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samedi 10 décembre 2022

 

Immigration.

Darmanin veut « sa » loi

 

Au moment où les médias nous abreuvaient de commentaires nauséabonds à la fois sur le meurtre odieux de Lola et sur les 234 migrants de l’Ocean Viking tournant en rond en Méditerranée avant d’être autorisé à accoster à Toulon, Darmanin faisait la promotion de « sa » loi Immigration préparant les esprits au débat du Parlement en 2023. Ce sera la 22ème loi sur l’immigration et l’asile depuis 1990. Celle-ci permettrait de réduire l’immigration, d’expulser tous ceux qui sont « illégalement » en France… En tout cas, tous les ingrédients sont là pour alimenter les polémiques sur l’inefficacité des mesures d’éloignement du territoire français, sur les migrants, majoritairement suspectés de devenir des meurtriers, sur l’impossibilité pour la France d’accueillir, voire même de secourir, ceux qui tentent de trouver une terre d’asile, poussés par la misère, la guerre ou les dérèglements du climat. Les chiffres, sans distinction, sont balancés dans les médias, pour prouver à l’extrême droite que ce gouvernement sera « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Darmanin a d’ores et déjà relancé la chasse aux migrants « illégaux », tous ceux qui n’ont pas quitté le pays alors même qu’ils en avaient l’obligation. Comment s’y retrouver, au-delà des polémiques et des effets de tribune ?

 

Amalgames et mensonges

 

Manipuler les chiffres ou n’utiliser que ceux qui servent la cause à défendre, est un procédé assez classique, pas très honnête, dont Darmanin use sans vergogne. Il affirme que « 7 % d’étrangers en France représentent 19% des actes de délinquance ». Y inclut-il les délinquants fiscaux ? Quand il déclare que la France va bientôt atteindre la limite d’accueil des étrangers, soit 10 % de la population, de qui parle-t-il ? Des étrangers européens libres de circulation, de tous les immigrés, à savoir toute personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ? De tous ceux qui fuient guerre, misère, sécheresse et cherchent refuge ? Comment mettre en œuvre une telle mesure ? Qui fixe les limites ? Au regard de quels critères ? Les phénomènes de migrations sont inéluctables dans la dynamique mondiale des échanges et des communications entre les pays et les gouvernements successifs n’ont jamais réussi à ralentir les mouvements de population.   

 

En France, depuis 2000, la part d’immigrés dans la population a augmenté de 36 % (représentant 10.3 % de la population). C’est peu face aux + 181 % de l’Europe du Sud, aux + 121 % des pays nordiques aux + 100 % du Royaume Uni et de l’Irlande, ou aux + 75 % de l’Allemagne et de l’Autriche (1). On est loin d’être les « champions » de l’accueil !

 

Si l’on examine cette évolution en fonction des titres de séjour délivrés, Darmanin peut affirmer qu’ils ont augmenté de 37 % entre 2005 et 2021. Mais il doit préciser que les titres de séjour comptabilisent 54 % de migration estudiantine, 27 % de migration de travail et seulement 24 % de migration de refuge. Ce type de basse manœuvre lui permet de stigmatiser ceux qu’il nomme les « illégaux », ceux qui n’ont obtenu ni statut, ni titre de séjour par le travail ou encore pour regroupement familial. Là encore, laisser hurler le RN contre l’appel d’air que serait le regroupement familial sans préciser qu’il ne représente que 12 000 personnes par an (soit 4 % des titres délivrés) relève de la manipulation de l’opinion.

 

La France, qui revendique d’être « le pays des droits de l’homme »  est loin d’être la meilleure au palmarès  de l’asile. En additionnant les demandes d’asile et les relocalisations et en faisant l’hypothèse que tous les déboutés sont restés, en 7 ans (2014/2020), la France aura accueilli 36 900 Syriens, 14 100 Irakiens et 49 300 Afghans, soit respectivement 3 %, 4% et 8 % des demandes en Europe pour ces trois pays, contre 53%, 48 % et 36 % pour l’Allemagne. Et si la France a enregistré 18 % des demandes d’asile déposées en Europe par des exilés d’autres pays notamment d’Afrique, d’Asie ou  d’Europe Centrale, les ¾ de ces demandes ont été rejetées.  Le tsunami annoncé par Le Pen n’a pas eu lieu !

