Ceci est une nouvelle de fiction de ma composition sur la misère sociale. Heureusement, ce n'est pas autobiographique...
Quand mon père dégrafait son
ceinturon, en rentrant du chantier, la soirée s'annonçait mal. Il
susurrait quelques mots à ma mère et elle prenait un air contrit, celui
qu'ont les gens qui se demandent ce qu'ils ont fait au bon Dieu pour
mériter ça. Elle gardait le silence en préparant le souper, s'appliquant
à découper chaque légume en morceaux minuscules.
Nul ne pouvait s'imaginer ce qui se passait. Lorsqu'il m'amenait à l'école, rarement, papa ne laissait rien paraître. Souriant et poli, il conversait avec les autres parents d'élèves en s'efforçant de donner le change. Parfois même, il donnait la pièce à un vagabond surgi de nulle part, croyant déceler dans les yeux du pauvre hère une misère urgente. La flamme qui s'allumait alors, dans ses yeux à lui, était sincère et réchauffait le cœur de tous ceux qui pouvaient capter son regard, et j'en étais.
Mais les soirs où mon père dégrafait son ceinturon, aucune étincelle ne brillait plus dans ses pupilles et c'est la froideur abrupte du silence qui envahissait la maison. Par naïveté, sans doute, et parce que j'étais un enfant, je tentais de rassembler tout ce que le jour avait pu apporter comme nouvelles heureuses. Les bonnes notes ou les billes récoltées de l'école, l'éclosion surprise du rosier de la voisine ou la résurrection miraculeuse de mon vélo, rafistolé à coup de morceaux de chewing-gum et de ruban adhésif. Vaines tentatives auxquelles mon père ne répondait que par un demi-sourire, en m'invitant à quitter la pièce pour qu'il puisse rester seul avec maman.
Les lendemains, mes yeux rougis par le chagrin ont dû souvent engendrer les théories les plus folles sur le compte de notre famille. Le maître lui-même m'interrogeait savamment, avec son air de ne pas en avoir l'air. Je crois qu'il en discutait avec certains parents et même le maire. J'évitais de rapporter ces observations à mon père car elles n'auraient fait qu'empirer son sentiment de culpabilité.
Des fautes, pourtant, il en commettait peu. Mais la situation était telle que toute son énergie n'y suffisait plus.
Quand mon père dégrafait son ceinturon, nous savions qu'une fois de plus il ne mangerait pas pour que nous puissions le faire, il ne reviendrait qu'après le repas, la ceinture percée d'un trou supplémentaire et serrée autour de sa taille pour maintenir son vieux pantalon devenu trop grand et tromper la faim qui lui tenaillait le corps.
Nul ne pouvait s'imaginer ce qui se passait. Lorsqu'il m'amenait à l'école, rarement, papa ne laissait rien paraître. Souriant et poli, il conversait avec les autres parents d'élèves en s'efforçant de donner le change. Parfois même, il donnait la pièce à un vagabond surgi de nulle part, croyant déceler dans les yeux du pauvre hère une misère urgente. La flamme qui s'allumait alors, dans ses yeux à lui, était sincère et réchauffait le cœur de tous ceux qui pouvaient capter son regard, et j'en étais.
Mais les soirs où mon père dégrafait son ceinturon, aucune étincelle ne brillait plus dans ses pupilles et c'est la froideur abrupte du silence qui envahissait la maison. Par naïveté, sans doute, et parce que j'étais un enfant, je tentais de rassembler tout ce que le jour avait pu apporter comme nouvelles heureuses. Les bonnes notes ou les billes récoltées de l'école, l'éclosion surprise du rosier de la voisine ou la résurrection miraculeuse de mon vélo, rafistolé à coup de morceaux de chewing-gum et de ruban adhésif. Vaines tentatives auxquelles mon père ne répondait que par un demi-sourire, en m'invitant à quitter la pièce pour qu'il puisse rester seul avec maman.
Les lendemains, mes yeux rougis par le chagrin ont dû souvent engendrer les théories les plus folles sur le compte de notre famille. Le maître lui-même m'interrogeait savamment, avec son air de ne pas en avoir l'air. Je crois qu'il en discutait avec certains parents et même le maire. J'évitais de rapporter ces observations à mon père car elles n'auraient fait qu'empirer son sentiment de culpabilité.
Des fautes, pourtant, il en commettait peu. Mais la situation était telle que toute son énergie n'y suffisait plus.
Quand mon père dégrafait son ceinturon, nous savions qu'une fois de plus il ne mangerait pas pour que nous puissions le faire, il ne reviendrait qu'après le repas, la ceinture percée d'un trou supplémentaire et serrée autour de sa taille pour maintenir son vieux pantalon devenu trop grand et tromper la faim qui lui tenaillait le corps.