L’ESTELADA fait grise mine !
Reportage - Chronique
d’un été en Catalogne : juillet 2018
Nous passons la frontière
franco-espagnole, pardon franco-catalane au Col du Perthus. La soirée est
douce, la route serpente entre les chênes lièges, tout est calme et serein.
Quelques kilomètres plus loin, tout change…. Nous arrivons à La Jonquera. A
droite, des milliers de camions stationnés, des stations-service sur des
kilomètres. A gauche, de gigantesques hypermarchés ouverts jusque tard dans la
nuit, regorgeant de cigarettes et d’alcools. Derrière ces hyper, des maisons de
passe, des cabarets, des night-clubs. Au bord de la route, voire au milieu, des
dizaines de prostituées très jeunes, très défoncées, très exploitées.
Toujours
la même question :
comment le peuple catalan, qui a toujours eu une attitude pacifiste, raisonnable
et humaniste au cours de son histoire, (qui interdit la corrida sur son
territoire, qui boycotte la fête nationale espagnole « Fête de l’Hispanisation »,
appelée en Catalogne « Fête du Génocide »), peut-il supporter toute
cette exploitation, cette misère humaine sur son territoire ?
Toujours
pas de réponse.
Quelques centaines de mètres plus
loin, nous sommes à nouveau sur une petite route de montagne, seuls pour
rejoindre le village de notre amie. C’est un gros bourg qui accueille un camp
militaire important. Nous l’avons quitté avant le référendum du 1° octobre
2017. Il était alors décoré de nombreux drapeaux indépendantistes catalans, L’ESTALADA. Ce soir, il n’en reste que
quelques-uns, déchirés, usés par le vent de l’hiver. En revanche, les drapeaux
espagnols sont apparus aux fenêtres de certaines maisons. J’en parle avec notre
amie qui est très attachée à la culture catalane mais farouchement
anti-indépendantiste. Pour elle la situation est redevenue normale.
L’irresponsable et stupide poussée indépendantiste est arrivée à une impasse,
les leaders « bobos », quasiment tous profs à l’université de
Barcelone ne vivant pas dans la vraie vie, sont en prison pour les plus
stupides ou en exil pour les plus courageux. Pour elle, le symbole de cette « caste politique » est Ana
Gabriel, leader de la CUP (Parti ultra-indépendantiste) qui parlait des
expériences vénézuéliennes, colombiennes et équatoriennes lors des campagnes
électorales et qui est partie en exil… en Suisse ! Pour notre amie, le
bilan du référendum et la déclaration d’indépendance sont désastreux. Cela a créé de multiples conflits dans les
villages, dans les familles, et cela a affaibli la Catalogne.
Le lendemain, nous partons en balade
en traversant quelques villages de montagne. Là, en revanche, les drapeaux
indépendantistes sont toujours là et les routes sont couvertes de cravates
jaunes, symbole du soutien aux prisonniers politiques. Dans ces zones très
rurales, le mouvement indépendantiste y est toujours très majoritaire et très
dynamique, mais dès qu’on s’approche des
zones touristiques, tout disparaît. Le business doit continuer…. !
Puis nous partons à la rencontre de
nos autres amis.
Le 1° couple vit isolé dans la montagne.
Catalanistes fervents mais pas militants, ils ont voté OUI au référendum. Ils
sont abattus car un projet d’une grande ferme à cochons (3000) est prévu à
quelques dizaines de mètres de chez eux. Lucette tente de les distraire en leur
conseillant de regarder le reportage d’Envoyé Spécial « La Catalogne, la guerre des mots » abordant les problèmes de l’usage
du catalan dans l’enseignement. Notre ami passe alors de 8 de tension à environ
30 arguant que le catalan est la langue d’usage des Catalans depuis environ
2000 ans et que les nouveaux arrivants doivent s’adapter et pas le contraire.
Cette règle devant s’imposer surtout aux Espagnols. Il ajoute que ce n’est pas
la télévision française, pays ultra-centralisé, qui méprise les minorités qui
risque de le faire changer d’avis…
Visite
à un autre couple d’amis : elle est catalane, lui est andalou, arrivé
en Catalogne depuis de nombreuses années. Son fils est un haut gradé de la
Guardia Civil (espagnole donc) ; depuis qu’il a voté OUI au référendum, les
liens avec son fils se sont étrangement distendus. Elle nous parle de sa
grand-mère, à qui le franquisme a interdit l’usage du catalan, seule langue
qu’elle connaissait, et de sa mère qui a copié des centaines de fois à
l’école : je ne dois pas parler
catalan. Pour elle, la poussée indépendantiste de 2017 est la conséquence
des refus systématiques des dialogues de la part de Madrid. Et le point positif
de cette période est que la langue catalane est encore plus utilisée qu’avant.
Concernant sa vie professionnelle, elle ne se fait aucune illusion, elle
travaille pour 6,15 euros/h et si
l’indépendance arrivait, elle n’attend aucune amélioration de ses
conditions de travail et de son salaire.
3°
couple d’amis :
totalement engagés dans le mouvement indépendantiste, ils animent la section locale de l’Assemblée
Catalane.
Surprise : le mari fatigué a levé
le pied. Il s’est épuisé dans la préparation des référendums et des élections
du 21 décembre 2017. Il est très déçu par les conséquences : région mise
sous tutelle, responsables en prison ou en exil, et par le manque de soutien
international, surtout français.
