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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 4 juillet 2022

 

Macron bloqué, et après ?

 

(édito du PES n° 84 – pour s’abonner, voir plus loin)

 

Dans le n° 82 de PES, au vu des résultats du 1er tour des présidentielles, l’on faisait le constat du paysage électoral chamboulé. Les partis traditionnels PS et LR étaient en voie de disparition, face à l’apparition de trois blocs pratiquement équivalents, les Mélenchonistes, les Macroniens et les Lepenistes. En fait, il y en avait quatre, en comptant ceux qui ne comptent pas,  les abstentionnistes, les votes nuls et blancs.

 

Macron, comptant, quant à lui, sur les mécanismes de la 5ème République amendée par Jospin (1),  semblait assuré de sa victoire, même si elle devait être moins flamboyante qu’en 2017 : aux législatives qui suivent l’élection présidentielle, avec ce scrutin majoritaire à deux tours et l’importance des abstentionnistes, une majorité suffisante devait lui être accordée. Jouer les hommes d’Etat sur la scène internationale et cacher le programme libéral devaient suffire. Ainsi, après avoir annoncé qu’il comptait porter la retraite à 65 ans, transformer le RSA en service obligatoire… et autres sinistres réformes, directive fut donnée de se taire, d’anesthésier cette campagne, de congeler le débat à des invectives contre la LFI, car contre toute attente, l’union des gauches se réalisait autour de la NUPES. Pas prévue, celle-là par le maître des horloges ! Et ça produisit une dynamique inattendue en termes de quantité de sièges à l’assemblée nationale. Le chamboulement s’est poursuivi jusqu’à priver Macron d’une majorité : il lui manquait 41 élus pour la conforter. Qui plus est, la dédiabolisation du RN produisait l’entrée en masse (89 sièges) des Lepénistes, pratiquement absents de la scène parlementaire jusqu’ici. La « trop molle » Le Pen, selon Darmanin, pouvait pavoiser et se présenter en respectable républicaine qu’il fallait désormais courtiser. Le terrain avait en fait été largement préparé par toute la logomachie répandue contre les « islamo-gauchistes » dans les médias complaisants, et même de connivence, pour certains, avec le pire éructant Zemmour.

 

Après un moment de sidération, Macron, en grand seigneur, convoqua les chefs des Partis pour formuler un ultimatum : à mon retour de l’étranger, vous devez me dire si vous soutenez ma politique, avec ou sans pacte, au coup par coup. Borne, sans cap ni frontière, réitéra les rencontres… Peine perdue, pas moyen de débaucher massivement. Elle n’avait d’ailleurs guère de marge de manœuvre : les compromis jupitériens imposaient la règle du ni, ni : ni augmentation des impôts des plus riches, ni dépenses budgétaires alourdissant la dette, y compris pour des motifs idéologiques.

 

Meurtri dans son ego, se persuadant que l’expression de son verbe pouvait rallier à son panache nombre d’indécis,  à la TV, crispé, il lâcha un aveu non maîtrisé : « Je ne peux pas davantage ignorer les fractures et les divisons profondes que traverse le pays ». Autrement dit, il les avait ignorées jusqu’ici : « Je m’impose malgré vous ». L’illusionniste en perdit sa faconde et les souhaits proférés avec candeur nous promettant écoute, dialogue, méthode, ce n’est qu’un nouvel enfumage usé depuis le bla-bla du grand débat. Affirmer son « projet clair » caché et nous offrir un « élargissement » qui répondrait à une « aspiration (qu’il n’a pas vu venir…) de nombre d’entre nous » est du même acabit. Il révèle surtout que le mandat de Macron est en suspens. Entravé dans sa démarche du en même temps, il en est réduit à s’engager dans des marchandages de combinards jusqu’à draguer les RN, à défaut de remplir sa besace de LR qui résistent à ses avances.    

 

Alors, bloqué, Macron ? Pour un temps seulement ?

 

Certes, l’absence de majorité bride son élan de régressions sociales promises à la Commission Européenne : la retraite à 65 ans, les coupes budgétaires pour parvenir à 3 % de déficit et restreindre le montant de la dette publique. Certes, il va devoir jouer les maquignons avec des E. Woerth, JF Copé,  toper là pour des postes ministériels ; il devra compter avec les ambitions de ses affidés, prêts à le supplanter, tels Edouard Philippe et François le Béarnais et tous ceux qui dans son camp piaffent d’impatience et se font ses zélateurs. Ainsi, ces quelques macroniens qui, de godillots craignant d’être réduits à des macron-riens, sont prêts à débaucher des élus RN, avec les dents : « On va (désormais) chercher ces voix-là » dit Céline Calvez et Dupont-Moretti lui répond : « On pourrait avancer ensemble (avec eux) ». La recherche des « constructifs » est sans frontière, ni barrage… Reste à Borne à former un nouveau gouvernement après la perte des lieutenants fidèles, les Castaner et Ferrand. Pense-t-elle trouver des perles rares à gauche, elle qui en porte encore l’étiquette dans les médias après avoir baissé adroitement les allocations d’un million de chômeurs, fourni 10 milliards de subvention aux patrons dans l’opération dite « un jeune, une solution » à bas coût, ces apprentissages qui font penser au contrat première embauche (CPE), rejeté en son temps par le mouvement social. Faut dire que les illusions médiatiquement semées ont la vie dure… Et puis, viennent les miettes à dispenser, avec force condescendance, à « nos compatriotes dans le besoin ». Ce sera l’objet des premières séances de la nouvelle Assemblée. Nous aurons droit au chèque alimentaire d’inflation, à la suppression de la redevance TV et autres petites gâteries pour la galerie. Avec l’inflation, l’augmentation des taux d’emprunt, l’équation va être difficile à trouver mais il faut bien calmer le populo…

