NDDL. Continuer
à lutter. Pour quoi ?
Après
son annonce d’abandon du projet d’aéroport le 17 janvier 2018, pour
Macron, il est hors de question de laisser s’installer (ce qu’à une autre
époque, un autre président avait appelé la « chienlit ») les ZADistes
« illégaux » sur des terrains pour lesquels ils revendiquent un droit
d’usage. Pour vaincre les résistances et les solidarités, qu’il qualifie de
« projet de désordre », « d’idée fumeuse », de « colère illégitime », il a choisi, depuis
mi-avril 2018, la stratégie de la tension, alternant affrontements et
« ouverture » au dialogue, validant dans un premier temps 15 projets
agricoles, parmi les dossiers individuels déposés par 40 occupants ; puis
nouveaux affrontements et évacuation/destruction manu militari des lieux de vie
non agricoles, et notamment, des symboliques cabanes de la Châteigne, reconstruites
après l’opération César de 2012 ; puis, nouvel assaut militaire (cf encart
1) le 22 mai faisant un blessé grave (cf PES n° 43).
Cette
longue lutte a construit au fil des années une forte et longue résistance
contre le Grand Projet Inutile et Imposé (GPII), aboutissant à son abandon.
Elle a surtout démontré qu’il est possible de vivre autrement, égratignant au
passage la propriété, en s’installant « illégalement ». La tactique
gouvernementale de « dialogue » va-t-elle saborder l’unité de la
résistance ?
Deux projets
de société s’affrontent
Pour
l’Etat (préfecture, direction départementale des territoires) (1), un agriculteur
c’est : une personne individuelle avec une surface minimale
d’installation, une adhésion à la MSA, un revenu annuel de 12 000€
minimal, une autorisation d’exploiter délivrée par l’Etat. C’est le modèle
défendu par le Comité professionnel, composé de syndicats agricoles (sauf la
Confédération paysanne) présidé par la Chambre d’agriculture, chargé de
travailler sur le volet purement agricole du dossier NDDL. S’appuyant sur ce
principe, la préfecture n’examine que les projets agricoles ou para-agricoles
(maraîchage, plantes aromatiques, apiculture, verger, tannage...) et n’accepte
de signer que des conventions d’occupation précaires. Le Comité de pilotage
« sur l’avenir des terres agricoles de la ZAD, chargé d’étudier les
dossiers, soutient l’administration : en effet, nombreux sont ceux qui
voient d’un mauvais œil la régularisation des opposants dits « illégaux ».
FNSEA 44, Coordination rurale sont peu enclins à autoriser les néo-ruraux
contrairement à la Confédération paysanne, l’ADECA et Copain 44 (2) qui
poussent à respecter la dimension collective des projets présentés.
Les
opposants à cette conception, sont défenseurs d’une une vie agricole autonome, détachée des contraintes
normatives
écrasantes, revendiquant le droit à une gestion collective. En ce sens, une
« assemblée des usages » de la ZAD, fin mars, constituée en
association « Pour un avenir commun
dans le bocage », a adressé en préfecture une proposition de
convention collective permettant de pérenniser les différentes activités
agricoles, artisanales, sociales ou culturelles à l’œuvre dans la ZAD ainsi que
les habitats. Comme alternative à la voie unique des conventions d’occupation
précaires, un projet d’ensemble « Projet coopérative ZAD » a été
construit, décrivant les interactions vitales que chacun entretient avec
l’autre dans ce territoire de 270 hectares, incluant les activités
para-agricoles, artisanales (menuiserie, mécanique agricole, forge..),
culturelles (bibliothèque, radio, centre de rencontre…) et de distribution
(épicerie solidaire...).
Projets
non retenus. Ils représentent sans doute « le désordre » que Macron et ses ministres veulent faire
rentrer dans l’ordre. Au-delà de sa victoire contre l’aéroport, la ZAD exaspère
au sommet de l’Etat. Il faut en finir.