Son épouse tient le coup : elle
sait que l’Indépendance n’est plus d’actualité et poursuit le combat surtout
pour soutenir les prisonniers politiques. Elle nous informe que chaque mardi,
devant la prison de Figueras, où est détenue Dolores Bassa, syndicaliste UGT et ex- conseillère aux affaires
sociales et familiales dans le gouvernement de Carles Puigdemont, est
organisée « una cena » pique-nique de soutien.. A savoir que les
mêmes actions se déroulent à Tarragona et à Manresa où sont détenus les 8
autres prisonniers politiques, incarcérés depuis novembre 2017 pour certains.
Nous nous y rendons sans attendre, plus de 2000 personnes, très contents de
voir des Français, manifestent pacifiquement, musicalement et bruyamment. Ces 2000 personnes sont encadrées par 4 policiers catalans (les Mossos) !
Les portes de la prison s’ouvrent parfois pour laisser entrer ou sortir un
véhicule et personne n’en profite pour
s’y introduire et faire un « buzz » médiatique. Cela nous surprend,
nous en parlons autour de nous. On nous répond que « les Catalans sont un
peuple pacifique, un peuple du Nord qui vit au Sud », et qu’ils
réunissent régulièrement un million de personnes et qu’aucune vitrine de
magasin n’y a jamais été cassée. Quelques personnes nous font remarquer qu’à
être trop pacifiques et pacifistes, on n’est parfois pas pris au sérieux.
Je suis surpris par la composition du
public, beaucoup de personnes âgées, des enfants, des familles de classes
moyennes supérieures, mais très peu de représentants des classes ouvrières. La
volonté d’indépendance est très forte chez les anciens, chez les jeunes et dans
les classes aisées et très faible dans la classe ouvrière qui a bien compris
que l’indépendance catalane de 2018 est une indépendance dans le cadre du
système capitaliste, qu’ils n’ont pas grand-chose à y gagner et ont surtout
peur de ce qu’ils pourraient y perdre. La Catalogne est très éloignée du Rojava.
Au cours de ce rassemblement, nous
apprenons que la croissance est forte en Catalogne, plus forte que dans les
régions espagnoles et que la fuite supposée des entreprises n’était que de la
propagande du gouvernement madrilène. Nous en profitons pour demander si
l’arrivée du parti socialiste (PSOE) avec Pedro Sanchez va changer quelque chose.
La réponse est sans appel : Nada (rien !). Ses positions sont les
mêmes que celles du parti populaire (PP). Ces
manifestations ne sont pas annoncées ni couvertes par la télévision catalane
qui semble subir une tutelle très stricte.
Le
faible soutien du monde ouvrier à l’indépendance, nous allons
le vérifier en rendant visite à un autre couple d’amis dans un quartier populaire
de Figueras. Aucun drapeau indépendantiste aux balcons, seulement des drapeaux
espagnols. Les amis nous disent que, dans le quartier, la langue catalane n’est
pas utilisée et beaucoup de gens regrettent que l’enseignement se fasse dans
cette langue car disent-ils : «
le catalan, on ne peut l’utiliser qu’en Catalogne, alors que l’espagnol (le
castillan) on peut l’utiliser dans toute l’Espagne et en Amérique du Sud et
Amérique Centrale ». Dans ce quartier ouvrier, on ne s’est pas
précipité pour aller voter le 1° octobre 2017.
Nous sentons nos amis, tous, un peu « sonnés » par l’année
2017 : le référendum, les violences policières, la déclaration
d’indépendance, la suspension de l’indépendance, la mise sous tutelle,
l’emprisonnement de leurs leaders, l’exil des autres….et aspirant au retour
d’une vie démocratique plus sereine.
La situation politique actuelle les y
aide bien, c’est le calme plat. Il y a un parlement indépendantiste, un
président Kim Torra qui ne siège quasiment pas et qui est sous la tutelle
intransigeante de Madrid. Le camp indépendantiste se concentre sur le soutien
aux prisonniers politiques et aux 6 responsables exilés et se fait très discret
pour le reste. Carles Puigdemont, Président en exil, est très apprécié par les
militants. Pour eux, il a sacrifié sa vie personnelle afin de poursuivre la
lutte depuis l’étranger. Le sort de ceux qui sont en prison, et qui y resteront
peut-être très longtemps, est vécu comme une énorme injustice. Alors que
d’anciens franquistes et de nombreux hommes politiques ayant détourné de
l’argent public coulent des jours paisibles en famille, des gens qui ont
seulement appliqué le programme pour lequel ils ont été élus démocratiquement, sont incarcérés dans des conditions très
dures.
Les anti-indépendantistes, eux se font
plus présents, n’hésitant pas à arracher les symboles indépendantistes affichés
dans des lieux publics, ce qui provoque régulièrement des joutes verbales de
haut vol quand les partisans de chaque camp se retrouvent au même endroit, au
même moment. Les Catalans sont vraiment pacifiques et pacifistes dans l’âme car
il n’y a eu jusqu’ici que des mots échangés, et pas de maux !
Nous quittons la région en repassant
par La Jonquera à l’aube pour rester sur la vraie image de la Catalogne.
Jean-Louis, le 27.08.2018.