Trump s’en
va-t-en guerre
Bluff
d’un farfelu ou méthode de businessman ? Trump met en œuvre sa
devise « America First »
en pratiquant des coups de force, ça
passe ou ça casse. Un certain nombre de son entourage proche ont été
démissionnés ou sont partis, en désaccord avec les fourberies de Trump, avec
les procédés de ce bonhomme qui n’a vraiment pas l’air très sérieux. Trump,
lui, a l’air de s’en foutre. Il dirige. Les Etats-uniens diront mi-novembre,
lors d’élections de mi-mandat, s’ils sont d’accord avec lui ou non.
L’hyperpuissance étatsunienne serait-elle en
désarroi ? Victime de la doctrine du libre-échange qui l’a rendue maître
du monde en imposant aux autres puissances son rythme de croissance, ses règles
d’échanges arrimées au puissant dollar ? En perte de vitesse pour
maintenir sa suprématie économique ?
Trump
a ouvert la guerre commerciale avec la Chine, refermant la période des grands
marchés transatlantiques en cours de discussion avec l’Union Européenne. Il
réinstaure les vieilles mesures protectionnistes et, en même temps, il profite
des divisions de l’Europe pour l’affaiblir, voire la faire éclater.
Cette
course en tête, il la mène en reniant les accords signés par son prédécesseur
(accords de Paris, de Vienne). Est-il en capacité de la tenir, alors même que
dans le marigot des grands, des alliances se constituent sur fond de guerres,
contraignant les Etats-Unis à maintenir leur présence dans des territoires où
ils se sont enlisés. Là encore, il est surtout question de garder des avant-postes
au Moyen-Orient, pour y tenir une place stratégique et économique primordiale.
Cette
politique trumpienne est-elle tenable ? Ou est-on en train d’assister au
basculement du monde (cf éditorial PES n°
45) ?
Affaiblir,
diviser encore plus, l’Union Européenne
Théresa
May est empêtrée dans un soft Brexit,
alors que Nigel Farage (UKIP – parti europhobe), défenseur du hard Brexit crie à la trahison des
électeurs. Trump l’a soutenu et clame : « divorcez de l’Europe » et signez un accord bilatéral avec les Etats-Unis.
Angela Merkel est politiquement affaiblie. Les politiques anti-immigration
l’emportent dans les pays de l’Est européen, mais aussi en Italie, permettant
la présence de l’extrême-droite dans les gouvernements (en Hongrie, en Autriche,
en Italie…). Le vibrionnant Macron, en montant sur la scène européenne, prétend
qu’il va « refonder » l’UE, accueillant Trump avec force poignées de
mains viriles, bourrades dans le dos,
gesticulations… inutiles. Trump, fidèle à lui-même, assène, lors du G7 les 8 et
9 juin 2018 « Il y a trop de
Mercedes à New York et si peu de Chevrolet en Europe » comme un avant-goût
de son America First. Il n’a pas lâché sur son retrait de l’accord
de Paris (climat) ni de l’accord de Vienne (nucléaire iranien), ni sur la taxation
des produits européens importés par les Etats-Unis, à savoir + 33% sur l’acier
et + 30% sur l’aluminium. Macron, fier de ses formules managériales (la « start-up
nation France ») a trouvé à qui parler, un businessman sans principes (cf
encart 1), imposant son unilatéralisme brutal, se moquant des six autres pays
du G7, partisans zélés de tous les accords de libre-échange.
Il
veut maintenir son pouvoir aux Etats-Unis et, dans son pays, use de démagogie
xénophobe pour rallier les « blancs en col bleu », les ouvriers de la
« ceinture de la rouille », cette région industrielle sinistrée qui
va de Chicago aux côtes atlantiques en longeant les grands lacs. Trump y avait
raflé la mise lors des élections. Pour rallier ces électeurs, il n’hésite pas à
tonitruer : « l’UE est une
ennemie, avec ce qu’ils nous font dans le domaine du commerce ! ».
Au-delà du style outrancier et imprévisible de Trump, il faut y voir la
dénonciation du système multilatéral de domination du capitalisme financiarisé,
qui ne profite pas assez aux Etats-Unis, selon lui ; c’est la remise en
cause de l’OMC, de la Banque mondiale et sa volonté de casser l’UE, déjà bien
fragile.
Certes,
les USA ont une balance commerciale déficitaire de 150 milliards de dollars
avec l’Europe, ils importent plus qu’ils n’exportent. Par ailleurs, ils doivent
se plier aux règles de l’OMC, institution contestée par Trump. En gros, il veut
décider seul de ce qui est bon pour l’Amérique. Les accords multilatéraux qui
le contraignent, ça ne lui plaît pas. Ainsi, les Etats-Unis taxent les
importations automobiles à 2,5% alors que les Européens taxent les importations
automobiles à 10% pour le reste du monde. Ainsi, la condamnation par l’UE de
Google à une amende de 5 milliards de dollars pour abus de position dominante.
