Catalogne : la répression !
Résumé
de l’épisode précédent. La Catalogne est une région à fort potentiel mais
en crise : la plus riche d’Espagne car la
plus peuplée mais ramenée au nombre d’habitants, elle est beaucoup moins
prospère que le pays basque et pas plus que la Navarre et la région de Madrid. Culturellement,
elle est radicalement différente du reste de l’Espagne de par sa langue et de
par l’état d’esprit des Catalans. Un exemple parmi tant d’autres : le 18
février 2015, 160 000 personnes ont manifesté à Barcelone pour l’accueil
de migrants rappelant à l’Espagne son engagement à en accueillir 16 000.
Seulement 1 000 ont été accueillis. Cette manifestation, comme toutes les
autres à Barcelone, se déroula sans aucun incident et pacifiquement. Historiquement, la Catalogne a été
indépendante durant 7 siècles, jusqu’en 1714, puis a subi l’oppression de
l’Espagne avec une intensité variable. Le désir d’indépendance très prégnant
chez les Catalans resurgit régulièrement. Ce fut le cas en 2010 face au refus du gouvernement espagnol de
Mariano Rajoy d’accorder à la Catalogne le même statut d’autonomie que celui du
Pays Basque. En 2015 fut élu un Parlement catalan à majorité indépendantiste
qui s’engagea à organiser un référendum d’auto-détermination en 2017. Celui-ci,
jugé illégal par le gouvernement central, se déroula le 1° octobre 2017. Ce fut
le 1° jour d’un mois d’octobre qui marquera l’histoire catalane.
Octobre 2017 : des prisonniers politiques au
cœur de l’Europe
Chronologie
:
1°
octobre :
le référendum en chiffres : 2,2millions de votants, soit 42% des inscrits.
90% de OUI, 800 000 personnes empêchées de voter ou dont les bulletins de
vote ont été confisqués. Gérard Onesta, observateur français délégué par le
Parlement Européen, déclare « …à Barcelone, j’ai vu une violence
insupportable et disproportionnée ». En effet la garde civile ne s’est pas contentée d’empêcher les
gens de voter mais s’est livrée à des actes d’une très grande violence ce qui a
fait dire aux Catalans français venus observer le vote que « la garde civile y était allée
Franco ! »
2 octobre :
d’après les engagements pris en septembre 2015 par Carles Puigdemont,
l’Indépendance aurait dû être déclarée ce jour-là mais espérant un dialogue
avec Madrid et un soutien international, il ne le fit pas.
3
octobre :
discours du Roi Felipe VI, qui soutient totalement le gouvernement central, ne
dit pas un seul mot concernant les violences policières.
7
octobre :
manifestation de Podemos et du Parti
d’Ana Colau. Ils sont pour l’Indépendance et réclament un référendum légal. Ils
s’opposent à une Déclaration d’Indépendance unilatérale.
8
octobre :
manifestation des anti-indépendantistes
10
octobre :
Carles Puigdemont, face à l’absence de soutien international et au refus de
Madrid d’engager un dialogue, proclame l’Indépendance (sans vote du Parlement)
et la suspend immédiatement dans une ultime tentative de dialogue.
11
octobre :
ultimatum de Madrid qui donne au gouvernement catalan jusqu’au 19 pour
clarifier sa position. En cas d’un vote par le parlement catalan, Madrid
annonce qu’il mettra la région sous tutelle (article 155 de la Constitution).
16
octobre :
Jordi Sanchez, Président de l’Assemblée Nationale Catalane, et Jordi Cuixar,
Président de l’Omnium Cultural, sont placés en détention provisoire pour avoir
perturbé les forces de l’ordre.
21
octobre :
Madrid applique l’article 155 :
limogeage du gouvernement catalan, encadrement du Parlement, de la police
catalane (Les Mossos), de la radio et de la télévision catalanes et propose des
élections anticipées.
26
octobre :
Carles Puigdemont refuse cette proposition par manque de garanties.
27
octobre :
face au refus de dialogue de la part de Madrid, à l’absence du soutien
international, poussé par les indépendantistes « les plus virulents »
(la CUP), le Parlement vote officiellement l’Indépendance de la Catalogne. Carles
Puigdemont l’annonce à 18h et à 18h05 il est destitué par Madrid ainsi que le
Gouvernement et le chef de la Police. Quant au Parlement catalan il est
dissous. Madrid annonce les élections anticipées en Catalogne le 21 décembre.
28
octobre : Soraya
Saenz de Santa Maria, bras droit de Rajoy, remplace C Puigdemont à la tête de
la Catalogne, 150 hauts fonctionnaires catalans sont démis de leurs fonctions.
