Nous
publions, ci-après, le travail de réflexion mené par le groupe des Amis de
l’Emancipation Sociale(1) de Lure, qui s’est attaché à comprendre la
spécificité de l’évolution de la société espagnole. Le retour sur l’Histoire du
peuple espagnol, la sortie de l’ère franquiste puis l’instauration d’une
démocratie contrôlée aboutissant à son entrée dans l’UE s’apparente à celle de
la Grèce après la fin de la dictature des colonels. De même, la crise de
2007-2008 a profondément bouleversé leurs économies tournées vers le tourisme
et la spéculation immobilière. Toutefois, l’émergence de Syriza en Grèce et
celle de Podemos est différente. Il serait intéressant de poursuivre cette comparaison…
d’autant que le fonctionnement de Podemos n’est guère différent des autres
partis. Toutefois, la poussée du mouvement des Indignés et des associations et autres groupes
politiques laisse penser que le bouleversement du paysage politique espagnol
n’a pas fini de nous étonner. La crise politique en germe (absence de gouvernement
volontés indépendantistes et autonomistes, remise en cause de la royauté)
contient en elle-même la possibilité de transformations plus profondes. Toutefois,
et il faut le souligner, Ciudadanos, parti fondé de toutes pièces (sonnantes) par
un banquier, apparaît comme la solution de remplacement que se donnent les
classes dominantes, tentant de rallier les couches moyennes pour marginaliser
le mouvement populaire et Podemos. Mais cette nouvelle droite libérale,
soutenue par les médias, se heurte aux volontés d’autonomie des régions. Cette
spécificité espagnole se traduira-t-elle en un système fédéral
stabilisateur ? Ou bien à l’image de cette déconstruction de l’union
libérale de l’Europe (Ecosse, Brexit, Grexit, montée des nationalismes) ? Assistera-ton
à l’éclatement de l’unité de l’Espagne ? Sachant que le mouvement
indépendantiste en Catalogne, bien qu’il ait évincé Arthur Mas, ce dirigeant de
la droite libérale catalane, lui substitue un nouveau leader issu de la même
formation politique… et ce, sous la pression d’un parti d’extrême gauche. DP.
Qué pasa en Espana ?
A travers cet article, nous allons
tenter de répondre à 4 questions concernant la situation actuelle en Espagne.
Question 1 : Comment un NOUVEAU
parti politique, enregistré le 11/03/2014, peut-il, un an plus tard, remporter
les villes de Madrid et Barcelone aux élections municipales et obtenir 21% des
voix aux élections législatives un an après ?
Question 2 : Pourquoi l’Espagne
se trouve-elle aujourd’hui, le 19/01/2016, sans gouvernement ?
Question 3 : Où est l’équivalent
espagnol du Front National français ?
Question 4 : La Catalogne
sera-t-elle indépendante en 2017 ?
1ère partie - Petit rappel historique
L’Espagne a connu la dictature de F.
FRANCO, de 1936 à 1975, et donc pas de problèmes électoraux à cette époque !!!
Se doutant qu’il allait mourir un jour, Franco choisit, forma, éduqua, son
successeur en la personne de Juan CARLOS, surnommé alors « le pantin de Franco ». Mais, à la
surprise générale, et non sans un certain courage, Juan Carlos, nommé roi le
22/11/1975, quelques jours après la mort du Caudillo, convoqua un groupe
d’experts afin de préparer une Constitution instituant la démocratie en
Espagne : la Constitution de 1978 prévoyait en effet l’élection au
suffrage universel, tous les 4 ans, d’un Parlement qui désigne un premier
ministre chef du gouvernement.
Le 1er gouvernement de
SUAREZ, centriste, connut le coup d’Etat de 1981, pendant lequel des militaires
putschistes prirent en otage l’Assemblée Nationale espagnole durant 17 heures,
n’hésitant pas à faire usage d’armes à feu.
Juan Carlos intervint à la télévision
pour demander à l’armée de soutenir le gouvernement légitime et le coup d’Etat
échoua. Commença alors une alternance entre deux partis hégémoniques le
PSOE, parti socialiste ouvrier espagnol (gauche) et le PP, parti populaire
(droite).
Scores
électoraux
1982/1996 : Felipe Gonzalés, PSOE
1996/2004 : J M Aznar, PP, 44%
2004/2011 : JL Zapatero, PSOE,
43%
2011/
: M. Rajoy, PP, 45%
Ces scrutins se déroulent à la
proportionnelle par circonscription en un seul tour. Ces scores sont donc à
comparer au 1er tour des
élections françaises.
