Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 29 juin 2018


 NDDL. Continuer à lutter. Pour quoi ?

Après son annonce d’abandon du projet d’aéroport le 17 janvier 2018, pour Macron, il est hors de question de laisser s’installer (ce qu’à une autre époque, un autre président avait appelé la « chienlit ») les ZADistes « illégaux » sur des terrains pour lesquels ils revendiquent un droit d’usage. Pour vaincre les résistances et les solidarités, qu’il qualifie de « projet de désordre », « d’idée fumeuse », de « colère illégitime », il a choisi, depuis mi-avril 2018, la stratégie de la tension, alternant affrontements et « ouverture » au dialogue, validant dans un premier temps 15 projets agricoles, parmi les dossiers individuels déposés par 40 occupants ; puis nouveaux affrontements et évacuation/destruction manu militari des lieux de vie non agricoles, et notamment, des symboliques cabanes de la Châteigne, reconstruites après l’opération César de 2012 ; puis, nouvel assaut militaire (cf encart 1) le 22 mai faisant un blessé grave (cf PES n° 43).
Cette longue lutte a construit au fil des années une forte et longue résistance contre le Grand Projet Inutile et Imposé (GPII), aboutissant à son abandon. Elle a surtout démontré qu’il est possible de vivre autrement, égratignant au passage la propriété, en s’installant « illégalement ». La tactique gouvernementale de « dialogue » va-t-elle saborder l’unité de la résistance ?  

Deux projets de société s’affrontent

Pour l’Etat (préfecture, direction départementale des territoires) (1), un agriculteur c’est : une personne individuelle avec une surface minimale d’installation, une adhésion à la MSA, un revenu annuel de 12 000€ minimal, une autorisation d’exploiter délivrée par l’Etat. C’est le modèle défendu par le Comité professionnel, composé de syndicats agricoles (sauf la Confédération paysanne) présidé par la Chambre d’agriculture, chargé de travailler sur le volet purement agricole du dossier NDDL. S’appuyant sur ce principe, la préfecture n’examine que les projets agricoles ou para-agricoles (maraîchage, plantes aromatiques, apiculture, verger, tannage...) et n’accepte de signer que des conventions d’occupation précaires. Le Comité de pilotage « sur l’avenir des terres agricoles de la ZAD, chargé d’étudier les dossiers, soutient l’administration : en effet, nombreux sont ceux qui voient d’un mauvais œil la régularisation des opposants dits « illégaux ». FNSEA 44, Coordination rurale sont peu enclins à autoriser les néo-ruraux contrairement à la Confédération paysanne, l’ADECA et Copain 44 (2) qui poussent à respecter la dimension collective des projets présentés.

Les opposants à cette conception, sont défenseurs d’une une vie agricole autonome, détachée des contraintes
normatives écrasantes, revendiquant le droit à une gestion collective. En ce sens, une « assemblée des usages » de la ZAD, fin mars, constituée en association « Pour un avenir commun dans le bocage », a adressé en préfecture une proposition de convention collective permettant de pérenniser les différentes activités agricoles, artisanales, sociales ou culturelles à l’œuvre dans la ZAD ainsi que les habitats. Comme alternative à la voie unique des conventions d’occupation précaires, un projet d’ensemble « Projet coopérative ZAD » a été construit, décrivant les interactions vitales que chacun entretient avec l’autre dans ce territoire de 270 hectares, incluant les activités para-agricoles, artisanales (menuiserie, mécanique agricole, forge..), culturelles (bibliothèque, radio, centre de rencontre…) et de distribution (épicerie solidaire...).

Projets non retenus. Ils représentent sans doute « le désordre » que Macron et ses ministres veulent faire rentrer dans l’ordre. Au-delà de sa victoire contre l’aéroport, la ZAD exaspère au sommet de l’Etat. Il faut en finir.