30
octobre :
une plainte est déposée contre les membres de l’exécutif catalan pour
rébellion, sédition, malversations (15 à 30 ans de prison). Les partis
indépendantistes (sauf la Cup) annoncent qu’ils participeront aux élections du
21 décembre.
31
octobre :
C. Puigdemont et 4 de ses ministres arrivent à Bruxelles.
2
novembre :
8 membres du gouvernement catalan sont placés en détention provisoire. Un
mandat d’arrêt est lancé contre C. Puigdemont et 4 de ses ministres. Ils
risquent 25 années de prison pour rébellion, 15 années pour sédition et 8 années
pour détournement de fonds publics (organisation du référendum). A noter qu’en
Espagne les peines sont cumulables.
5
novembre :
C. Puigdemont et 4 de ses ministres se rendent à la police belge. Actuellement,
ils sont en attente d’une décision concernant leur extradition. Si celle-ci
devait intervenir, ce ne sera pas rapidement. Ils mèneront leur campagne
électorale depuis la Belgique. Concernant leur présence en Belgique, les
anti-indépendantistes la présentent comme une fuite et une trahison. Leurs
partisans, en revanche, comprennent cette décision et considèrent qu’ils seront
plus utiles à Bruxelles que dans une prison madrilène.
Le
gouvernement espagnol : dirigé par Mariano Rajoy du Parti
Populaire (PP) gouverne sans majorité absolue grâce au soutien de Ciudadanos et
la complicité du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol). Le PP est
impliqué dans de multiples affaires de
corruption, détournement de fonds publics, enrichissement personnel,
financements illégaux. Plus de 30
responsables de ce parti sont sous l’effet d’une enquête de la justice
espagnole (affaire GÜRTEL, PUNICA, AGUIRRE…). La CNMC (Commission Nationale des
Marchés de la Concurrence) et la CNMV (Commission Nationale des Marchés des
Valeurs), organisations de contrôle espagnol, estiment le coût de la corruption à 90 milliards d’euros, dont 45 milliards
pour surfacturation des marchés publics. Pour
comparaison, le budget de la Catalogne est de 29 milliards. A ce niveau on
peut parler de système organisé et
non de fautes personnelles de quelques membres. En Espagne, la fraude fiscale est « un sport
national ». De nombreux artistes, sportifs, politiciens…. et même la sœur
du roi ont été condamnés. A noter que les condamnations sont plutôt légères et
permettent aux concernés d’échapper à la prison. Pour dénoncer ce système, Podemos a organisé un circuit
touristique à Madrid et dans quelques autres grandes villes, dans un « bus
anti-corruption » (décoré de
grandes photos des corrompus) qui sillonne les rues et fait des haltes dans des
sites impliqués (banques, entreprises, partis politiques …). (encart
0)
Bilan de ce mois d’octobre de folie :
après avoir refusé tout dialogue, Rajoy jette
les opposants en prison
Les
Catalans pro ou anti-indépendance ont tous été choqués et surpris par la
violence de la répression du 1° octobre. Ils pensaient que la Guardia Civil
allait seulement bloquer préventivement l’entrée des bureaux de vote mais
celle-ci est intervenue pendant le scrutin pour saisir les urnes sachant que
fatalement cela allait engendrer de la violence.
Les
indépendantistes
ont été surpris et très déçus de l’absence totale de soutien international. Ils
pensaient que leurs luttes pacifiques, pour pouvoir choisir leur avenir, face à
un gouvernement central intransigeant, corrompu et brutal, leur attireraient le
soutien des démocraties et en particulier celui de la France. Mais TOUTES ont soutenu sans la moindre
nuance le gouvernement quasi mafieux.
Les
Catalans
ont également été très choqués par l’emprisonnement de responsables politiques, mais surtout par
celui des responsables associatifs Jordi Sanchez et Jordi Cuixar (cf encart 1)
Surprise également face à la pression
mise par les milieux économiques et par les médias espagnols et catalans (sous
tutelle) annonçant chaque jour le départ de banques, d’entreprises, l’absence
imminente d’argent liquide… Je tiens à rassurer les personnes inquiètes :
à Barcelone aujourd’hui les rues ne sont pas désertes, on peut trouver de la
nourriture et dans les campagnes les gens ne mangent pas de racines ! L’ambiance
dans les milieux indépendantistes est même très sereine car les gens ont le
sentiment du devoir accompli, d’avoir fait ce que leur dictait leur conscience.
Les
milieux indépendantistes saluent l’attitude des Catalans français qui les ont
soutenus moralement et matériellement, beaucoup de matériel électoral a été
placé en sécurité en France.
