Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 4 août 2013

Egypte. Loi d’urgence, chaos politique et mobilisation sociale

Publié par Alencontre le 28 - juillet - 2013
Photo diffusée par le Présidence égyptienne, avec le président par intérim Adly Mansour, le premier ministre Hazemn al-Beblawi et le ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, le 22 juillet lors d'une cérémonie dans la base militaire à l'est du Caire
Photo diffusée par le Présidence égyptienne, avec le président par intérim Adly Mansour, le premier ministre Hazemn al-Beblawi et le ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, le 22 juillet lors d’une cérémonie dans la base militaire à l’est du Caire
Par Jacques Chastaing
A l’heure actuelle, même si on voit bien la logique générale, c’est-à-dire détourner la colère sociale contre les Frères musulmans, et s’appuyer ensuite sur les violences pour décréter un genre de loi martiale, il est difficile de savoir ce qui se passe au plan des massacres. Les militaires et les Frères musulmans mentent autant les uns que les autres. Et surtout, nous ne disposons que de peu d’informations sur ce qui se passe en dehors du Caire ou d’Alexandrie.
On ne peut avoir aucun doute sur l’ampleur des violences de l’armée. Mais sur Twitter, j’ai par exemple pas mal de messages qui signalent des affrontements entre «habitants» excédés et manifestations de Frères musulmans qui, eux, s’en prennent aux gens qui les insultent au passage dans les rues et les passent à tabac. Les Frères arrachent les affiches de Al-Sissi sur les magasins et voitures. Ils brûlent magasins et voitures; tirent sur les églises coptes.
Ainsi à Port-Saïd, ce 28 juillet, aux funérailles d’un jeune des Frères musulmans tué il y a deux jours, le cortège aurait brûlé les magasins coptes, tiré sur les églises, faisant 1 mort et 28 blessés. En riposte, la population serait descendue dans les rues et aurait lynché ou tenté de lyncher au moins quelques manifestants. En conséquence, le mouvement de la jeunesse de Port-Saïd a décrété le couvre-feu dès ce soir contre des Frères musulmans ainsi que la fermeture obligatoire de leurs magasins. On signale des événements du même type à Helwan et au Caire dans les quartiers de Menofiya et, hier, à Duweiqa, Mansheya…
Cela paraît logique quand, d’une part, on voit une immense partie de la population afficher son soutien à Sissi et, d’autre part, une minorité violente qui manifeste. Jusque-là, on constatait une indifférence totale de la population au sort des Frères musulmans. «Ils se font massacrer? Ils l’ont bien cherché».
Est-ce qu’il peut y avoir un retournement d’opinion avec trop de massacres par l’armée, je ne sais pas?
Ce 28 juillet, on voit les démocrates du Mouvement du 6 avril et ceux de Tamarod, dénoncer les violences militaires et surtout l’utilisation de la lutte contre le terrorisme (lutte que, par contre, ils soutiennent) si elle aboutit à une remise en place de l’ancien appareil de la Sécurité d’Etat, annoncée hier. Ils contestent de même des remises en cause de toutes les libertés et les droits de l’homme. D’autant plus qu’il semble que le gouvernement va vers un décret de «loi d’urgence» [1].
Par ailleurs, entre soutenir Al-Sissi et être indifférent au sort des Frères musulmans, d’une part, et s’attaquer violemment à eux, d’autre part , ce n’est pas la même chose.
Est-ce que les «habitants», les «résidents» qui sont présentés comme s’attaquant, dans différents endroits, aux Frères musulmans sont-ils animés par des anciens pro-Moubarak?
Bien sûr, il y a aussi des choses réelles, correspondant à un profond sentiment populaire. Ce qui se serait passé à Port-Saïd paraît logique, étant donné la haine avec laquelle les responsables des Frères musulmans appellent leurs supporters à s’en prendre aux Coptes. Il y a eu, récemment, d’autres incidents du même type ailleurs. De même, sur la place Rabaa al-Adaweya où stationnent depuis plus de trois semaines les Frères musulmans (c’est plutôt un quartier qui leur est hostile) on comprend que les habitants en aient ras le bol. En effet, c’est un véritable camp retranché; pour rentrer chez soi, aller au travail, aux magasins, à la pharmacie, il faut passer de nombreux contrôles suspicieux, qui sont impossibles à franchir à une femme non voilée. Des milliers (au moins) de personnes sont en permanence là. Ils n’ont pas de structure sanitaire (WC, eau courante) et font donc leurs besoins dans les jardins des habitants, les cages d’immeubles, chantent toute la nuit, tirent avec des armes automatiques, etc. Du coup s’est créé un comité des résidents de la place, avec page Facebook, qui expriment leur ras le bol.
Il serait donc possible que les violences d’hier aient été provoquées par des affrontements entre ces résidents qui voulaient évacuer les Frères musulmans. Ils auraient dégénéré. Ou, alors, des provocateurs de tous bords ont mis de l’huile sur le feu…
Pour ce qui est des lois d’urgences et des lois martiales en préparation, il y en a eu quantité ces deux dernières années. Aucune n’a jamais été respectée par la population. On ne voit pas pourquoi il en serait différent demain; même si la dictature militaire et policière a coûté, bien sûr, beaucoup de souffrances et de vies.
