Etat d’urgence. En sortir vraiment
Mis
en place le 15 novembre 2015, juste après les attentats du Bataclan, l’état
d’urgence a été renouvelé à 5 reprises. Il arrive à terme le 15 juillet
prochain mais Macron a d’ores et déjà décidé de le renouveler jusqu’en
novembre, le temps de préparer un projet de loi « adapté » à la lutte
contre le terrorisme.
On
a assisté, tout au long de cet état d’exception prolongé, à un glissement
dangereux, opéré par l’intermédiaire des préfets qui décrètent, au prétexte de
la protection des citoyens, des interdictions de manifester ou qui pratiquent
un usage de la force disproportionné, contre ceux qui manifestent leurs
désaccords face aux décisions gouvernementales régressives. Les moyens de maintien
de l’ordre mis en oeuvre n’ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.
La
question pour Macron et son gouvernement, est donc, la suivante : comment
sortir de cet état d’exception, sans avoir à encaisser la responsabilité dans
le cas où un nouvel attentat meurtrier aurait lieu, tout en usant des pouvoirs
exceptionnels qu’il offre, permettant de contenir les débordements des
opposants aux projets régressifs qu’il a annoncés ? Bien entendu, il affirme
être soucieux de la sécurité des citoyens face au terrorisme mais il a l’ambition
d’user de cet outil d’exception donnant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif,
via les autorités administratives, et veut l’inscrire dans la loi commune.
Etat
d’urgence pour restreindre les libertés
L’état
d’urgence, qui relève de l’exception, renforce les pouvoirs de l’autorité
administrative sans contrôle de l’autorité judiciaire. Qu’il ait été légitime,
immédiatement après les attentats afin d’user de tous les moyens pour
interpeler les auteurs des assassinats ignobles, soit. Pour autant, doit-il être
renouvelé à l’infini ? Ou alors, sert-il d’autres visées, sans le
dire ? Ce ressenti est confirmé par l’enquête d’Amnesty International,
publiée le 31 mai 2017, révélant que l’état d’urgence et les pouvoirs de police
exceptionnels qu’il autorise, ont permis de restreindre certains droits
fondamentaux, comme la liberté de manifester, la liberté d’expression ou encore
la liberté d’information.
Entre
novembre 2015 et mai 2017 : 155
manifestations ont été interdites, 639 interdictions individuelles de manifester
ont été décrétées au prétexte de prévention des violences sans qu’il existe
d’éléments démontrant la dangerosité des personnes concernées. 21 interdictions
ont été prises au moment de la COP 21 et 574 dans le cadre des manifestations
contre la loi Travail. De la même manière, des pratiques de maintien de
l’ordre, ont été appliquées, comme les fouilles systématiques et la
confiscation d’outils de premier secours dans les manifestations (sérums
physiologiques, lunettes…) ; plus grave encore, ces outils ont été confisqués
aux street-medics (médecins de rue) présents dans les manifestations pour
soigner ceux qui sont touchés par les gaz lacrymogènes et autres coups de
matraque « bien » assénés : plus de 1 000 personnes ont été
blessées au cours des manifestations contre la loi travail ! Par ailleurs,
les stratégies de maintien de l’ordre pratiquées sont contraires à l’apaisement
des tensions : la technique de la nasse, celle qui confine un groupe de
manifestants afin de les empêcher de rejoindre les manifestations, attise les
colères et les tensions. Toutes ces mesures de police, multipliées par certains
préfets, sont contraires aux droits fondamentaux de manifester et aussi
d’informer : de nombreux journalistes et de média filmant les
manifestations ont été empêchés et violentés.
Le
Conseil constitutionnel, suite à Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
(1) a, le 9 juin, censuré un des outils-phares utilisé à souhait par les préfets,
pour interdire à certains individus de manifester : l’interdiction de
séjour, formulée comme une interdiction de paraître « dans tout ou partie du département » si la personne cherche à
« entraver, de quelque manière que
ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Interdire de manifester sans
preuves de trouble de l’ordre public est contraire à la Déclaration des droits
de l’homme « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinons, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l’ordre public… ». Le Conseil Constitutionnel n’a pas pu
ne pas condamner : toutefois, la censure ne sera effective qu’à partir du 15
juillet (!!), fin de la prolongation de l’état d’urgence.
L’état
d’urgence prolongé servirait-il à préserver la sécurité des citoyens et à
lutter contre le terrorisme ? Non, explique Serge Slama (2) « même si
aucun chef d’Etat n’a eu le courage de dire que la fonction principale de
l’état d’urgence n’est pas de lutter contre le terrorisme. C’est un instrument
de neutralisation de certaines populations.
Cela renvoie à la fonction historique de l’état d’urgence, créé en 1955 durant
la guerre d’Algérie. C’est avant tout un instrument de contre-insurrection pour
neutraliser les « fauteurs de trouble ». Il a aussi des effets de stigmatisation
et de marginalisation de certaines personnes astreintes à une vie totalement
soumise à des obligations légales » (assignations à résidence, interdiction
de sortie du territoire, contrôles policiers…).
L’état
d’urgence a été un laboratoire pour tester les mesures qui en découlent, bien
au-delà de la menace liée au terrorisme. C’est pourquoi, il dure, mais, il est
une mesure d’exception qui ne peut être infinie, dans un pays où les
gouvernants revendiquent, tous, successivement, leur attachement à la
démocratie et au respect des droits de l’Homme.
