La Sécu elle
est à nous !
« On s’est battu pour la gagner » : la protection sociale
n’est pas née du seul Conseil National de la Résistance. Elle a été un long
combat, au cours du siècle précédent. Elle fut et est toujours un compromis
entre les salariés et le patronat. « On
se battra pour la garder !», encore faut-il s’entendre sur ce que l’on
veut défendre ou reconquérir. Les éléments ci-dessous sont extraits d’un texte
de Pascal Franchet dans AVP - Les Autres
Voix de la planète - du CADTM(1)
La Sécu, on
s’est battu pour la gagner !
La protection sociale universelle
(chômage/maladie/retraite), avec celles du salaire et du temps de travail, est
la revendication la plus ancienne du mouvement ouvrier. Depuis la lutte des
Canuts (1831) à celle des ouvriers du Creusot (1899) en passant par la Commune
(1871), il y a plus d’un siècle de luttes sociales avant l’ordonnance d’octobre
1945 qui crée la Sécurité Sociale. La revendication d’une protection sociale
universelle a commencé avec l’instauration du capitalisme industriel au 19ème
siècle. La première loi visant à mutualiser les coûts liés à un risque est
votée le 8 avril 1898, assurant la protection de salariés de l’industrie contre
les accidents du travail. Elle contraint l’employeur à s’assurer contre ce risque
auquel il doit faire face. Dans la foulée, au début des années 1900, deux
députés socialistes, revendiquèrent la même protection contre le chômage et la
misère, inhérents au capitalisme ; pour eux, il n’est pas question de
faire porter les risques de chômage, de maladie ou de misère par une cotisation
des salariés. Au même titre que l’employeur doit les salaires aux salariés, il
doit la cotisation qui protège la force de travail. Cette revendication n’aboutit pas en 1900 mais
servit de base à la construction de la protection des salariés. C’est en 1928
qu’est instauré le premier système complet et obligatoire d’assurances sociales
(maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès) au bénéfice des salariés de
l’industrie et du commerce, instituant la cotisation sociale. Qui doit la
payer ? Cette question a imprégné tout le mouvement ouvrier du 20ème
siècle et est toujours présente au 21ème siècle.
La Sécurité sociale, inscrite dans le
programme du Conseil National de la Résistance « Les jours heureux »,
naît des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. En 1945, toutefois, il n’y eut
ni grèves, ni manifestations pour imposer cette avancée sociale. La bourgeoisie
patronale-collabo sortait très affaiblie de la 2ème guerre mondiale
et le puissant mouvement ouvrier du siècle précédent s’était encore renforcé
par son engagement dans la Résistance. Dans ce contexte, le programme du CNR
fut un compromis accepté par le gouvernement et le patronat pour consolider
cette « entente » face au bloc soviétique ; ce ne fut pas un
projet partagé de transformation radicale de la société. Bien entendu, ce progrès
social est une avancée indiscutable et doit être conservé à tout prix le
principe suivant : « la cotisation sociale est un prélèvement sur
la richesse créée par le travail dans
l’entreprise, qui n’est affectée ni aux salaires ni aux profits, mais mutualisé
pour répondre aux besoins sociaux des travailleurs résultant des aléas de la
vie, indépendamment de l’Etat et de la négociation collective et dont le
montant est calculé à partir des salaires versés ». Autrement dit, la richesse
créée par le travail contraint l’employeur à verser du salaire différé (la
cotisation) ; il ne peut être question de fiscaliser ce risque. On le
verra plus loin, la création de la CSG et de la CRDS ont ouvert une brèche
contraire à l’esprit des ordonnances de 1945. Dans la conception initiale, Etat
et syndicats (par la négociation collective) ne peuvent influer ou modifier les
principes de fonctionnement de la Sécurité Sociale. L’Etat intervient en tant
que garant de ce droit humain fondamental, inscrit dans le préambule de la
Constitution en 1946. La Sécurité Sociale fut conçue comme un service public
original et indépendant de l’Etat, directement géré par les assurés eux-mêmes,
par l’intermédiaire de leurs élus.