Je ne crois pas que les grèves et les luttes à caractère social vont s’arrêter pour autant au prétexte de la lutte contre le terrorisme invoqué par Al-Sissi. L’important et le décisif est là. Que vont faire les gens qui souffrent de la faim, qui n’ont pas de toit décent, qui ne peuvent plus s’acheter à manger correctement, qui doivent faire face à la fermeture des entreprises.etc.?
Ces derniers jours, le 25 juillet, malgré l’appel du principal syndicat d’opposition à cesser les grèves, avec aujourd’hui son président ministre du Travail, on notait cependant des titres de journaux du type : «Nouvelle poussée de grèves et de sit-in» et des grèves à Toshiba et Iron Steel à Suez, à la compagnie d’impression Muharram à Alexandrie (pour réclamer entre autres le départ du directeur), à l’hôpital Mont Sinaï, chez les employés du greffe dans la Nouvelle Vallée (sud-ouest du pays, capitale du gouvernorat: Al-Kharga), des employés administratifs de la Région Assouan, des enseignants… Les informations manquent. En effet, les journalistes et une partie les militants révolutionnaires démocrates s’intéressent très peu à ce type de luttes,
Quoi qu’il en soit, malgré tout le battage fait autour de Al-Sissi, des Frères musulmans et de leurs affrontements, après la profondeur des manifestations du 30 juin, les immenses vagues de grèves qui l’ont précédé pendant trois mois, il est quasi certain que la population va à nouveau retourner dans la rue, d’ici peu, pour ses propres revendications : «pain, justice sociale, liberté» [2]. Elle sera d’autant plus confortée par ce qui se passe aujourd’hui, de commencer à établir son propre pouvoir et ses organes de «décisions», ses propres comités, dans le plus grand nombre de domaines. (28 juillet 2013, 19h00)
_____
[1] Mathias Taylor et Daniel Vallot, RFI – en date du 28 juillet, à 20h26 – écrivent: «Ahmad Wahdan est un membre fondateur du parti Doustour, celui de Mohamed ElBaradei. Comme d’autres au sein de la coalition anti-Morsi, il condamne la brutalité de la répression exercée à l’encontre des militants islamistes. «L’Etat a le droit de faire face au terrorisme mais en respectant la loi, les droits de l’homme et la Constitution, juge-t-il. Si on ne fait pas ça, alors on sera comme le régime de Moubarak, et comme celui de Morsi.» Malgré ces réserves, les militants anti-Morsi continuent dans leur immense majorité de soutenir l’armée égyptienne et le général Al-Sissi. Mais certaines organisations dénoncent d’ores et déjà la dérive autoritaire du nouveau régime. «Ce que le général Sissi a fait en disant qu’il voulait lutter contre le terrorisme, montre qu’il cherche un prétexte pour bâillonner toute l’opposition, explique Chérif Arhoubi, porte-parole du Mouvement du 6 avril, issu de la révolution anti-Moubarak. Pas seulement les Frères musulmans, ajoute-t-il, mais aussi tous les opposants qui tenteraient de le contester.» Ce qui inquiète également les militants du 6-Avril, c’est la cote de popularité dont jouissent aujourd’hui l’armée et le général Sissi.» Ces militants du 6-avril, peu liés de manière militante aux luttes sociales des salarié·e·s affirment: «Il sera très difficile, dans les prochains mois en tout cas, de mobiliser les Egyptiens contre l’institution militaire, et contre un éventuel retour aux méthodes de l’ère Moubarak.» (Réd. A l’Encontre)
Des soldats en position près de la place Tahrir le 26 juillet 2013
Des soldats en position près de la place Tahrir le 26 juillet 2013
[2] Le 28 juillet 2013, les éditeurs deJadalliya écrivaient en conclusion d’un article sur la «guerre contre le terrorisme» du nouveau gouvernement et des militaires égyptiens: «Quelle sera la suite en Egypte? Il y a peu de doute que la structure transitoire soutenue par les militaires – comme celles qui l’ont précédée – est structurellement inapte à faire face à l’inégalité croissante qui a, depuis longtemps, nourrit les conflits entre des secteurs sociaux importants et l’Etat égyptien. Le pouvoir transitoire actuel est avant tout fonctionnel pour protéger les institutions étatiques face aux revendications populaires et aux changements révolutionnaires. En remplaçant simplement les Frères musulmans par une nouvelle coalition entre des militaires dirigeants et des civils, même sous le parapluie d’institutions dites démocratiques, celle ne va pas permettre de venir à bout du combat pour le pain, la liberté et la justice sociale. Dès lors, certains peuvent simplement affirmer que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un affrontement ouvert éclate entre les partisans d’un changement profond et l’ordre politique aux mains des militaires. Toutefois, même si cet affrontement est probable, la minorité qui s’oppose aussi bien aux militaires qu’aux Frères musulmans fait face à des défis d’importance. Les événements de cette dernière semaine fournissent des preuves de la voie difficile qui s’ouvre devant eux. La révolution du 25 janvier 2011 affronte un combat pour son existence dans un contexte au sein duquel le pouvoir et la résistance sont plus intriqués que jamais.» (Rédaction A l’Encontre)