En rétorsion, Trump a envisagé début juillet de taxer les importations
automobiles de 20 à 25%. Juncker, qu’il qualifie de « tueur brutal » a temporisé cette surenchère. Armistice de
façade : la taxation des automobiles européennes serait mise en sommeil
contre l’achat par l’UE de plus de soja et de gaz naturel US…
Face
à ces attaques, Angela Merkel appelle à renforcer l’autonomie européenne,
prônant un « partenariat équilibré », n’acceptant pas les décisions
prises par les USA à l’insu de l’Europe. L’UE doit former un contrepoids quand
les USA « dépassent les lignes
rouges » dit-elle, évoquant la sortie américaine de l’accord sur le
nucléaire iranien. Pour les firmes européennes, le coup porté par Trump est
cruel, il impose sa loi au monde en décidant des sanctions américaines aux entreprises
commerçant avec l’Iran ; les entreprises françaises (Total notamment) ont
tété sommées de choisir entre un marché prometteur en Iran et le risque d’être
bannies du marché US (encart 2). Renforcer l’autonomie signifierait, entre
autres, pour Merkel déployer l’Europe de la défense avec des dépenses
militaires en augmentation, définir une taxe numérique sur les bénéfices des
géants américains de l’internet, créer un fonds monétaire européen, une
alternative au réseau international Swift (cf encart 3), etc. Le chef de la
diplomatie allemande appelle au-delà de l’Europe à une « alliance pour le
multilatéralisme (Japon/Corée du Sud/Canada) ». (cf encart 4). Panique et
discordes dans le bateau européen.
Les
positions de Trump contre l’OTAN font aussi partie de sa stratégie de diviser
l’Europe, en faisant alliance avec Poutine sur cette question. Il veut
augmenter la contribution financière des Etats membres et imposer l’achat de
matériels de guerre étatsuniens, refusant toute préférence européenne.
Son
pari de déstabiliser l’UE pourrait être gagnant, tant celle-ci est déjà
divisée, sans politique étrangère commune ni de défense européenne, sans
politique financière et économique cohérente, sans politique d’immigration,
etc. Le soutien de Trump aux nationalismes xénophobes en Europe fragilise les
partis traditionnels ; ses attaques contre l’OMC et autres institutions
internationales, visent à revenir à un protectionnisme sélectif pour endiguer
le déclin de la domination mondiale des USA.
L’UE
ne fait pas le poids face à l’encore « géant » américain. Par contre,
son « ennemi » chinois est sans doute plus dangereux aux yeux de
Trump.
Attaques
commerciales contre la Chine
En
décembre 2017, un rapport de la National Security Strategy définissait la Chine
comme un « rival stratégique »
des Etats-Unis. C’était le début de l’offensive américaine.
Les
USA sont en déficit commercial avec la Chine : en 2017, la Chine a importé
130 milliards de dollars de marchandises US et les Etats-Unis ont importé 505
milliards de produits chinois, soit un déficit de 375 milliards. Pour pousser
Pékin à corriger le déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays
et mettre fin à des pratiques qui défavoriseraient les entreprises US, Trump attaque
sur le front commercial : il décide d’élever à 25 % les droits de douane
sur un certain nombre de produits made in China, représentant un montant de 34
milliards de dollars. Le 22 août, nouvelle escalade : quelque 16 milliards
de dollars d’importations chinoises supplémentaires sont taxées à 25%. La Chine
riposte et annonce une taxe de 25% sur une liste de 106 familles de produits américains
importés (petits avions, soja, voitures…) représentant 16 milliards de dollars.
Et
ce n’est pas tout. Bluff ? Washington planche sur un prochain train de
taxes douanières qui devrait frapper pas moins de 200 milliards de dollars
d’importations chinoises. Si elles devaient entrer en vigueur, la Chine ne
pourrait plus répliquer dans les mêmes proportions, faute de nouveaux produits
américains à taxer. Pour Trump, le risque est grand car une hausse des droits
de douane sur des produits made in China rendra plus onéreux des produits
fabriqués aux USA avec des conséquences sur le pouvoir d’achat des ménages
américains. Dès les premières mesures de taxations, les conséquences étaient
d’ores et déjà perceptibles sur l’évolution du Dow Jones comme sur l’économie
réelle. La baisse d’un quart des cours du soja depuis avril affectait
300 000 producteurs américains. Les entreprises perdent de l’argent, les
mesures douanières augmentent les délais de livraison, contraignent à des
contrôles, la circulation des capitaux ralentit. Les Etats-Unis ne réussissent
plus à exporter leurs amandes, citrons, cerises de Californie et de Floride. La
Chine décide de s’approvisionner en Australie et en Afrique… Bref, Trump ne
peut surtaxer les importations à souhait sans créer du mécontentement dans une
fraction des classes dominantes états-uniennes.