 

Bref, pour Darmanin, la France accueille trop. Il sera donc répressif face aux « illégaux », « délinquants » à ses yeux, ceux qui n’ont pas quitté le territoire alors qu’ils en ont reçu l’obligation (OQTF – obligation de quitter le territoire français). Il promet d’être généreux en créant un nouveau titre de séjour pour les « métiers en tension ».   

 

Affichage et réalité

 

Les demandeurs d’asile et les déboutés du droit d’asile n’ont pas l’autorisation de travailler. Quand, à l’issue de leur procédure, ils n’obtiennent pas de statut, ils se retrouvent sans ressources, sans logement, sans minima sociaux, sans droit au travail. Le travail au noir est leur seule solution et les patrons en profitent largement dans les métiers du bâtiment, des travaux publics, de l’hôtellerie restauration, des services mais aussi les plateformes comme Uber… Les patrons recrutent sous de faux noms, les autorités institutionnelles ferment les yeux. A force d’exploitation, un certain nombre de sans-papiers ont constitué des collectifs de défense, soutenus par des syndicats (CGT et SUD Solidaires, CNT notamment) et ça commence par faire désordre. Darmanin peut difficilement fermer les yeux sur les patrons délinquants. Impossible, toutefois, de les fâcher. Il propose, en conséquence, dans la loi à venir, un titre de séjour « pour métiers en tension ». Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de la régularisation des sans-papier (qui ferait crier au loup les xénophobes et racistes de tous poils) mais de régulariser les recrutements en autorisant les patrons à embaucher une main d’œuvre soumise à un système conditionnant le renouvellement de leur titre de séjour. De fait, ces travailleurs immigrés en acceptant les travaux pénibles, sous-payés participent malgré eux au fractionnement de la société et permettent au capitalisme de pratiquer un dumping social, au risque, s’ils revendiquent trop, d’être jetés.

 

Parallèlement, le ministre de l’intérieur veut donner la preuve à la droite et à l’extrême droite mais aussi aux élus Renaissance, qu’il tient les rênes avec rigueur et fermeté. Il va expulser plus, renvoyer les « illégaux ». Les préfets vont devoir réaliser un suivi de toutes les personnes sous OQTF et  « veiller à leur rendre la vie impossible par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales ni de logement social »(2). Faire monter l’angoisse chez les exilés au moyen de la panoplie que sont : OQTF, assignation à résidence et emprisonnement en CRA (centre de rétention administrative). Ces méthodes se répètent à l’infini : les gendarmes emmènent, à l’aube, de préférence un week end, les familles désignées (enfants en bas âge compris) pour les placer en CRA où ils ont 48 h pour déposer un recours s’ils ont la chance de pouvoir être entendus par le juge des libertés ou d’avoir eu temps de déposer un recours à la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’homme). C’est Sarkozy (ministre de l’intérieur) qui créa, en 2006, l’OQTF pour éloigner de manière contrainte un étranger à la suite d’une décision de refus de titre de séjour et de rejet d’une demande d’asile. Elle est devenue automatique, à tel point que cela engendre une inflation d’OQTF passant de 60 000 en 2011 à 122 000 en 2021. La France est l’un des premiers pays producteurs de mesures d’éloignement mais elle en exécute très peu (14 %). Pour prouver son efficacité à tous ceux qui dénoncent la non-exécution des mesures, il exigera des préfectures un suivi rigoureux du fichier des personnes recherchées et proposera la réduction des catégories de recours, l’accélération des procédures d’examen des demandes d’asile…. Il a d’ores et déjà ouvert la chasse aux « illégaux ». Le porte-parole du gouvernement Véran vient à son secours et affirme (sans le prouver) que « l’immense majorité des personnes placées en CRA ont commis des délits » !!! Même les enfants de 4 ans ? Au mépris de leur dignité, ces personnes sont emprisonnées pour être embarquées dans un avion, dans des conditions traumatisantes et inhumaines. Que la CEDH ait dénoncé à plusieurs reprises de telles pratiques contraires à la convention européenne des droits de l’homme, ils s’en contrefoutent ! Les préfets sont si zélés qu’il n’y a pas assez de places en CRA, Darmanin prévoit d’en construire d’autres ! Il est vrai qu’entre les exilés qui gagnent leurs recours, les sans-papiers qui se multiplient suite aux rejets des ¾ des demandes d’asile, les OQTF tombent comme à Gravelotte, dès le rejet du recours en CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). Par ailleurs, les pays d’accueil ne sont pas toujours enclins à délivrer les laissez-passer consulaires pour accueillir leurs ressortissants ou mettent un temps infini à le faire et… il faut remplir les avions ! Cela fait beaucoup d’aléas et de risques d’échec pour le vibrionnant, présomptueux ministre qui a omis de chiffrer le coût de toutes ces opérations d’expulsion ratées !

