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lundi 26 février 2018


La violence morale, pathologie du libéralisme


La possibilité de l’émancipation individuelle et collective se heurte à de nombreux obstacles qui renvoient aux rapports de domination et d’exploitation qu’exacerbe le néolibéralisme : concurrence de tous contre tous, précarisation du travail, renforcement des inégalités. Tout comme l’enrichissement éhonté au sommet de la pyramide sociale et les effets de domination sur l’ensemble de la société, victime du chômage massif et de déclassements, renforcent les rivalités entre groupes sociaux et individualités. Mais, dire cela ne suffit pas pour analyser l’ensemble des effets psycho-sociaux qui ravagent le « corps » social. La contribution qui suit vise à rendre compte de différentes formes de domination et, par conséquent, de dépersonnalisation. Susciter le débat, c’est aussi l’affaire de PES. (GD)


Nous avons assisté ces derniers mois, à la libération de la parole de la part de femmes publiques maltraitées par les hommes. Cette dénonciation salutaire fait avancer les choses dans le bon sens. En revanche, cette chasse à l’homme a pris une tournure médiatique moins glorieuse : au lieu de justifier nos comportements dans les relations hommes-femmes, ne devrions-nous pas plutôt nous interroger sur :
-         d’une part, le caractère universel de la violence morale : elle ne touche pas que les femmes, mais tous les individus (femmes, hommes, enfants, salariés, groupes d’individus, populations),
-         d’autre part, les causes de cette violence semblent en partie liées au système libéral qui régit nos vies au quotidien.

C’est la violence morale elle-même qui doit être dénoncée : elle est un poison invisible qui gangrène notre société à travers les relations entre les individus. Pourquoi un poison ? Car le propre de cette violence est la perversion qui s’immisce insidieusement dans nos vies, à notre insu, de sorte que la prise de conscience est difficile, voire impossible. Elle agit à tous niveaux : 
-         dans la sphère privée : un homme écrasé psychologiquement par sa femme (d’autant plus tabou et indicible que l’homme est touché dans sa virilité), une femme battue par son mari, de manière plus large : la maltraitance psychologique dans le couple ou intrafamiliale…
-         dans la sphère collective : un salarié harcelé par ses collègues ou sa hiérarchie, un élève humilié par un professeur, un individu enrôlé dans une secte… 
-         dans la sphère sociale : une population terrorisée soumise à un dictateur ou à un pouvoir despotique (régimes liberticides et totalitaires), des peuples dominés par des politiques néo-colonialistes, des pays riches qui profitent de la main d’œuvre des pays en voie de développement…

Comment reconnaître la violence morale ?

Il s’agit d’un ou plusieurs individus qui s’attaquent à l’intégrité psychique d’une ou plusieurs personnes. L’être humain n’est pas reconnu comme tel ; ses sentiments, ses émotions, son essence même, sont niés au profit de l’autre, plus précisément de son pouvoir. Pire, la soumission et la souffrance de la victime apporte une jouissance vitale à son bourreau, d’où l’aspect pervers.

Il s’agit d’une manipulation mentale qui joue sur la culpabilisation pleine et entière de la victime (c’est toujours de sa faute), qui en vient à ressentir une profonde honte. Le harceleur va :
-         tenir un discours contradictoire (principe de la double contrainte : dire quelque chose et faire l’inverse) pour semer le doute,
-         disqualifier l’autre (ne lui reconnaître aucune qualité et l’amener à le penser = perte de confiance en soi) tout en se rehaussant (tu as de la chance de me connaître ou de m’avoir),
-         imposer son pouvoir par un discours totalisant (c’est comme ça et pas autrement, j’ai toujours raison),
-         critiquer tout le monde (lui seul est parfait), user du sarcasme et de l’ironie (plutôt que d’instaurer une véritable communication),
-         diviser pour mieux régner (provoquer l’isolement social de la victime, une sorte de « prison mentale » afin de garder le contrôle sur elle),
-         le tout couronné par une absence totale d’empathie (incapacité à comprendre et ressentir les émotions des autres).

La violence morale est silencieuse, elle agit derrière un masque de bienveillance et de douceur, souvent au nom de la morale et du bien, d’où la difficulté à la reconnaître. La personne agressée est amenée à porter la responsabilité de l’insatisfaction chronique du harceleur. L’issue est impossible, pire encore, l’agresseur se fait passer pour la victime en retournant les situations à son avantage. Et ça marche !
La victime perd petit à petit son identité en s’épuisant à satisfaire un bourreau insatiable et peut sombrer dans la folie. Dans tous les cas, elle est touchée dans l’intime, au plus profond d’elle-même car son humanité n’est pas reconnue, elle est juste « utile » à satisfaire des caprices. On parle de « dépersonnalisation », c’est-à-dire de négation de la personnalité de l’autre. Réduit à la position d’objet, il n’existe pas (ex. : sentiment d’être juste un numéro au sein d’une entreprise).