Sur
le front industriel, Trump a envisagé de freiner les avancées chinoises en
faisant obstacle aux transferts de technologie s’opérant par les
investissements directs étrangers (IDE) vers la Chine. La Chine est l’un des
premiers pays hôtes des investissements étrangers en Chine permettant aux
entreprises états-uniennes de dégager suffisamment de bénéfices pour accepter
de céder leurs technologies. Ouvrir ce front affecterait plus l’économie américaine
que les hausses tarifaires, provoquant une baisse plus forte des entrées d’investissements
étrangers, tout en affectant l’économie chinoise qui connaît une phase de
ralentissement. En 2017, General Motors a vendu plus de voitures en Chine
qu’aux USA. Pour les transnationales, l’évolution du marché chinois est un
enjeu plus important que celle du marché américain.
Enfin,
sur le front financier, la Chine a l’arme de ses créances sur le Trésor
américain. Elle est le premier créancier étranger de l’Etat US, avec un peu
plus de 1 000 milliards de dollars en mai 2018 ; mais elle ne détient
que 5% de la dette publique états-unienne, (celle-ci s’élevant à 21 000
milliards de dollars) portée à plus de 70% par les institutions fédérales US,
la sécurité sociale, les banques, les entreprises, les ménages), ce qui ne
donne pas à la Chine le pouvoir d’influencer la gestion économique US.
Trump
pourra-t-il contenir la marche en avant de la Chine, en passe d’être la première puissance mondiale d’ici 2050 ?
Sa « nouvelle route de la soie »,
et ses projets titanesques, court sur presque sur tous les continents, en
développant des infrastructures « démesurées ». La Chine très
présente en Afrique et en Amérique du Sud va renforcer son influence économique
en Asie et augmenter la vente des produits chinois vers d’autres pays que les
USA, y compris en Europe. Elle facilite les échanges avec la Corée du Sud,
l’Inde, le Sri Lanka, le Bengladesh, en abaissant les droits de douane de leurs
produits. Depuis les années 70, les exportations US dans le monde ont reculé.
L’Asie capte une part toujours plus importante du commerce mondial au détriment
des USA et de l’Europe.
Au
nom du Make America great again, la
guerre économique de Trump déconstruit l’architecture de l’ordre mondial que
les USA ont bâti à la fin de la 2ème guerre mondiale, il lui substitue
un nouvel ordre dans lequel, l’Amérique, comme le Royaume Uni du 19ème
siècle, n’aura ni allié éternel ni adversaire perpétuel, mais seulement des intérêts.
Ce qui était envisageable au temps de la pax Britannica (lorsque l’Empire
britannique possédait la suprématie sur les routes maritimes) ne l’est plus
dans un monde multipolaire(1).
Le
basculement du monde semble en marche, de l’ouest vers l’est de la planète.
Pour autant, la mondialisation et le libéralisme financiarisé, version USA ou
version Chine n’est pas le rêve que nous formulons. Il maintient le même
système économique basé sur la production, la consommation, la croissance. Il
nous mène à la catastrophe sociale et écologique, voire financière à la hauteur
de la crise de 2008 si la situation s’envenimait entre les Etats-Unis et la
Chine (encart 5). C’est bien d’un projet totalement opposé à ces
« modèles » que nous avons à défendre.
Odile
Mangeot
(1)
Alternatives
économiques (blog du 6.07.2018)
Encart 1
Le « négociateur » Trump
Donald
Trump a bâti sa carrière sur le principe que tout est renégociable. Une fois un
immeuble terminé, le promoteur invoquait la piètre qualité des travaux pour
éviter d’honorer ses engagements. Il imposait alors de nouvelles conditions aux
divers corps de métier… Ceux qui refusaient sa proposition n’avaient qu’à le
traîner devant les tribunaux, prenant ainsi le risque de procédures judicaires
coûteuses et à l’issue incertaine face à des avocats aussi retors que coriaces…
Ses procédés de mauvais payeur étaient bien connus des fournisseurs et des
banquiers, dont beaucoup refusaient de traiter avec lui… Il dit aimer
« écraser l’autre camp et encaisser les profits » et bien se moquer
des banquiers qui ont perdu les sommes qu’ils lui avaient avancées.
« C’est leur problème : pas le mien. Je leur ai dit qu’ils n’auraient
pas dû me les prêter »… On estime qu’il a été impliqué, comme plaignant ou
comme accusé, dans plus de 3 500 procès.
