Tchad :
frappes aériennes françaises. Ingérence ?
Attention !
Un média-mensonge peut en cacher un autre ! A occuper les écrans et les radios de
contre-informations sur les Gilets Jaunes, les affublant de qualificatifs de
violents, casseurs, extrémistes, ultras… et
antisémites, les faiseurs d’opinion en oublient ( !) de nous dire
que Macron et son gouvernement sont en train de fignoler leurs réformes
antisociales, contre la fonction publique, contre les chômeurs… Ils en ont même
omis ( !) de nous dire que l’’aviation française a bombardé le nord est du
Tchad début février ! On ne peut tout de même pas classer dans les faits
divers les Mirage 2000 larguant quelques bombes et repartant aussitôt !
Pour quoi faire ? Défendre les Tchadiens contre les « terroristes »
ou le dictateur Idriss Déby contre son opposition ? En tout cas, la France,
fidèle à ses garants de la Françafrique, a volé au secours du dictateur Déby
sans trop s’interroger sur la légalité de la procédure. Ce n’est, hélas, pas la
première fois.
Idriss Déby,
verrou stratégique de la France en Afrique
Du
3 au 6 février, des Mirage 2000 des forces armées françaises ont bombardé une
colonne de rebelles tchadiens venant de Libye et entrant dans le nord est du
Tchad. En coordination avec l’armée tchadienne, une vingtaine de frappes ont
détruit une vingtaine de véhicules - pouvant convoyer chacun jusqu’à 10
combattants. Y a-t-il eu des morts, des blessés ? Zéro journaliste dans la
zone des bombardements. Silence total. Un fait divers, de la Françafrique en
quelque sorte !
Rien
de bien exceptionnel au Tchad, qui après son indépendance en 1960 (sous
protectorat français en 1900 puis colonie de l’Afrique Equatoriale Française à
partir de 1920), a connu le plus grand nombre d’interventions militaires. Au cours
des années 1960/1970, la France a mené une véritable guerre
contre-insurrectionnelle contre les troupes du Front de libération nationale du
Tchad (Frolinat). A partir des années 1980, le Tchad avec l’aide de Kadhafi met
en place Goukouni Oueddei ; il sera renversé par Hissène Habré en 1982, aidé
par la France qui interviendra, dès 1986,
sous forme de l’opération Epervier pour maintenir en place cet
allié indispensable dans la politique contre
la Libye de Kadhafi. En 1990, Hissène Habré sera renversé à son tour par
Idriss Déby, à la tête d’une rébellion armée partie du Darfour soudanais,
toujours avec le soutien de la France. Si les causes d’intervention et les
modes opératoires ont varié, le constant soutien aux régimes mis en place a
subsisté au nom de la nécessaire « stabilité » du pays permettant,
surtout, le maintien de la présence française dans cet espace stratégique
d’Afrique centrale. C’est ainsi que l’opération Epervier de 1986 prend fin… en
août 2014 pour laisser la place à l’opération Barkhane « contre le
terrorisme », le plus important déploiement français en opération
extérieure.
Idriss
Déby, depuis 1990, fait face à diverses rébellions. Il a toujours bénéficié du
soutien des gouvernements français, plus ou moins discrètement, sous forme de renseignements
pour l’armée tchadienne, de coups de semonce, de contrôle de l’aéroport,
aujourd’hui, sous forme d’une attaque aérienne contre les rebelles tchadiens !
C’est dire que la présence française et
l’opération Barkhane dans cette région de l’Afrique n’est pas prête de se
clore ; le gouvernement Macron se permettant, sous son couvert, une
intervention directe, alors même qu’il s’agit d’une rébellion menée par une
colonne d’opposants armés, se revendiquant de l’UFR (Union des Forces de la
Résistance) ayant l’objectif de prendre le pouvoir à N’Djamena.
Légalité des
frappes aériennes de février 2019 ?
