Notre-Dame-des-Landes.
Caillou dans les chaussures de Valls/Hollande
Les Zones à Défendre, comme les Zones
à Débattre, sont les signes des difficultés croissantes que rencontrent
ceux d’en haut, de ne pouvoir plus gouverner comme avant et de la volonté de
ceux d’en bas, de refuser de s’en remettre à cette démocratie verrouillée au
profit des puissants. Certes, ce mouvement reste encore embryonnaire mais la
mascarade électorale annoncée, avec le bal des égos des primaires et de la
lutte des places, pourrait bien transformer le rejet global en passion d’en
découdre.
Revenir sur le projet d’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes, au-delà des enjeux anti-productivistes et écologiques
réels, permet d’appréhender d’un côté les crispations, les entêtements de la
caste politicienne et de l’autre, la volonté des résistants de vivre autrement.
Un projet démesuré, bouclé et bâclé
Conclu par la Déclaration d’Utilité
Publique (DUP), le 10 février 2012 (1), le nouvel aéroport concerne une zone de
bocage de 1 650 hectares et 52 exploitations agricoles. Les zones
viabilisées, avec deux pistes d’envol, se décomposent comme suit : 587 ha
dès la mise en service, plus 186 ha de dessertes routières et une zone gelée
provisoirement de 239 ha pour l’extension future… Dès la date précitée, les
procédures d’expulsion avec indemnisations et fortes pressions, se sont
exercées. Les oppositions qui s’étaient manifestées dès l’ouverture de
l’enquête publique se sont durcies. Les paysans irréductibles ont reçu de prompts
renforts tous azimuts (2). En août 2009, la ZAD était occupée par 200 à 300
personnes déterminées à s’y installer durablement (3). Non seulement, le
saccage de l’environnement, l’érosion de la biodiversité les révulsaient mais,
qui plus est, ce grand projet élaboré à la fin des années 60, pour permettre
d’accueillir le fameux Concorde et le
développement outrancier du transport aérien semblait désormais complètement
ahurissant. Il est prévu pour accueillir 7 millions de passagers alors même que
l’aéroport actuel, près de Nantes, en accueille 4.4 millions par an !
Surdimensionné, coûteux (3.64 milliards d’euros) et inutile. Les opposants n’en
démordent pas et la suite va leur donner raison. Quant aux élus locaux,
socialistes en tête comme Ayrault à Nantes, ils persistent dans leur vision
développementiste et de croissance de la Bretagne et des Pays de Loire, assurés
qu’il ne peut en être autrement dans le cadre de l’Europe des régions
concurrentes.
Décembre 2010. Par décret, la
concession de « services publics » avec « partenariat
public-privé » est attribuée à la multinationale du BTP Vinci. Dans la
foulée, les financements Etat/Région/Départements sont conclus et signés.
Ainsi, la Bretagne finance à 5.2%, la Loire-Atlantique à 7.2%, tout comme les 5
départements concernés et le syndicat mixte aéroportuaire. Tous les élus sont
dans le sac des écus.
Demeurent
les irréductibles
et leurs soutiens de plus en plus nombreux. Le gouvernement Ayrault/Hollande
n’hésite pas. C’est l’opération CESAR de répression et d’évacuation, avec moult
CRS et gardes-mobiles, en octobre 2012. Résistances, cabanes et caravanes
détruites, guérilla champêtre… Et puis, dès le 23 novembre, la soldatesque
partie, les occupants reviennent ! Echec ! Des écolos, des
libertaires, des anticapitalistes se réinstallent, produisent (pain, légumes),
élèvent des chèvres, accueillent (création d’une auberge) ; ils reçoivent
le soutien de riverains, d’agriculteurs locaux. Plus fondamentalement ce sont
des dizaines de milliers de personnes qui sont désormais prêtes à se mobiliser
comme le montreront les manifestations qui se succèderont.
Le gouvernement tergiverse, joue le
pourrissement. Rien n’y fait ! Comment ne pas reculer ? Nombre d’élus
s’impatientent. Et tout comme à Sivens, ce projet de barrage dans le Tarn, ils
ne veulent pas perdre la face. Valls joue donc sur ce dernier terrain la
fermeté policière. L’assassinat de Rémi Fraisse le 26 octobre 2014, puis la
réduction de moitié de ce grand projet font taches de… sang. A NDDL, nouvelles
tergiversations d’autant qu’on apprend que le projet est non seulement bâclé
mais aussi truqué !
Bâclé. C’est la commission
européenne qui dénonce le gouvernement : la Déclaration d’Utilité Publique
n’a pas pris en compte les liaisons routières jusqu’à Nantes. Truqué, puisqu’une expertise, contredisant
le projet et proposant l’aménagement de l’aéroport existant, a été
volontairement dissimulée par le Préfet, selon les révélations du Canard Enchaîné. D’où le dilemme gouvernemental :
que faire face à cette cacophonie et cette résistance sans perdre sa légitimité
supposée ?
