Contrôle,
tri, expulsion : Collomb, le « nettoyeur »
Comment
formater l’opinion pour faire approuver une politique migratoire
restrictive ? Insister sur l’impossible accueil des exilés toujours plus
nombreux cherchant asile en Europe et en France. Stigmatiser les personnes
déboutées du droit d’asile et celles qui devraient repartir dans le pays sur
lequel ils ont mis le premier pied en Europe, pour s’autoriser à enfermer,
expulser et, parallèlement, entretenir un sentiment raciste et xénophobe. C’est
la méthode dont le gouvernement use pour pratiquer rejet, enfermement et expulsion,
politique qu’il entend poursuivre. PES a déjà largement traité des raisons des
migrations (1) et nous n’y reviendrons pas ici. Par contre, s’il est indéniable
qu’une politique européenne est indispensable pour répartir la responsabilité
d’accueil, les exemples ne manquent pas des Etats européens qui pratiquent le
chemin inverse. La France construit, quant à elle, des murs législatifs pour
s’autoriser à refouler, enfermer, rejeter. Toutefois, il est des limites à ne
pas dépasser et les images des pratiques inacceptables aux frontières (à Calais,
à la frontière italienne ou en Méditerranée…) ont troublé même des députés de
la majorité, et surtout, renforcent les mouvements de solidarité et de
résistance qui se constituent partout, pour réussir à repousser la politique
migratoire actuelle.
Légaliser ce
qui est illégal
Pourquoi,
alors qu’un projet de loi Asile et immigration va être soumis au parlement au
printemps, fallait-il se précipiter pour faire adopter une proposition de loi
sur « l’application du régime
d’asile européen » ?
C’est
qu’un arrêt de la cour de Cassation du 27 sept. 2017 a jugé illégal l’enfermement des personnes « dublinées »
(2), pratiqué par les préfectures au prétexte de risques de fuites, la loi n’en précisant pas les critères. La
machine à expulser de Collomb, via ses préfets aux ordres de la politique du
chiffre (dont ils rendent compte chaque quinzaine en visioconférences) était
bloquée. En novembre 2017, la Cimade dénonçait l’enfermement aveugle qui viole
les droits des personnes, cette politique migratoire dont le volet répressif s’est considérablement
renforcé : contrôles au faciès, contrôles aux frontières sous prétexte de lutte
antiterroriste, instructions aux préfets. Le nombre de personnes enfermées en
CRA (centres de rétention administrative) a été multiplié par deux, passant (pour
les seuls CRA où intervient la Cimade) de
569 pour la période du 2 oct. au 8 nov. 2016 à 1 058 pour la même
période en 2017. Ce rythme effréné se traduit par une explosion de violations des droits des personnes
étrangères par les préfectures : en métropole, depuis le 2 oct. 2017, 41%
des personnes enfermées ont été libérées par des juges qui ont constaté et
sanctionné des pratiques administratives ou policières illégales (contre 30% en
2016).
Pour
contourner le « vide juridique » pointé par la Cour de Cassation, il
suffisait de légiférer sur la liste des « risques de fuite non négligeables », permettant d’enfermer en
toute légalité. Sans attendre, le 1er ministre trouva quelques
députés désireux d’être « utiles », prêts à déposer une proposition
de loi. Pas question de forcer la main par un projet de loi émanant du
ministre ! Warsmann, les
Constructifs et quelques UDI déposèrent, le 24 oct. 2017, une proposition de
loi dite de « bonne application du
régime d’asile européen » précisant 11 cas de « risques de fuites
non négligeables » pour enfermer les exilés, qui, par ailleurs, n’ont
commis aucun délit mais souhaitent seulement déposer leur demande en France. La
fa(r)ce de la démocratie en était sauvée ! Mais la procédure se grippa
quelque peu : en première lecture à l’assemblée des députés de LRM s’indignèrent
contre, notamment, « les centres de rétention qui deviennent des centres de
détention indignes de notre
république ». Le Sénat,
lui, durcit encore le texte avec des
amendements : il introduisit un 12ème cas valant rétention, à
savoir « si l’étranger refuse
de se soumettre au relevé des empreintes digitales ou s’il altère
volontairement ces dernières pour empêcher leur enregistrement » ;
il proposa de ramener de 15 jours à 7 jours le délai de contestation d’une
décision de transfert vers un autre pays. Il fallut donc une 2ème
lecture à l’assemblée qui, ce 15 février,
a adopté
le tout à une large majorité : sur
64 votants, 51 ont voté pour, 6 ont voté contre (4 LFI, 1 du groupe de la
Gauche démocrate et républicaine et 1 du Modem et apparentés). 7 LRM se sont abstenus. La trentaine de « marcheurs
rebelles » sont rentrés dans le rang, Collomb leur affirmant qu’ils
pourront déposer des amendements pour revenir sur cette décision lors du vote
du projet de loi futur. Naïfs ou obéissants ? L’histoire très proche nous
dira s’ils étaient sincères. Ainsi va la démocratie représentative !