Ce rappel historique doit nous servir
à renforcer notre détermination à garder (voire reconquérir) le système de protection
sociale, tel qu’imaginé par ses fondateurs, qui subit régulièrement des
attaques et des régressions.
On se battra pour la garder !
Oui, mais sous quelle forme ?
La Sécurité Sociale, issue de ce
« compromis » contraignant pour la bourgeoisie subit depuis 40 ans
des remises en cause, concernant notamment son financement. Même si les
ordonnances affirment que la cotisation sociale est un prélèvement sur la
richesse produite par le travail, les textes fondateurs, écrits par des hauts
fonctionnaires et non par les organisations ouvrières, maintiennent le flou sur
la double cotisation patronale et salariale. De cette confusion entretenue par
le patronat qui n’a comme objectif que de reprendre aux salariés ce
« cadeau » qu’il ne veut pas payer, ont émergé des modifications
profondes, et ce, malgré les luttes sociales importantes ; toucher à la
Sécu, c’est mettre dans la rue toutes celles et ceux qui ne veulent pas voir ce
conquis disparaître.
Ces « reprises en main » de
l’Etat et du patronat se manifestent dans trois domaines principaux :
1
- De la caisse unique aux caisses par types de risques. En 1945,
l’ordonnance crée un régime général ayant vocation universelle pour rassembler
les protections à toute la population et étendre les risques couverts. Ce
projet ne sera pas réalisé du fait de l’opposition des régimes spéciaux et des
travailleurs indépendants. Plusieurs caisses sont donc créées : régime
général, agriculteurs, non-salariés et régimes spéciaux, formant un réseau de caisses uniques départementales, cogérées
majoritairement (75%) par les représentants des salariés.
Le 21 août 1967, les ordonnances
Pompidou/Jeanneney séparent
financièrement les risques en créant 4 caisses nationales autonomes :
CNAM (assurance maladie), CNAV (assurance vieillesse), CNAF (allocations
familiales) et ATMP (Accidents du travail/maladies professionnelles) ; la
gestion de l’ensemble de la trésorerie est confiée à l’Agence Centrale des
Organismes de SS (ACOSS), tous ces organismes relèvent du droit privé. Signalons
qu’une 5ème branche avait vu le jour en 1958 : l’UNEDIC
(assurance chômage), hors Sécurité Sociale et paritaire, suite à un « coup »
de De Gaulle s’appuyant sur FO pour
contrer l’influence de la CGT qui, elle, revendiquait l’intégration dans la Sécurité
Sociale.
La CGT s’opposa aux ordonnances de
1967 qui effaçaient la lisibilité et remettaient la gestion financière aux
mains d’organismes dont les directions étaient nommées par l’Etat, ne laissant
guère de place aux administrateurs attachés au principe du « chacun contribue selon ses moyens et reçoit
selon ses besoins ».
2
- De la gestion majoritaire par les assurés à un paritarisme bien arrangeant pour
le patronat. Depuis
1945, la gestion de la SS a été modifiée à plusieurs reprises. Au départ, les
syndicats, seuls (sans le patronat), désignaient les membres des conseils
d’administration puis ce sont les assurés qui élurent leurs représentants parmi
ceux proposés par les syndicats. Mais les ordonnances de 1967 séparant les
caisses, supprimèrent aussi l’élection des administrateurs et instaurèrent un
mode de gestion paritaire entre représentants des assurés et des employeurs. En
1982, le principe de l’élection fut rétabli et la majorité des sièges réservés
aux syndicats. Des élections eurent lieu en 1983 (pour 6 ans) puis furent
constamment repoussées. En juin 1996 (ordonnances Juppé), la parité entre
représentants des employeurs et représentants des salariés désignés (et non plus élus) par les organisations syndicales est
rétablie. C’est un arrêté de 1966 ( !) qui établit la liste des syndicats
dits représentatifs, sans prendre en compte l’existant et encore moins les mouvements
de chômeurs. Pour les salariés : CGT – CFDT – CGC – FO – CFTC et pour les
employeurs : Medef – CGPME – UPA -UNPAL/CNPL). De fait, de par la division
entre les syndicats de salariés, c’est le patronat qui dirige la Sécurité
Sociale. L’Etat, quant à lui, joue un rôle de tutelle et de contrôle nettement
renforcé depuis 1996, avec l’institution par le Parlement de la loi de
financement de la Sécurité Sociale. Ainsi fut mis fin à la démocratie sociale.