Ce que représente la longue résistance de la ZAD de NDDL

Dans la ZAD et ailleurs, un certain nombre d’agriculteurs se battent contre l’agriculture industrielle, promue par l’Etat et ses ministres de l’agriculture successifs, les industriels et les syndicats, notamment la FNSEA, qui  défendent la concentration productive capitaliste. Il s’agit d’éliminer l’activité agricole autonome, la normalisation y contribue largement. Depuis 20 ans, le contrôle normatif n’a fait que s’accélérer sous couvert de normes sanitaires et environnementales à développer. Il s’impose à toutes les fermes, les plus petites comme les plus grosses, bénéficiant ou pas de primes agricoles ; il les contraint, « en douceur », à la production industrielle ou à l’interdiction d’exploiter, en imposant des équipements matériels et des règles administratives contraignantes à mettre en œuvre : cultures répertoriées, revenus et déficits contrôlés, semences certifiées, haies, arbres ou ruisseaux photographiés et mesurés, étables, fromageries, tueries, conserveries, cuisines, véhicules, agréés,  fromages, légumes ou viandes analysés, tracés, étiquetés… Peu à peu, les liens aux animaux, aux plantes, à la nature deviennent actes comptables, objets de gestion. La vie agricole est depuis 60 ans parmi les plus administrées, orientées, contrôlées et réprimées. Même dans les campagnes les plus reculées, règlements et normes créent des conflits entre agriculteurs et administration, dépossèdent l’agriculteur de son métier via des conseillers qui dictent leur comportement. La ferme est un lieu de production, en concurrence avec les autres. Il  suffit de voir le modèle allemand d’agriculture « écologique » où plus un animal ne vit dehors, où s’alignent des kilomètres de bâtiments agricoles gérés par des technologies « écolo » et où travaillent quelques opérateurs.  Le résultat de cette politique est éloquent : en France, depuis 60 ans, 90 % des agriculteurs ont disparu, cette élimination a été cogérée par l’Etat, l’industrie et les syndicats agricoles (FNSEA principalement), soutenus par les politiques européennes et de l’OMC.

Pendant que l’industrialisation de l’agriculture s’impose, les mêmes qui la défendent, refusent d’interdire le glyphosate et autres pesticides. Et pourtant, l’abus de normes et de produits soi-disant protecteurs n’empêche pas « la vache folle » et autres bactéries contaminant reblochon et produits laitiers. C’est bien que l’objectif est ailleurs, dans le rendement toujours plus grand ! Pour persister, l’agriculture doit s’extraire de tous les lobbys du matériel, de l’alimentation, des pesticides et autres produits chimiques, etc… Ce n’est pas le manque de normes qui la tue, c’est l’industrialisation à marche forcée qui la fait disparaître.

Ce que la longue résistance à la ZAD de NDDL démontre, c’est qu’il est possible de vivre en commun sur un territoire donné. La vie agricole commune est possible, plus, elle est nécessaire pour résister à ce modèle qui ne défend pas l’agriculture mais la fait mourir. Plus de 10 000 fermes disparaissent chaque année pour être rachetées par des sociétés agricoles gigantesques, employant des opérateurs. Les suicides se multiplient : plus de 1 000 par an (3 fois plus que dans toutes les autres catégories professionnelles).

Ce que nous devons aux résistants de la ZAD c’est la preuve vivante qu’une agriculture collective, éloignée des normes trop drastiques, est possible : ceux qui se sont installés illégalement à NDDL, agriculteurs ou non, sur des parcelles à l’abandon ou dans des bâtisses en ruines, ont été déterminés à le prouver. Une vie collective s’est reconstituée (3). Les résistants de la ZAD, pour certains, ont posé la question de la propriété : à qui appartient la terre ? Est-elle un bien commun pour lequel les exploitants ont un droit d’usage ? La terre, un moyen collectif de production ? Ces questions ont traversé les discussions, débats, prises de paroles entre les ZAdistes… Elles sont essentielles face aux prédateurs de l’agro-industrie, qui s’approprient la terre et ses ressources pour en tirer profit.         

La négociation, facteur de division ?


L’Etat, ne voulant pas examiner les dossiers des « non  agricoles » tente la division en opposant les habitants « jusqu’auboutistes », « radicaux » aux « raisonnables » « légalistes », entre « chieurs-punk-à-chien-relous-anarchistes-primitivistes-schlags-bouffons » et « stratèges-pragmatiques-intellos ». Ces divisions occultent le sens politique de ce qui se joue actuellement sur la ZAD. D’un côté il y a ceux qui choisissent le « jeu de l’Etat » et de l’autre, ceux qui tentent de s’en défaire.

