2 – Une
nouvelle loi pour rien
Dès
février 2011, des appels à rassemblement ont été lancés par les syndicats, les
travailleurs sociaux et les assistantes familiales, mobilisés pour dénoncer les
conditions faites aux enfants et aux professionnels de l’ASE. Vite, il fallait
apaiser : un projet de loi a été adopté le 8 juillet à l’Assemblée
nationale, il est, à ce jour, à l’examen du Sénat.
La
crise profonde que traverse la
protection de l’enfance en raison du défaut criant de moyens et d’une politique
globale de prise en charge des enfants, erratique et morcelée dans de nombreux
départements, n’est pas prise en compte.
Des décisions judiciaires restent inappliquées ou retardées par manque de
moyens humains et d’accueil ; des enfants sont laissés à domicile dans un
contexte de danger avéré ou placés à l’hôtel faute de places en
institution ! Ce projet de loi, en procédure accélérée, ne règle rien, ni les
graves dysfonctionnements, ni les conditions de travail des professionnelles. Au
contraire, il élargit les possibilités de délégation d’autorité parentale à
l’ASE et amoindrit de fait le contrôle du juge. Il ne garantit pas l’absence
d’éloignement des enfants, faute de structures de proximité et prévoit de trop
nombreuses dérogations à l’interdiction d’héberger des enfants en hôtel ou en
centres de vacances. Il refuse de
permettre au jeune mineur d’avoir un
avocat à tous les stades de la procédure et ne répond pas à la question de
l’accompagnement des jeunes majeurs sortant du dispositif.
Il
n’augmente pas les moyens pour l’ensemble des missions de prévention et de
protection, hormis deux mesures « techniques » : la création
d’un référentiel national d’évaluation de situation de danger, créé par la Haute
Autorité de Santé, jusqu’ici chacun définit le danger différemment ! Quant
à la création d’un fichier national des retraits et suspensions d’agrément des familles
d’accueil, il permettrait de savoir si la famille d’accueil n’a pas de
contentieux dans un autre département.
En
fait, le projet, construit à la
va-vite, ne reconnaît pas l’enfant
maltraité, un enfant de l’ASE n’est pas comme les autres, il a subi des
violences graves et il n’est pas là parce que ses parents se sont
disputé ! La société lui doit donc protection pendant son enfance et son
adolescence, pour qu’il puisse se reconstruire pour parvenir à une sortie
positive. S’il ne bénéficie pas de mesures d’accompagnement proche, cela lui
sera impossible. Ce n’est pas pour rien si l’on constate que 40 % des SDF de
moins de 25 ans ont été suivis par l’ASE.
Un
projet de loi digne de ce nom, doit s’articuler autour de trois axes
forts : prévention, protection et
sortie. De la prévention pour détecter, au plus vite, les victimes par le
biais de l’école, de la crèche, des assistantes sociales, etc… Puis, après un
état des lieux sur le territoire national, doivent venir les mesures de
protection adaptées, à savoir, des moyens suffisants pour prendre le temps avec
l’enfant, la famille, mais aussi l’augmentation du nombre de places en établissements
et un statut amélioré des assistantes familiales. Que penser d’un projet de loi
qui interdit le placement en hôtel des mineurs et, en même temps, autorise des
dérogations en grand nombre pour le faire ? Que penser de la volonté
d’améliorer la situation alors qu’aucune prévision d’augmentation des places en
foyers n’est prévue ? Que penser du déni de droit à l’encontre de ces enfants
à qui l’on refuse d’être représentés par un avocat, permettant ainsi que les plus
vulnérables soient les seuls justiciables à ne pouvoir bénéficier de ce
droit ?
Enfin,
une « vraie réforme » doit prévoir la sortie du jeune à sa majorité
ou plus. A 18 ans le jeune de l’ASE a encore besoin d’être à l’abri. Veiller à
sa sortie du dispositif consisterait à considérer que l’ASE est une politique
de suppléance parentale jusqu’à
l’autonomie totale du jeune, en lui garantissant un suivi proche mais
également des ressources ; la garantie jeunes, dit le gouvernement,
permettra d’éviter les sorties « sèches » sauf que les jeunes
concernés ne remplissent pas toutes les capacités requises pour monter un
projet professionnel : 30 % des enfants placés sont porteurs d’un handicap
psychique. Par ailleurs, c’est le département qui reste libre de déterminer le
périmètre et la durée de la prise en charge et aucune mesure de contrôle des
départements et associations gestionnaires n’est envisagée, ce qui laisse toute
liberté d’interprétation : ainsi, la séparation des fratries est interdite
(depuis la loi de 2002) mais les départements ne se gênent pas pour la
pratiquer !