On peut s’étonner que les Espagnols se
soient contentés, durant ces années, d’une offre politique si pauvre, mais ils
avaient une bonne raison : ILS CONSOMMAIENT. Après la dictature, l’Espagne
s’ouvrait à nouveau aux capitaux, aux industries, aux touristes… Les Espagnols
avaient du travail et, en confiance, n’hésitaient pas à s’endetter pour acheter
des maisons, des biens de consommation, dont ils avaient été privés sous
Franco.
Le PIB fut multiplié par 8 (4 pour la
France)
L’entrée dans l’Union Européenne, en
1986, dopa encore la croissance. En effet, l’Espagne bénéficia de subventions
européennes en matière d’infrastructures (transport, agriculture, énergie…). Entre
2005 et 2008, la croissance en chiffres cumulés fut de 11,1% (6,4% pour la
France).
Bref, les Espagnols avaient du
travail, s’équipaient et la politique était le cadet de leurs soucis. Cette
indifférence permit au PP et au principal syndicat l’UGT, proche du PSOE, de
prospérer en toute quiétude, de
s’affranchir parfois de règles légales.
Ce rappel historique a pour but de
montrer que l’Espagne et la France abordent différemment la crise de
2008 : la France connut les Trente
Glorieuses puis une croissance faible, l’Espagne, une stagnation puis une
croissance très forte.
2° partie - Réponse à la question n° 1
La crise de 2008 et la naissance du parti PODEMOS
La crise de 2008 transforma en France
une croissance faible en une stagnation. Nous l’avons pourtant tous ressentie concrètement
(retraite, Sécurité Sociale, conditions de travail, salaires,…). La croissance
passa de 6,4% (chiffres cumulés) entre 2005 et 2008 à 0,9% entre 2009 et 2013.
En Espagne, on passa de 11,1 % à
-5,8%. L’Espagne connut une réelle récession.
La France a ralenti, l’Espagne, elle, a frappé un mur et est
repartie en arrière. Le taux de chômage atteignit 25% en 2013 (50% pour les
moins de 25 ans). De plus, pour sauver les banques espagnoles, l’UE octroya au
pays un prêt de 41 milliards d’euros, assorti de l’obligation de coupes
budgétaires sanglantes et de taux d’intérêts peu amicaux.
Ce séisme économique fit voler en
éclats les pactes tacites entre gouvernement et syndicats et mit à jour moult
affaires de corruptions, détournant de la classe politique traditionnelle un
grand nombre d’Espagnols.
Entre 2008 et 2014, de nombreuses
associations, collectifs citoyens virent le jour pour lutter contre les effets
de cette crise. De nombreuses expériences de micro-économies solidaires se
créèrent et engendrèrent de grands mouvements sociaux, « marées
vertes » dans l’éducation, « marée blanche » dans la santé, « mouvement
des indignés », l’Espagne populaire et solidaire était en ébullition.
Dans ce contexte se créa à Madrid un
collectif de professeurs de l’Université de Complutence en pointe sur le problème
des expulsions, dont faisait partie un certain Pablo Iglésias, professeur de
communication économique. Ce collectif en a fédéré de nombreux autres qui souhaitaient
poursuivre la lutte sociale sur le plan politique.
C’est ainsi que fut enregistré le
11/03/2014 un nouveau parti politique : PODEMOS (Nous pouvons).
En mai 2014, son score aux européennes
est de 8%. Aux municipales, Podemos gagne la ville de Madrid (Manuela Carmena)
et Barcelone (Ada Colau).
En décembre 2015, Podemos fait 21% aux
élections législatives.
C’est donc par l’engagement citoyen,
hors des partis traditionnels, à travers des collectifs, des associations et la
présence d’un leader fédérateur que Podemos a pu aussi rapidement obtenir de
telles victoires électorales.
3° partie : Situation actuelle
A partir de 2013, les élections ne se
jouent plus à deux partis mais à trois, voire à quatre ; car un autre
parti apparaît également. Ce parti est né en Catalogne en 2005. C’est un parti
anti-indépendantiste, libéral, qui va servir de support au plan national à des
candidats libéraux venant de la société civile. Ce parti s’appelle :
CIUDADANOS (citoyens) dont le leader s’appelle Albert Rivera.
