Le Nobel de la paix.
De la tragicomédie au comique
troupier.
Le comité d’Oslo
qui, à grand renfort de publicité médiatique, décerne régulièrement des prix
Nobel de la paix, nous avait jusqu’ici habitué à des réconciliations douteuses :
entre Palestine et Israël (Yasser Arafat et Itzhak Rabin), entre Afrique du Sud
blanche, raciste, et les Noirs opprimés (De Klerk et Mandela), voire entre
l’Amérique guerrière et le rêve de l’Obamania. Ce furent autant de leurres
destinés à lustrer l’image de l’Occident de ses turpitudes.
En 2009, la
médaille à peine attribuée à Obama, l’homme de la paix à peine élu s’empressa
d’augmenter le budget des forces armées US, d’accroître la présence militaire
en Afghanistan. Cette palinodie guerrière ne suffisant pas à assurer ses pas
dans ceux de son prédécesseur fut suivie d’une honteuse rétractation de sa
promesse de fermeture du bagne de Guantanamo. Certes, les opérations
d’externalisation de la torture et les humiliations barbares cessèrent suite à
d’encombrantes révélations. Mais le soutien au régime corrompu de Karzaï
persiste, sans pour autant que soient réduits à néant les talibans et encore
moins la production et le trafic de drogue qui caractérisent ce narco-Etat. Il
ne restait plus au champion de la paix qu’à innover : et ce fut le recours
aux assassinats ciblés par drones interposés et «l’audacieuse» opération
d’élimination de Ben Laden au Pakistan dont le cadavre fut jeté en pâture aux
requins. Tout ça pour apparaître plus déterminé que Bush dans la lutte contre
le terrorisme que la vaillante Amérique avait contribué à produire ! Ce
lauréat du prix Nobel, auteur de cette piteuse tragicomédie brandissait l’impuissance
de la bannière étoilée à imposer son hégémonie. Les retraits d’Irak et d’Afghanistan
sont désormais perçus comme autant de défaites, tout comme ses volte-face
vis-à-vis de la reconnaissance de l’Etat palestinien, ou sa tentative de se
réconcilier avec les peuples arabes, au Caire, aux côtés de Moubarak avant qu’il
ne soit déchu. Le tigre impérial meurtri dans son orgueil, affaibli par la
crise de 2007-2008 qui n’en finit pas de produire ses métastases, peut encore
compter sur l’Arabie Saoudite, les pétromonarchies, l’OTAN et, pourquoi pas,
sur un homme comme Mitt Romney, ce représentant de l’oligarchie financière et
spéculative, pour conférer une nouvelle jeunesse au complexe militaro-industriel.
Alors, comme pour
se rattraper de s’être si complètement fourvoyé, le comité d’Oslo décida de
changer de registre ; de la tragicomédie, il passa, apparemment sans
risques, au comique troupier. L’Europe !! L’Europe !! se sont
exclamés ses «illustres» membres. En fait, l’affaire ne fut pas aussi simple
qu’il n’y paraît. Elle vaut d’être contée par le menu. Nos moqueries
sardoniques s’en trouveront mieux affutées.
Le comité Nobel si
prestigieux ne comprend que cinq membres, tous Norvégiens, désignés qu’ils sont
par les partis représentés au Parlement d’Oslo. Donc, son Président, Jagland,
ancien 1er Ministre travailliste, fervent néolibéral, se livra, pour
faire admettre son idée lumineuse, à une petite manœuvre politicienne digne de
sa renommée. Il profita de l’absence pour maladie de Mme Valle, l’eurosceptique
du parti socialiste de gauche pour la remplacer par l’europhile évêque d’Oslo. L’unanimité
ainsi requise, le prix fut attribué sans couac à l’Europe. Comme aurait pu le
dire royalement Ségolène, ce fut là acte de «bravitude» certaine contre l’avis
du peuple norvégien qui, par deux fois, en 1972 et en 1994, refusa son adhésion
à cette Union Européenne encensée, d’autant que dans un dernier sondage, 80% des
Norvégiens s’y disent toujours et encore opposés. Ce geste d’attribution fut
d’autant plus bravache qu’au moment même de son expression, Mme Merkel, en
Grèce, recevait huées et vilipendes pour être la représentante la plus honnie de la Troïka.
Mais la cure d’austérité imposée comme une nécessité valait bien ce baume au
cœur à la chancelière pour rappeler aux peuples insolents le mythe de la communauté
de valeurs fondée sur la paix que tous les pays de l’Union sont censés
partager.
Toutefois, le
comique de l’affaire prit vite un ton grandguignolesque lorsque les membres du
comité s’avisèrent de savoir à qui, nommément, ils devaient attribuer ce noble
prix. Terrible dilemme ! Surtout que, sitôt connue cette décision, les
prétendants se mirent à s’écharper : Barroso, Président de la Commission
Européenne voulut s’imposer, Van Rompuy, Président du Conseil Européen s’en
effaroucha et Schulz, Président du Parlement Européen fit valoir sa légitimité
démocratique. Cette rixe symbolique faisait mauvais genre, elle devait cesser.
