Bon été à toutes et tous !
Quelques lectures pour les vacances
La siliconisation du monde.
L’irrésistible expansion du libéralisme numérique.
L’auteur affirme que les
nouvelles technologies numériques inculquent une vision du monde et une néfaste
industrialisation de la vie. Né au sein de l’appareil militaire et de
l’informatique, développé dans les start-up de la Silicon Valley, le
techno-libéralisme prétend maintenir la domination du capitalisme financiarisé
en accélérant la circulation du capital et des marchandises. Les grands rapaces
d’internet, en collectant toutes données, entendent marchandiser tous les
instants du quotidien. Cette «race de
nouveaux seigneurs et de faux prophètes prétendument visionnaires, produisent
un système néo-féodal de castes distinctes» qui accélèrent la prépondérance
des 1%. La rhétorique de valorisation de l’individu, isolé mais connecté,
induit l’addiction numérique, bafouant l’intégrité et la dignité humaines.
Surveillance généralisée, organisation algorithmique de la société,
intelligence artificielle, pulsions de connexion, autant de facteurs qui dessaisissent
notre pouvoir de décision. Nous serions donc à l’orée d’une civilisation névrotique,
de marchandisation inconsciente de tous les instants du quotidien, d’une
société transhumaniste. Cette uberisation du monde en germe, sous une «apparence juvénile et dynamique» occulte
la précarisation structurelle en œuvre et l’affaissement de l’esprit critique.
«La mise sur le marché de nouveaux
produits stimulant sans relâche la demande par l’introduction de nouvelles
versions d’un même produit», «la
furie transhumaniste», les personnalités disloquées saisies de crises
d’angoisse, scotchées à leurs écrans, le burn-out, n’en sont que les
manifestations les plus visibles. GD
Eric
Sadin,
éd. L’échappée, 2016, 17€
France Côte
d’Ivoire : une histoire tronquée
Cette journaliste de terrain fait
le récit argumenté de l’histoire récente des relations entre la France et la
Côte d’Ivoire, celle d’un nouveau cycle d’interventions militaires en Françafrique,
inaugurée par Sarkozy que poursuivra Hollande (Mali, Centrafrique…). La
domination coloniale qui s’effrite dès 1993, après la mort d’Houphouët-Boigny,
la lutte des clans et la misère sociale débouchant sur des affrontements
incontrôlables et la victoire contestée de Gbagbo décidé à ébranler la tutelle
française, tout va être mis en œuvre pour le déstabiliser, le délégitimer («parano, sournois… ce nègre»). Les médias
occidentaux, l’intervention au nord de seigneurs de guerre armés par le Burkina
Faso du dictateur Compaoré, l’instrumentalisation «bienveillante» de l’ONU avec
l’assentiment des grandes puissances, la mise en branle de l’armée française
pour soi-disant séparer les deux forces en présence, le choix fait par la
communauté internationale d’Ouattara, issu du rang du FMI… L’utilisation
nationaliste de la notion d’ivoirité par les prédécesseurs de Gbagbo et par
lui-même, exacerberont les exactions dans les deux camps. De même, la présence
et l’ingérence des militaires français et de la cohorte des «conseillers»
politiques et administratifs auront des effets destructeurs. Face à Gbagbo et à
ses velléités d’autonomie vis-à-vis de la tutelle de l’impérialisme français, ses
complaisances vis-à-vis de la Chine, il s’agit de défendre les intérêts des
Bolloré, Bouygues, Véolia, GDF Suez, tout en maintenant avec plus ou moins de succès,
les seigneurs de guerre. Le 11 avril 2011, face à la ténacité de Gbagbo, il
fallut l’attaque massive de l’armée française pour arrêter celui qui avait «tort de ne pas baisser les yeux devant le
maître» et le déférer auprès du tribunal pénal international afin de
justifier «les mensonges débités» par
la version officielle. Autrefois, il s’agissait de «civiliser les Africains», aujourd’hui il faut «les protéger contre eux-mêmes», pour maintenir la paix civile.
