Syrie.
Non, l’intervention
américano-française ne règlera rien.
C’est l’embrasement régional
qui serait assuré !
A l’heure d’une probable intervention militaire en Syrie
contre le régime de Damas, il nous faut affirmer qu’ajouter le risque d’une
guerre régionale à la guerre civile syrienne, ne fera qu’accentuer la barbarie
et le chaos qui ébranlent le Moyen-Orient. De fait, ce sont les aspirations à
la démocratie et au mieux-être qui se heurtent à la puissance des tyrans
locaux, soutenus hier par l’Occident ou la Russie. Les peuples sont d’ailleurs
de plus en plus récalcitrants à l’imperium états-unien qui peine à s’imposer
dans un «ordre» mondial fissuré.
Pour l’impérialisme états-unien, malgré ses réticences à
s’engager, il s’agit d’abord et avant tout d’enrayer la perte d’influence et de
crédibilité dont il est l’objet, tout particulièrement dans cette région du
monde. Après avoir proclamé haut et fort que la «ligne rouge» de l’utilisation
des armes chimiques ne devrait pas être franchie, puis fermé pudiquement les
yeux face à leur utilisation ponctuelle, Obama, face aux massacres des environs
de Damas, s’apprête à se lancer dans une aventure militaire qu’il voudrait
limitée. A défaut de légalité
internationale, la légitimité morale dont il se prévaut masque un cynisme des plus prononcé. Le message à
Assad était clair : vous pouvez recourir à l’utilisation de bombardements
intensifs, y compris au napalm (comme on vient de l’apprendre) mais pas au
gaz ! Quoi ? C’était permis à Saddam Hussein contre les Iraniens et
les Kurdes avec des armes provenant directement de l’industrie allemande
Siemens ! Quoi ? Le massacre de masse à la machette était permis avec
la complicité mitterrandienne au Rwanda (800 000 morts) et on nous ferait
la morale, pourrait répondre le tyran Assad !
C’est que la puissance impériale, non seulement, ne veut
pas perdre la face, mais surtout son objectif demeure inchangé. Que les adversaires s’épuisent afin que le
statu quo demeure : les protagonistes de la conférence de Genève II
doivent se mettre autour de la table pour assurer la continuité de l’Etat syrien remodelé, et ce, en présence de ceux
qui s’ingèrent dans les affaires du peuple syrien. Avec Poutine, il ne semble y
avoir qu’un sujet de divergence, le départ ou non de Bachar El Assad. Pas
simple ! Car les Etats-Unis ne sont plus les maîtres du jeu devenu
compliqué à souhait.
Passe encore l’opposition des opinions publiques des pays
d’une large et improbable coalition pro-US à une intervention qui, par quelques
frappes ciblées, se voudrait morale et punitive, mais les conséquences d’un
risque d’embrasement de toute la région sont autrement incalculables. Certes, Obama,
le dérisoire prix Nobel de la paix et de l’intensification de l’utilisation des
drones pour assassinats ciblés, peut compter sur Hollande au soutien empressé.
Quoique le fraîchement galonné du Mali campe sur une posture morale désuète ;
il n’est qu’un Guy Mollet aux petits
pieds ; il ne pèse pas lourd et semble bien embarrassé par la défection
anglaise, lui qui demande le feu vert de l’ONU pour une intervention en
Centre-Afrique !
Mais, de quoi s’agit-il en réalité ? Les printemps arabes et les aspirations
à la démocratie et au mieux-être dont ils sont porteurs, se heurtent à leurs classes dirigeantes despotiques qui
défendent pied à pied leurs intérêts. Elles peuvent se débarrasser d’un Ben Ali
ou d’un Moubarak mais n’entendent rien céder sur le reste, encore moins dans un
pays où cette domination est incarnée par le tyran Assad. Face à ces
soulèvements, les pétromonarchies sont aux abois et marchandent leur influence
sur le marché de la religion et des dollars.