 

Alors, Macron serait-il condamné à macroner, comme le disent Ukrainiens et Russes qui, sur ce seul point sont d’accord, pour moquer le président français qui « parle pour ne rien dire et s’inquiète pour ne rien faire ».

 

En fait, il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire. La crise institutionnelle réelle peut très bien être passagère. Mise à part l’occupation des postes gouvernementaux, rien ne distingue sur le fond les Républicains (LR) des macroniens ; ils sont tous néolibéraux et peuvent se retrouver demain sur le programme élaboré par le locataire de l’Elysée : adopter d’ici 2027, de nouvelles baisses d’impôts pour un montant de 15 milliards€ (après les 50 milliards du précédent quinquennat), alléger la fiscalité sur les successions patrimoniales, soit 3 milliards de recettes budgétaires en moins, réduire les impôts de production des entreprises à hauteur de 7 milliards. C’est dire que l’hôpital, les services publics…ne seront pas à l’ordre du jour. Pas d’illusion surtout que le RN, qui n’a jamais mis en cause le capitalisme, les grandes fortunes, n’hésitera guère à approuver de telles mesures.

 

La paralysie institutionnelle probable, même si elle s’avère de courte durée, manifestera certainement les rancoeurs recuites contre ce Président qui méprise les politiciens et veut décider de tout en techno-impérial. Le changement de méthode avancé vise, de fait, à câliner les barons de la République libérale, ce qui risque d’être difficile voire impossible, avec les Insoumis anti-libéraux. La guérilla parlementaire faite d’interventions et d’amendements résonnant dans l’hémicycle, peut trouver un écho dans la rue et la mobilisation sociale. Il y a toutefois des obstacles à cette articulation positive. Les luttes sociales, y compris les amendements parlementaires, peuvent rester défensifs : l’espérance de transformation sociale et politique réelle peut être diluée dans la nostalgie du c’était mieux avant. Autrement dit, il suffirait d’abroger un certain nombre de lois sur le travail, les libertés bafouées, pour restaurer un système qu’avant l’on déplorait… S’il convient de ne pas négliger le fait que les reculs imposés au pouvoir constitueraient de fait des victoires, force est de constater qu’elles ne modifieraient en rien les structures du système capitaliste.

 

Le deuxième obstacle réside dans la composition de la NUPES. Sans négliger la performance réussie par Mélenchon et son équipe de coaliser les « résidus » de la Gauche de gouvernement, contrainte par ses piètres performances aux présidentielles de rallier les Insoumis, il convient néanmoins de s’arrêter sur ses faiblesses. Certes, les mesures sur lesquelles les différentes formations se sont mises d’accord bon gré mal gré  existent. Mais l’union s’imposera-t-elle face aux sollicitations intéressées des macroniens ? Par ailleurs, les Insoumis sont un mouvement en formation, gazeux, dont la construction démocratique et l’enracinement sont loin d’être réalisés. Les autres partis sont le plus souvent des coquilles vides dans lesquelles régnaient surtout au PS des barons et autres éléphants éloignés de toute construction d’un mouvement de masse. Ils sont déterminés à contester le leadership de la LFI ; leur alliance électorale dans le cadre des législatives était de fait le seul moyen dont ils disposaient pour continuer d’exister. Pour la LFI, il s’agissait d’élargir l’audience de toutes ces composantes auprès de l’électorat, d’éviter un émiettement qui, dans le cadre du scrutin uninominal à deux tours, aurait été catastrophique. Plus fondamentalement, des divergences de fond vont réapparaître. Ainsi, le PS et EELV refusent la suppression des stock-options des PdG, la remise en cause du soutien financier des bailleurs quels qu’ils soient à l’occasion de la suppression des procédures d’expulsion des locataires ; ils s’opposent à la nationalisation des banques et des grandes entreprises, y compris celles qui sont productrices d’énergie ; ils sont attachés aux mécanismes du marché qui serait susceptible de réguler le Capital… Quant au PC et à son candidat Roussel, il ne sait plus où il habite pour sauvegarder sa chapelle, « je crains, affirme-t-il, une explosion socialeJe ne la souhaite pas »…

 

