la Chine se maintenant à 6 ou 6,5 % en 2019. Dans les pays dits riches, elle stagnerait à 1,7 %, les USA subissant un décrochage à 2 % en 2020. Et le FMI de tirer la sonnette d’alarme : les « économies avancées » ont une trop faible productivité, une démographie vieillissante, les Etats concernés doivent relancer les dépenses budgétaires d’investissement, l’Allemagne et les Pays-Bas qui possèdent des excédents budgétaires, doivent les utiliser. Et tous ces experts de s’affoler : « le commerce mondial prend la direction d’une croissance nulle » (+ 1,2 % en 2019) ; la guerre commerciale à coups d’augmentation des droits de douane et de sanctions ne peut qu’aggraver la situation et provoquer la fin du multilatéralisme. Que va devenir l’Organisation Mondiale du Commerce ? Déjà les USA prévoient de se retirer de l’organe des différends, ces juges qui doivent régler « à l’amiable » les conflits entre les Etats et les multinationales, au profit de ces dernières… L’OMC y survivra-t-elle ? Et Sedkar du FMI est atterré de constater que les pays asiatiques émergents doivent se préparer (sic !) à une hausse des faillites lors du prochain changement de politique monétaire des économies « avancées » (1) qui seront d’autant plus agressives pour récupérer les emprunts souscrits.

En effet, la dette des pays les plus pauvres s’est considérablement accrue passant de 3 462 milliards de dollars en 2008 à 7 810 en 2018. Dépendants des politiques monétaires des pays riches, ils sont particulièrement vulnérables. Rien qu’en Afrique subsaharienne, les créanciers privés possèdent désormais 41 % des encours de dette contre 17 % en 2009. Rachid Bouhia de la CNUCED déplore  « que la dette n’est plus un instrument financier à long terme (permettant le « développement ») mais un actif financier risqué soumis aux intérêts à court terme des créanciers » cupides.

Autrement dit, au-delà des termes choisis pour désigner les pays pauvres, il faut s’attendre à l’accroissement de la misère dans ces pays, à son « cortège » de migrations des populations et à des irruptions de colères sociales, d’autant que les remèdes utilisés semblent amplifier la crise à venir.

Eteindre l’incendie avec ce qui embrasera le suivant

Retour sur le remède de cheval employé lors de la crise de 2007-2008 : les Etats, les banques centrales, ont injecté des milliers de milliards de dollars pour sauver les banques privées infestées de crédits pourris (les subprimes). Avec ces capitaux fictifs issus de la création monétaire, ces dernières devaient servir à relancer l’économie réelle par l’investissement productif. En outre, les banques privées devaient en profiter pour vendre sur le marché secondaire leurs actifs pourris. Or l’investissement tant privé que public n’a pas suivi. Les Etats, pour résorber leur endettement, ont renforcé leurs politiques d’austérité en diminuant par conséquent la consommation des ménages les plus touchés. Qui plus est, en privatisant leurs secteurs rentables, acquis pour l’essentiel par emprunts, ils ont accru l’endettement général. Quant aux entreprises, elles ont misé sur la rentabilité immédiate en licenciant, en se concentrant sur les secteurs susceptibles de trouver preneur sur le marché. Bref, on est entré dans un cycle de surproduction (les économistes parlent de surcapacité) et de sous-consommation, du fait de l’incapacité d’acheter les produits mis sur le marché. Mise à part la production de produits de luxe destinés aux super-riches, les remèdes antérieurs (recours au crédit, publicité) semblent, au niveau mondial, insuffisants. Dans la plupart des pays, la classe dite moyenne se rétrécit, la pauvreté et la précarité gagnent le plus grand nombre. Certes, il y a des exceptions (la Chine) mais pour combien de temps ! S’est donc constituée pour les milliers de milliards créés par les banques centrales, une énorme bulle financière.

Pour tenter de la contenir et d’éviter un nouvel effondrement des banques privées, la banque centrale européenne, pour ne prendre que cet exemple, a racheté des dettes privées et publiques à raison de 20 milliards d’euros par mois, espérant à terme, les revendre sur le marché dit secondaire. Elle n’a fait que déprécier ces actifs. Comme elle ne parvenait pas à convaincre les banques privées d’investir dans l’économie réelle, ces dernières préférant thésauriser dans les paradis fiscaux par l’intermédiaire de leurs filiales et reverser une partie de leurs liquidités à la banque centrale elle-même, la banque centrale a décidé d’utiliser ce dernier levier pour pénaliser les banques frileuses. Ainsi, leurs dépôts ont été taxés à 0,5 %. Comme cela ne semblait produire aucun effet d’importance, sinon alimenter la spéculation immobilière, la BCE, dans le même temps, a réduit à rien (de l’ordre de 0 %) son taux directeur. Autrement dit, les banques privées pouvaient se servir gratos auprès de la BCE pour prêter à des taux rémunérateurs auprès des entreprises et des particuliers. Et là encore, le remède se révéla poussif. Les banquiers centraux sont désormais pris de panique : « la politique monétaire ne peut pas tout, les gouvernements doivent faire leur part », en d’autres termes, investir directement dans l’économie réelle, soit dans les infrastructures, soit en augmentant les salaires. Diantre, il faudrait revenir aux politiques interventionnistes, voire keynésiennes ? Les Etats comme l’Allemagne qui possèdent des excédents budgétaires, refusent, les autres, endettés, ne peuvent souscrire à cette injonction, empêtrés qu’ils sont dans leurs politiques austéritaires et de bradage des biens publics. De fait, les taux pratiqués par les banques centrales sont une véritable bombe à retardement.

