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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 31 août 2018



L’ESTELADA fait grise mine !
Reportage - Chronique d’un été en Catalogne : juillet 2018

Nous passons la frontière franco-espagnole, pardon franco-catalane au Col du Perthus. La soirée est douce, la route serpente entre les chênes lièges, tout est calme et serein. Quelques kilomètres plus loin, tout change…. Nous arrivons à La Jonquera. A droite, des milliers de camions stationnés, des stations-service sur des kilomètres. A gauche, de gigantesques hypermarchés ouverts jusque tard dans la nuit, regorgeant de cigarettes et d’alcools. Derrière ces hyper, des maisons de passe, des cabarets, des night-clubs. Au bord de la route, voire au milieu, des dizaines de prostituées très jeunes, très défoncées, très exploitées.

Toujours la même question : comment le peuple catalan, qui a toujours eu une attitude pacifiste, raisonnable et humaniste au cours de son histoire, (qui interdit la corrida sur son territoire, qui boycotte la fête nationale espagnole « Fête de l’Hispanisation », appelée en Catalogne « Fête du Génocide »), peut-il supporter toute cette exploitation, cette misère humaine sur son territoire ?
Toujours pas de réponse.

Quelques centaines de mètres plus loin, nous sommes à nouveau sur une petite route de montagne, seuls pour rejoindre le village de notre amie. C’est un gros bourg qui accueille un camp militaire important. Nous l’avons quitté avant le référendum du 1° octobre 2017. Il était alors décoré de nombreux drapeaux indépendantistes catalans, L’ESTALADA. Ce soir, il n’en reste que quelques-uns, déchirés, usés par le vent de l’hiver. En revanche, les drapeaux espagnols sont apparus aux fenêtres de certaines maisons. J’en parle avec notre amie qui est très attachée à la culture catalane mais farouchement anti-indépendantiste. Pour elle la situation est redevenue normale. L’irresponsable et stupide poussée indépendantiste est arrivée à une impasse, les leaders « bobos », quasiment tous profs à l’université de Barcelone ne vivant pas dans la vraie vie, sont en prison pour les plus stupides ou en exil pour les plus courageux. Pour elle, le symbole de cette « caste politique » est Ana Gabriel, leader de la CUP (Parti ultra-indépendantiste) qui parlait des expériences vénézuéliennes, colombiennes et équatoriennes lors des campagnes électorales et qui est partie en exil… en Suisse ! Pour notre amie, le bilan du référendum et la déclaration d’indépendance sont désastreux. Cela  a créé de multiples conflits dans les villages, dans les familles, et cela a affaibli la Catalogne.

Le lendemain, nous partons en balade en traversant quelques villages de montagne. Là, en revanche, les drapeaux indépendantistes sont toujours là et les routes sont couvertes de cravates jaunes, symbole du soutien aux prisonniers politiques. Dans ces zones très rurales, le mouvement indépendantiste y est toujours très majoritaire et très dynamique, mais dès qu’on s’approche  des zones touristiques, tout disparaît. Le business doit continuer…. !

Puis nous partons à la rencontre de nos autres amis.
 Le 1° couple vit isolé dans la montagne. Catalanistes fervents mais pas militants, ils ont voté OUI au référendum. Ils sont abattus car un projet d’une grande ferme à cochons (3000) est prévu à quelques dizaines de mètres de chez eux. Lucette tente de les distraire en leur conseillant de regarder le reportage d’Envoyé Spécial  «  La Catalogne, la guerre  des mots » abordant les problèmes de l’usage du catalan dans l’enseignement. Notre ami passe alors de 8 de tension à environ 30 arguant que le catalan est la langue d’usage des Catalans depuis environ 2000 ans et que les nouveaux arrivants doivent s’adapter et pas le contraire. Cette règle devant s’imposer surtout aux Espagnols. Il ajoute que ce n’est pas la télévision française, pays ultra-centralisé, qui méprise les minorités qui risque de le faire changer d’avis…

Visite à un autre couple d’amis : elle est catalane, lui est andalou, arrivé en Catalogne depuis de nombreuses années. Son fils est un haut gradé de la Guardia Civil (espagnole donc) ;  depuis qu’il a voté OUI au référendum, les liens avec son fils se sont étrangement distendus. Elle nous parle de sa grand-mère, à qui le franquisme a interdit l’usage du catalan, seule langue qu’elle connaissait, et de sa mère qui a copié des centaines de fois à l’école : je ne dois pas parler catalan. Pour elle, la poussée indépendantiste de 2017 est la conséquence des refus systématiques des dialogues de la part de Madrid. Et le point positif de cette période est que la langue catalane est encore plus utilisée qu’avant. Concernant sa vie professionnelle, elle ne se fait aucune illusion, elle travaille pour 6,15 euros/h et si  l’indépendance arrivait, elle n’attend aucune amélioration de ses conditions de travail et de son salaire.