Si
l’on se réfère au droit international, il s’agit d’une intervention à
l’intérieur du pays mais, précise la ministre des armées, « à la demande de l’Etat » en
question. Il n’y a donc pas besoin de cadre légal international (de type
traité, résolution de l’ONU, etc.) pour l’autoriser (ce que confirme
l’association Survie dans une analyse
reprise dans ce texte (1). Il est en revanche nécessaire de questionner la
légitimité politique d’une telle assistance directe dans un conflit armé
interne.
Sur
le plan légal franco-tchadien, la France n’a
plus « d’accord de partenariat de
défense » avec le Tchad (depuis 1975) (contrairement au Cameroun, à
la Centrafrique, aux Comores, à la Côte d’Ivoire, Djibouti, au Gabon, Sénégal
et Togo). Elle a, par contre, signé avec le Tchad un « accord de coopération
militaire technique » en 1976 consistant à mettre à disposition
des militaires français pour l’organisation et l’instruction des forces armées
tchadiennes. Cependant, ces personnels militaires « ne peuvent en aucun cas
participer directement à l’exécution d’opérations de guerre, ni de maintien ou de rétablissement de
l’ordre ou de la légalité ».
En
l’occurrence, l’accord de 1976 ne couvre pas le stationnement de forces armées
françaises au Tchad et l’opération Epervier est close depuis 2014. Pour couvrir
l’opération du 3 février, le premier ministre s’est empressé d’appliquer
l’alinéa 1 de l’article 35 de la Constitution : « le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir
les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention.
Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un
débat qui n’est suivi d’aucun vote ». Il a donc adressé un sibyllin courrier
aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce 6 février « J’ai l’honneur de vous informer… que le
gouvernement a décidé de faire intervenir ses forces armées au Tchad contre des
groupes armés venus de Libye, en réponse à la demande d’assistance des
autorités tchadiennes…). Il a omis de préciser dans quel cadre cette
intervention était programmée ; ce ne peut être au nom de l’accord de
coopération militaire technique de 1976 puisqu’il interdit l’intervention
directe à des opérations de guerre. Alors, au nom de l’opération Barkhane, sans le dire, car celle-ci est menée en violation de la Constitution française.
En effet, le 2ème alinéa de l’art. 35 précise : « lorsque la durée de l’intervention excède
quatre mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du
parlement. Il peut demander à l’assemblée nationale de décider en dernier
ressort ». Or, la prolongation au-delà de 4 mois de l’opération
Barkhane, déclenchée le 1er août 2014, avec des forces militaires
françaises importantes à N’Djamena au Tchad et à Gao au Mali, n’a jamais été soumise au Parlement. Interpelé
par l’association Survie en 2015, Le Drian a prétendu que cette opération
s’inscrivait dans le prolongement des opérations Serval et Epervier (autorisées
par le parlement), sauf que Barkhane couvre 5 pays du Sahel (Mauritanie, Mali,
Niger, Tchad, Burkina Faso) alors que « Serval » couvrait le seul
Mali et Epervier le seul Tchad et que leurs objectifs affichés ne sont pas les
mêmes. En conséquence, l’intervention des Mirage 2000 dans un conflit
tchado-tchadien n’aurait pas lieu d’être légalement. Il ne faut pas compter sur
le Parlement pour relever cette « anomalie », devenue « système
de la Françafrique ». Le 19 janvier 2015, l’association Survie a dénoncé,
par un courrier aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’illégalité
de Barkhane mais ceux-ci ne se sont jamais saisi de cette opportunité de rouvrir
le débat sur le rôle de l’armée française au Sahel, tout comme aujourd’hui au
Tchad (1).
C’est
dire combien le néocolonialisme imprègne les esprits des parlementaires,
ceux-ci considérant que toute intervention en Afrique, sur l’ancien pré carré
de la France, est légitime, donc, peut être menée illégalement. Au fond, ils
sont d’accord avec le régime présidentialiste français qui donne pouvoirs au
Président, seul, pour faire la guerre !