Cela n’a nullement empêché l’accroissement des dettes publiques. Les 36 pays de l’OCDE ont vu leurs dettes passer de 50 à 73 % du PIB de 2007 à 2018. Même si les taux d’emprunt ont baissé sur les obligations, la dette de l’Etat français culmine à 2 375 milliards d’euros soit près de 100 % du PIB. En Inde, pour prendre un autre exemple, on assiste à un écroulement des investissements (- 72 %), malgré la baisse des taux directeurs de la banque centrale indienne, et ce, 5 fois d’affilée. En revanche, ce qui a explosé, ce sont les créances douteuses car il ne reste, pour les rapaces, que la spéculation à tout crin pour enrichir quelques-uns au détriment du plus grand nombre.

Thésaurisation et spéculation comme remèdes ?

Les paradis fiscaux, malgré les révélations des lanceurs d’alerte, sont loin d’avoir disparu. Les avoirs qui y sont détenus atteindraient, au bas mot, 7 900 milliards d’euros, ce qui représenterait 40 % des profits des transnationales, soit une base taxable (au profit des Etats) de 600 milliards. Pour le dire autrement, les entreprises, fonds d’investissement et super-riches, pour échapper à la spirale négative de rendements insuffisants à leur gré, préfèrent thésauriser en échappant à l’impôt dans l’attente de jours meilleurs ou en spéculant. Reste que l’argent ne produit pas de l’argent comme le poirier des poires et que pointe la dévalorisation de ces actifs, la fameuse bulle.

Toutefois, dans l’immédiat, la fuite en avant continue. Les banques européennes privées se doivent de nettoyer leurs bilans et tenter de se débarrasser des 606 milliards de crédits dits douteux. La solution est de vendre à des fonds « d’investissement » spéculatifs à bas prix, soit pour Blakstone, à 17 % de leur valeur. Autre exemple, celui des banques grecques percluses de leurs 30 milliards d’euros à risque et des 75 milliards de créances douteuses : quoi de mieux que de recourir à la titrisation, ce plan dénommé Hercule du nouveau gouvernement très droitier, consistant à vendre ces actifs pourris sur le marché. Pour appâter les voraces, la garantie de l’Etat est proposée, ce qui signifie qu’en cas de problème… l’Etat grec indemnisera les fonds vautours ; bien évidemment, cette décision du gouvernement grec a reçu l’aval de la commission européenne. Les classes populaires grecques n’ont pas fini de souffrir.

Quant aux petites classes moyennes, employées dans les banques privées, rien qu’en Europe, elles vont déchanter. Quoi de mieux, pour espérer le retour à la rentabilité, que de « dégraisser » ? La Société Générale annonce la suppression de 3 900 postes, la Deutsche Bank 18 000, la Commersbank 4 300, Unicrédit Italie 10 000, HSBC 14 000 et HSBC France, la suppression-cession de 264 agences où travaillent 9 000 salariés.

Faut-il croire Immanuel Wallerstein, ce sociologue et historien du capitalisme (2) récemment décédé, qui, en novembre 2014 déclarait : « la possibilité d’accumulation du capital dans l’économie réelle, qui est la raison d’être du capitalisme, n’existe plus. La crise structurelle a commencé dans les années 70 ; l’effondrement se produira entre 2030 et 2050 ». Effondrement ? Entre temps, vont certainement se multiplier, outre le dérèglement climatique et ses catastrophes environnementales, les risques de guerre, de déportations de population fuyant les conflits et la misère ; des soulèvements populaires et la mobilisation des classes moyennes déchues, appelant à la restauration de l’ordre nationaliste et xénophobe, tel est l’horizon d’aujourd’hui et de demain.

Gérard Deneux le 25.10.2019

(1)    Soit l’augmentation inéluctable à terme, des taux directeurs des banques centrales
(2) Pour comprendre l’évolution du capitalisme, découvrir et redécouvrir Immanuel Wallerstein, en particulier :
     - Capitalisme et économie monde (t. 1 et 2) de 1450 à 1640 (1980) éd. Flammarion
     - L’après libéralisme. Essai sur un système monde à réinventer (1999) ed. L’Aube
     - L’utopistique ou les choix politiques du 21ème siècle (2000) ed. l’Aube
     - Le capitalisme historique (2002) ed. La Découverte
     - L’universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence (2008) ed. Demopolis
    

Encart  
Les 5 fonds d’investissement US les plus actifs
en France et en Europe

Elliot Management gère 38 milliards d’euros.
Principales cibles : Pernod Ricard, Telecom Italia, ATT Bayer

Third Point gère 18 milliards. Cibles : Nestlé, Sony, Essilor

ValueNetCapital :  14 milliards. Cibles : Olympus, Citigroup

Cevian Capital : 14 milliards. Cibles : Tyssen krupp, Ericson

Trian Partners : 10,5 milliards. Cibles : Général Electric, Procter et Gamble