Le
nettoyeur Collomb va pouvoir se remettre à l’ouvrage dès la promulgation de la
loi.
En droit, l’assignation à résidence devrait être la règle
et la rétention l’exception mais, en
pratique, les préfets jugent l’assignation trop peu efficace ; pourtant, elle
n’est pas limitée dans sa durée, le Conseil constitutionnel l’a confirmé
récemment : lorsqu’elle dépasse 5 ans, il suffit de motiver la décision. En
2016, 44 086 étrangers ont été
placés en rétention contre 4 687 assignés à résidence.
On
ne peut être que pessimiste sur ce qui se prépare même si la mise en œuvre de
l’enfermement doit tenir compte des CRA déjà bien engorgés et des « accords
de réadmission » signés ou non avec les pays concernés. Collomb, le 11.02.2018,
affirmait sa détermination à obtenir, à l’image de « son » président
avec l’Arménie et l’Albanie, l’accord de la Guinée Konakry et la Côte d’Ivoire,
lors du prochain G5 Sahel.
Les opposants à cette loi d’enfermement massif pour expulser, si
joliment appelée de « bonne
application du régime d’asile européen » revendiquent la suspension des effets dévastateurs du règlement Dublin coûteux et
inefficace, créateur de clandestins et, à terme, sa suppression. Ils exigent une politique aboutissant à la mise en
place d’un système d’asile européen où le choix du pays d’accueil est fait par
la personne.
Ce
n’est pas le chemin pris par le projet de loi
modifiant le CESEDA – Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile - qui se profile.
Légiférer
encore… pour rejeter, enfermer, trier, expulser
Le
11 janvier, le gouvernement présentait aux associations d’aide aux migrants
(Gisti, Cimade, LDH, Médecins sans frontières, Secours Catholique, etc…,) sous
la forme d’un simple fichier word transmis la veille, le projet de loi « Asile
et immigration ». Cet exercice de communication fut considéré par les
associations comme méprisant, elles qui avaient déjà claqué la porte le 8
décembre, à Matignon, suite à la circulaire Collomb sur le tri des migrants
dans les centres d’hébergement. Le projet « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » présenté
en Conseil des ministres le 21 février sera soumis au Parlement en avril.
Annoncé par Macron comme
mêlant « humanité et fermeté »,
il est, selon la Cimade et bien d’autres, un
texte grave et dangereux, axé sur la répression et la réduction des droits
des migrants, renforçant les dispositifs d’expulsion du territoire. Sous les
mots « mieux accueillir » et « mieux renvoyer », il faut
lire « mieux réprimer ». Après les désaccords dans la majorité,
Collomb a déminé le terrain auprès des 312 députés LRM, les assurant que
« nous avons trouvé un point
d’équilibre, c’est la seule position tenable » : améliorer les conditions de l’asile
pour les réfugiés éligibles à ce droit, reconduire
aux frontières ceux qui résident en France sans titre de séjour régulier, tout
en raccourcissant les délais
d’instruction des demandes d’asile.
S’il
a accepté de gommer le concept de « pays tiers sûr » qui aurait
permis de renvoyer des demandeurs d’asile hors d’Europe sans examen de leur
demande en France, il ne cède pas sur sa circulaire relative « à
l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence » :
celle qui préconise avec l’aide d’équipes mobiles préfectorales, la recherche des
déboutés du droit d’asile et des personnes « dublinées », dans les
établissements soumis au principe d’inconditionnalité de l’accueil. Collomb est
soutenu en cela par la réponse du Conseil d’Etat au référé de 28 associations :
il n’y a pas urgence à suspendre cette circulaire, les personnes interrogées le
seront sur la base du volontariat et sans contraintes !
Le
projet de loi est qualifié par les associations de « dissuasion migratoire ».
Il est une succession de dispositifs répressifs qui vont à l’encontre du
discours humaniste du président :
-
Allongement de la
durée de rétention de 45 à 90 jours avec possibilité d’aller jusqu’à 135
jours
-
Démarches plus
difficiles pour le dépôt de la demande d’asile : la durée de
« retenue administrative » passe de 16h à 24 H, véritable
« garde à vue bis pour étrangers sans papiers » ; les délais
d’instruction de la demande d’asile sont réduits de 120 jours à 90 jours
sachant qu’il faut environ 30 jours pour accéder au premier rendez-vous en
préfecture (encart) ; délai de recours
suite à un refus d’asile en Cour Nationale de Demande d’Asile réduit de 1 mois
à 2 semaines, précisant que, par ailleurs, celui-ci ne sera plus suspensif
Accélérer
les procédures, réduire les délais de recours, traquer, enfermer et expulser
semblent être les principaux objectifs poursuivis.
