Où va la Sécurité Sociale ?
Introduction au
débat par Madeleine Morice,
lors de
l’assemblée citoyenne de Champagney du 14.12.2012
Rappel sur l’histoire de notre Sécu (pour connaitre ou rappeler et montrer ce
qui est possible notamment pour les plus jeunes)
Créée par une ordonnance d’octobre 1945
la sécu fait partie intégrante du Programme du CNR (Conseil National de la
résistance). Ce programme indiquait « Nous, combattants de l’ombre,
exigeons un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les
citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se
les procurer par le travail, avec la gestion par les intéressés et
l’Etat… »
Et l’article 1° de l’ordonnance de 1945
précise : « Il est
institué une organisation de Sécurité Sociale destinée à garantir tous les
travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles
de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de
maternité et les charges de familles qu’ils supportent »
« L’ambition
déclarait Ambroise Croizat à l’Assemblée Nationale, le 20 mars 1946, est
d’assurer le bien être de tous, de la naissance à la mort. De faire enfin de la vie autre chose
qu’une charge ou un calvaire … »
Pour mémoire, avant 1945
existaient : les Assurances Sociales (loi de 1930) qui ne protégeaient
qu’une faible partie des salariés (1/3 de la population environ) et avec une diversité de caisses :
professionnelles, patronales, confessionnelles, syndicales, mutuelles ….Pour
les retraites (loi de 1910) la couverture est dérisoire ou inexistante, et elle
est basée sur la capitalisation
L’un des membres du CNR, toujours vivant,
Stéphane Hessel (l’auteur de « Indignez-vous »)
dit à propos du Conseil National de
la Résistance : « Les hommes qui ont
élaboré le programme du CNR n’avaient ni responsabilités ni pouvoir dans la
gestion du pays, ils s’appuyaient juste sur leur grande liberté face au
gouvernement de Vichy. Sans contrainte, mais avec ambition, sans se demander si
les choses étaient réalisable sou non, ils ont simplement couché sur le papier
ce qui serait fort et utile à la Nation au lendemain de la victoire sur
l’ennemi.
Témoignage à méditer par rapport à la
situation d’aujourd’hui. C’est en partant des besoins sans s’embarrasser des « contraintes »
que l’on peut faire émerger les vraies innovations sociales.
§
4
principes ont été retenus pour la mise en place de cette institution
L’unicité : une institution
unique, obligatoire (une seule caisse : maladie, famille, retraite)
L’universalité :
la
couverture est étendue à tous les citoyens Dans
les faits le Régime général restera celui des seuls salariés de l’industrie et du commerce non couverts par les
régimes spéciaux,
La
démocratie : la
gestion est assurée par les intéressés
La
solidarité :
c’est la pierre angulaire du système. Solidarité inter-générations, solidarités
actifs-retraités, malades-bien-portants.
Une fois l’ambition posée
venait la question du financement. Le pays avait l’expérience négative de ce
qui était en place le système d’épargne individuelle (la capitalisation) dont le résultat était catastrophique on
payait beaucoup pour recevoir peu
Il
fut décidé de rompre avec ce principe et la
cotisation sociale fut inventée. Bernard Friot, sociologue qui travaille
beaucoup sur la question de la protection sociale dit à propose de la
cotisation sociale : « c’est
l’institution la plus subversive née du combat syndical du XX°
siècle »
En quoi
consiste-t-elle ?
La cotisation sociale est prélevée sur la richesse produite par le
travail dans l’entreprise, c’est une
part du salaire, mais à la différence du salaire net versé à la fin du mois
à chaque salarié, elle est perçue par les caisses de sécurité sociales qui
financent les soins et les salaires des soignants, les pensions des retraités,
les indemnités journalières…..
C’est le système par répartition,
l’argent n’est pas placé, il est directement réutilisé pour les besoins des
ayants droits selon le principe : Chacun
cotise selon ses moyens, les prestations sont fournies en fonction des besoins.
Le principe s’oppose donc fondamentalement au principe des assurances pour
lesquelles on est indemnisé en fonction de ce que l’on a payé.