L’entourloupe. Sortir de l’exception en
l’inscrivant dans le droit commun
Macron
a trouvé la combine : transcrire les mesures d’exception dans le droit
commun. Il a présenté, le 7 juin, au conseil de défense (3), le projet de loi
« renforçant la lutte contre le
terrorisme et la sécurité intérieure », dont la logique générale
consiste à accorder à l’exécutif des pouvoirs exorbitants de contrôle,
surveillance, intrusion et privation de liberté, en tenant à distance
l’autorité judiciaire.
Le
projet banalise les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence :
assignations administratives (pudiquement intitulées « surveillance et
autres obligations individuelles), perquisitions administratives, mesures de
fouilles dans l’espace public via la création de « périmètres de
protection » qui vont encore aggraver les pratiques discriminatoires,
fermeture de lieux de culte, pérennisation du fichage de tous les citoyens
voyageurs, contrôles d’identité transfrontaliers élargis mis au service des
politiques d’immigration basées sur le refoulement et le rejet, possibilités
d’exploitation des données électroniques contenues dans les appareils saisis
lors des perquisitions, sous la seule autorisation du juge administratif,
possibilités de surveillance de masse des communications hertziennes… Les pouvoirs
de l’exécutif (ministre de l’intérieur, préfets et policiers) sont accrus,
contre des citoyens privés de leur liberté d’aller et venir, de leur droit à la
vie privée et à la protection du domicile. Le syndicat de la magistrature (4)
alerte sur le danger d’un tel projet de loi : « Le ver est dans le fruit lorsqu’un Etat constitue un infra-droit pénal,
« principe de précaution » entre les mains d’un exécutif qui
revendique de porter atteinte aux libertés sur des suspicions, au prétexte d’accroître la sécurité collective ».
Les instruments policiers échapperont au contrôle de l’autorité judiciaire au
prétexte qu’il faut alléger les contraintes procédurales. Les perquisitions
décidées par un préfet, sur la base d’une note blanche (note non datée et non signée
faisant état de tous les éléments qui « prouvent », selon
l’administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et
l’ordre publics) remplaceront la constitution d’un vrai dossier soumis à un
juge.
Peut-on
admettre dans un Etat de droit que, de manière permanente, l’administration
préfectorale puisse décider sur la foi d’une simple information des services de
renseignement de perquisitionner n’importe quel citoyen ou de l’assigner à
résidence car il y aurait des « raisons
sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une
particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics » sans aucun
contrôle a priori d’un juge ? Ce qui se trame est une énorme régression
des droits et libertés qui bafoue le principe constitutionnel de la séparation
des pouvoirs. Il est illusoire d’imaginer la résistance du Conseil
Constitutionnel face à ce projet ; si toutefois cela était le cas, encore
faudrait-il attendre que se présentent des cas individuels devant des juridictions
pour qu’une QPC puisse être déposée contre la loi qui sera adoptée en novembre.
Nous
sommes tous concernés par ce projet de loi et ses risques d’atteinte à nos libertés
et à nos droits fondamentaux d’expression,
d’opinion, d’information… Il doit susciter une opposition de taille. Préparons-nous
dès maintenant aux attaques multiples contre nos droits individuels et
collectifs. Macron les annonce, à peine installé dans son fauteuil de Président
avec ses « Nikes de la majorité » (cf encart), sans légitimité
populaire : la « majorité » obtenue par LRM au 1er
tour des législatives est de 15% des inscrits (51.29% d’abstentions + 2.2%
votes nuls et blancs) et encore
amoindrie au 2ème tour (57.35% d’abstentions et 9.87% votes blancs
et nuls ! Quelle légitimité a-t-il pour imposer des lois liberticides ?
Odile
Mangeot, le 19 juin 2017
(1) la Question Prioritaire de
Constitutionnalité permet à tout justiciable de contester, devant le juge, la
constitutionnalité d’une disposition législative portant atteinte aux droits et
libertés garantis par la Constitution
(2) maître de
conférences en droit public, interviewé par Médiapart
le 8 juin 2017
(3) formation restreinte du Conseil de défense et de
Sécurité nationale, le conseil de défense est présidé par le président de la
République
(4) Politis 15
juin 2017 Laurence Blisson. Le Syndicat de la magistrature, dès novembre 2015,
s’était élevé contre les atteintes à l’Etat de droit de l’état d’urgence
Encart
Démocrates
d’occasion
Quels que soient les résultats ultimes, la majorité
présidentielle « écrasante » n’en restera pas moins minoritaire.
Quelques brebis abstentionnistes égarées, poussées vers les urnes du 2ème
tour, ne sauront garantir la légitimité du pouvoir. Le char de l’Etat reste une
bagnole d’occasion rafistolée et repeinte aux couleurs d’une nouvelle écurie.
Le pilote a trouvé chaussures à son pied (une droite, une gauche). Toutefois,
modernité oblige, le terme de « godillots de la majorité » doit être
remplacé par celui de « Nikes de la majorité ».
Recomposition oblige, il faudra trouver un nom plus
cossu et plus respectable au nouveau parti présidentiel, à l’imitation des
modèles allemands ou anglo-saxons. Quant aux juniors, hâtivement formés à leur
fonction à l’assemblée nationale, ils intégreront la nouvelle aristocratie chez
qui tous les mélanges de genre sont permis.
Aux citoyens de leur imposer une démocratie en
contrôle continu, une démocratie directe… et d’exercer leur droit à la
parole !
Le Collectif Droit à la parole de St Dié des Vosges,
le 12.06.2017