Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 31 août 2018


Trump s’en va-t-en guerre

Bluff d’un farfelu ou méthode de businessman ? Trump met en œuvre sa devise  « America First » en pratiquant  des coups de force, ça passe ou ça casse. Un certain nombre de son entourage proche ont été démissionnés ou sont partis, en désaccord avec les fourberies de Trump, avec les procédés de ce bonhomme qui n’a vraiment pas l’air très sérieux. Trump, lui, a l’air de s’en foutre. Il dirige. Les Etats-uniens diront mi-novembre, lors d’élections de mi-mandat, s’ils sont d’accord avec lui ou non.
 L’hyperpuissance étatsunienne serait-elle en désarroi ? Victime de la doctrine du libre-échange qui l’a rendue maître du monde en imposant aux autres puissances son rythme de croissance, ses règles d’échanges arrimées au puissant dollar ? En perte de vitesse pour maintenir sa suprématie économique ?
Trump a ouvert la guerre commerciale avec la Chine, refermant la période des grands marchés transatlantiques en cours de discussion avec l’Union Européenne. Il réinstaure les vieilles mesures protectionnistes et, en même temps, il profite des divisions de l’Europe pour l’affaiblir, voire la faire éclater.  
Cette course en tête, il la mène en reniant les accords signés par son prédécesseur (accords de Paris, de Vienne). Est-il en capacité de la tenir, alors même que dans le marigot des grands, des alliances se constituent sur fond de guerres, contraignant les Etats-Unis à maintenir leur présence dans des territoires où ils se sont enlisés. Là encore, il est surtout question de garder des avant-postes au Moyen-Orient, pour y tenir une place stratégique et économique primordiale.
Cette politique trumpienne est-elle tenable ? Ou est-on en train d’assister au basculement du monde (cf éditorial PES  n° 45) ?       


Affaiblir, diviser encore plus, l’Union Européenne

Théresa May est empêtrée dans un soft Brexit, alors que Nigel Farage (UKIP – parti europhobe), défenseur du hard Brexit crie à la trahison des électeurs. Trump l’a soutenu et clame : « divorcez de l’Europe » et signez un accord bilatéral avec les Etats-Unis. Angela Merkel est politiquement affaiblie. Les politiques anti-immigration l’emportent dans les pays de l’Est européen, mais aussi en Italie, permettant la présence de l’extrême-droite dans les gouvernements (en Hongrie, en Autriche, en Italie…). Le vibrionnant Macron, en montant sur la scène européenne, prétend qu’il va « refonder » l’UE, accueillant Trump avec force poignées de mains viriles,  bourrades dans le dos, gesticulations… inutiles. Trump, fidèle à lui-même, assène, lors du G7 les 8 et 9 juin 2018 « Il y a trop de Mercedes à New York et si peu de Chevrolet en Europe » comme un avant-goût de son America First.  Il n’a pas lâché sur son retrait de l’accord de Paris (climat) ni de l’accord de Vienne (nucléaire iranien), ni sur la taxation des produits européens importés par les Etats-Unis, à savoir + 33% sur l’acier et + 30% sur l’aluminium. Macron, fier de ses formules managériales (la « start-up nation France ») a trouvé à qui parler, un businessman sans principes (cf encart 1), imposant son unilatéralisme brutal, se moquant des six autres pays du G7, partisans zélés de tous les accords de libre-échange.

Il veut maintenir son pouvoir aux Etats-Unis et, dans son pays, use de démagogie xénophobe pour rallier les « blancs en col bleu », les ouvriers de la « ceinture de la rouille », cette région industrielle sinistrée qui va de Chicago aux côtes atlantiques en longeant les grands lacs. Trump y avait raflé la mise lors des élections. Pour rallier ces électeurs, il n’hésite pas à tonitruer : « l’UE est une ennemie, avec ce qu’ils nous font dans le domaine du commerce ! ». Au-delà du style outrancier et imprévisible de Trump, il faut y voir la dénonciation du système multilatéral de domination du capitalisme financiarisé, qui ne profite pas assez aux Etats-Unis, selon lui ; c’est la remise en cause de l’OMC, de la Banque mondiale et sa volonté de casser l’UE, déjà bien fragile.