Troisième obstacle qui évoque la situation de juin 1968, celui de la dissolution qui survient dans une conjoncture indécise de « chaos » dont peut se prévaloir le pouvoir pour dissoudre l’Assemblée nationale afin d’obtenir une majorité bleu horizon. L’inflation générant des grèves pour maintenir à flot le salariat, la peur diffusée au sein des classes moyennes supérieures, l’agitation désignant les « musulmans », les étrangers, comme les causes suprêmes des problèmes engendrés par la crise multiforme (climatique, migratoire, financière…), les manifestations massives peuvent amener la classe dirigeante à recourir à la dissolution pour restaurer son apparence légitime. Les blocs, libéral autoritaire et national-autoritaire fascisant, peuvent dans ces conditions trouver matière à s’entendre pour réprimer et manipuler. Ce spectre de la dissolution est d’ores et déjà agité sous la forme d’un « débat » autour de l’interprétation de l’article 12 de la Constitution. Derrière cette fausse controverse se profile la question réelle : quand est-il opportun de dissoudre face à la contestation de l’ordre institutionnel établi ?

 

Quatrième obstacle, le plus essentiel, celui du rapport de forces réel. Même si les élections ne sont qu’un thermomètre déformant, force est de constater que l’illégitimité est le « bien commun » de toutes les forces politiques. Par rapport aux inscrits, au 2ème tour, les abstentionnistes (53.77 %), les blancs et nuls (3.54 %) représentent 57.31 % du corps électoral. La NUPES représente 13.49 %, les Macroniens Ensemble 16.47 %, le RN 7.39, les LR/UDI 3.11 %, les autres formations cumulées 2.23 % (2). C’est dire que tous les élus sont de fait illégitimes pour représenter le corps électoral.  Même s’il est incontestable que les Insoumis ont progressé et réveillé les quartiers populaires, fait émerger une nouvelle génération militante, l’on ne saurait mettre sous le tapis la réalité de l’abstention de 66.39 % en Seine-St-Denis, pour ne prendre que cet exemple. D’ailleurs, globalement, le nombre de suffrages obtenus par la coalition de gauche, nationalement, n’a pas véritablement progressé par rapport au total des voix obtenues en 2017. De même, il n’y a pas lieu de surestimer l’enracinement du RN dans les régions désindustrialisées et les campagnes. Certes, une majorité d’ouvriers et d’employés qui votent, soutiennent ce parti d’extrême-droite mais précisément parce qu’ils sont les victimes des politiques néolibérales de droite et de gauche, impulsées par l’Union européenne. En fait, il s’agit de concevoir que ces territoires sont à reconquérir.      

 

Alors, le déblocage, où peut-il se produire ?

 

A coup sûr, le terrain décisif n’est pas le terrain électoral pour débloquer les aspirations populaires. Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas sans effet lorsqu’un programme progressiste est présenté au corps électoral. Il est évident, en effet, qu’il faut arrêter le massacre des services publics, des hôpitaux, des universités, de la SNCF, réindustrialiser le pays, bloquer la mondialisation financière et la précarisation du travail qu’elle génère, la désertification des campagnes… Lorsqu’une force politique prône de tels changements, lorsque les syndicats mobilisent sur de tels thèmes, lorsqu’ils vont au-delà et posent les questions des structures institutionnelles néolibérales, européennes, qui entravent la libération sociale, alors, la combativité peut renaître sur des bases solides, celles d’une union populaire réelle. Est-ce que nous en sommes là ? Pas encore. Les moments de crise peuvent accélérer le mouvement mais dans quel sens ? La voie nationaliste, autoritaire, n’est pas bouchée. La bataille pour l’hégémonie culturelle, prônant et partageant l’idée d’autres rapports sociaux de production et d’échange, est à peine entamée. L’offensive à mener doit certes reprendre le programme de la NUPES de suite pour desserrer l’étau (smic à 1 500€, hausse de 10% du point d’indice de la fonction publique, blocage des prix sur les produits de première nécessité… pour faire céder le pouvoir et expulser les locataires de l’Elysée et de Matignon. Il s’agit de prouver que ceux d’en bas refusent désormais d’être gouvernés comme avant pour, en définitive, se persuader qu’ils peuvent prendre le pouvoir pour eux-mêmes. Ce qui semble le plus difficile, après les trahisons de la gauche libérale, c’est de vaincre l’apathie, la passivité qui  hantent les cerveaux démunis de perspectives par rapport à l’ampleur des tâches à accomplir.

 

Gérard Deneux, le 27.06.2022

 

(1)   la réforme constitutionnelle a consisté à ramener le mandat présidentiel à 5 ans, les élections législatives succédant à l’élection du Président

(2)   chiffres publiés sur www.vie-publique.fr/

 

 

Encadré

 

Evasion fiscale = 80 à 100 milliards€

13 milliards, seulement, récupérés par Bercy

Fraudes à la CAF (bien médiatisées pour stigmatiser les pauvres et les étrangers = 2 à 3 milliards/an