Survie s’interroge sur l’existence ou non d’un accord spécifique entre la
France et le Tchad - semblable au « traité de coopération en matière de
défense » qu’elle a signé avec le Mali le 16 juillet 2014 - sans que cela
soit officialisé… Ce qui est certain, c’est que la présence permanente de
l’armée française au Tchad, au titre de l’opération Barkhane, n’est encadrée ni
par un accord ni par un traité public.
Une
opération contre le terrorisme ou contre les rébellions ?
La
« guerre contre le terrorisme » est le prétexte au renouvellement du
soutien de la France à Déby, ce dictateur, « ami de la France »,
engagé militairement dans le dispositif français au Mali notamment, pour être
considéré comme le maillon central en Afrique centrale.
Les
rebelles de l’Union des Forces de la Résistance (UFR) menacent le pouvoir de
Déby, tout comme existent d’autres factions armées tchadiennes, au sud de la
Libye, prêtes à franchir la frontière. Un certain nombre de Tchadiens sont
partis pour combattre en Libye, contre rémunération, aux côtés du pouvoir de
Tripoli ou aux côtés d’Haftar (ancien officier de l’armée de Kadhafi passé à
l’opposition et devenu l’homme fort de l’est du pays). Une partie de ces
combattants, en conflit avec Haftar, risquent de rentrer au Tchad, ce que
redoute Déby. Quant à Firman Erdimi, chef de l’UFR – cousin du président proche
du pouvoir en 2004, vivant maintenant au Qatar – il promet démocratie et
liberté tout comme Déby l’avait fait en 1990…
Que
vient donc faire Barkhane dans une affaire tchado-tchadienne ? La
puissante armée tchadienne ne serait-elle pas capable de régler ce
conflit ? A moins que l’armée tchadienne n’ait pas voulu se battre ?
C’est une armée tribale où soldats et
rebelles appartiennent à la même tribu des Zaghawas (celle à laquelle
appartient aussi le président). Mais, surtout, l’armée subit les restrictions
et injustices flagrantes qui affectent aussi l’ensemble de la population. Les
soldes des militaires sont totalement disparates, à la tête du client. Certains
des 1 400 soldats engagés au Mali dans les forces des Nations Unies n’ont
jamais reçu le salaire de 1 500 dollars par homme qui est versé au
gouvernement tchadien par l’ONU. La situation pour Déby est explosive.
L’intervention aérienne de février est donc le résultat de la conjonction des
intérêts de Déby qui a besoin du soutien spectaculaire de la France et de ceux de
la France, qui veut pérenniser sa présence en Afrique centrale et pérenniser
son opération antiterroriste.
La
situation sociale au Tchad est aussi explosive. Depuis sa réélection en 2016,
au prétexte de juguler la crise financière (et notamment après la chute du prix
du pétrole) Déby a abaissé de façon unilatérale le salaire des fonctionnaires
qui gagnent environ 400 euros /mois. La répression s’est abattue sur les
opposants et les organisations de la société civile, notamment les jeunes de la
plateforme Iyina (« Nous sommes fatigués !»). La police politique,
aux ordres de Déby, la très redoutable agence nationale de sécurité (ANS)
traque, arrête, emprisonne et torture impunément. Disparitions, enlèvements.
Aucune voix discordante n’est tolérée. La répression vise toutes les couches
sociales. Depuis plusieurs mois, les écoles sont en grève, les fonctionnaires
non payés, le système de santé s’effondre, le revenu des officiers a été divisé
par 4. Si l’extraction du pétrole correspond à environ 65% des revenus de
l’Etat, cela ne bénéficie nullement à la population : près d’un Tchadien
sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté.
Cette
conjonction de situations de mécontentement a laissé penser aux rebelles que le
moment était venu pour renverser le régime.