Restaient néanmoins des questions cruciales à régler : qui récupèrera la
médaille ? Qui empochera le 930 000 euros de ce prix ? Qui aura
l’honneur de prononcer le discours de remerciement et d’investiture d’homme de
la paix ? Pour trouver une issue à cette honorable échauffourée, sans
avoir de réponse à ces questions fondamentales, deux scénarii furent envisagés
pour sortir de ce choc des ego, avant qu’une sage décision ne s’impose…
-
Première solution : ce seront 27 enfants issus de
chacun des pays membres qui recevront le prix. Le consensus fut de courte
durée, les cris d’orfraie reprirent de plus belle et presque tous d’ironiser
sur le caractère infantile qu’allait prendre cette cérémonie renvoyant au
caractère boutonneux d’une Europe en crise d’adolescence
-
Une deuxième solution surgit alors : remettre le
prix aux pères du projet européen encore en vie, aux vieillards Delors et Kohl.
C’est plus que gênant, dirent les plus respectueux, nous allons apparaître
comme en panne de grands dirigeants au vu des figures tutélaires, pire,
impuissants et nostalgiques.
-
Enfin, pour en sortir, le rusé Van Rompuy sortit de son
chapeau la solution de pacification ; lui seul apparemment avait entendu
la grogne des chefs d’Etat qui pointait contre ces eurocrates qui n’étaient
rien sans eux. Et de s’écrier : tous ensemble ! tous ensemble, nous
et tous les chefs d’Etat et de gouvernement, ce sera une occasion festive pour
tous. Sitôt connue sa proposition, Merkel dit ja et Hollande voui et
les autres suivirent ; encore fallait-il trouver une date qui convienne à
tous. Après de longs croisements des agendas respectifs, ce serait le 10
décembre… ouf ! Enfin les membres du prix Nobel rassérénés de sortir de ce
pétrin allaient pouvoir, en toute sérénité, lancer les invitations qui restent
exclusivement de leur ressort !
En tout état de cause,
malgré le bruit médiatique encensant les « 60 ans de prospérité et de paix depuis 1952 », d’autres
sarcasmes et pitreries restent à venir. Et sur le drap blanc restent les taches indélébiles des
guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, la guerre de Yougoslavie sous la
bannière de l’OTAN/US, les guerres d’Irak, d’Afghanistan, les interventions en
Afrique, les dictateurs corrompus soutenus sans faille, les coups d’Etat
facilités, les guerres alimentées par les marchands d’armes… Et derrière
l’image ripolinée de l’Europe accueillante, l’image hideuse de l’Europe
forteresse, celle des camps externalisés en Libye et au Maroc pour contenir
tous ces migrants dont plus de 17 000, depuis 1992, ont déjà péri sur
terre comme en mer pour avoir tenté de faire valoir leur « droit de
s’installer où ils le souhaitent » comme le proclame la charte des Nations
Unies. Et puis, comment oublier après le tapis rouge déployé pour les
dictateurs, les rodomontades guerrières en Libye, les brevets de bonne gouvernance
attribués à Ben Ali et pas seulement par le libidineux DSK (!), et le
renforcement de l’importation de produits israéliens encourageant délibérément
la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens ? Comment «immaculer»
le faciès anonyme et technocratique de cette Europe antidémocratique, amnésier
cette réalité des pays mis en concurrence sociale et fiscale, ces Etats
endettés au profit des marchés s’empressant de renflouer banquiers et
spéculateurs, recourant à l’austérité et aux ajustements structurels et
s’enfonçant dans la récession. Et cette unité européenne se délitant avec la
montée des extrêmes droites qu’elle suscite en Grèce, Hongrie, Autriche,
Hollande… et les fractures territoriales et visées autonomistes qu’elle
favorise en Catalogne, au Pays basque, en Belgique, en Ecosse…
Il fallait bien un
prix Nobel de la paix lancé comme une bouée de sauvetage pour cette Europe
enlisée, ce colifichet, pour tenter de masquer la réalité de la guerre sociale
menée contre les classes ouvrières et populaires. Face aux auteurs de ce
mauvais comique troupier l’on souhaiterait que les peuples leur fassent sentir
les coups de quelques ruades sociales, bien ajustées, pour au moins rabaisser
la morgue de toutes ces élites autoproclamées. Pour l’heure, ces faits relatés,
à peine interprétés, pour mieux en faire ressortir la nauséeuse insignifiance
sous forme ironique, n’ont d’autres visées que celles consistant au réveil
d’énergies trop assoupies par la lourde sauce hollandaise socio-libérale qu’ils
ingurgitent.
Gérard Deneux, le 27
octobre 2012