Novice
en politique, M. Trump avait promis de mettre ses talents de « plus grand négociateur de l’histoire »
au service de l’Amérique…
le Monde Diplomatique juin 2018 « Le
diktat iranien de Donald Trump » par Ibrahim Warde
Encart 2
L’attaque contre l’Iran
Le
Plan d’action global commun, relatif au nucléaire iranien, a été signé à Vienne
le 14.07.2015 par l’Iran et les 5 membres du Conseil de Sécurité de l’ONU
(Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume Uni) ainsi que par l’Allemagne. La
levée des sanctions économiques a permis d’augmenter les échanges avec l’Iran. En
France elles ont triplé atteignant 1,5 milliard en 2017.
Le
8 mai dernier, Trump reniait l’accord sur le nucléaire signé par Obama, au
mépris du droit international et décidait de rétablir les sanctions à
l’encontre des entreprises commerçant avec l’Iran. Dès le 7 août, les
transactions financières sont bloquées les importations de matières premières
dans le secteur automobile et l’aviation commerciale sont interdites. En
novembre, suivra un embargo sur le pétrole. Peugeot et Renault qui avaient
réinvesti en Iran ont décidé de stopper leur production, Airbus va suspendre
les transactions en cours, Total a quitté le pays. Par contre, les entreprises
chinoises, indiennes ou turques restent.
A
l’avertissement de Rohani de « ne
pas jouer avec la queue du lion », Trump menaçait « Nous ne sommes plus un pays qui supporte vos
paroles démentes de violence et de mort. Faites attention ! ». On
reconnaît bien là l’art du négociateur !
Trump
espère solder définitivement le régime des Ayatollahs et ouvrir un retour en
force des intérêts US. Ce coup de poker est risqué. Il conforte l’anti-américanisme
là-bas ainsi qu’en Afghanistan et en Irak, d’autant que les exigences de Trump
sont intolérables pour l’Iran (retrait des milices iraniennes en Syrie et
en Irak, fin du soutien au Hezbollah et au Hamas…).
Trump
veut punir les pays qui continueront à acheter du pétrole iranien pour
étrangler l’Iran et réinstaurer la suprématie américaine. Cet unilatéralisme
américain peut-il tenir au risque de générer des tensions avec ses alliés et
menacer le libre-échange international que les Etats-Unis prônent depuis des
décennies ? Russie, Chine… laisseront-elles faire ? Des convergences sont
prévisibles pour contourner l’embargo et les sanctions et… augmenter le cours
du pétrole.
Ce
sujet mérite un article complet dans PES. A suivre.
Encart 3
Swift ? C’est quoi ça ?
C’est
un service de messagerie installé en Belgique utilisé par la plupart des
banques pour les transferts de paiements. Washington fait planer la menace de
sanctions unilatérales contre cette institution si elle n’exclut pas les
banques iraniennes d’ici novembre. Gesticulations ? Si Trump décidait de
sanctionner Swift, ce serait aussi au détriment d’importantes banques US (JP
Morgan, Citigroup notamment)
Encart 4
Connaissez-vous le JEFTA ?
Le
TAFTA ayant été bloqué par Trump, l’UE libérale se tourne vers l’Est (bien
entendu en secret comme cela s’est produit pour le TAFTA ou le CETA) pour
négocier le JEFTA, le plus gros accord de libre-échange au monde entre le Japon
et l’UE. Il doit entrer en application en 2019 après vote au Parlement européen.
Il représente 1/3 du PIB mondial et 600 millions de consommateurs
Ses
objectifs :
-
Diminuer les
derniers droits de douane pour intensifier le commerce de fromage, vin, viandes
de bœuf et médicaments contre voitures et pièces auto japonaises
-
Supprimer les
« obstacles inutiles aux échanges »
-
Ouvrir les
marchés de services aux multinationales en interdisant « toute
discrimination déloyale » visant à protéger une entreprise locale
On
connaît la chanson !!!
Encart 5
A quand la prochaine crise ?
Pour
l’heure, c’est l’euphorie à Wall Street. Le S&P 500 (indice de référence
des investisseurs à la Bourse de New York) a franchi le record du plus long
cycle de hausse sans krach = 325% entre le 6 mars 2009 et le 22 août 2018. La
politique de la Banque centrale de taux bas a incité les actionnaires et les
spéculateurs à prendre des risques, la réforme fiscale favorable aux
entreprises de Trump, les baisses d’impôts, ont pour résultat l’excès de
trésorerie pour les groupes financiers américains… qui se remettent à pratiquer
le rachat de leurs propres titres puis à les supprimer afin de faire progresser
le bénéfice par action. Les firmes américaines pourraient cette année racheter
1 000 milliards de dollars de leurs propres actions ! Un record
absolu !
Jusqu’à
quand ? La leçon de 2008 n’aura pas suffi ! Des tensions
commerciales, notamment avec la Chine, devraient pourtant inciter à la
prudence…
Le Monde 24.08.2018