Rien
sur la reconnaissance du métier spécifique d’assistante familiale, rien sur la
qualification, la formation et sur une grille de rémunération convenable, sauf
la « garantie » du Smic lorsqu’elles accueillent un seul enfant… A
croire que la pénurie en personnels convient ? Alors, une loi pour
rien ? Y a-t-il vraiment volonté de consacrer de l’argent et des moyens
aux jeunes maltraités ?
Mériterait
d’être discutée la question de la
décentralisation de la gestion de l’ASE. Est-il acceptable de laisser les
disparités s’installer d’un département à l’autre ? Faut-il laisser cette
compétence aux départements sans qu’aucune contrainte ne garantisse un
traitement égalitaire sur l’ensemble du territoire ?
Une
politique de protection de l’enfance ne peut être celle de la relégation des
plus fragiles avec des moyens minimaux et à « bas coût ». Cela vaut
aussi pour les mineurs étrangers non
accompagnés qui sont légalement à la charge de l’ASE. Ils doivent
bénéficier des mêmes droits que les mineurs français, à savoir être accompagnés
pour construire un parcours de vie scolaire ou professionnel. En fait, ils
galèrent déjà pour faire valoir leur minorité, puisque, systématiquement ou
presque, les départements la contestent. S’ils réussissent à passer cette
éprouvante étape, ils sont protégés et peuvent faire des études ou préparer un
diplôme professionnel. Lorsqu’ils ont 18 ans, et qu’ils n’ont pu prétendre à
une régularisation car arrivés après leurs 16 ans, ils doivent déposer une
demande de titre de séjour que la préfecture leur refuse toujours au même
motif : une erreur dans leurs documents d’état civil, s’empressant, par
contre, de délivrer une Obligation de Quitter le Territoire Français. Mépris !
Gâchis ! Ces jeunes sont formés pour devenir des sans-papiers condamnés à
vivre en marge de la société ! Une mission parlementaire en mars 2021 a
rendu sa copie, formulant 18 préconisations dont plusieurs relatives à l’âge
des migrants, faisant dire à Catherine Daoud (avocate au bureau de Paris,
antenne des Mineurs non accompagnés) : « ce rapport préconise de stigmatiser, ficher et sanctionner encore plus
sévèrement les enfants en errance, alors qu’il faudrait les accueillir, les
protéger, les soigner et poursuivre les adultes qui les exploitent… ».
L’intérêt supérieur de l’enfant est
passé à la trappe.
Alors, que
voulons-nous ?
Une société qui se solidarise pour défendre les nouveaux « justes » ?
Ceux qui, comme Mimmo Lucano, maire de Riace en Italie, accueillit plus de 200
exilés kurdes en 1998, offrant une vitrine du dynamisme que peuvent installer
les migrants dans une petite ville de 1 800 habitants. Cette alternative à
la haine l’a fait condamner « pour
aide à l’immigration clandestine » à 13 ans et deux mois de prison et
500 000 euros d’amende (2),
ou une société qui regarde, indifférente, le jeu des puissants se faisant la guerre à coups de
migrants, comme le dictateur biélorusse Loukachenko qui, pour déstabiliser l’UE
(qui l’a sanctionné en 2020), organise la venue d’exilés irakiens, syriens,
afghans… en Biélorussie pour les acheminer jusqu’à la frontière de l’Europe
(Pologne, Lituanie, Allemagne…) ?
Odile
Mangeot, le 26.10.2021
sources :
Politis, le Monde, Fakir
(1)
cf article de
Fakir n° 100 (sept. nove. 2021) « Chez les serpillières de l’Aide à
l’Enfance »
(2)
La solidarité
s’organise. Signer la pétition sur https://www.change.org/p/mario-draghi-liberte-pour-mimmo-lucano