3
- La fiscalisation et la financiarisation de la protection sociale.
Les fondateurs l’avaient décidé :
ce n’est pas aux salariés de payer pour être en bonne santé. Ce n’est pas aux
contribuables de payer à la place des patrons. La Sécurité Sociale sera
financée grâce aux richesses produites par le travail des salariés. Ce
« compromis », nous l’avons vu, imposé au patronat, n’a cessé d’être attaqué.
C’est au début des années 1980 que les
portes de la fiscalisation et de la financiarisation s’ouvrent, comme signal de
la politique de rigueur de Mitterrand. L’idée d’étendre l’assiette des
cotisations à tous les revenus disponibles aboutit à la création de la CSG –
Contribution Sociale Généralisée – (Rocard, décembre 1990). Cet impôt proportionnel par types de revenus, est
prélevé aujourd’hui à un taux entre 3.8% et 8.2%. Juppé, en 1996, crée la CRDS
– contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale (0.5%) (qui devait
être provisoire !) et, parallèlement, la Cades(2) pour financer la dette
sociale via les prêteur privés. La
fiscalisation est en marche.
Dès lors la logique comptable
l’emporte sur le choix politique ; l’on a assisté, depuis, au
démantèlement progressif de la protection sociale par les gouvernements de
droite et de « gauche ». Le capital a pris le pas sur le travail.
Les contre-réformes se sont succédé
sur les retraites, sur l’assurance maladie (forfaits, déremboursements,
financement des hôpitaux à l’activité, création des ARS (Agences Régionales de
Santé) émanations directes de l’Etat, tout en justifiant les régressions
sociales par le poids de la dette (le trou de la Sécu !).
Parallèlement, début des années 1980,
s’est mise en place la financiarisation de la protection sociale. Des
conventions d’objectifs et de Gestion (COG) introduisent la facturation croisée
des excédents et des besoins de financement, entre les caisses, avec
productions d’intérêts ! On assiste également au financement de la dette
sociale par les banques privées : à plusieurs reprises, l’UNEDIC emprunte auprès
des assurances et des mutuelles et souscrit des emprunts obligataires à des
taux de plus de 5%. Ce recours à l’emprunt garanti par l’Etat marque
l’ouverture définitive de la Sécurité sociale à la financiarisation. Il s’agit
de « maîtriser les dépenses de
santé » et d’accroître le pouvoir de l’Etat et du Parlement : l’ordonnance
Juppé (22.02.1996) lui redonne le pouvoir par le vote annuel d’une Loi de
Financement de la Sécurité Sociale, l’Etat fixant un ONDAM (objectif national
des dépenses d’assurance-maladie) à ne
pas dépasser. Pire, la LFSS en 2007, autorise l’ACOSS à avoir recours à des
billets de trésorerie pour ses besoins de financement à court terme :
ainsi, en 2007, l’UNEDIC faisait apparaître dans son bilan, 9.17 milliards
d’euros empruntés, répartis en obligations, billets de trésorerie et
titrisation, cette technique qui consiste à transformer en titres négociables
sur les marchés financiers des créances : les cotisations sociales servent à la
spéculation ! En 2016, le site de
l’UNEDIC ne rend public que 11 des 31 milliards d’euros souscrits. Elle vante par
ailleurs la fiabilité de ses capacités à rembourser et présente les économies à
réaliser sur le dos des chômeurs (1.6 milliard en 2 ans) en 2014 !
La Sécu, elle doit être à nouveau à nous !
Si « la Sécu, elle est à
nous ! », nous devons nous la réapproprier en la débarrassant du fardeau
de la dette sociale qui n’incombe pas à la Sécu quand, au nom des
politiques de l’emploi, les gouvernements de droite et de « gauche »
accordent de larges exonérations de cotisations, en particulier sur les bas
salaires, au patronat : elles se montent à près de 30 milliards d’euros.
