Pétitionnaires de tous les pays...
Pour
tenter de convaincre qu’il faut conjuguer réflexion et action collective, nous
publions ci-après des extraits de l’article de Benoît Bréville « Pétitionnaires
de tous les pays… » (Le Monde Diplomatique août 2020). Sans
quitter notre canapé, rien ne changera. Gramsci écrivait que seule la vérité
est révolutionnaire, encore faut-il préciser qu’elle est enfouie dans la gangue
de l’idéologie dominante qui la rend méconnaissable. C’est dire que les dominés
doivent « se lancer dans des
lectures impossibles » (dans La
nuit des prolétaires de Jacques Rancière), échanger, agir en toute
autonomie. Que les médias dominants façonnent l’opinion est une évidence de plus
en plus partagée mais celle-ci ne suffit pas à faire émerger des forces
organisées délivrées de toute illusion. Pétitionner encore pour que rien ne
change, attendre les prochaines élections, ou plus radical en apparence,
manifester pour nous faire entendre du pouvoir qui restera sourd aux doléances.
Or, le monde tel qu’il va voit surgir des révoltes à répétition qui, quand
elles ne sont pas brisées par la répression, sont manipulées afin que le cours
normal de l’ordre mondial reste, pour l’essentiel, inchangé, faute de
perspectives radicales. Et les élites après les remous et vagues successives se
remettent en selle. Les extraits ci-après sont une invitation à lire le Monde diplomatique. Certes, ce
n’est pas une publication révolutionnaire mais elle contribue à comprendre le
monde tel qu’il va. Dans le numéro d’août, Pierre Rimbert « sévit »
contre cette bourgeoisie intellectuelle héréditaire, David Garcia contre France Inter qui ne s’adresse qu’à
l’opinion la plus conformiste et bien d’autres encore, l’édito de Serge Halimi... Bref,
à la résignation, il faut opposer la force de l’intelligence éclairée afin
qu’elle ait un impact réel sur les rapports de forces sociales. Il y a urgence,
face aux dérèglements qui s’annoncent : crises sanitaire, économique,
écologique, sociale, famines et même la guerre, qui, potentiellement se
laissent entrevoir… GD
Pétitionnaires
de tous les pays
de Benoît
Bréville (extraits)
« Les vedettes s’ennuyaient pendant
le confinement. Elles ont donc fait des concerts de salon, des entretiens sur
webcam, des photos sur Instagram et même des performances engagées sur YouTube,
tels ces 25 artistes américains qui entonnèrent en chœur, depuis de luxueuses
résidences, Imagine, de John Lennon : « Imagine la fin de la
propriété. Imagine tous les gens se partageant le monde » (…) 200 artistes
et scientifiques ont signé le manifeste « Non à un retour à la
normale » lancé par la comédienne Juliette Binoche et l’astrophysicien
Aurélien Barrau, avec le soutien de Madonna, Robert De Niro et Emmanuelle Béart
(...) « La transformation radicale qui s’impose – à tous les niveaux
– exige audace et courage. Elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et
déterminé » (...) Et avec la pétition mise en ligne par Nicolas Hulot le 5
mai qui décline cent fois la phrase « Le temps est venu » ... d’en
finir avec les manifestes de bons sentiments ?
Ce n’est à l’évidence pas l’avis des
« 150 personnalités de gauche » (le communiste Ian Brossat,
l’écologiste Yannick Jadot, le socialiste Olivier Faure, M. Raphaël Glucksmann
de Place Publique…) qui ont publié, quelques jours après M. Hulot, la pétition
« Construisons l’avenir » (...). N’était-ce pas déjà l’idée de M.
Glucksmann quand il a créé, en novembre 2018, le mouvement Place publique
autour de l’appel « Agir avant qu’il ne soit trop tard » ?
(…) On retrouve dans tous ces textes les
mêmes grands principes flous et consensuels (réinventer l’Europe, imaginer une
planète solidaire, lancer une dynamique citoyenne…), la même volonté d’éviter
les sujets épineux (la monnaie unique, le protectionnisme, les alliances avec
le Parti socialiste) (…) En fait, n’importe quel sujet peut donner lieu à un
manifeste, qui trouvera toujours un journal ou un site d’actualité pour
l’accueillir (…). Rien qu’en février dernier, 160 personnalités se sont
mobilisées dans le Journal du dimanche pour dire « Stop aux écrans vidéo
publicitaires », 278 personnalités ont préconisé dans Politis la création
d’un comité de soutien aux mobilisations sociales, 140 autres (ou souvent les
mêmes) ont demandé dans L’Humanité l’organisation d’un référendum sur la
réforme des retraites. Sans parler des 27 maires pour les cantines sans
nitrite, des 1 000 scientifiques contre le réchauffement climatique, de
sportifs de haut niveau contre les violences sexuelles, des patrons de l’aéronautique
pour la transition écologique (…). Ces textes s’adressent également aux
anonymes, incités à ajouter leur paraphe tantôt via un site ad hoc, tantôt sur
Change.org, la multinationale américaine de la pétition en ligne (…) Il ne faut
que deux minutes pour défendre une cause sur internet (…), n’entraînant
pas de retenue de salaire ; tout risque de recevoir un coup de matraque,
d’inhaler du gaz lacrymogène, de terminer en garde à vue est exclu (…) pour ces
militants paresseux qui voudraient changer le monde sans quitter leur canapé
(...)
Les signataires professionnels s’abritent
souvent derrière une histoire glorieuse des pétitions quand il en coûtait
d’associer son nom à une cause. Les auteurs du « Manifeste des 121 »
sur le droit à l’insoumission pendant la guerre d’Algérie risquaient ainsi de
se retrouver en prison, d’être la cible d’un attentat de l’OAS). En, déclarant
« Je me suis fait avorter », les signataires du « Manifeste des
343 » s’exposaient elles aussi à des poursuites pénales ; et si
Catherine Deneuve et Simone de Beauvoir savaient qu’elles seraient épargnées,
de nombreuses anonymes furent poursuivies. A présent, la pire peine qu’encourt
une personnalité dénonçant la dérive autoritaire de M. Emmanuel Macron est d’être
invitée à en débattre sur France Culture ».
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