C’est la cotisation qui ouvre les droits
De plus ce système de prélèvement fait à
la source est la meilleure façon de diminuer la part de profit que s’octroient
les actionnaires. Plus les
cotisations et salaires augmentent plus leurs parts de profit diminuent
Voilà rapidement brossés les fondements
de notre sécu
pour reprendre une expression de Frédéric Pierru sociologue « la sécurité sociale, c’est le patrimoine de
ceux qui n’en ont pas »(France inter Nov. 2012 émission Mermet)
Inutile de vous dire que ce système a
toujours déplu au patronat qui n’a eu de cesse de le casser. Lors de la
création en 45, le rapport de force n’était pas favorable au capitalisme français qui avait préféré Hitler
au Front populaire, il n’a donc pas pu s’y opposer.
Mais la casse de la sécu est pour lui une
obsession depuis sa création en conséquence
la conserver et l’améliorer est donc toujours objet de luttes et de
rapport de force
Ø
DE 45 AUX ANNEES
70 : AMELIORATION
Au cours des années qui ont suivi la mise en
place jusqu’à la fin des années 70, les réformes engagées ont permis une
amélioration des prestations santé, vieillesse et famille pour une population
toujours plus large (commerçants, agriculteurs…) financée par une hausse du taux de cotisation*(1)
(donc de fait une augmentation du
salaire), ce qui a permis de marginaliser les assurances privées, l’épargne et
la capitalisation
Cependant dans cette période, avec les
ordonnances de 1967, 2 principes fondateurs sont remis en cause :
- l’unicité avec la création de 3 caisses
(maladie, vieillesse, CAF, )
- la démocratie avec
l’institution d’un paritarisme strict entre employeurs et
salariés qui auront désormais le même nombre de représentants dans les conseils
d’administration et la suppression des élections des administrateurs salariés,
qui seront désormais désignés
Il n’y aura plus d’élections des
représentants des assurés avant…1983.
Du fait de la division syndicale, et
par le jeu des alliances, le patronat va désormais mener la danse dans les
conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale.
Cette première moitié de l’histoire
de la sécu nous montre les « possibles » et que les luttes contre les
inégalités, et pour les solidarités ont
été porteuses de réformes progressistes
Ø DEPUIS LES ANNEES 80 : DES RECULS
Le gel du taux des
cotisations*(2) en 1984 met un coup d’arrêt aux améliorations et aboutit au remplacement de la cotisation par de la CSG en 1981.
Depuis une trentaine d’années les cotisations patronales n’ont pas évolué
et se stabilisent à environ 26% du salaire brut. Et depuis une quinzaine
d’années, les cotisations salariales stagnent à 15%.
Au total, aujourd’hui, les cotisations représentent 40% du salaire brut,
dans les années 90, elles représentaient 66%.
Parallèlement se
développe une politique d’exonération et de réduction des cotisations dont le
montant est passé de 1,9 milliards d’€ en 1992 à 30,7 milliards en 2005 (source
projet de loi de financement de la sécu
2013, annexe 5)
Entre
1982 et 2010, la part des salaires (net et cotisations sociales) dans la
richesse produite chaque année (valeur ajoutée) a reculé de 8 points
Avec cette diminution des cotisations
nous allons de reculs en reculs que ce soit pour la santé, pour les retraites, pour les AF.*(3) alors
que les besoins vont croissants
En plus, cette diminution de la part prélevée sur les richesses créées par
le travail a abouti au remplacement
partiel de la cotisation par de la CSG
en 1990 et à une fiscalisation de fait du financement de la sécu
Comment s’est opéré ce glissement,
et pourquoi
n’avons-nous pas pu l’empêcher ?
Nous avons eu droit à une bataille idéologique intense de la part du
patronat autour de la notion de compétitivité
à laquelle la gauche syndicale et politique n’a pas riposté à la hauteur
nécessaire : soit parce qu’elle n’accorde pas une attention suffisante à l’usage des mots
employés (CGT, FSU, …les partis à la gauche du PS…), soit parce qu’elle partage
ce point de vue (PS, CFDT)
De quoi s’agit-il ?
Dans les années 80, nous avons vu apparaitre les charges patronales au lieu
de cotisations sociales (les feuilles de paie ont d’ailleurs étaient refaites
avec ce vocable), nous avons vu apparaitre le coût du travail à la place de
salaires ou rémunération du travail.