La
France comme tous ceux qui soutiennent ce dictateur, ferment les yeux sur
l’étouffement et la répression féroce qu’il fait subir aux opposants et sur la
misère de la population. Elle a trop intérêt à faire durer le G5 Sahel, cette instance dite de coordination en
matière de politique de développement et de sécurité. Cette structure se réduit,
de fait, à sa seule force armée conjointe, avec l’objectif de regrouper
5 000 hommes, même si le fonds fiduciaire devant gérer les contributions
financières reste une coquille vide. Sur les 414 millions d’euros promis par la
communauté internationale pour 2018, 200 millions ont été engagés. Et l’on ne
voit pas bien comment ces pays pourraient devenir responsables de leur propre
sécurité alors même qu’ils restent dépendants des financements extérieurs
aléatoires. La France, quant à elle, souhaite déléguer une partie du coût
financier des opérations, mais surtout récolter les fruits de cette structure, comme
un renouveau du système concessionnaire colonial sur le mode sécuritaire.
L’UE vient de décaisser 50 millions pour l’achat de gilets pare-balles
français, l’Arabie saoudite promet 100 millions pour l’achat d’équipements
militaires français… Une visite récente de l’ANS tchadienne à la DGSE permet de
discuter de la coopération franco-tchadienne : dons de matériels de guerre,
d’équipements de maintien de l’ordre… à la garde nationale nomade tchadienne…
sachant que celle-ci participe à la garde des frontières.
Au
titre de la lutte contre le terrorisme, le contrôle aux frontières permet à
Déby de classer « terroristes » tous les rebelles tchadiens même
s’ils ne figurent pas sur la liste des mouvements terroristes de l’ONU, ou des
orpailleurs que la clique de Deby souhaite chasser pour s’accaparer les mines
de Miski, ou encore des migrants qui transitent entre les territoires libyen et
soudanais. Les bombardements de l’armée tchadienne dans les localités aurifères
du Tibesti illustrent la confusion pratique dans l’emploi du terme terroriste
pour contrôler les mines d’or.
Pour
conclure
En
plus de 28 ans de pouvoir sans partage, le clan Déby a su asseoir un pouvoir
prédateur, corrompu, répressif, clientéliste, despotique et… porté à bout de
bras par les gouvernements successifs français, depuis François Mitterrand. « A l’heure où j’écris ces lignes, ce
dictateur, ami de la France, refuse de payer les salaires des fonctionnaires ;
il continue de faire enlever des activistes, des opposants mais le soutien de
la France demeure intact, sur la plan politique et militaire. Nous ne demandons
pas à la France d’agir en notre place ni de chasser Déby de son palais :
nous exigeons de la France qu’elle ne soutienne plus des dictatures abjectes et
prédatrices comme celle de Déby ». Al Khatib Noor (2). « Les jeunes
tchadiens sont désabusés et ne voient qu’une seule alternative : partir
coûte que coûte ! La France et l’UE voudraient que cette dictature qui
nous pousse à fuir, serve à retenir les candidats à la migration ? Qu’elle
devienne la gardienne des frontières extérieures de l’Europe ? ».
Cette
opération de février 2019 est un acte de soutien symbolique, par lequel la
France affirme que son armée interviendra quand Déby lui demandera. Les partenaires
européens sont aphones alors que cette partie du territoire tchadien compte des
enjeux en termes de migrations à venir. Quant à tous les questionnements que
pose cette acte d’ingérence dans les affaires interne du Tchad, ils laissent
indifférents les parlementaires français qui n’éprouvent pas le besoin de
lancer un débat politique de fond sur le soutien de la France au dictateur
Déby.
Odile
Mangeot, le 26.02.2019
(1)
https://survie.org
(2)
un lecteur
tchadien de Billets d’Afrique (dans
le n° déc 2018/janvier 2019)
Sources :
Billets d’Afrique, site de l’association Survie, Médiapart
Contre le
colonialisme français au Tchad
Les
Tchadiens et Tchadiennes immigré-e-s en France, affirment que le bombardement
par l’aviation française du 4 au 6 février a fait plus de 160 morts et a arrêté
puis remis à l’armée tchadienne plus de 250 personnes. Ils appellent à
manifester le 7 mars, devant l’Assemblée Nationale : « Nous n’avons
pas besoin de la France pour régler nos problèmes. Nous exigeons le départ
immédiat de l’armée française du sol tchadien. La colonisation est
terminée ! »
Publié
sur https://paris-luttes.info/