L’ONU est devenue, tout comme ladite justice internationale, un outil politique
des grandes puissances. Reste que la Côte d’Ivoire est toujours plus en voie
d’éruption avec son économie maffieuse sous dépendance de son parrain, où règne
un sentiment d’injustice sociale et politique et dans lequel des dizaines de
milliers d’armes sont en libre circulation. A lire pour se défaire des
représentations dominantes qui nous sont inculquées. GD
Fanny
Pigeaud,
éd. Vent d’ailleurs, 2015, 24€
George
Orwell,
écrivain
journaliste anglais (1903-1950), passera sa vie à voyager auprès des faibles,
des opprimés, des marginaux et en tirera le sujet de ses romans. Sergent dans
la police impériale birmane, il la quittera et écrira Une histoire birmane qu’il résume ainsi : «le fonctionnaire maintient les Birmans à terre pendant que l’homme
d’affaires lui fait les poches». Il partagera la vie des mendiants et
écrira Dans la dèche à Paris
et à Londres. En 1937, il s’engage dans les milices anarchistes en Catalogne
et écrira Hommage à la Catalogne. A
la fin de sa vie, il publiera des oeuvres plus générales : La ferme des animaux, le célèbre 1984... JLL et LL
Hommage à la Catalogne
C’est le récit de son
engagement dans les milices du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) et
auprès des anarchistes antistaliniens sur le front de l’Aragon pendant la
guerre d’Espagne. Il vivra les journées de mai 1937 à Barcelone (mise au pas du
mouvement anarchiste par les communistes staliniens). Quelques extraits pour
vous mettre l’eau à la bouche : Orwell arrive à Barcelone en décembre 1936 :
«… C’était bien la première fois de ma
vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus…
Tout magasin, tout café portait une inscription nous informant de sa
collectivisation. Les garçons de café, les vendeurs nous regardaient bien en
face et se comportaient en égaux. Les tournures de phrases serviles ou même
simplement cérémonieuses avaient pour le moment disparu… et le plus étrange de
tout, c’était l’aspect de la foule. A en croire les apparences, dans cette
ville, les classes riches n’existaient plus. Presque tout le monde portait des
vêtements de prolétaires ou une salopette bleue ou quelque variante des
vêtements de la milice. Il y avait là un état de choses qui m’apparut sur le
champ comme valant la peine qu’on se battit pour lui. Et surtout il y avait la
foi dans la révolution et dans l’avenir, l’impression d’avoir soudain débouché
dans une aire d’égalité et de liberté. Des êtres humains cherchaient à se comporter
en êtres humains et non plus en simple rouage de la machine capitaliste ».
1938, éd. 10-18, 7.50€
La ferme des animaux
Fable animalière qui décrit la
vie d’animaux dans une ferme. Après s’être révoltés contre le propriétaire et
l’avoir chassé, ils prennent le pouvoir et s’organisent en autogestion. Après
une période idyllique, les animaux vont tomber dans le même travers que les
hommes : les cochons vont prendre le pouvoir, asservissant les autres,
modifiant le passé pour les manipuler. Un dictateur va émerger, instituer un
culte de la personnalité et entraîner la communauté à sa perte. Récit court et
amusant visant tous les totalitarismes, surtout le régime soviétique et le
stalinisme. 1945, éd. Folio, 6.60€
Le précariat. Les dangers d’une nouvelle classe.
Ce livre essentiel, chaudement
recommandé par Noam Chomsky, analyse la montée, partout dans le monde, de
l’insécurité économique et de la sourde colère sociale. Le précariat qui touche
les classes populaires et moyennes résulte, selon l’auteur, d’au moins trois
facteurs. La mondialisation financière du capital, l’essor des pays émergents
et tout particulièrement de la Chine, enfin, la marchandisation des
entreprises, selon la rapacité des actionnaires. Il s’ensuit un démantèlement
du système salarial issu de la période keynésienne-fordiste ainsi que des pans
entiers du secteur public pouvant être rentabilisés et donc privatisés. Tout
est marchandisable y compris l’éducation. On se dirigerait vers des «sociétés infernales», la mort lente des
pensions de retraite. Quant à la jeunesse employable, flexible, elle serait
vouée au nomadisme urbain. Intensification du travail d’un côté, précarisation
pour le plus grand nombre de l’autre, ces «surnuméraires»
pour reprendre une expression de Jacques Rancière. Ce sont les femmes et les
migrants qui sont les plus touchés. En outre, ce processus pour se maintenir se
doit d’assurer une surveillance panoptique généralisée et enfermer les déviants
dans des prisons surpeuplées. Dans ce système, le déclin démocratique
s’accompagne de la montée d’un «néofascisme».
Pour contrecarrer ces maux délétères, l’essayiste nullement révolutionnaire
préconise, pour le moins, l’associationisme par en bas et la reconquête de
l’espace public. Tous ceux qui ne sont pas convaincus de la nécessité de leur
engagement devraient s’astreindre à la lecture de ce livre, traduit en 19
langues. GD
Guy
Standing,
éd. L’opportun, 2017, 22€