Cette métamorphose n’est pas
anodine. Transformer le travail en coût alors que c’est par lui que sont créées
des richesses, faut l’imaginer !
Si c’est le coût du travail et les charges qui pèsent sur la compétitivité
il faut les alléger L’idée de coût induit la nécessité d’une réduction,
celle de charge suggère l’allégement
voir la suppression
Ces associations verbales et mentales élevées par les médias au rang
d’évidence ont permis au patronat, aidé
par les divers gouvernements de
réaliser son rêve : faire baisser les salaires, via les cotisations, donc
augmenter ses profits, et cela au nom de
l’emploi (on sait aujourd’hui ce qu’il en est les salaires brut ont baissé, le chômage progresse)
A partir de ce débat biaisé autour des charges trop lourdes et du coût du
travail trop important, la voie était ouverte pour remplacer une part de la
cotisation sociale par un impôt et la CSG fut inventée par Rocard en 1990
A gauche, tout le monde ne partage pas la même appréciation sur la
CSG : PS, CFDT, Solidaires, sont Pour, les partis à gauche du PS et la CGT , FSU( ?) sont contre
Je ne connais mal les arguments de ceux qui sont pour, mais pour
l’essentiel il argumente au nom de l’emploi *(4) Mais je connais les arguments de ceux qui sont contre que je partage
Ce qu’est la CSG
La définition donnée sur le site
officiel du gouvernement (service-public)
·
« La
contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de
la dette sociale (CRDS) sont des prélèvements fiscaux destinés à diversifier les sources de financement de
la sécurité sociale » Il est donc clair que c’est la porte
ouverte à la casse du système
·
Son paiement
n'ouvre pas droit à affiliation aux régimes sociaux ni à prestations sociales
·
Seuls les revenus sont soumis à la CSG
• les revenus d'activité : salaires, traitements, primes et indemnités diverses, sommes de la participation ou du plan épargne entreprise
• les revenus de remplacement : pensions de retraite, d'invalidité, allocations chômage, allocations de préretraite, indemnités journalières maladie, maternité, accidents
• les revenus du capital : capitaux mobiliers,
revenus fonciers, revenus de l'épargne
Après plus de 20 ans de CSG que constatons-nous ?
Entre 1990, année précédant la création
de la CSG, et 2002, la part de la protection sociale financée par les
cotisations sociales est tombée de 85 % à 65 % quand, dans le même temps, la
part des recettes fiscales passait de 3,1 % à 23,5 % de ce total.( Source : Compte de la protection
sociale - DREES ; comptes nationaux INSEE )
Selon un rapport de la cour des comptes
de 2011, 90% des produits de la CSG proviennent du travail, 10% du capital
En 2008, le
produit de la CSG s'est élevé à 84,328 milliards d'euros[], ce qui en fait le premier impôt
direct en France devant l'impôt sur le revenu. Elle représente environ 18 % des
ressources de la sécurité sociale et
près des deux tiers des impôts et taxes affectés à la protection
sociale.
C’est bien une fiscalisation de la sécu
qui s’installe c’est-à-dire le passage d’un modèle reposant sur la cotisation
sociale à un autre reposant sur l’impôt.
Fiscalisation renforcée par le fait que
les exonérations sont payées aux caisses de Sécu par l’Etat donc par l’impôt
Sur
le plan comptable, ces 2 options ne différent pas vraiment si le volume
de recettes est identique.
Le débat se situe sur l’origine des
prélèvements Dans un cas (cotisation sociale) on prélève à la source, sur les
richesses créées, au moment de la
répartition masse salariale /profit.
Dans le cas de la CGS, il s’agit d’une redistribution
de l’impôt collecté par l’état après la répartition salaire/ profit.
