Le chamboule-tout des présidentiables
Ce à quoi nous assistons, médusés par
les rebondissements en cascade des liaisons incestueuses des deniers publics
avec des politiciens sans scrupule qui, toute arrogance affichée, se prétendent
les hommes les plus vertueux, voire exemplaires. Cette piètre comédie révèle, au-delà
des frasques d’une caste politique aux abois, une réelle crise de régime. Si les
scandales en constituent la trame, c’est l’effondrement perceptible d’une
alternance réglée, se devant de reconduire la droite libérale conservatrice au
détriment d’une gauche de droite plus libérale en matière sociétale, qui
transparaît. Toutes les deux acquises à la poursuite de l’austérité commanditée
par le césarisme européen sont désormais pour le moins bien embarrassées.
En effet, outre l’impossibilité de
trouver un homme présidentiel qui
fasse consensus, ce qui depuis belle lurette ne se trouve plus sur le marché
bien faisandé de la caste politicienne, le scénario propagandiste d’une Europe
salvatrice a bien du plomb dans l’aile. Le consensus n’est plus de mise :
l’Europe du libre marché, de la domination de la finance et des multinationales
se décompose. Le poisson pourrit par la tête. La montée des nationalismes
xénophobes, la purge administrée aux peuples grec, espagnol, portugais… puis le
Brexit, la victoire électorale de Trump aux Etats-Unis, sont autant
d’ingrédients d’une tragi-comédie qui n’a pas fini de nous surprendre. En
ajoutant à cela l’émigration et les traitements infligés aux exilés de la guerre
et de la misère (largement provoquées par les Etats-Unis, l’Otan et des chefs
d’Etat européens soumis), toutes les incertitudes sur des lendemains qui
déchantent sont réunies. Encore qu’il faille pour nous surprendre encore,
compter sur des mobilisations inattendues des peuples qui n’en peuvent plus de
la corruption, des forfaitures, des impostures de ceux qui prétendent les
gouverner à coups de régressions sociales. Les derniers exemples en date sont
les femmes en noir qui, en Pologne, se sont dressées contre les restrictions
d’un droit à l’avortement déjà bien restrictif et en Roumanie où tout un peuple
urbain s’est levé contre les friponneries lucratives de ses dirigeants
prétendument socialistes.
C’est dans ce contexte que s’inscrit,
avec des spécificités, l’élection présidentielle en France.
Des partis dominants à l’OVNI Macron
A
droite,
sur un socle catho-réac,
l’affirmation d’une volonté de serrer la ceinture des classes populaires, y
compris en démantelant la Sécurité Sociale, Fillon le preux, le collaborateur
fidèle de Sarko est apparu comme le successeur possible d’un Hollande à bout de
souffle renonçant à se présenter. L’homme qui se prétendait exemplaire fut vite
rattrapé par les révélations. Non seulement ce petit châtelain de la Sarthe fit
rémunérer femme et enfants mais sa société de conseil lui verse des émoluments
faramineux pour des prestations tout aussi virtuelles. L’arrogante hypocrisie
dont il fait preuve suggère un homme aux abois, entêté, dans sa fuite en avant
pour échapper à la justice. Ses réseaux ne parviennent pas à fléchir les
« petits pois », ces magistrats que lui et Sarko avaient tant méprisés.
L’ex-PDG de l’assureur Axa qui l’avait conseillé dans son programme de casse
des prestations sociales doit en rabattre. Le parti, LR, fait pression pour qu’il
abandonne. Des félons prétendent changer de cheval au milieu du gué. Le filou Fillon
pratique le chantage : c’est moi ou
le chaos, j’irai s’il le faut en justice. Les laquais baissent le nez,
l’œil sur les sondages et se répandent en assurant : nous sommes plombés mais nous n’avons pas de plan B. D’excuses en
reniements, Fillon adopte une posture sécuritaire, sarkozienne, pour tenter
d’élargir aux franges de l’extrême droite son socle électoral qui s’effrite. La
soubrette d’Axa se montre désormais économe de ses apparitions publiques tant
monte l’exaspération contre sa vénalité insolente.
Pour
la gauche de droite,
après les couteaux plantés dans le dos de Hollande perclus de sondages
catastrophiques, les Macron et Valls se sont « émancipés ». Ils
prétendent tous deux incarner la continuité sous des nuances différentes. A la
primaire de la fausse Belle Alliance,
c’est la surprise consternante pour les apparatchiks néo-libéraux. L’électorat
socialo en choisissant le petit Benoît prétend revenir à des valeurs plus à gauche.
Des rats quittent ou s’apprêtent à quitter le navire solférinien pour rejoindre
Macron. Les propositions (comme le revenu universel), quoique restreintes dans
un premier temps… de la revalorisation du RSA à des émoluments circonscrits
pour les jeunes, suggèrent que l’état de précarité sociale est de moins en moins
accepté. Partis de très bas, les espoirs d’Hamon sont ragaillardis par le
probable retrait des Verts de gouvernement ensablés dans un environnementalisme
compatible avec le système. Leur recherche effrénée de strapontins ministériels
dans une gauche plus rien à réanimer semble bien futile. Il n’empêche, les
pressions sur l’insoumis Mélenchon s’accroissent, les Hamonistes, au vu des
sondages, répandent les illusions auxquelles ils semblent croire. D’autant plus
qu’une fraction de l’état-major dudit parti communiste entame des tractations
avec l’équipe Hamon. Ce parti qui a viré à la social-démocratie impuissante
espère se rabibocher avec un PS en déconfiture avancée. Hamon en visite au
Portugal tente de rallumer la flamme, là-bas la gauche plurielle vit encore…
mais les sondages restent décevants !