Rien pour les « dublinés », très nombreux à souhaiter demander
l’asile en France. Rien sur l’accès
au séjour stable et pérenne des personnes par la délivrance de plein droit de
la carte de résident valable 10 ans. Rien
non plus pour mettre fin à l’enfermement
des enfants dans les centres de rétention, pratique pour laquelle la France a
été condamnée six fois par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Résister,
mobiliser pour lutter
Macron
a beau qualifier les dénonciations de sa politique migratoire « de faux bons sentiments » ou
encore de faire acte de mépris « Il
y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », trop c’est
trop ! L’inacceptable maltraitance des exilés a fait se lever d’innombrables
solidarités pour les aider, les soutenir, au risque d’être condamnés pour
« délit de solidarité ». Innombrables, aussi, sont les militants qui
se mettent en réseaux pour, au-delà de la nécessaire réponse immédiate à la
détresse physique et morale, s’engagent, à plus long terme, dans une lutte pour une politique migratoire
alternative. Pour être utiles, les mobilisations doivent dépasser l’acte de
solidarité. Il n’est plus possible de se cacher derrière un « Moi, je ne fais pas de politique ».
Accueillir un exilé, l’aider, c’est déjà un acte politique, c’est pointer la
défaillance de l’Etat... et même « s’il
est plus facile de sympathiser avec les souffrances que de sympathiser avec la
pensée » (Oscar Wilde), notre seule voie de résistance utile à la cause des exilés, est celle de la dénonciation collective de
la politique migratoire inacceptable, celle qui s’applique déjà et celle qui
s’annonce.
Lettres
ouvertes, tribunes, déclarations se succèdent, qui s’élèvent contre les
méthodes de traque et de rafle des familles que l’on sépare, de jeunes Soudanais,
Afghans ou autres, que l’on refoule au risque de les envoyer à l’esclavage ou à
la mort. Véronique Fayet, présidente du
Secours Catholique-Caritas France le 7 février, accusait : « … à ne proposer pour seule réponse que la voie
répressive et policière, M. Collomb emmène tout le monde dans une impasse. Une politique
qui n’offre aucune solution aux exilés… les contraint à une vulnérabilité et un
désespoir tels qu’ils sont prêts à prendre tous les risques… Un discours qui
critique, voire insulte, les associations humanitaires en les mettant sur le
même plan que les filières… avive encore les tensions en se privant des
médiations indispensables. Cette attitude est celle d’un pompier pyromane ! … La politique menée à Calais par le
ministre de l’Intérieur mène tout droit
au chaos ». Dans une
lettre ouverte au président, des partisans de la première heure, intellectuels,
syndicalistes (3) critiquent sévèrement la politique du gouvernement «…De votre projet, nous avions retenu que
nous aurions une politique de l’asile stricte mais exemplaire… Nous nous sommes
hélas réveillés dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à
Calais. Où l’on lacère leurs toiles de tente à Paris. Où l’on peut se perdre
pieds et mains gelés, sur les pentes enneigées de la frontière
franco-italienne. Où des circulaires cherchent à organiser le recensement
administratif dans les centres d’hébergement d’urgence… Où des projets de loi
permettront bientôt de priver de liberté pendant 90 jours, des femmes et des
hommes dont beaucoup n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’éloignement. C’est
ainsi que des Erythréens, des Soudanais ou des Syriens, humiliés dans leur
pays, torturés en Libye, exploités par des passeurs criminels, terrorisés en
Méditerranée et entrés en Europe par la Grèce ou l’Italie, pourraient bientôt
être privés de liberté en France... Que se passe-t-il donc ? Tout porte à
croire que les artisans de ces initiatives suivent un raisonnement d’une
glaçante simplicité : puisque vous leur avez fait obligation d’appliquer
le droit d’asile à 100%, ils n’ont de cesse de faire baisser la demande en cherchant à dissuader les candidats de venir sur notre sol, voire en les éloignant avant même qu’ils aient pu tenter
de faire valoir leurs droits…. ».