Il nous faut exiger un audit citoyen
de cette dette, au nom de laquelle les contre-réformes néolibérales sont
appliquées. Il faut intégrer comme une dette du patronat le financement de la misère
(RSA, etc.) aujourd’hui (mal) financés par le budget de l’Etat et des
collectivités territoriales, c’est-à-dire par les contribuables que nous
sommes.
Enfin, l’on doit ré-affirmer que
l’accès à la protection sociale est un droit humain fondamental ; sa
gestion doit appartenir à ceux qui créent la richesse par leur force de travail.
L’Etat a obligation de garantir l’exercice de ce droit. Le patronat n’y a pas
sa place ; le paritarisme doit être remplacé par une gestion directe et transparente
par et pour les salariés, les privés d’emploi et les retraités.
Telles sont les revendications
minimales que nous devrions trouver dans un programme électoral qui se veut
résolument de « gauche », afin de nous mobiliser dans les luttes, à
l’image des ouvriers du 19ème siècle car « … tout être humain qui (…) se trouve dans
l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens
convenables d’existence ».
Odile Mangeot, le 23.02.2017
(1) Les Autres Voix de la Planète (AVP) dernier
trimestre 2016 « Dette sociale. Qui
doit à qui ? ». Revue produite par le CADTM : Comité pour
l’annulation des Dettes illégitimes
(2) Caisse
d’amortissement de la dette sociale
Pour s’abonner à l’AVP – Les Autres Voix de la Planète
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décortique une thématique liée à la dette au travers d’articles, d’analyses,
d’exemples. En vous abonnant, vous soutenez l’action du CADTM, et vous recevez
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Un petit tour dans les programmes de quelques
présidentiables en matière d’assurance maladie
Après son annonce fracassante de
remboursement des « gros » risques mais pas des « petits »
risques, Fillon a rétropédalé, mais le
ripolinage n’est que de surface ! Quant à Macron, il commence à parler programme, qui se révèle déjà bien
libéral de droite. Hamon, lui, a
déjà oublié son revenu universel ambitieux. Il s’agit de ne pas effrayer ceux
qui sont tentés par Macron ou par une gauche de gauche. En y regardant de plus
près, les volontés de ces trois présidentiables, se ressemblent et n’annoncent rien de bien
enthousiasmant : pas de diminution du niveau de prise en charge par
l’assurance-maladie et une meilleure prise en charge des lunettes, prothèses
auditives ou soins dentaires, mais nécessité
de maîtriser les dépenses et de faire des économies (Fillon :20 milliards
sur 5 ans, Macron : 15 milliards) en annonçant la volonté de rendre les
hôpitaux plus autonomes (pour Fillon : retour progressif aux 39h, pour
Macron : développer la médecine ambulatoire, vendre les médicaments à
l’unité, ne rembourser que les soins « utiles »… Quant à Hamon, il
annonce une modification du mode de financement de l’hôpital sans s’engager à
l’annulation de la loi Bachelot, base de la concurrence forcenée entre les
établissements publics et privés… Pour Mélenchon,
la santé publique doit redevenir une exigence de premier ordre : rembourser
à 100% tous les soins prescrits, combler les déserts médicaux par la création
d’un corps de médecins généralistes fonctionnaires rémunérés pendant leurs
études (dommage qu’il ne propose pas l’affectation obligatoire des médecins
dans les territoires où il en manque, sur le modèle de l’Education nationale !).
Il propose d’abolir les dépassements d’honoraires et de créer un pôle public du
médicament pour faciliter l’égal accès aux traitements et revenir sur le
financement actuel des hôpitaux, tout en stoppant les suppressions de lits et
de personnels, et en engageant un plan de recrutement pour reconstruire le service
public hospitalier.
Comme aurait dit Chirac : « Les promesses n’engagent que ceux qui
y croient ».
Comme l’affirment les Amis de l’Emancipation Sociale : Voter ne suffit pas !
La démocratie c’est définir ensemble les mesures de progrès social et d’égalité
et contrôler leur mise en œuvre.