Une police gangrenée par le racisme ?
Avec le tabassage et le viol de Théo par
des policiers, la limite du supportable est dépassée. Rien ne pourra rétablir
la paix dans les quartiers et la confiance dans les institutions de la police
et de la justice, si les violences perpétrées par certains policiers n’aboutissent
pas à des sanctions à l’encontre de professionnels qui usent de méthodes
« dignes » d’une dictature.
Est-il encore temps ? En tout
cas, les « daronnes »(1) d’Aulnay-sous-Bois, toutes celles et ceux
qui marchent pour la dignité, pour la vérité, ne cessent d’appeler à la
justice. S’ils n’étaient pas entendus, les conséquences seraient sans aucun
doute d’autres violences. Et si justice est faite pour Théo, tant d’autres
humiliations, blessures voire morts restent non condamnées que cela ne suffira
pas. Car les tensions sociales sont profondes, faites de discriminations subies
par celles et ceux qui sont considérés comme de la « racaille », des
« rien du tout » ou des « dangereux » du fait de leur origine
(supposée), de leur couleur de peau ou de leur lieu d’habitation.
Alors, nous en sommes là ! Après plus
de 30 ans de « politique de la Ville » pour réduire les inégalités
territoriales au profit des habitants des quartiers ? Poudre aux yeux que
tous ces moyens promis, en éducateurs et polices de proximité, en formation
pour « l’égalité des chances » !
Qui y croit encore ? Sûrement plus les habitants et encore moins
les ministres successifs aux méthodes de plus en plus policières. C’est Sarkozy
qui crée (en 2003) les BST (Brigades spécialisées de terrain) auxquelles
appartiennent les 4 policiers qui ont tabassé et violé Théo. Cette police musclée
intervient dans les ZSP (Zones de Sécurité Prioritaires) comme la cité des 3000
à Aulnay. « Ce ne sont pas des policiers
d’ambiance ou des éducateurs sociaux », ni des « grands frères inopérants en chemisette qui
font partie du paysage » affirmait Hortefeux. Ces patrouilles, munies
de matraques télescopiques, LBD40, flash-ball, grenades lacrymogènes, armes de
services, gilets pare-balle, jambières et manchettes, interviennent pour
rétablir l’ordre. Incorporés sur la base du volontariat, ils sont souvent
inexpérimentés et peu aguerris à la réalité des quartiers sensibles(2). Les
jeunes les appellent : « les tabasseurs ». Et malgré sa promesse
(en 2012) du retour à la police de proximité, Hollande n’en fit rien. Valls sut
se montrer « ferme », et même « mieux », grâce à
l’état d’urgence, il élargit ces méthodes contre des militants écolos,
syndicaux. Le changement, ce n’est vraiment pas pour maintenant !
Si
cette séquence (du
2 février à Aulnay) n’est hélas que le
dernier épisode d’une très vieille série, c’est parce que, depuis 27 ans, aucun
gouvernement n’a modifié les éléments du scénario (3). La terminologie
utilisée, au fil des politiques gouvernementales, en dit long : de
développement social des quartiers,
on est passé aux Zones Urbaines Sensibles
pour finir par en classer un grand nombre en Zones de Sécurité Prioritaire.
Mais les quartiers pauvres et dégradés le sont toujours. Des milliards
ont pourtant été engloutis dans la rénovation urbaine sans rien changer au
chômage, qui dans les ZUS(4), dépasse les 50% chez les jeunes de moins de 30
ans. Rien n’a changé non plus sur le
terrain des discriminations qui compliquent toujours l’accès d’une partie de
nos concitoyens à l’emploi, au logement et à quantité de biens et services. Les
discriminations « ethno-raciales » se sont muées en discriminations
religieuses, notamment islamophobes, et les femmes en sont les principales
victimes quand elles décident de porter le « voile ». Les inégalités scolaires sont
flagrantes : le taux de réussite au brevet est de 95% pour les enfants de
collège d’un quartier aisé, de moins de 50% pour ceux d’un quartier ZUS. En 27 ans, rien n’a changé malgré les
innombrables alertes, rapports et livres publiés à ce sujet.
Tant
que les thèmes de la sécurité, des banlieues, de la violence, etc., serviront
avant tout aux politiciens à faire carrière, tant que la nécessité de l’ordre
fera taire celle de l’analyse, tant que l’institution policière continuera à
former et envoyer sur le terrain le même type de policiers et tant que les habitants
des quartiers pauvres seront enfermés dans les mêmes problèmes, l’on peut déjà
prédire sans risque qu’il y aura beaucoup d’autres Aulnay-sous-Bois.
Qu’est-ce qu’un Etat qui use de la
force et de la violence face à des populations précarisées, sans espoir en
l’avenir ? Qu’est-ce qu’un Etat «démocratique» qui pratique la justice à
deux vitesses, condamnant en comparution immédiate ceux que la police « attrape parce qu’ils courent moins vite »
à de la prison ferme et qui, par
ailleurs, permet que l’IGPN tente de requalifier le « viol délibéré »
de Théo en « violences volontaires » ? Qu’en sera-t-il de la
condamnation des auteurs de ces actes ? Et pour répondre à ceux qui répètent à
chaque incident dans les quartiers populaires : « la République et la police doivent être
respectées », il faut dire « Qu’elles
commencent par être respectables ! ».
Les commentateurs médiatico-politiques
ont vite fait de présenter les violences policières comme des actes individuels,
qu’il suffirait donc d’extirper les brebis galeuses du troupeau pour que tout
rentre dans l’ordre républicain. Mais les « bavures » ne sont pas des
dérapages individuels, il faut y dénoncer l’humiliation pratiquée comme système
de domination. Le discrédit participe de l’arsenal répressif. Les habitants des
quartiers subissent l’injonction de docilité et de soumission qu’ont combattue
les ouvriers immigrés par des grèves dans l’automobile en région parisienne (1982-1984).
De l’exploitation ouvrière à l’asservissement des banlieues, les procédés sont
les mêmes : les assignations sans motif, les insultes racistes dénoncées
par les ouvriers de l’époque sont les mêmes mécanismes qui opèrent maintenant
dans les quartiers. Leurs revendications et nos solidarités doivent résonner de
la même façon aujourd’hui, pour refuser l’humiliation comme support privilégié de
la domination de classe, méprisant le droit de l’individu.
Odile Mangeot
(1) Les mères
(2) Selon Unité
SGP Police FO
(3) en italique,
extraits d’un article de Laurent Mucchielli https://www.laurent-mucchielli.org
(4) Zone Urbaine
Sensible