Certes, les USA ont une balance commerciale déficitaire de 150 milliards de dollars avec l’Europe, ils importent plus qu’ils n’exportent. Par ailleurs, ils doivent se plier aux règles de l’OMC, institution contestée par Trump. En gros, il veut décider seul de ce qui est bon pour l’Amérique. Les accords multilatéraux qui le contraignent, ça ne lui plaît pas. Ainsi, les Etats-Unis taxent les importations automobiles à 2,5% alors que les Européens taxent les importations automobiles à 10% pour le reste du monde. Ainsi, la condamnation par l’UE de Google à une amende de 5 milliards de dollars pour abus de position dominante. En rétorsion, Trump a envisagé début juillet de taxer les importations automobiles de 20 à 25%. Juncker, qu’il qualifie de « tueur brutal » a temporisé cette surenchère. Armistice de façade : la taxation des automobiles européennes serait mise en sommeil contre l’achat par l’UE de plus de soja et de gaz naturel US…

Face à ces attaques, Angela Merkel appelle à renforcer l’autonomie européenne, prônant un « partenariat équilibré », n’acceptant pas les décisions prises par les USA à l’insu de l’Europe. L’UE doit former un contrepoids quand les USA « dépassent les lignes rouges » dit-elle, évoquant la sortie américaine de l’accord sur le nucléaire iranien. Pour les firmes européennes, le coup porté par Trump est cruel, il impose sa loi au monde en décidant des sanctions américaines aux entreprises commerçant avec l’Iran ; les entreprises françaises (Total notamment) ont tété sommées de choisir entre un marché prometteur en Iran et le risque d’être bannies du marché US (encart 2). Renforcer l’autonomie signifierait, entre autres, pour Merkel déployer l’Europe de la défense avec des dépenses militaires en augmentation, définir une taxe numérique sur les bénéfices des géants américains de l’internet, créer un fonds monétaire européen, une alternative au réseau international Swift (cf encart 3), etc. Le chef de la diplomatie allemande appelle au-delà de l’Europe à une « alliance pour le multilatéralisme (Japon/Corée du Sud/Canada) ». (cf encart 4). Panique et discordes dans le bateau européen.

Les positions de Trump contre l’OTAN font aussi partie de sa stratégie de diviser l’Europe, en faisant alliance avec Poutine sur cette question. Il veut augmenter la contribution financière des Etats membres et imposer l’achat de matériels de guerre étatsuniens, refusant toute préférence européenne. 

Son pari de déstabiliser l’UE pourrait être gagnant, tant celle-ci est déjà divisée, sans politique étrangère commune ni de défense européenne, sans politique financière et économique cohérente, sans politique d’immigration, etc. Le soutien de Trump aux nationalismes xénophobes en Europe fragilise les partis traditionnels ; ses attaques contre l’OMC et autres institutions internationales, visent à revenir à un protectionnisme sélectif pour endiguer le déclin de la domination mondiale des USA.

L’UE ne fait pas le poids face à l’encore « géant » américain. Par contre, son « ennemi » chinois est sans doute plus dangereux aux yeux de Trump.

Attaques commerciales contre la Chine

En décembre 2017, un rapport de la National Security Strategy définissait la Chine comme un « rival stratégique » des Etats-Unis. C’était le début de l’offensive américaine.

Les USA sont en déficit commercial avec la Chine : en 2017, la Chine a importé 130 milliards de dollars de marchandises US et les Etats-Unis ont importé 505 milliards de produits chinois, soit un déficit de 375 milliards. Pour pousser Pékin à corriger le déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays et mettre fin à des pratiques qui défavoriseraient les entreprises US, Trump attaque sur le front commercial : il décide d’élever à 25 % les droits de douane sur un certain nombre de produits made in China, représentant un montant de 34 milliards de dollars. Le 22 août, nouvelle escalade : quelque 16 milliards de dollars d’importations chinoises supplémentaires sont taxées à 25%. La Chine riposte et annonce une taxe de 25% sur une liste de 106 familles de produits américains importés (petits avions, soja, voitures…) représentant 16 milliards de dollars.

Et ce n’est pas tout. Bluff ? Washington planche sur un prochain train de taxes douanières qui devrait frapper pas moins de 200 milliards de dollars d’importations chinoises. Si elles devaient entrer en vigueur, la Chine ne pourrait plus répliquer dans les mêmes proportions, faute de nouveaux produits américains à taxer. Pour Trump, le risque est grand car une hausse des droits de douane sur des produits made in China rendra plus onéreux des produits fabriqués aux USA avec des conséquences sur le pouvoir d’achat des ménages américains. Dès les premières mesures de taxations, les conséquences étaient d’ores et déjà perceptibles sur l’évolution du Dow Jones comme sur l’économie réelle. La baisse d’un quart des cours du soja depuis avril affectait 300 000 producteurs américains. Les entreprises perdent de l’argent, les mesures douanières augmentent les délais de livraison, contraignent à des contrôles, la circulation des capitaux ralentit. Les Etats-Unis ne réussissent plus à exporter leurs amandes, citrons, cerises de Californie et de Floride. La Chine décide de s’approvisionner en Australie et en Afrique… Bref, Trump ne peut surtaxer les importations à souhait sans créer du mécontentement dans une fraction des classes dominantes états-uniennes.   