La terre où sont installés les zadistes, pour l’heure, appartient à l’Etat (qui va la rétrocéder au conseil départemental). L’idée des Zadistes était, donc, de créer une entité juridique pour s’approprier légitimement les terres, permettant à tous les habitants de rester vivre sur la ZAD, comme au Larzac ; sauf que là-bas, le contexte était différent : il n’y eut aucune velléité d’occuper les terres pour remettre en cause une agriculture prise dans le processus industriel ; à l’époque l’industrialisation de l’agriculture n’était pas remise en cause.

A contrario, sur la ZAD, ceux qui sont venus s‘installer sont en rupture avec la normalisation industrielle imposée, Habitats et activités agricoles ou artisanales, installés dans l’illégalité, ont pu rester grâce au rapport de force permanent sur place. Ce qui faisait unité entre eux était l’illégalité dans laquelle ils se trouvaient en même temps qu’un rapport poétique et collectif face au monde agricole industrialisé, individualiste et productiviste. L’Etat remettant la main sur la ZAD, il ne pouvait qu’imposer le « droit » et exiger le retour à la légalité. Le « on défend tout le monde » ne pouvait donc plus se mettre en œuvre ; entrer en négociation avec l’Etat, mettait automatiquement en danger la majorité desdits « non–régularisables » (une centaine d’installations et habitats précaires non réglementaires, cabanes…). Dès lors, l’entrée en négociation avec l’Etat annonçait la perte de la bataille sur la défense d’une agriculture autonome, car tous les « illégaux » n’ont pas les mêmes « intérêts » à agir.

En conséquence, l’unité d’action fut rompue dès qu’un certain nombre déposèrent les dossiers personnels en préfecture, pratiquant, sans le vouloir, le tri entre les « régularisables » et les « non régularisables ».

Mais, qu’aurait-il fallu faire pour sortir de l’impasse ? La question essentielle est celle de la mobilisation permanente et croissante, pour faire face au bras armé de l’Etat. Car, même si depuis 10 ans, la ZAD a mobilisé des milliers de soutien, cela reste bien trop faible face à la puissance du système capitaliste. C’est en quelque sorte le même processus que vivent les paysans luttant dans leurs fermes ; épuisés, ils finissent par abandonner.

« Rien n’a jamais été obtenu en négociant, sinon de fausses victoires toujours là pour préserver les intérêts du capital et satisfaire les syndicalistes prompts à prendre des vessies pour des lanternes » (4). « Cette réalité peut être mesurée dans le cadre de la lutte contre les pesticides. Récemment les anti-pesticides négociateurs se réjouissaient d’avoir obtenu à l’échelle européenne l’interdiction de quelques néo-nicotinoïdes tueurs d’abeilles. Mais cette interdiction est un cache-sexe d’une industrie mortifère qui déverse déjà ses nouvelles molécules pas encore interdites ou qui confectionne les robots désherbeurs de demain qui remplaceront les paysans dans les campagnes. 30 ans de négociations implacables ont permis d’obtenir l’interdiction de près de 100 molécules, alors que dans le même temps, la consommation de pesticides augmentait de 15 000 tonnes par an ». Le capitalisme a une capacité à s’adapter infinie !    

A NDDL, « avoir repoussé l’emprise étatique durant tout ce temps est une victoire en soi. C’était à cet esprit-là qu’il fallait recourir, insiste le Collectif contre les normes, c’est-à-dire engager le conflit sur le terrain de la légitimité de l’illégalité, vécue pendant 6 ans ; cela aurait permis de ne pas s’enfermer dans un territoire d’exception qu’il fallait à tout prix défendre. Il poursuit : Il y a de l’indécence de la part des négociateurs à imaginer rester sur « zone » quand ils ont pu s’y installer grâce à la solidarité permanente qui s’y est développée et qu’ils vont pouvoir y rester parce qu’ils ont rompu cette solidarité. Une indécence d’autant plus grande, et dérisoire, car ce qui va s’y gagner, c’est la simple possibilité de s’installer en agriculture sur quelques hectares. Chose qui peut se faire partout en France d’autant plus facilement que les fermes se transmettent par milliers ces temps-ci et qu’il n’y a pas besoin de mobiliser des dizaines de milliers de personnes pendant 6 ans pour rendre ces simples transactions financières possibles ».

