Hommage à Tiennot
Pour que surgissent des
militants de son envergure
Tiennot Grumbach fut de tous les
combats malgré l’adversité d’une époque où les rêves se fracassent sur la
réalité. Il a changé sans jamais se renier, osé se tromper afin de poursuivre le
même combat pour la justice sociale et toujours aux côtés des exploités et des
opprimés.
A 74 ans, il vient
de s’éteindre douloureusement. Il était né en 1939, à Paris, et déjà dans la
clandestinité pendant toute la guerre, pour échapper avec son frère aux rafles
antisémites. Sorti de sa cache à Font-Romeu, ce jeune juif, neveu de Pierre
Mendés France, s’affirme antifasciste et anticolonialiste. Les révélations sur
la torture en Algérie le font adhérer au PSU. 1961, fin de la guerre d’Algérie,
il embarque pour ce pays : «Je
croyais à la révolution, à l’avènement d’un grand Etat démocratique, socialiste
et populaire». Il y reste 3 ans. Puis, ce «pied rouge» reprend ses études, adhère à l’UEC, s’oppose à la ligne
de compromission avec les socialistes Guy Mollet, Mitterrand et consorts. En
1966, il fonde avec Robert Linhart (1) l’UJCML (étudiants maoïstes,
althussériens à l’origine). A l’époque «le
fond de l’air est rouge», les luttes ouvrières insubordonnées (2) semblent
faire écho aux luttes de libération nationale (Vietnam, Palestine…). Après 1968,
maoïste libertaire, il fonde le journal «Ce
que nous voulons ? Tout» pour les classes populaires. Il s’établit
comme ouvrier à Citroën pendant 3 ans, de 1969 à 1971. Mais l’heure est au
repli de la vague de contestation, à la crise des 30 Glorieuses, à la
répression des «gauchistes» (3). En 1972, il ouvre son cabinet d’avocats
pénalistes dans une banlieue populaire à Mantes-la-Jolie «pour pouvoir être utile à mes potes d’extrême gauche en tôle», y
compris les soldats perdus d’une révolution introuvable comme Pierre Goldman.
Puis, il se spécialise dans le droit du
travail, défend les sans grade, licenciés, broyés, forme des jeunes avocats
pour «les droits et libertés des
travailleurs». Au-delà des petites victoires qu’il a accumulées en faveur
de ces dominés, son plus grand succès après des années de procédure est la
reconnaissance des licenciements abusifs dont ont été victimes les mineurs
révoqués lors des grandes grèves de 1948 à 1952.
Je l’avais côtoyé
rue d’Ulm ou encore, il n’y a pas si longtemps, à Sochaux, mais je le
connaissais surtout par son ami, et mon ami, Patrick Batten, avocat du droit du
travail à Lyon. Il avait un parcours similaire bien que plus jeune, lui aussi
est disparu trop tôt.
En ces temps de
crise et de reculs, de consternations, de montée de l’extrême droite, de
léthargie d’une classe ouvrière émiettée, d’indignations qui ne sont pas encore
à la hauteur des enjeux, il est temps que surgissent des militants de son
envergure afin que les faux amis du peuple retournent dans les ornières de la
défunte SFIO (4).
Gérard Deneux, le
23.10.2013
(1)
Lire «L’établi»
de Robert Linhart – éditions de minuit
(2)
«L’insubordination
ouvrière dans les années 68» Xavier Vigna – Presses universitaires de
Rennes
(3)
«Génération»
tome 2 «Les années de poudre» Hervé
Hamon et Patrick Rotman – Seuil
(4)
Lire à ce sujet «De
l’abandon au mépris. Comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière» de
Bertrand Rothé avec une préface de Gérard Mordillat - Seuil