 

La rapidité est la clé de la réussite, dit-il, « Il ne faut pas laisser le temps de créer des droits qui viendraient contredire des décisions prises légitimement par les préfectures » et pour plus d’efficacité, il veut que le même ministère (l’Intérieur) ait la maîtrise de toute la procédure. Déjà d’autres ministères ont été poussés dehors. L’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) l’organisme qui accorde ou non le statut, relevait des affaires étrangères, aujourd’hui de l’Intérieur ; les médecins accrédités par le ministère de la santé pour diagnostiquer un malade placé en CRA par ex., sont nommés désormais par l’Intérieur via l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). Les CRA dépendent de la police des frontières, donc du ministère de l’Intérieur. Les autorisations de travail traitées par la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (ministère du travail) sont soumises à la décision du préfet. Reste encore sous tutelle de la Justice, la CNDA (Cour Nationale du droit d’asile) qui examine les recours. Darmanin la verrait bien tomber dans son escarcelle. Aller plus vite, pour lui, ça signifie limiter les recours, accélérer la procédure en éliminant des « contraintes » comme la collégialité en passant de 3 magistrats à un juge unique à la CNDA, élargir les audiences par visioconférence. Il a même pensé à automatiser l’OQTF dès le rejet OFPRA, pour expulser avant le recours auprès de la  CNDA. Droits de l’homme et Macron/Darmanin à n’en pas douter, c’est incompatible !

 

Que faire ?

 

Mobiliser les solidarités

Heureusement, il existe des conventions relatives aux droits de l’homme, même si elles n’ont que peu de pouvoir sur les Etats signataires. Il existe des droits à la défense et au recours contre des décisions iniques et inhumaines qui s’imposent aux institutions étatiques et il faut les sauvegarder. Ces moyens sont des grains de sable dans le système autoritaire que représente Darmanin. Mais ils seraient vains s’ils n’étaient relayés par les associations de défense des exilés qui déploient une immense solidarité et dénoncent inlassablement les méthodes policières. Ainsi, celles et ceux qui aidaient à la reconstruction d’abris après la destruction systématique, quotidienne des campements dans la région de Calais et à Paris. Tous et toutes participent à faire vivre la fraternité et sont un rempart contre la barbarie « républicaine » exercée par le gouvernement de Macron.

 

Dénoncer l’innommable

Ocean Viking. La procédure idéale imaginée par le ministère « s’est échouée dans un chaos feutré le 17 novembre ». Après 3 semaines d’errance en Méditerranée, la France a accepté « à titre exceptionnel » de laisser débarquer le 11 novembre à Toulon, sur la presqu’île de Giens, les 234 rescapés du navire humanitaire, tout en précisant que ces « migrants ne pourront pas sortir du centre administratif de Toulon » où ils seront placés et qu’ils  « ne sont donc pas légalement sur le territoire national ». A cette fin, une zone d’attente a été créée en urgence où les personnes ont été enfermées. Le gouvernement avait prévu que la France ne garde sur son sol qu’environ un tiers des passagers dont 40 seraient reconduites dans leurs pays, les autres devant être autoritairement relocalisés dans 9 pays de l’UE. Le plan des autorités préfectorales consistait à maintenir les 177 adultes pendant 20 jours maxi (évitant une entrée officielle sur le territoire français). C’était sans compter sur la loi obligeant, au bout de 4 jours, à demander une prolongation de maintien en zone d’attente auprès d’un juge des libertés. Les juges entamèrent un intenable marathon pour examiner les 177 dossiers au cas par cas. Le tribunal, submergé par le flot des 177 dossiers vécut une journée de chaos, dans des conditions incroyables : interprètes anglais pour les Pakistanais, une femme de ménage du commissariat de Toulon réquisitionnée comme interprète de langue arabe, entretiens confidentiels tenus dans les couloirs…. La décision de libérer les migrants a été prise pour plus d’une centaine de dossiers. Résultat piteux dont Darmanin ne s’est pas vanté, fiasco dénoncé par LR. Dès lors, le gouvernement doit composer avec 26 des 44 mineurs isolés partis volontairement des lieux où le conseil départemental du Var les avait placés, des décisions judiciaires contraires à ses intentions initiales permettant de placer en centres d’accueil la plupart des adultes et de potentiels refus de relocalisations en Europe. Les expulsions depuis la zone d’attente se comptent sur les doigts d’une main. Il fanfaronne moins, Darmanin !