Les origines de la violence perverse

La violence est instaurée par des êtres humains qui semblent avoir vécu des carences dans leur éducation où leur personnalité a été niée :
-         une éducation rigide, autoritaire où l’enfant n’est que le prolongement de l’un de ses parents, il n’existe pas pour lui-même mais pour satisfaire l’égo d’autrui.
-         ou, au contraire, une absence de limites dans l’éducation : satisfaction des moindres désirs, caprices, exigences. Ce qui habitue le sujet à ne jamais vivre dans la frustration (on parle aussi d’« Enfant-Roi ») Les professionnels du sujet s’accordent à admettre l’immaturité émotionnelle du pervers narcissique : c’est un enfant bloqué dans un corps d’adulte (colères démesurées, caprices de petits enfants…).

Dans un deuxième temps, cet échec dans les relations interpersonnelles est amplifié par notre système libéral. Le libéralisme nous promettait une autorégulation de l’économie. Or il n’en est rien, le principe mensonger du libéralisme est éclatant : les intérêts privés ont spolié les intérêts publics, ceux du plus grand nombre. Son impératif de profit a conduit l’humanité dans un profond désarroi, a modifié sa façon de penser jusqu’à sa conception de l’amour. Une attitude de consommation à outrance, une économie de la jouissance et de l’immédiat ont développé l’amour de soi au détriment de l’amour de l’autre. Par ailleurs, la soif d’argent et de pouvoir a créé de nouveaux rapports de force, une logique implacable de compétition, favorisant un orgueil démesuré et des exigences difficiles à satisfaire. Face à cette incompréhension, ce malaise, l’humain a développé des mécanismes de défense dans ses relations avec autrui pour masquer son vide intérieur. Mais on ne remplit pas une coquille vide avec des biens et des possessions !

On peut entendre dans les médias (et donc par extension, le pouvoir) que le terme de «pervers narcissique» est «à la mode», comme s’il s’agissait d’un phénomène aléatoire et fluctuant, à la merci de potentiels fans. Or, il n’en n’est rien, c’est minimiser, voire occulter, les dégâts psychiques et la souffrance des victimes. Au contraire, notre société actuelle, elle-même perverse, tend à rendre acceptables les situations de harcèlement pour mieux les banaliser, et donc les faire devenir « la norme ». Dans un tel contexte, les rôles se renversent : les victimes isolées,  incomprises, « anormales » sont considérées comme la source du problème que les agresseurs se prévalent de solutionner. Ils gagnent à tous les coups, blanchis, en se donnant le beau rôle ! (ex. : invasion militaire de pays considérés comme terroristes)

Quelque part, nous avons tous une part de responsabilité dans cet échec : la peur et le silence des victimes, la servitude volontaire individuelle et collective (qui ne dit rien consent), l’envie d’être aimé à n’importe quel prix (dépendance affective), autant de comportements qui ont permis aux manipulateurs pervers (des politiciens, des chefs d’entreprises, une conjoint, une mère, un ami…) de faire accepter l’inacceptable pour mieux garder le pouvoir et masquer leur incompétence.

La liberté comme valeur universelle

On peut le dire sans détour, aujourd’hui la dérive de notre système économique et social a fait admettre la violence morale comme une fatalité. Celle où la loi du plus fort et du plus malin, la réussite, le pouvoir sont devenus des valeurs « moralement admises ». Un système où l’honnêteté, la spontanéité, le respect d’autrui, l’empathie sont perçus comme des faiblesses.

Dans un tel contexte : apprendre à dire non, savoir refuser ce qui est néfaste pour nous, désobéir, ne pas se soumettre, cesser de se justifier, savoir faire confiance, prendre confiance en soi, sont les seules solutions pour retrouver notre liberté et notre dignité. Prenons l’exemple du monde du travail : la conception actuelle du management consiste à persuader que le stress dans l’entreprise rend le travail des salariés plus « rentable ». Or, les situations d’angoisse engendrent erreurs professionnelles et arrêts-maladie. En revanche, dans une situation de confiance, le salarié heureux, s’investira davantage et sera donc plus productif.

Seul l’humain peut régler des situations inhumaines. La fuite ne suffit plus : le temps et la compréhension des mécanismes éviteront l’effondrement total de nos repères. En dénonçant ces agissements, en favorisant la prise de conscience individuelle et collective pour éviter l’hémorragie des effets dévastateurs de la perversion narcissique, dont le plus haut degré est le meurtre psychique du sujet, voire son suicide.
 
Il faut donc croire en l’humain. Croire en l’avenir. Celui d’un changement en profondeur de notre société, transformation qui est entre nos mains à toutes et tous.

Aurore Bouglé

Bibliographie
Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien de Marie-France Hirigoyen, ed. Pocket, 2011
Les perversions narcissiques  de Paul-Claude Racamier, ed. Payot, 2012
Perverses narcissiques : la perversion au féminin d’Eric Bénevaut, ed. Eyrolles, 2017

Filmographie 
Respire de Mélanie Laurent
Mon Roi de Maïwenn
Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (actuellement sur les écrans)

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