Le Qatar s’oppose à l’Arabie Saoudite, soutenant l’un les
Frères Musulmans, l’autre les salafistes et l’armée égyptienne, tout en
s’ingérant dans la composition du Conseil National Syrien autoproclamé. Quant
aux mollahs iraniens, ils entendent susciter la haine potentielle contre les
sunnites pour conserver leur influence sur les chiites et par conséquent sur la
Syrie d’Assad et le gouvernement irakien. Quant à la Turquie d’Erdogan, qui a
affronté sa jeunesse en mal de liberté et de démocratie, elle est confrontée à
la volonté des Kurdes, eux-mêmes divisés, qui visent à obtenir pour le moins
une autonomie toujours promise, toujours trahie.
Et il faudrait se jeter
dans ce guêpier lourd de balkanisation pour ajouter la guerre régionale à
la guerre civile syrienne, sans attendre les dernières singeries des experts de
l’ONU, à qui l’on interdit de dire qui sont les responsables des tirs à l’arme
chimique ?
Si Bachar le boucher s’est décidé à les employer
massivement dans la banlieue de Damas encerclée au sud et à l’est, s’il a eu
recours dans le même temps à l’emploi de bombardements aveugles contre sa
propre population insurgée, c’est qu’il est acculé. Il ne dispose plus que de
sa propre puissance de feu meurtrière alimentée par Poutine et les hommes de
main iraniens ainsi que les Libanais du Hezbollah. Il manque d’hommes pour
reprendre le terrain occupé par les rebelles. Mais, pour les Occidentaux comme
pour les Russes et leurs alliés, la prise de pouvoir de l’opposition armée
syrienne est inacceptable. Ils ne rêvent que de la paix des cimetières, seule susceptible d’imposer leurs hommes de
paille. Mais cet objectif semble lui-même hors de portée, les intérêts des uns
(USA, Grande-Bretagne, France, Arabie Saoudite, Israël, Turquie…) sont
inconciliables entre eux et avec les autres (Russie, Iran, Irak chiite).
Force est de constater qu’une intervention militaire dite
limitée des Etats-Unis et de leur supplétif «hollandais» ne résoudrait rien,
bien au contraire. Elle renforcerait dans la région les sentiments
anti-occidentaux et, ici-même, la
xénophobie sans compter le nombre de victimes collatérales. Pire, elle
risquerait d’enclencher un engrenage
incontrôlable. Que faut-il pour que l’Iran, voire la Russie s’oppose,
riposte aux lancements de missiles sur la Syrie ? Vont-ils rester l’arme
au pied après l’énorme effort pour soutenir un régime à l’agonie ? Que
ferait Israël, toujours belliciste, dans cette hypothèse ? Quelles en
seraient les conséquences au Liban… et dans les métropoles impériales suite à
la flambée des prix du pétrole et à l’approfondissement de la crise économique
qui s’en suivraient ? Et l’on pourrait multiplier les questionnements
mortifères !
Le mythe d’une bonne guerre «limitée», morale, exportant
la civilisation, a vécu. Après deux défaites politiques et militaires en Irak
et en Afghanistan, qui ont accentué le chaos et la destruction massive de ces
pays, l’imperium US, drainant péniblement les pays européens, se heurte
désormais aux puissances émergentes et à la Russie dictatoriale poutinienne, et
dans le même temps, aux opinions publiques mondiales. Le monde n’est plus celui
de Bush d’après l’effondrement du mur de Berlin, ni celui d’Eltsine, le pro-américain
autocrate, encore moins celui de la mondialisation heureuse sous l’égide d’un
prétendu soft power. Il est celui où les peuples tentent difficilement de
sortir de la domination que leur impose l’arrogance des oligarques et des
apparatchiks barbares.
Que chez nous, un petit caporal autoproclamé se place
sous la bannière étoilée d’un généralissime hésitant, en dit long sur le type
de régime «démocratique et républicain» qui est le nôtre. Il en dit long
également sur la nature d’un parti de la gauche de droite. Il se veut plus
atlantiste que Sarko-Merkel-Cameron réunis !
En définitive, ce dont ont besoin les rebelles syriens pour l’emporter par eux-mêmes, ce sont
à la fois d’armes capables de détruire les chars et les avions du boucher, mais
aussi de la condamnation de l’influence des pétromonarchies et d’un islam
réactionnaire et enfin d’une mobilisation des peuples en soutien à leur lutte
contre le tyran.
Gérard Deneux, Amis
de l’émancipation sociale
Le 2 septembre 2013