La première solution conforte le salaire
contre le profit, la seconde légitime le profit et affaiblit le salaire
La cotisation sociale comme financement de la
sécu est donc fondamental
Pour répondre à l’augmentation légitime
des dépenses de santé, et des retraites
il faut augmenter le taux des cotisations sociales et en 1° lieu la
cotisation dite patronale. Ce qui participera à diminuer la part de profits et
sera salutaire pour le bien être du plus grand nombre
Mais bien évidemment cela ne pourra être
obtenu que par une lutte déterminée
Pour terminer
Il n’est pas inutile pour la
compréhension de l’enjeu de la sécurité sociale et pour le débat de se rappeler
les projets du MEDEF concernant la couverture santé
Dans un rapport rendu public en
2010*(5), il indiquait son souhait d’inverser la
logique qui régit l’assurance maladie, à
savoir la solidarité, et de recentrer l’assurance maladie sur des missions
revues à la baisse, pour permettre aux systèmes de couvertures complémentaires,
aux assureurs privés, de prendre le relais en de nombreux domaines
Ainsi
il préconisait 3 niveaux de couverture
1-
Un
socle de solidarité avec ce qu’il appelle l’Assurance Maladie Obligatoire(AMO)
pour les risques les plus lourds
Assurance entièrement fiscalisée puisque financée par la CSG ou une TVA sociale, afin que les retraités
participent davantage au financement
2-
Une
Assurance Maladie Complémentaire(AMC) à travers les mutuelles, institutions de
prévoyance, et assurances privés Le
MEDEF propose que cette assurance (AMC) soit financée par les actuelles cotisations patronales à l’assurance maladie
3-Le troisième niveau facultatif :
intitulé Assurance Maladie Supplémentaire
Donc une proposition majeure : recentrer
l’assurance maladie obligatoire sur les risques les plus lourds, et faire
basculer les autres risques sur les systèmes complémentaires facultatifs.
Il n’est pas inutile de
rappeler que les mutuelles et à plus forte raison les assurances privées
fonctionnent avec des prestations différentes selon le niveau de cotisations et
des cotisations qui augmentent avec l’âge. Elles n’ont rien de solidaires. On est loin
du : chacun contribue selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins
En clair, ne disposeront
d’une couverture sociale large que ceux qui auront les moyens de se l’offrir,
par eux-mêmes ou par le truchement de leur entreprise. Et tous les autres
profiteront d’une couverture sociale réduite, notamment pour les risques les
moins importants.
Et
le MEDF précisait en novembre 2010
« Il convient de conforter
notre système de santé en y introduisant des réformes courageuses au plus tôt,
sans doute après les élections présidentielles de 2012 »
Pour
ce qui concerne la retraite, les propositions du MEDEF sont de même
nature : un socle minimum financé par la sécu et des compléments par
l’épargne privée
*1- le taux de cotisation était de 32%
du salaire brut, en 1945 pour parvenir à 66% au milieu
des années 1990. En matière de retraite, il est passé de 8% à 26% en 1998. Il
devrait être de 75% pour répondre aux besoins .B.Friot interview VO 28/01/2011
Amélioration des remboursements longue maladie, des indemnités maladie,
tarifs plafonnés pour les médecins(1960), les mutuelles sont pratiquement
inutiles
Pour la retraite niveau de pension passe
de 40% sur les 10 dernières années à 50% sur les 10 meilleures années, L’âge de la
retraite en 1945 est 60 ans. La pension proportionnelle est
acquise avec 15 ans de cotisations (du 1.7.30 début des AS au 1.7.45 = 15
ans) soit 15/30ème de pension entière, à raison de 40 % d’un plafond, pour 1,9
d’espérance de vie. Puis
en 1971, niveau de pension passe de 40%
sur les 10 dernières années à 50% sur
les 10 meilleures années de 30 ans de cotisations à 37,5
*2- gel du taux de cotisation : 1979 Cotisation patronale
vieillesse, 1984, cotisation patronale santé, 1993, cotisation patronale
chômage, 2001 cotisation patronale retraite complémentaire, milieu des années 90,
cotisation salariale
*3- forfait hospitalier, franchises,
déremboursement, ….
*4 « …le poids du financement de la
protection sociale lié au salaire est inégalement réparti, que ce soit entre
les entreprises, les entreprises, les salariés ou les ménages, et freine le
développement des emplois à faible valorisation économique » Résolution
Congrès CFDT 2002
*5 Projet de note du groupe de travail
Santé du MEDEF 2 novembre 2010(consultable sur internet)
Madeleine Morice