Sur le front industriel, Trump a envisagé de freiner les avancées chinoises en faisant obstacle aux transferts de technologie s’opérant par les investissements directs étrangers (IDE) vers la Chine. La Chine est l’un des premiers pays hôtes des investissements étrangers en Chine permettant aux entreprises états-uniennes de dégager suffisamment de bénéfices pour accepter de céder leurs technologies. Ouvrir ce front affecterait plus l’économie américaine que les hausses tarifaires, provoquant une baisse plus forte des entrées d’investissements étrangers, tout en affectant l’économie chinoise qui connaît une phase de ralentissement. En 2017, General Motors a vendu plus de voitures en Chine qu’aux USA. Pour les transnationales, l’évolution du marché chinois est un enjeu plus important que celle du marché américain.

Enfin, sur le front financier, la Chine a l’arme de ses créances sur le Trésor américain. Elle est le premier créancier étranger de l’Etat US, avec un peu plus de 1 000 milliards de dollars en mai 2018 ; mais elle ne détient que 5% de la dette publique états-unienne, (celle-ci s’élevant à 21 000 milliards de dollars) portée à plus de 70% par les institutions fédérales US, la sécurité sociale, les banques, les entreprises, les ménages), ce qui ne donne pas à la Chine le pouvoir d’influencer la gestion économique US.

Trump pourra-t-il contenir la marche en avant de la Chine, en passe d’être la  première puissance mondiale d’ici 2050 ? Sa « nouvelle route de la soie », et ses projets titanesques, court sur presque sur tous les continents, en développant des infrastructures « démesurées ». La Chine très présente en Afrique et en Amérique du Sud va renforcer son influence économique en Asie et augmenter la vente des produits chinois vers d’autres pays que les USA, y compris en Europe. Elle facilite les échanges avec la Corée du Sud, l’Inde, le Sri Lanka, le Bengladesh, en abaissant les droits de douane de leurs produits. Depuis les années 70, les exportations US dans le monde ont reculé. L’Asie capte une part toujours plus importante du commerce mondial au détriment des USA et de l’Europe.    



Au nom du Make America great again, la guerre économique de Trump déconstruit l’architecture de l’ordre mondial que les USA ont bâti à la fin de la 2ème guerre mondiale, il lui substitue un nouvel ordre dans lequel, l’Amérique, comme le Royaume Uni du 19ème siècle, n’aura ni allié éternel ni adversaire perpétuel, mais seulement des intérêts. Ce qui était envisageable au temps de la pax Britannica (lorsque l’Empire britannique possédait la suprématie sur les routes maritimes) ne l’est plus dans un monde multipolaire(1).

Le basculement du monde semble en marche, de l’ouest vers l’est de la planète. Pour autant, la mondialisation et le libéralisme financiarisé, version USA ou version Chine n’est pas le rêve que nous formulons. Il maintient le même système économique basé sur la production, la consommation, la croissance. Il nous mène à la catastrophe sociale et écologique, voire financière à la hauteur de la crise de 2008 si la situation s’envenimait entre les Etats-Unis et la Chine (encart 5). C’est bien d’un projet totalement opposé à ces « modèles » que nous avons à défendre.   

Odile Mangeot

(1)    Alternatives économiques (blog du 6.07.2018)

Encart 1

Le « négociateur » Trump
Donald Trump a bâti sa carrière sur le principe que tout est renégociable. Une fois un immeuble terminé, le promoteur invoquait la piètre qualité des travaux pour éviter d’honorer ses engagements. Il imposait alors de nouvelles conditions aux divers corps de métier… Ceux qui refusaient sa proposition n’avaient qu’à le traîner devant les tribunaux, prenant ainsi le risque de procédures judicaires coûteuses et à l’issue incertaine face à des avocats aussi retors que coriaces… Ses procédés de mauvais payeur étaient bien connus des fournisseurs et des banquiers, dont beaucoup refusaient de traiter avec lui… Il dit aimer « écraser l’autre camp et encaisser les profits » et bien se moquer des banquiers qui ont perdu les sommes qu’ils lui avaient avancées. « C’est leur problème : pas le mien. Je leur ai dit qu’ils n’auraient pas dû me les prêter »… On estime qu’il a été impliqué, comme plaignant ou comme accusé, dans plus de 3 500 procès.
Novice en politique, M. Trump avait promis de mettre ses talents de « plus grand négociateur de l’histoire » au service de l’Amérique…
le Monde Diplomatique juin 2018 « Le diktat iranien de Donald Trump » par Ibrahim Warde  