En décembre 2015, les élections
législatives se déroulent donc avec ces 4 principaux partis et le résultat
fut :
1 : PP 28% 123 députés
2 : PSOE 22% 90 députés
3 : PODEMOS 21% 69 députés
4 : CIUDADANOS 14% 40 députés
5 : divers 15% 30 députés
Majorité absolue 176 députés.
Sachant
-
que
Ciudadanos refuse de s’allier avec les partis traditionnels (PP, PSOE),
-
que
Podemos, lui, est prêt à des alliances à condition que le Parti concerné organise
un référendum d’auto-détermination en Catalogne et au Pays Basque (ce que refusent tous les autres partis),
-
et que l’alliance PP/PSOE apparaît
actuellement comme une alliance contre-nature,
vous obtenez la réponse à la question
n° 2 : l’Espagne n’a pas de gouvernement car aucun parti n’a la majorité
absolue et aucune alliance ne se dessine actuellement. Ces alliances pouvant
atteindre la majorité absolue grâce aux voix des députés « divers » négociés
à travers des accords individuels locaux.
La réponse à la question n°3
concernant le Front National espagnol est rapide. En effet celui-ci n’apparaît
pas en tant que parti mais les idées d’extrême-droite sont défendues par une
partie du PP qui « phagocyte » ce mouvement.
4° partie : la Catalogne
On dit généralement que la Catalogne
souhaite son indépendance car c’est une région riche qui refuse de payer pour
les régions pauvres d’Espagne. Ce n’est pas faux mais c’est loin d’être la
seule raison.
Quelques
rappels :
La langue officielle en Catalogne est
le catalan. Les enfants suivent leur scolarité en catalan et apprennent
l’espagnol (castillan) en 2° langue.
La Catalogne possède une police
catalane (los mossos de Escuadra) qui
a toutes les compétences (excepté celles concernant la police des frontières).
Elle possède plusieurs chaînes de TV
en langue catalane (privée, publique).
Les Catalans parlent exclusivement
entre eux en catalan (langue totalement différente du castillan)
La corrida, symbole de l’Espagne est
interdite en Catalogne depuis 2010.
Le mouvement indépendantiste y est
très présent (drapeaux aux fenêtres, tags pro-indépendantistes nombreux…)
Les Catalans ne se sentent pas
culturellement espagnols.
On aurait donc pu s’attendre à un raz-de-marée
indépendantiste aux régionales de 2015. Pourtant, ce mouvement n’obtint que 48%
et, grâce ou à cause du système électoral (élection proportionnelle par
circonscription), a obtenu la majorité absolue au parlement catalan (72 sièges
sur 135).
Il semble donc que la population catalane
soit divisée en deux parties quasiment égales, l’une souhaitant une véritable
indépendance et l’autre une autonomie plus grande au sein de l’Espagne. La
Catalogne se trouve donc dans la pire situation : chaque camp revendiquant
la victoire.
Le parlement a donc mis en route le
processus d’indépendance avec la majorité des sièges mais sans la majorité des
voix. La détermination totale dans la voie de l’indépendance est confirmée par
l’élection du nouveau président du Parlement catalan M. PUIGDEMONT, indépendantiste
intransigeant de la première heure, qui promet l’indépendance pour 2017 au plus
tard.
Remarque : cette
volonté pourrait inciter, au niveau national, le PP et le PSOE à s’allier pour
ne pas laisser la voie libre à l’Indépendance catalane.
A la question n°4 : La Catalogne
sera-t-elle indépendante fin 2017, le groupe des AES de LURE apporte une
réponse unanime, claire et précise : on ne sait pas !!
Jean-Louis, Lucette, Danièle, Fabrice,
Evelyne – groupe des AES de Lure, le 19.01.2016
Les Amis de
l’Emancipation Sociale
(une
association du Nord Franche-Comté et au-delà)
sont tous
ROUGES de colère car les classes populaires ne
doivent pas payer la crise du capitalisme
VERTS de rage contre le productivisme qui détruit
l’Homme et la planète
NOIRS d’espoir pour une société de justice sociale
et d’égalité
que nous
voulons multicolore, multiculturelle et solidaire
Les AES, c’est
Informer pour se libérer
Se libérer pour agir
Agir en s’auto-organisant
S’auto-organiser dans l’égalité