Certes, les luttes ne sont jamais un long fleuve tranquille, où l’harmonie règne spontanément, ce qui fait unité c’est l’adversaire que l’on combat… Le projet d’aéroport étant abandonné, la question qui se pose est sans doute à rediscuter par les zadistes installé légalement ou non : Que combat-on ? Pour quoi ? 

Le point de vue du Collectif hors normes est intéressant dans le sens où il nous permet d’en retenir une « leçon » : « Les négociations n’ont jamais rien apporté aux luttes, aussi sincères, dures et solidaires qu’elles aient été. Il suffit de lire l’article dans ce numéro sur Mai 68 pour comprendre que si le système étatique tel qu’il existe n’est pas remplacé par une force démocratique et des instruments de contrôle, il a les moyens de l’emporter sur une lutte ou une révolte, en appelant à la négociation ou au « dialogue social », divisant le camp des résistants. Cela nous renvoie aussi aux « printemps arabes ».

Mais, pour ne pas enterrer la lutte de la ZAD à NDDL qui n’est pas terminées, voici une note plus positive de Kristin Ross (5). Cette « accumulation d’expériences, de solidarités et de partages » constitue une telle menace pour le néolibéralisme qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à déchaîner autant de violence. La ZAD n’est pas une utopie mais une communauté qui fonctionne depuis 10 ans  Elle contredit  le récit classique selon lequel 68 aurait épuisé et enterré les dernières illusions révolutionnaires et que désormais, faute d’alternative, il faut renoncer à changer le monde ». (5)


Odile Mangeot, le 24.06.2018       



(1)    DDT - Direction départementale des Territoires : fusion de l’ex-DDE (direction départementale de l’Equipement et de l’ex-DDAF – direction départementale de l’agriculture et de la forêt) décidée dans le cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques) en 2009
(2)    ADECA : Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport. COPAIN 44 : Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles Indignés par le projet
(3)    Cf documentaire « Les pieds sur terre » de Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller, sur le hameau du Liminbout, au cœur de NDDL
(4)    Extraits de « Appel pour retrouver un sens politique à la lutte qui se mène aujourd’hui sur la ZAD » du 14 mai 2018, écrit par quelques agriculteurs et agricultrices du Collectif contre les normes
(5)    Extraits de « Eloge des mauvaises herbes. Ce que nous devons à la ZAD ». Ce livre regroupe les contributions écrites par 16 personnalités pour montrer ce qui se joue à NDDL : l’écrasement d’une preuve vivante qu’un autre monde est possible. Ouvrage collectif coordonné par Jade Lindgaard, éd. Les Liens qui libèrent, juin 2018


Encart 1
« Légitime » défense ?
Deux jours après que Maxime ait perdu une main arrachée par l’explosion d’une grenade à la ZAD NDDL, le gouvernement a attribué un marché de plus de 17 millions d’euros pour des grenades et des fusils de lancement. Selon un rapport de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) en 2016, la France est « le seul pays européen à utiliser des munitions explosives en opérations de maintien de l’ordre ».  Politis n° 1505

Encart 2
Quelques repères

1963 – recherche d’un site pour un nouvel aéroport
1974 – création de la ZAD Notre-Dame-des-Landes (1 225 ha)
2000 – Gouvernement Jospin relance du projet en sommeil depuis 25 ans 
10.02.2008 – Gouvernement Fillon annonce la Déclaration d’utilité publique. Expropriations
08.2009 – début de l’occupation de la ZAD
30.12.2010 – Vinci (via sa filiale AGO – Aéroports du Grand Ouest) obtient la concession (de 55 ans) pour le nouvel aéroport
2012 – Gouvernement Ayrault décide une intervention policière d’évacuation : Opération César oct/novembre. Les opposants au projet l’emportent. Suspension des expulsions
2015 – rejet des recours. Poursuite du projet
20.02.2016 – consultation publique des électeurs de Loire Atlantique (Valls)
13.12.2017 – remise du rapport de la mission de médiation
17.01.2018 – abandon du projet d’aéroport