Les
rapporteurs de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) et les avocats y
intervenant, se sont mis en grève depuis le 13 février. Deux syndicats de
l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) instance chargée
d’instruire les demandes d’asile, ont appelé à la grève pour le 21 février pour
protester contre le projet de loi. «… Votre
projet est profondément néfaste et porte atteinte de manière tout à fait
démesurée aux droits des demandeurs d’asile… il conduit à considérer les
demandeurs d’asile uniquement comme des chiffres à réduire éternellement... Il
nuit à l’humanité de notre pays…» (4)
Notre
lutte s’appuie sur celle des exilés, ceux qui ont le courage de manifester, qui
se mettent debout, comme les travailleurs sans papiers (soutenus par la CGT)
dans la région parisienne qui dénoncent leur exploitation par des employeurs
qui ne les paient pas (voir rubrique ils,
elles luttent).
S’annoncent
les Etats Généraux des migrations (5) lancés suite à un appel de 470
associations pour un changement de la politique migratoire. Mais s’indigner ne
suffit pas. Reste à condamner sans ambiguïté celle qui est
à l’œuvre, à dénoncer collectivement l’intolérable. Reste à définir, ensemble, une politique
migratoire alternative en affirmant qu’il est possible de vivre dans une société d’égalité,
ouverte et accueillante pour chacun, dans laquelle les migrants sont considérés
comme une richesse et non comme un danger.
Odile
Mangeot, le 20.02.2018
(1)
PES n° 33 (04.2017
Les migrations d’aujourd’hui. Comprendre
et Décourager et refouler les exilés
- n° 23 (04. 2016 Migrants : non
bienvenue ! et n° 24 (05/06.2016) Y
a trop d’étrangers dans le monde
(2)
Le règlement
européen Dublin III oblige tout exilé à déposer sa demande d’asile dans le pays
d’entrée en Europe, là où ses empreintes digitales ont été enregistrées sur
Eurodac dans lequel ils sont fichés. Le règlement Dublin autorise leur
transfert dans le pays d’entrée.
(3)
Laurent Berger
CFDT, Thierry Pech, PDG Terra Nova, Jean-Pisani-Ferry prof. Sciences Po, Jean
François Rial PDG Voyageurs du monde,
Lionel Zinsou, président Terra Nova (le
Monde du 17 janvier 2018)
(4)
lettre ouverte
d’un rapporteur de la CNDA sur https//blogs.mediapart.fr
(5)
1ère
session nationale des Etats Généraux des Migrations les 26 et 27 mai 2018
Sur
http://player.radiobip.fr : Politiques migratoires inhumaines et
résistances avec Pedro Vianna et Pierre-Alain Mannoni le 9 février.
Dépôt de
demande d’asile en France : un labyrinthe.
Toute personne arrivant en France pour solliciter
asile et protection doit se rendre à la plate-forme d’accueil des demandeurs
d’asile – PADA - de la région (en Franche-Comté, c’est à Besançon) ; un
formulaire de demande d’asile est rempli, la PADA prend rendez-vous au guichet
unique le GUDA (préfecture et Ofii) (en Franche-Comté, à la préfecture de
Besançon), dans les 3 à 10 jours. En fait, il faut compter en moyenne 30 jours
d’attente. La préfecture au vu du dossier et d’un entretien classe le demandeur
en procédure normale, accélérée ou
« Dublin ». En procédure normale, le demandeur, en principe, est
hébergé en CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) ou en HUDA (hébergement
d’urgence pour les demandeurs d’asile). Il constitue son dossier qui suit la
procédure pour obtenir le statut. S’il est « Dublin » : pas de
demande d’asile possible ; il peut être assigné à résidence pour être expulsé.
France… peut mieux faire
Entre 2015 et 2016, nombre de réfugiés par habitant
Suède : 1/101
Allemagne : 1/141
Autriche : 1/188
Danemark : 1/335
Belgique : 1/440
Pays-Bas : 1/459
Italie : 1/938
France : 1/1340
et l’UE aussi
Le Liban accueille les exilés à hauteur de 25%
de sa population
L’UE, 0.2% paru sur https://www.ladepeche.fr/
Savoir de
quoi on parle
Aurélien Taché (député LRM), la « caution
sociale » de Macron, a remis 72 propositions pour favoriser la politique
d’intégration des étrangers, comme
une dose d’adoucissant dans la lessive Collomb. Dans un article du Monde du 20.02.18, tout est
embrouillé : il est question de 262 000 titres de séjour accordés
en 2017, mais ces titres concernent : 88 100 étudiants, 11 000 travailleurs
saisonniers, 91 070 immigrations familiales, 27 700 travailleurs avec
visas, et seulement 36 000 réfugiés
(ceux qui ont obtenu le statut). Et tous ceux qui sont demandeurs d’asile, tous
ceux qui ne peuvent pas la demander ? Combien sont-ils ? Où vivent-ils ?