Perspectives
La mobilisation des indépendantistes reste intacte. Elle se concentre
surtout sur la libération des prisonniers politiques. Le prochain objectif
suivra les élections anticipées du 21 décembre 2017. La situation de départ est la même qu’en 2015 : mêmes partis,
mêmes personnes. Mais alors que la majorité indépendantiste de 2015
connaissait une baisse régulière par les sondages au cours de leur mandat, les
évènements du mois d’octobre ont remobilisé les troupes et ont ramené beaucoup
d’indécis dans le camp indépendantiste : dans la jeunesse, première
victime des violences et chez les anciens qui ont connu le franquisme et qui
ont été très très choqués de revoir des gardes civils brutaliser les Catalans.
Le dernier sondage fiable donne les partis indépendantistes à 48% avec une
majorité de sièges au Parlement, exactement le même résultat qu’en 2015. Pour
rappel, Madrid a annoncé que si les Indépendantistes l’emportaient, la tutelle
sur la Catalogne serait maintenue, bafouant la démocratie des urnes. (encart 2)
La
situation me semble bien résumée dans les paroles de 2 personnes. D’abord Juan Josep Nuet, gauche unie et
alternative anti-indépendantiste : « Face
à la répression féroce du gouvernement espagnol,
pas question de ne pas être solidaires de la majorité indépendantiste. On ne
combat pas les idées indépendantistes en les mettant en détention, il faut
faire de la politique ». Puis Carme Forcadell, ex-présidente du
gouvernement catalan, écrouée le 9 novembre, libérée le 10, après paiement
d’une caution de 150 000 euros :
« J’ai la conscience tranquille d’avoir agi correctement, d’avoir garanti
la liberté d’expression du Parlement. L’estime et la solidarité de nos
soutiens nous rendent plus forts plus libres et plus dignes».
Jean-Louis
Lamboley, le 4 décembre 2017
Dans le
prochain n° nous analyserons les résultats des élections du 21 décembre.
Encart 0
Petite idée de l’Humanisme et du respect de la
démocratie qui règne au sein du parti populaire
Début octobre, Pablo Casado
vice-secrétaire chargé de la communication au sein du Parti Populaire a promis
à C. Puigdemont le même sort qu’à Lluis Companys. Pour rappel, ce dernier a été
Président de la Catalogne de 1934 à 1940. En 1939, il se réfugia en France et
fut capturé par les Allemands, livré à Franco et fusillé le 15 octobre
1940 !!!
Concernant le respect de la
démocratie, le Parti Populaire a d’ores et déjà annoncé que, si les partis
indépendantistes l’emportaient le 21 décembre, Madrid maintiendrait sa tutelle
sur la Catalogne. En outre, Madrid étudie très sérieusement le moyen d’interdire la CUP, parti
d’extrême-gauche.
Encart 1
Jordi Sanchez : Président de l’Assemblea
National Catalana, organisation
qui a pour but l’indépendance de la Catalogne sous forme d’un Etat de droit
démocratique et social. L’ANC compte environ 80 0000 membres organisés par
région et par secteur professionnel. Ce sont eux qui organisent les
manifestations de la fête catalane, par exemple en 2013, une chaîne humaine de
400 kms reliant le Nord et le Sud de la Catalogne, réunissant 1,6 million de
personnes. Ils ont également organisé le référendum du 1° octobre. Son
fonctionnement est extrêmement décentralisé, de nombreuses assemblées à
l’échelle d’un groupe de villages participent à la réflexion et à l’action pour
atteindre l’indépendance.
Jordi Cuixart : Président de l’Omnium Cultural, association
qui œuvre pour la promotion de la langue et de la culture catalane. Elle compte
environ 40 000 membres répartis sur tout le territoire de la Catalogne.
Encart 2
Les Catalans
La
Catalogne n’étant pas encore un Etat, est catalan toute personne domiciliée,
familialement, depuis 20 siècles ou depuis une semaine. Les personnes dont les
familles sont installées de longue date et qui ont toujours parlé catalan
fournissent la majorité des forces
indépendantistes et résident surtout dans les zones rurales du Nord de La
Catalogne. Les fiefs étant Gérone et Figueras.
Les néo-Catalans
arrivés plus ou moins récemment dans les régions industrielles du Sud
(Barcelone….) eux sont beaucoup moins favorables à l’indépendance. Ce qui
explique que, malgré une culture catalane et une identité catalane très forte,
le mouvement favorable à l’indépendance ne recueille que presque la moitié des
suffrages aux élections.