Ponce Pilate, le bravache, et le médiacrate
Tous s’entendent sur un point :
éteindre, délégitimer l’opposition. 2016, la justice est sollicitée. Le
Tribunal ordonne l’expulsion des 11 agriculteurs historiques qui ont refusé les
mesures d’expropriation. L’intérêt général doit être conforme aux décisions
gouvernementales. Cette décision reste sans effet, le pouvoir hésitant à
recourir à la « force publique ». L’inquiétude face à une nouvelle mobilisation
populaire et aux risques de « bavures » policières tétanise le
pouvoir.
Le 11 février, Hollande annonce qu’un
référendum résoudra la controverse entre les pro et anti NDDL. C’est : « je
m’en lave les mains », « au peuple de trancher ». Cette reculade
contredit toutes les prétendues procédures républicaines de consultation qui
ont été suivies. Qu’en est-il de l’enquête publique avalisée depuis 2009 ?
Elle peut être mise en doute, affirme Ségolène Royal, et de commanditer une nouvelle
expertise indépendante pour tenter de réconcilier l’inconciliable. Cela ne fait
que renforcer le doute sur la validité, la pertinence, des études précédentes.
Cette tentative d’arbitrage est lancée pour se concilier les écolos compatibles
avec le hollandisme, mais se heurte à l’autoritarisme d’Etat de Valls-le-bravache.
Ça a assez duré, le référendum aura lieu le 26 juin, les travaux commenceront
en octobre 2016 ! Nouvelle cacophonie. Consulter tout en réaffirmant que
la décision déjà prise s’appliquera…
Pour ajouter encore à la confusion, le
résultat de l’étude « Royal » semble désavouer encore plus
l’entêtement des représentants de l’Etat et des collectivités locales. Ce n’est
plus oui ou non au projet mais le
choix entre deux projets, tout en condamnant le premier. Il suffirait en effet,
- soit de recalibrer le projet
existant en l’amputant d’une piste d’atterrissage, ce qui diminuerait son
emprise de 200 hectares (sur les 1 650), qui plus est en économisant 10 % du coût : 364 millions (sur les 3,640
milliards),
- soit d’aménager l’aéroport actuel,
celui de Nantes, en agrandissant l’aérogare, en créant un nouveau parking, pour
un coût de… 300 millions.
C’est là, donner raison aux
opposants : « conserver et
rénover coûte 10 fois moins cher… ». Les pro-NDDL de protester :
la parole de l’Etat est bafouée. La cacophonie s’amplifie : Valls valide
le projet initial, Royal prétend qu’il est disproportionné, trop cher et
écologiquement douteux par l’artificialisation des sols qu’il provoque… Et le
contrat avec Vinci ?
L’Etat capitaliste, guère soucieux des
deniers publics, s’est entendu avec la multinationale pour lui verser, en cas
de rejet du projet, la modique somme de 287 millions d’indemnités. Les
opposants de s’insurger : c’est surévalué, les travaux n’ont pas commencé,
le contrat d’exploitation du site sur 55 ans est exorbitant ; 250, 150
millions suffiraient, voire rien du tout. Et tous d’invoquer le fâcheux
précédent des portiques de l’écotaxe abandonnée, l’Etat ayant versé à la société Ecomouv, concessionnaire, la modique
somme de 840 millions d’indemnités ! Gabegie des deniers publics !!!
Un référendum… impraticable
Comment valider une parodie de
démocratie ? Pas si simple car l’Etat doit compter avec les règles qu’il a
lui-même émises. Et là, la cacophonie
devient cafouillage. Les diverses solutions proposées conduiraient à
l’échec programmé en termes de contentieux juridiques à venir.
-
S’appuyer
sur la réforme constitutionnelle de 2003 qui permet le recours à des
référendums locaux à caractère décisionnel, pour autant qu’il y ait une participation
électorale de… 50%. Difficile à obtenir. Mais surtout, inconstitutionnel,
puisque le référendum doit porter sur une question relative à la compétence
d’une collectivité territoriale. Or, le projet NDDL est une compétence d’Etat !
Echec !
-
Se
référer à la loi Macron, son article 106, qui prône la possibilité d’une
consultation locale et le recours ensuite aux ordonnances. Mais, il ne concerne
que les projets nouveaux et non ceux qui ont reçu déjà toutes les autorisations,
et ne se réfère qu’aux projets d’intérêt local ! Retour à la case départ,
nouvel échec
Et s’il n’y avait que ces débats
juridico-administratifs ? Reste de surcroit, le périmètre de la consultation. Et là, c’est la foire d’empoigne, car
juré-promis, Valls l’a décidé : ne seront autorisés à donner leur avis que
les citoyens du département de Loire-Atlantique. Refus du Conseil départemental !