3° couple d’amis : totalement engagés dans le mouvement indépendantiste, ils  animent la section locale de l’Assemblée Catalane.
Surprise : le mari fatigué a levé le pied. Il s’est épuisé dans la préparation des référendums et des élections du 21 décembre 2017. Il est très déçu par les conséquences : région mise sous tutelle, responsables en prison ou en exil, et par le manque de soutien international, surtout français.
Son épouse tient le coup : elle sait que l’Indépendance n’est plus d’actualité et poursuit le combat surtout pour soutenir les prisonniers politiques. Elle nous informe que chaque mardi, devant la prison de Figueras, où est détenue Dolores Bassa, syndicaliste UGT et ex- conseillère aux affaires sociales et familiales dans le gouvernement de Carles Puigdemont, est organisée « una cena » pique-nique de soutien.. A savoir que les mêmes actions se déroulent à Tarragona et à Manresa où sont détenus les 8 autres prisonniers politiques, incarcérés depuis novembre 2017 pour certains. Nous nous y rendons sans attendre, plus de 2000 personnes, très contents de voir des Français, manifestent pacifiquement, musicalement et  bruyamment. Ces 2000 personnes sont encadrées par 4 policiers catalans (les Mossos) ! Les portes de la prison s’ouvrent parfois pour laisser entrer ou sortir un véhicule et  personne n’en profite pour s’y introduire et faire un « buzz » médiatique. Cela nous surprend, nous en parlons autour de nous. On nous répond que « les Catalans sont un  peuple pacifique, un peuple du Nord qui vit au Sud », et qu’ils réunissent régulièrement un million de personnes et qu’aucune vitrine de magasin n’y a jamais été cassée. Quelques personnes nous font remarquer qu’à être trop pacifiques et pacifistes, on n’est parfois pas pris au sérieux.
Je suis surpris par la composition du public, beaucoup de personnes âgées, des enfants, des familles de classes moyennes supérieures, mais très peu de représentants des classes ouvrières. La volonté d’indépendance est très forte chez les anciens, chez les jeunes et dans les classes aisées et très faible dans la classe ouvrière qui a bien compris que l’indépendance catalane de 2018 est une indépendance dans le cadre du système capitaliste, qu’ils n’ont pas grand-chose à y gagner et ont surtout peur de ce qu’ils pourraient y perdre. La Catalogne est très éloignée du Rojava.

Au cours de ce rassemblement, nous apprenons que la croissance est forte en Catalogne, plus forte que dans les régions espagnoles et que la fuite supposée des entreprises n’était que de la propagande du gouvernement madrilène. Nous en profitons pour demander si l’arrivée du parti socialiste (PSOE) avec Pedro Sanchez va changer quelque chose. La réponse est sans appel : Nada (rien !). Ses positions sont les mêmes que celles du parti populaire (PP). Ces manifestations ne sont pas annoncées ni couvertes par la télévision catalane qui semble subir une tutelle très stricte.

Le faible soutien du monde ouvrier à l’indépendance, nous allons le vérifier en rendant visite à un autre couple d’amis dans un quartier populaire de Figueras. Aucun drapeau indépendantiste aux balcons, seulement des drapeaux espagnols. Les amis nous disent que, dans le quartier, la langue catalane n’est pas utilisée et beaucoup de gens regrettent que l’enseignement se fasse dans cette langue car disent-ils : «  le catalan, on ne peut l’utiliser qu’en Catalogne, alors que l’espagnol (le castillan) on peut l’utiliser dans toute l’Espagne et en Amérique du Sud et Amérique Centrale ». Dans ce quartier ouvrier, on ne s’est pas précipité pour aller voter le 1° octobre 2017.

Nous sentons nos amis, tous,  un peu «  sonnés » par l’année 2017 : le référendum, les violences policières, la déclaration d’indépendance, la suspension de l’indépendance, la mise sous tutelle, l’emprisonnement de leurs leaders, l’exil des autres….et aspirant au retour d’une vie démocratique plus sereine.

La situation politique actuelle les y aide bien, c’est le calme plat. Il y a un parlement indépendantiste, un président Kim Torra qui ne siège quasiment pas et qui est sous la tutelle intransigeante de Madrid. Le camp indépendantiste se concentre sur le soutien aux prisonniers politiques et aux 6 responsables exilés et se fait très discret pour le reste. Carles Puigdemont, Président en exil, est très apprécié par les militants. Pour eux, il a sacrifié sa vie personnelle afin de poursuivre la lutte depuis l’étranger. Le sort de ceux qui sont en prison, et qui y resteront peut-être très longtemps, est vécu comme une énorme injustice. Alors que d’anciens franquistes et de nombreux hommes politiques ayant détourné de l’argent public coulent des jours paisibles en famille, des gens qui ont seulement appliqué le programme pour lequel ils ont été élus démocratiquement,  sont incarcérés dans des conditions très dures.

Les anti-indépendantistes, eux se font plus présents, n’hésitant pas à arracher les symboles indépendantistes affichés dans des lieux publics, ce qui provoque régulièrement des joutes verbales de haut vol quand les partisans de chaque camp se retrouvent au même endroit, au même moment. Les Catalans sont vraiment pacifiques et pacifistes dans l’âme car il n’y a eu jusqu’ici que des mots échangés, et pas de maux !

Nous quittons la région en repassant par La Jonquera à l’aube pour rester sur la vraie image de la Catalogne.

Jean-Louis, le 27.08.2018.