 Encart 2
L’attaque contre l’Iran

Le Plan d’action global commun, relatif au nucléaire iranien, a été signé à Vienne le 14.07.2015 par l’Iran et les 5 membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume Uni) ainsi que par l’Allemagne. La levée des sanctions économiques a permis d’augmenter les échanges avec l’Iran. En France elles ont triplé atteignant 1,5 milliard en 2017.
Le 8 mai dernier, Trump reniait l’accord sur le nucléaire signé par Obama, au mépris du droit international et décidait de rétablir les sanctions à l’encontre des entreprises commerçant avec l’Iran. Dès le 7 août, les transactions financières sont bloquées les importations de matières premières dans le secteur automobile et l’aviation commerciale sont interdites. En novembre, suivra un embargo sur le pétrole. Peugeot et Renault qui avaient réinvesti en Iran ont décidé de stopper leur production, Airbus va suspendre les transactions en cours, Total a quitté le pays. Par contre, les entreprises chinoises, indiennes ou turques restent.
A l’avertissement de Rohani de « ne pas jouer avec la queue du lion », Trump menaçait « Nous ne sommes plus un pays qui supporte vos paroles démentes de violence et de mort. Faites attention ! ». On reconnaît bien là l’art du négociateur !       
Trump espère solder définitivement le régime des Ayatollahs et ouvrir un retour en force des intérêts US. Ce coup de poker est risqué. Il conforte l’anti-américanisme là-bas ainsi qu’en Afghanistan et en Irak, d’autant que les exigences de Trump sont intolérables pour l’Iran (retrait des milices iraniennes en Syrie et en Irak, fin du soutien au Hezbollah et au Hamas…).
Trump veut punir les pays qui continueront à acheter du pétrole iranien pour étrangler l’Iran et réinstaurer la suprématie américaine. Cet unilatéralisme américain peut-il tenir au risque de générer des tensions avec ses alliés et menacer le libre-échange international que les Etats-Unis prônent depuis des décennies ? Russie, Chine… laisseront-elles faire ? Des convergences sont prévisibles pour contourner l’embargo et les sanctions et… augmenter le cours du pétrole. 
Ce sujet mérite un article complet dans PES. A suivre.

Encart 3
Swift ? C’est quoi ça ?

C’est un service de messagerie installé en Belgique utilisé par la plupart des banques pour les transferts de paiements. Washington fait planer la menace de sanctions unilatérales contre cette institution si elle n’exclut pas les banques iraniennes d’ici novembre. Gesticulations ? Si Trump décidait de sanctionner Swift, ce serait aussi au détriment d’importantes banques US (JP Morgan, Citigroup notamment)

Encart 4
Connaissez-vous le JEFTA ?

Le TAFTA ayant été bloqué par Trump, l’UE libérale se tourne vers l’Est (bien entendu en secret comme cela s’est produit pour le TAFTA ou le CETA) pour négocier le JEFTA, le plus gros accord de libre-échange au monde entre le Japon et l’UE. Il doit entrer en application en 2019 après vote au Parlement européen. Il représente 1/3 du PIB mondial et 600 millions de consommateurs
Ses objectifs :
-         Diminuer les derniers droits de douane pour intensifier le commerce de fromage, vin, viandes de bœuf et médicaments contre voitures et pièces auto japonaises
-         Supprimer les « obstacles inutiles aux échanges »
-         Ouvrir les marchés de services aux multinationales en interdisant « toute discrimination déloyale » visant à protéger une entreprise locale
On connaît la chanson !!!


Encart 5
A quand la prochaine crise ?

Pour l’heure, c’est l’euphorie à Wall Street. Le S&P 500 (indice de référence des investisseurs à la Bourse de New York) a franchi le record du plus long cycle de hausse sans krach = 325% entre le 6 mars 2009 et le 22 août 2018. La politique de la Banque centrale de taux bas a incité les actionnaires et les spéculateurs à prendre des risques, la réforme fiscale favorable aux entreprises de Trump, les baisses d’impôts, ont pour résultat l’excès de trésorerie pour les groupes financiers américains… qui se remettent à pratiquer le rachat de leurs propres titres puis à les supprimer afin de faire progresser le bénéfice par action. Les firmes américaines pourraient cette année racheter 1 000 milliards de dollars de leurs propres actions ! Un record absolu !
Jusqu’à quand ? La leçon de 2008 n’aura pas suffi ! Des tensions commerciales, notamment avec la Chine, devraient pourtant inciter à la prudence…
Le Monde 24.08.2018