Ce que
représente la longue résistance de la ZAD de NDDL
Dans
la ZAD et ailleurs, un certain nombre d’agriculteurs se battent contre l’agriculture
industrielle, promue par l’Etat et ses ministres de l’agriculture successifs,
les industriels et les syndicats, notamment la FNSEA, qui défendent la concentration productive
capitaliste. Il s’agit d’éliminer l’activité agricole autonome, la
normalisation y contribue largement. Depuis 20 ans, le contrôle normatif n’a
fait que s’accélérer sous couvert de normes sanitaires et environnementales à
développer. Il s’impose à toutes les fermes, les plus petites comme les plus
grosses, bénéficiant ou pas de primes agricoles ; il les contraint,
« en douceur », à la production industrielle ou à l’interdiction
d’exploiter, en imposant des équipements matériels et des règles administratives
contraignantes à mettre en œuvre : cultures répertoriées, revenus et déficits
contrôlés, semences certifiées, haies, arbres ou ruisseaux photographiés et mesurés,
étables, fromageries, tueries, conserveries, cuisines, véhicules, agréés, fromages, légumes ou viandes analysés,
tracés, étiquetés… Peu à peu, les liens aux animaux, aux plantes, à la nature deviennent
actes comptables, objets de gestion. La vie agricole est depuis 60 ans parmi
les plus administrées, orientées, contrôlées et réprimées. Même dans les
campagnes les plus reculées, règlements et normes créent des conflits entre
agriculteurs et administration, dépossèdent l’agriculteur de son métier via des
conseillers qui dictent leur comportement. La ferme est un lieu de production,
en concurrence avec les autres. Il suffit de voir le modèle allemand
d’agriculture « écologique » où plus un animal ne vit dehors, où
s’alignent des kilomètres de bâtiments agricoles gérés par des technologies
« écolo » et où travaillent quelques opérateurs. Le résultat de
cette politique est éloquent : en France, depuis 60 ans, 90 % des
agriculteurs ont disparu, cette élimination a été cogérée par l’Etat,
l’industrie et les syndicats agricoles (FNSEA principalement), soutenus par les
politiques européennes et de l’OMC.
Pendant
que l’industrialisation de l’agriculture s’impose, les mêmes qui la défendent,
refusent d’interdire le glyphosate et autres pesticides. Et pourtant, l’abus de
normes et de produits soi-disant protecteurs n’empêche pas « la vache
folle » et autres bactéries contaminant reblochon et produits laitiers. C’est
bien que l’objectif est ailleurs, dans le rendement toujours plus grand ! Pour
persister, l’agriculture doit s’extraire de tous les lobbys du matériel, de
l’alimentation, des pesticides et autres produits chimiques, etc… Ce n’est pas
le manque de normes qui la tue, c’est l’industrialisation à marche forcée qui la
fait disparaître.
Ce
que la longue résistance à la ZAD de NDDL démontre, c’est qu’il est possible de
vivre en commun sur un territoire donné. La vie agricole commune est possible,
plus, elle est nécessaire pour résister à ce modèle qui ne défend pas
l’agriculture mais la fait mourir. Plus de 10 000 fermes disparaissent
chaque année pour être rachetées par des sociétés agricoles gigantesques,
employant des opérateurs. Les suicides se multiplient : plus de 1 000
par an (3 fois plus que dans toutes les autres catégories professionnelles).
Ce
que nous devons aux résistants de la ZAD c’est la preuve vivante qu’une
agriculture collective, éloignée des normes trop drastiques, est
possible : ceux qui se sont installés illégalement à NDDL, agriculteurs ou
non, sur des parcelles à l’abandon ou dans des bâtisses en ruines, ont été
déterminés à le prouver. Une vie collective s’est reconstituée (3). Les
résistants de la ZAD, pour certains, ont posé la question de la
propriété : à qui appartient la terre ? Est-elle un bien
commun pour lequel les exploitants ont un droit d’usage ? La terre, un
moyen collectif de production ? Ces questions ont traversé les
discussions, débats, prises de paroles entre les ZAdistes… Elles sont
essentielles face aux prédateurs de l’agro-industrie, qui s’approprient la
terre et ses ressources pour en tirer profit.
La
négociation, facteur de division ?
L’Etat,
ne voulant pas examiner les dossiers des « non agricoles » tente la division en
opposant les habitants « jusqu’auboutistes », « radicaux »
aux « raisonnables » « légalistes », entre
« chieurs-punk-à-chien-relous-anarchistes-primitivistes-schlags-bouffons »
et « stratèges-pragmatiques-intellos ». Ces divisions occultent le
sens politique de ce qui se joue actuellement sur la ZAD. D’un côté il y a ceux
qui choisissent le « jeu de l’Etat » et de l’autre, ceux qui tentent
de s’en défaire.