Macron semble
accaparer toute la lumière face au trou noir que nous promet Le Pen.
L’ex-banquier de chez Rothschild, l’enfant gâté du hollandisme, ce jeune fringant
postulant à la magistrature suprême joue sur l’ambiguïté : de droite et de
gauche, il mise sur le rejet des partis d’alternance pour récupérer la donne.
Les médias entretiennent cette bulle de secours qui à la manière de Ciudadanos
en Espagne prétend coaliser la moyenne bourgeoisie et les ubéristes écartelés.
L’homme marketing, sans véritable programme déclaré, vocifère à la lecture du
prompteur, sourit à qui mieux mieux, s’évertue à enthousiasmer et à séduire les
bobos inquiets mais qui jusqu’ici s’en sont bien tirés. Des ralliements venus
d’horizons différents le rassurent dans la posture adaptée jusqu’à ce que
l’équivoque levée fasse naître les mécontents rassemblés. Ainsi à vouloir récupérer
la beurgeoisie des quartiers il annonce « la colonisation, un crime contre l’humanité ». A caresser dans
le sens du poil les cathos fondamentalistes déçus de Fillon, il s’exclame qu’on
n’a pas tenu compte, voire réprimé les gentils de la manif pour tous, ceux qui veulent restreindre les droits des homosexuels…
La caste politicienne est bien marrie
de constater que la machine attrape-nigaud s’enraye. On assiste au
chamboule-tout des pronostics. Les avanies subies par la grande prêtresse du FN
laissent augurer d’autres rebondissements. Quand la horde des poulagas
vient en son absence (elle est au Liban pour tenter de se doter d’une stature
internationale) de pénétrer dans l’opacité du château Montretout ne lui reste
que la posture de la vierge outragée. Mais comme les autres dont elle aspire à
faire partie, elle est à la recherche de privilèges indus et guère à l’abri
d’une mise en examen (pour de détournement de fonds publics en bande
organisée). Reste cependant son socle électoral nationaliste et xénophobe bien
plus solide que ses adversaires…
Les joutes électorales se succédent
face à un corps social qui semble largement tétanisé par ces coups de théâtre.
En dehors de la scène, après l’agression sauvage s’apparentant à de la torture
dont a été victime Théo, la banlieue
s’embrase, se mobilise : la
police sarko-vallsienne est stipendiée. Qui plus est, la tournure de cette
présidentielle désuète prend le contrepied des aspirations démocratiques qui
ont éclaté dans le mouvement contre la loi El Khomry et Nuit debout. La conviction qui prend corps, c’est qu’il n’y a pas
de sauveur suprême et que la 5ème République est périmée. Et à
l’encontre de cette alternative démocratique, de meetings réglés par les stars
en rencontres médiatiques, aucune place n’est laissée au débat sinon aux
questions convenues de soi-disant experts triés sur le volet.
Contester sans modération
Ces joutes hors sol ignorent la
réalité des mouvements sociaux massifs qui se sont succédé dans la dernière
période : 1995, défense de la sécurité sociale - 1996, les sans-papiers -
1997/98, les chômeurs - 2000/2003, l’activisme altermondialiste - 2003, les
retraites – 2005, la révolte des quartiers populaires et le rejet du Traité
constitutionnel européen. 2010, les retraites - 2016 la loi El Khomry et depuis
2012, le rejet des grands projets inutiles. Certes, ces batailles défensives
ont acté des reculs significatifs (1). Il y a peut-être une lassitude qui se
fait jour, celle de toujours réclamer des miettes pour ne récolter que du vent
car de fait solliciter l’acceptable face
à l’inacceptable, c’est se résigner à ne plus convoiter l’impossible :
plutôt que secourir charitablement les pauvres, supprimer la misère. Le contrôle
collectif de l’économie plutôt que la lutte contre les licenciements. L’émancipation
sociale des peuples plutôt que se satisfaire d’un humanitarisme néocolonial. En
effet, la démonstration est faite : l’ordre
néolibéral du capitalisme financiarisé
refuse tout aménagement même modique pour soulager les classes précarisées et
paupérisées, c’est donc qu’il est irréformable
par le seul jeu des institutions
dont il est doté. Les partisans de l’insoumission, si leurs convictions étaient
sans équivoque, devraient appeler à soutenir les manifestations de
protestations des banlieues, appeler à l’occupation des usines qui ferment… Les
indignations morales ne suffisent pas : les scandales se succèdent et ces
anormalités se banalisent…
Un sursaut qualitatif est nécessaire.
Le changement de régime est à l’ordre du jour. Les puissances dominantes soit
feront du replâtrage, soit durciront encore la machine répressive. Dans les brèches
des escroqueries, des forfaitures et autres vilénies d’une caste politicienne
qui aspire à ressembler aux maîtres qu’elle sert, le mouvement social de
démocratie politique doit s’engouffrer. L’auto-émancipation ne peut être
qu’une praxis sociale de masse se conjuguant avec des utopies concrètes. Reste
que pour un temps encore trop long les palabres politiciennes risquent de
saturer l’atmosphère déjà irrespirable des miasmes délétères des aspirants
pontifes.
Le chamboule-tout continue :
c’est au tour de Jadot et Bayrou… sans compter les « petits »
candidats… en attendant de savoir qui va tenir jusqu’au bout…
Gérard Deneux, le 23.02.2017
(1) Voir à ce
sujet, l’article de Pierre Rimbert auquel j’emprunte certaines
expressions : « Contester sans
modération » le Monde
Diplomatique juin 2016