 

Claire Rodier (3) dénonce « l’accueil » réservé par la France à celles et ceux qu’elle désigne comme « migrants » des femmes, des enfants et des hommes qui, après avoir fui la guerre, la misère, l’oppression et pour beaucoup subi les sévices et la violence du parcours migratoire ». Elle rappelle qu’il y a moins d’un an quand plusieurs millions d’Ukrainiens fuyaient l’invasion russe, la France a su mettre en place en quelques jours un dispositif à la hauteur de cette situation imprévu, allant jusqu’à créer un statut provisoire de protection immédiate donnant droit au travail, à un logement et à un accompagnement social. On n’a pas manqué de se féliciter de l’élan formidable de solidarité et d’humanité, qui semblent aujourd’hui oubliées. « Parce qu’ils sont d’emblée qualifiés de « migrants », les passagers de l’Ocean Viking, sans qu’on ne connaisse rien de leurs situations individuelles, sont traités comme des suspects, qu’on enferme, qu’on trie et qu’on s’apprête, pour ceux qui ne seront pas expulsés, à « relocaliser » ailleurs, au gré d’accords entre gouvernements, sans considération de leurs aspirations et de leurs besoins… Cette hospitalité à deux vitesses est la marque du racisme sous-jacent qui imprègne la politique migratoire de la France, comme celle de l‘UE ».  

 

Il a été prouvé que des solutions étaient possibles pour les Ukrainiens. Pourquoi pas pour tous les autres exilés ? Ce sera l’une des revendications le 18 décembre, lors de la journée internationale des migrants-e-s. Une centaine d’associations, de syndicats ont signé l’appel de la Marche des Solidarités et des Collectifs de Sans-papiers et Migrant(e)s : Contre Darmanin et son monde : Solidarité, Liberté, Egalité, Papiers !

 

Odile Mangeot, le 25.11.2022

 

(1)   François Héran, le Monde (10.11.22)

(2)   entretien du Monde (03.11.22) avec Darmanin et Dussopt

(3)   membre du Gisti – groupe d’information et de soutien des immigrés - et du réseau Migreurop. liberation.fr 15.11.22

 

 

Nous sommes du même pays

 

Nous sommes tous des étrangers.

Nous sommes du même pays.

Quel est celui qui a choisi

Le coin de terre où il est né ?

Et qu’il soit blond ou basané,

Cheveux blonds ou cheveux frisés,

Qu’il vienne me jeter la pierre

Celui qui les a désignés,

Ces deux êtres brûlants de fièvre

Que le hasard a rassemblés.

Ces deux corps qui se sont unis

Pour un instant ou pour la vie,

Pour le plaisir ou par amour

Et qui lui ont donné le jour.

Au diable toutes les frontières,

Au diable tous les barbelés.

Nous sommes tous des étrangers,

Citoyens de la terre entière.

Qu’au-delà de ces murs de pierres,

De colère montent nos cris,

Ou bien que montent nos prières,

Quel que soit le Dieu que l’on prie,

Nous sommes tous des étrangers.

Nous sommes du même pays.

Au diable toutes les frontières

Et ceux qui nous les font dresser

Au nom de notre liberté

Pour mieux nous enfermer derrière.

 

Roland Massebeuf,

OS Peugeot-Sochaux, 1987

Poésie en bleu, ed. St-Germain des prés

(transmis par Bébert)