Rouspétance assurée des élus régionaux de Bretagne, Pays de Loire et des 4
départements du Maine-et-Loire, de Mayenne, du Morbihan, de Vendée qui, eux,
demandent que leurs concitoyens soient consultés car leurs représentants les
ont engagés financièrement.
Ce degré de divisions qui traverse
l’appareil d’Etat et la caste politicienne ne peut qu’encourager la résistance
populaire. Dans la ZAD, les voix des occupants sont sans équivoque :
« Nous lutterons jusqu’au bout »,
« On est plus têtus que le pouvoir »,
et décidément « les partis politiques
sont inadaptés au changement social ». Ce qui se joue dans cette partie
du territoire et qui se répand ailleurs, c’est bien la « volonté de vivre autrement » et le
refus d’un monde qu’on nous impose. Les Zones
à Défendre et les Zones à Débattre
de Nuit debout manifestent les mêmes
aspirations.
Gérard Deneux, le 25 avril 2016
(1) Voir encart
« Repères chronologiques »
(2) Voir encart
« les soutiens aux opposants historiques »
(3) Voir texte
d’Hassen sur la nature de la résistance
Repères chronologiques
Zone d’Aménagement Différé – Zone à Défendre
1963 – L’Etat
envisage la création d’un nouvel aéroport se substituant à celui de Nantes, Concorde oblige
1968 – choix du
site à Notre-Dame-des-Landes
2000 – Relance du
projet par Lionel Jospin. L’enquête publique est lancée
10.02.2008 – Déclaration
d’Utilité Publique. Le projet est approuvé.
Premières manifestations
d’oppositions
Août
2009
– Occupation de la ZAD par les opposants
Décembre
2010
– décret d’attribution de la concession des travaux et d’exploitation à la
multinationale VINCI
2012 – Echec de
l’opération policière CESAR ( !). L’évacuation (octobre) est suivie d’une
réoccupation le 23 novembre 2012
2016 – le Tribunal
ordonne l’expulsion des 11 opposants historiques (agriculteurs) sans effet à ce
jour
11.02.2016 – décision du
président Hollande de recourir à un référendum
Contre le projet.
Les soutiens aux opposants
Associations
et partis :
Greenpeace, ATTAC, les Amis de la Terre, Générations futures, la Confédération
paysanne, France Nature Environnement, NPA, CGT locale qui vient de prendre
position
Associations
et élus locaux :
ACIPA, association des populations
concernées. CéDpa, collectif d’élus
opposés au projet. Copain 44, Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles
Indignées par le projet. Adeca,
association de défense des exploitants concernés par le projet. Conseil
municipal de Notre-Dame-des-Landes. Communauté de communes d’Erdre et Gesvres
Précision : une grande partie de la
ZAD est classée en zone humide, constituant un patrimoine précieux. Le bocage
abrite une centaine d’espères protégées.
Nature de la résistance
La ZAD, avant de voir le jour, se constituait de 52 exploitations
agricoles. 41 ont été rachetées par l'Etat et aujourd'hui, il n'en reste plus
que 11, auxquelles se sont ajoutés les ZADistes depuis la relance du projet d’aéroport.
La ZAD, dans sa totalité, se compose
de 200 résidents. C'est un lieu de vie exceptionnel, d'une richesse incroyable
en matière de résistance. Là-bas, les richesses individuelles se transforment
en force collective. C'est un lieu de partage, de convivialité où l'humain est
remis au centre des priorités. Tous ces
hommes et toutes ces femmes essaient de redonner un visage humain à notre
planète.
Ils veulent prendre soin de la terre qui nous tient en vie et protègent les
zones rurales qui existent encore en France. Certes, ils défient le pouvoir,
mais c'est pour le bien commun. Ils ne sont nullement une menace mais bel et bien un espoir, qui offre pour chacun
d'entre nous un espace de liberté.
Qui sont les zadistes ? Des militants antinucléaires, des libertaires, des anticapitalistes, des personnes lambda à la recherche d'une vérité en quelque sorte, des anciens salariés, des étudiants, des chômeurs, des militants associatifs, des paysans, des personnes désireuses de se soustraire à la mondialisation galopante, des auteurs comme le collectif Mauvaise Troupe qui ont publié un livre « Comment défendre la ZAD » éditions de l'éclat.
Il y a aussi des migrants qui
passent par là pour se reposer quelque temps, et souffler un peu.
Tous réalisent de multiples activités, utiles au mouvement : bricolage,
ateliers cuisine, ateliers découverte de
la nature, élevage, agriculture, boulangerie, un studio d'enregistrement. Il y
a aussi des aubergistes, des artistes, des comédiens, des chanteurs, des
interprètes, des artisans, des intellectuels... On y construit des fours à pain
ou comment fabriquer sa cuisinière en terre glaise. C’est la vie, tout
simplement.
Tous rêvent d'un monde meilleur dans le respect de la nature et des Hommes
et nous prouvent que c’est possible. C’est profondément humain et
enthousiasmant.
Hassen