Le RIC,
c’est pas magique !
La
revendication, ou plutôt l’aspiration, à être consulté périodiquement, face au
césarisme présidentiel, fait prospérer l’idée du référendum d’initiative
citoyenne (RIC). De même, le rejet de la démocratie, dite représentative,
semble conforter cette méthode, consistant à en appeler directement, sans
intermédiaire, au peuple. Bien qu’elle soit à la disposition des populations
dans différents pays, comme la Suisse, l’Italie et certains Etats des USA, cela
ne semble pas interroger ses promoteurs en France. Certes, ces exemples sont
des formes atténuées par rapport au contenu du RIC : législatif,
révocatoire, abrogatoire et constituant. Mais la seule question réelle et non
idéelle à se poser, c’est comment l’imposer dans le contexte actuel.
Les
réponses, lorsqu’elles ne sont pas éludées, sont singulièrement
simplistes : il suffirait de recueillir un nombre significatif de
signatures sur une question pour la soumettre aux parlementaires, aux
ministres, en faisant appel à leur sens de la démocratie, ou (et), à la
pression qui s’exercerait sur eux, pour qu’ils consentent à obéir à cette
injonction « populaire ». N’est-ce pas là retomber dans le
« crétinisme parlementaire » ou dans l’idéalisme d’un Droit qui ne pourrait
que prospérer ?
Le
RIC ou rien résoudrait tout. Ce serait la voix du peuple. C’est occulter que le peuple est une construction historique,
insérée dans une société, ou plutôt dans une formation sociale, travaillée par
des rapports de classes où « l’idéologie dominante » est (peu
ou prou) l’idéologie des classes dominantes. Cette constatation en appelle à la
lutte pour l’instauration d’une nouvelle hégémonie (une autre manière) de
penser le monde concret. L’invocation de la Grèce antique ou de la révolution
française de 1789 est-elle une objection majeure à ce constat réaliste ?
Ce
que l’on appelle le siècle de Périclès,
où ce « stratège » s’impose contre l’aéropage des aristocrates, où le
« peuple », dès lors, débat dans l’agora, pratique le tirage au sort,
réduit l’influence des « notables » (armateurs, constructeurs de navires…).
Cette lutte de classes institue un peuple de 40 000 citoyens, sur une
population de 400 000 hommes (pas les femmes) à Athènes. C’est une démocratie ségrégative où ceux qui
décident ne travaillent pas ; ils possèdent le droit de décider
précisément parce qu’ils possèdent des esclaves et des métèques. La Grèce de
l’époque est, en fait, un impérialisme maritime qui, d’ailleurs, brise toute
révolte de la plèbe et refuse les droits
civiques aux enfants de citoyens, issus de femmes « étrangères »,
barbares.
Quant
à la révolution française, vis-à-vis de laquelle l’on peut se référer à la Constitution
démocratique de 1793, jamais appliquée, l’on ne peut faire l’impasse sur sa
signification : une intense lutte de classes où le Tiers Etat s’impose
comme peuple-nation contre les ordres que sont l’aristocratie et l’Eglise.
Cette
supplique au RIC contre la démocratie dite représentative, reflet déformé, de
fait, de la suprématie des classes dominantes, invoque, pour se faire valoir,
la composition sociologique des assemblées parlementaires. Certes, y dominent
les vieux, les riches, les hommes. Mais cet argument est-il pertinent par
rapport au contenu de l’alternative au système ? Les jeunes, les pauvres,
les femmes composeraient-ils un peuple pur ? Qu’aurait donné le recours au
RIC dans l’Allemagne de la montée du nazisme dans les années 30 ? Autre
chose que l’avènement de Hitler ? Ou, dans la France coloniale sous la 3ème
République, ou lors du débat de la guerre d’Algérie, ces
« évènements » où la seule question était celle de mater les terroristes ?
On peut aligner bien d’autres exemples, comme celui de la France pétainiste des
années 1940 à 1942 pour le moins.
Bref,
les « chouardises », si elles s’appuient sur l’aspiration à un
renouveau démocratique, semblent faire l’impasse sur la réalité d’intérêts
antagoniques au sein de la formation sociale française. Pire, elles semblent
appeler à une réconciliation des classes, elles entretiennent des illusions sur
le contenu du combat à mener contre la domination de l’oligarchie et la nature
de l’appareil d’Etat dont elle dispose. Pour l’heure, c’est la persistance de
la mobilisation et la détermination des Gilets Jaunes ainsi que sa possible
structuration démocratique qui est décisive pour modifier le rapport de forces
jusqu’à provoquer une crise politique d’envergure. Celles et ceux d’en bas
seront en capacité de prendre le pouvoir, pour et par le peuple construit, en
opposition antagonique avec l’oligarchie du capitalisme financiarisé. Nous n’en
sommes pas encore là, loin s’en faut.
Gérard
Deneux, le 22.01.2019
Cet article fait partie d'un débat contradictoire sur PES n° 50
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