La
terre où sont installés les zadistes, pour l’heure, appartient à l’Etat (qui va
la rétrocéder au conseil départemental). L’idée des Zadistes était, donc, de
créer une entité juridique pour s’approprier légitimement les terres, permettant
à tous les habitants de rester vivre sur la ZAD, comme au Larzac ; sauf
que là-bas, le contexte était différent : il n’y eut aucune velléité
d’occuper les terres pour remettre en cause une agriculture prise dans le
processus industriel ; à l’époque l’industrialisation de l’agriculture
n’était pas remise en cause.
A
contrario, sur la ZAD, ceux qui sont venus s‘installer sont en rupture avec la
normalisation industrielle imposée, Habitats et activités agricoles ou
artisanales, installés dans l’illégalité, ont pu rester grâce au rapport de
force permanent sur place. Ce qui faisait unité entre eux était l’illégalité dans
laquelle ils se trouvaient en même temps qu’un rapport poétique et collectif face
au monde agricole industrialisé, individualiste et productiviste. L’Etat
remettant la main sur la ZAD, il ne pouvait qu’imposer le « droit »
et exiger le retour à la légalité. Le « on défend tout le monde » ne
pouvait donc plus se mettre en œuvre ; entrer en négociation avec l’Etat,
mettait automatiquement en danger la majorité desdits « non–régularisables »
(une centaine d’installations et habitats précaires non réglementaires, cabanes…).
Dès lors, l’entrée en négociation avec l’Etat annonçait la perte de la bataille
sur la défense d’une agriculture autonome, car tous les « illégaux »
n’ont pas les mêmes « intérêts » à agir.
En
conséquence, l’unité d’action fut rompue dès qu’un certain nombre déposèrent
les dossiers personnels en préfecture, pratiquant, sans le vouloir, le tri
entre les « régularisables » et les « non régularisables ».
Mais,
qu’aurait-il fallu faire pour sortir de l’impasse ? La question essentielle
est celle de la mobilisation permanente et croissante, pour faire face au bras
armé de l’Etat. Car, même si depuis 10 ans, la ZAD a mobilisé des milliers de
soutien, cela reste bien trop faible face à la puissance du système capitaliste.
C’est en quelque sorte le même processus que vivent les paysans luttant dans
leurs fermes ; épuisés, ils finissent par abandonner.
« Rien n’a jamais été obtenu en négociant,
sinon de fausses victoires toujours là pour préserver les intérêts du capital
et satisfaire les syndicalistes prompts à prendre des vessies pour des
lanternes » (4). « Cette réalité peut être mesurée dans le cadre
de la lutte contre les pesticides. Récemment les anti-pesticides négociateurs
se réjouissaient d’avoir obtenu à l’échelle européenne l’interdiction de
quelques néo-nicotinoïdes tueurs d’abeilles. Mais cette interdiction est un
cache-sexe d’une industrie mortifère qui déverse déjà ses nouvelles molécules
pas encore interdites ou qui confectionne les robots désherbeurs de demain qui
remplaceront les paysans dans les campagnes. 30 ans de négociations implacables
ont permis d’obtenir l’interdiction de près de 100 molécules, alors que dans le
même temps, la consommation de pesticides augmentait de 15 000 tonnes par
an ». Le capitalisme a une capacité à s’adapter infinie !
A
NDDL, « avoir repoussé l’emprise
étatique durant tout ce temps est une victoire en soi. C’était à cet esprit-là
qu’il fallait recourir, insiste le
Collectif contre les normes, c’est-à-dire engager
le conflit sur le terrain de la légitimité de l’illégalité, vécue pendant 6
ans ; cela aurait permis de ne pas s’enfermer dans un territoire
d’exception qu’il fallait à tout prix défendre. Il poursuit : Il y a de
l’indécence de la part des négociateurs à imaginer rester sur
« zone » quand ils ont pu s’y installer grâce à la solidarité
permanente qui s’y est développée et qu’ils vont pouvoir y rester parce qu’ils ont
rompu cette solidarité. Une indécence d’autant plus grande, et dérisoire, car
ce qui va s’y gagner, c’est la simple possibilité de s’installer en agriculture
sur quelques hectares. Chose qui peut se faire partout en France d’autant plus
facilement que les fermes se transmettent par milliers ces temps-ci et qu’il
n’y a pas besoin de mobiliser des dizaines de milliers de personnes pendant 6
ans pour rendre ces simples transactions financières possibles ».
Certes,
les luttes ne sont jamais un long fleuve tranquille, où l’harmonie règne
spontanément, ce qui fait unité c’est l’adversaire que l’on combat… Le projet d’aéroport
étant abandonné, la question qui se pose est sans doute à rediscuter par les
zadistes installé légalement ou non : Que combat-on ? Pour
quoi ?
Le
point de vue du Collectif hors normes
est intéressant dans le sens où il nous permet d’en retenir une « leçon » :
« Les négociations n’ont jamais rien apporté aux luttes, aussi sincères,
dures et solidaires qu’elles aient été. Il suffit de lire l’article dans ce
numéro sur Mai 68 pour comprendre que si le système étatique tel qu’il existe n’est
pas remplacé par une force démocratique et des instruments de contrôle, il a
les moyens de l’emporter sur une lutte ou une révolte, en appelant à la
négociation ou au « dialogue social », divisant le camp des résistants.
Cela nous renvoie aussi aux « printemps arabes ».
Mais,
pour ne pas enterrer la lutte de la ZAD à NDDL qui n’est pas terminées, voici
une note plus positive de Kristin Ross (5). Cette « accumulation
d’expériences, de solidarités et de partages » constitue une telle menace
pour le néolibéralisme qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à déchaîner autant de
violence. La ZAD n’est pas une utopie mais une communauté qui fonctionne depuis
10 ans Elle contredit le récit classique selon lequel 68 aurait
épuisé et enterré les dernières illusions révolutionnaires et que désormais,
faute d’alternative, il faut renoncer à changer le monde ». (5)
Odile
Mangeot, le 24.06.2018
(1)
DDT - Direction
départementale des Territoires : fusion de l’ex-DDE (direction
départementale de l’Equipement et de l’ex-DDAF – direction départementale de
l’agriculture et de la forêt) décidée dans le cadre de la RGPP (révision
générale des politiques publiques) en 2009
(2)
ADECA :
Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport. COPAIN
44 : Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles Indignés par
le projet
(3)
Cf documentaire
« Les pieds sur terre » de
Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller, sur le hameau du Liminbout, au cœur de
NDDL
(4)
Extraits de
« Appel pour retrouver un sens
politique à la lutte qui se mène aujourd’hui sur la ZAD » du 14 mai
2018, écrit par quelques agriculteurs et agricultrices du Collectif contre les normes
(5)
Extraits de
« Eloge des mauvaises herbes. Ce que
nous devons à la ZAD ». Ce livre regroupe les contributions écrites
par 16 personnalités pour montrer ce qui se joue à NDDL : l’écrasement
d’une preuve vivante qu’un autre monde est possible. Ouvrage collectif
coordonné par Jade Lindgaard, éd. Les Liens qui libèrent, juin 2018
Encart
1
« Légitime » défense ?
Deux
jours après que Maxime ait perdu une main arrachée par l’explosion d’une
grenade à la ZAD NDDL, le gouvernement a attribué un marché de plus de 17
millions d’euros pour des grenades et des fusils de lancement. Selon un rapport
de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) en 2016, la
France est « le seul pays européen à
utiliser des munitions explosives en opérations de maintien de l’ordre ». Politis
n° 1505
Encart 2
Quelques repères
1963
– recherche d’un site pour un nouvel aéroport
1974
– création de la ZAD Notre-Dame-des-Landes (1 225 ha)
2000
– Gouvernement Jospin relance du projet en sommeil depuis 25 ans
10.02.2008
– Gouvernement Fillon annonce la Déclaration d’utilité publique. Expropriations
08.2009
– début de l’occupation de la ZAD
30.12.2010
– Vinci (via sa filiale AGO – Aéroports du Grand Ouest) obtient la concession
(de 55 ans) pour le nouvel aéroport
2012
– Gouvernement Ayrault décide une intervention policière d’évacuation : Opération
César oct/novembre. Les opposants au projet l’emportent. Suspension des
expulsions
2015
– rejet des recours. Poursuite du projet
20.02.2016
– consultation publique des électeurs de Loire Atlantique (Valls)
13.12.2017
– remise du rapport de la mission de médiation
17.01.2018
– abandon du projet d’aéroport