Que révèle
la barbouzerie de l’Elysée ?
Il
ne s’agit pas ci-après de revisiter tous les méandres de « l’affaire
Benalla » mais plutôt d’éclairer les angles morts de cette guignolesque
péripétie. On peut pour le moins en tirer 4 leçons.
Le
pouvoir prétend ne tolérer aucune manifestation qui ne serait au préalable
encadrée et se prépare à l’utilisation de rafles et de violences policières
pouvant échapper à tout contrôle. Deuxièmement, le césarisme macronien, outre
la com dégoulinante en faveur de son héros, tente d’instituer une police
parallèle tout en se heurtant à d’autres corps de l’Etat. Troisièmement,
l’élite au pouvoir, derrière son chef, a (avait ?) pour objectif de
réduire à la portion congrue les partis parlementaristes et les déposséder du
peu de pouvoir qui leur reste dans le cadre de la Constitution de la 5ème
République. Enfin, le grand déballage benalliste, qui n’est pas terminé, complique
la tâche de cette fraction dominante du Capital que représente Macron, vis-à-vis
des ailes plus libérales (au sens états-unien) qui, pour la défense de leurs
propres intérêts, y compris électoraux, souhaitent préserver une façade
démocratique décente, à défaut d’être « exemplaire ».
Pour
traiter du premier point, il faut revenir sur les circonstances de la répression
du 1er mai, à la Contrescarpe et au jardin des Plantes.
Ampleur et
dérives de la répression lors du 1er mai
En
dehors de la manifestation autorisée, cadrée, du 1er mai, un appel
lancé sur les réseaux sociaux invite à se rassembler à la Contrescarpe à Paris
pour un « apéro géant ». Cette initiative est relayée par les Insoumis et des groupes dits
d’extrême gauche. Cette volonté d’échapper au cadre corporatiste syndical, le
pouvoir ne peut l’admettre, au risque de voir revenir sur la scène publique
l’évènement Nuit debout.
Vers
20 H, plusieurs dizaines de personnes se rassemblent à la Contrescarpe,
d’autres sont présentes au jardin des Plantes et, face à eux, une armada de
CRS. Brusquement, ce rassemblement « bon
enfant », selon les journalistes, est chargé par les pandores et les
rafles commencent. C’est dans ce cadre que Benalla et son compère Crase,
prêtent main forte, jouent de la castagne avec entrain… et interpellent un
couple qui osait protester. Ces deux prétendus « hystériques », aux
dires du barbouze en chef, jettent une bouteille et font un bras d’honneur.
Cette péripétie, qu’au demeurant le procureur reconnaîtra, bien plus tard,
qu’elle n’a « pas provoqué de
violences contre les CRS », occulte la réalité suivante bien plus
significative : 283 personnes arrêtées, 109 placées en garde à vue, 15
déférées en comparution immédiate et 44 interpelées, relâchées aussi vite… dont
le couple agressé par Benalla et son compère ( !). Il s’agit là d’une
véritable rafle, de fichage et d’intimidation en vue… d’utilisations ultérieures,
dûment préparées.
Si
l’on met ces faits en relation avec l’enquête de la CNIL (1) qui dénonce
l’ampleur de la surveillance par « l’usage
immodéré des caméras »,
on est fixé : à Paris, 2 739 caméras sur voie publique, 3 340 dans
les centres commerciaux, gares, musées, métro. Cette intrusion massive dans la
vie privée fait, qui plus est, l’objet d’un archivage clandestin. Les vidéos
sont conservées illégalement au-delà de 30 jours et ce, en l’absence de
réquisition judiciaire. Non seulement, la Préfecture de Police de Paris ignore
la loi mais, comme pour s’en excuser, déclare qu’il s’agit d’une pratique qui
concerne toutes les directions de la préfecture. Bref, tous les abus de droit
doivent être couverts, comme doivent être étouffées les violences des sbires de
la chefferie macronienne.
La chefferie
élyséenne et ses barbouzes
L’ambitieux
Macron, l’ex-banquier de chez Rothschild introduit par Attali, qui a surgi lors
de l’effondrement du parti socialiste et de la décrépitude affairiste de la
droite empêtrée dans l’affaire Fillon, ne dispose que d’une garde rapprochée.
Son nouveau parti en marche n’a en effet ni assise territoriale, ni racine
idéologique. Au « 1er de cordée », il fallait, par
conséquent, une Task Force pour faire
valoir la « verticalité »
de son pouvoir.
Au
sommet de l’Etat élyséen, un petit cercle d’inconditionnels, composé de technos
dévoués, est sous la houlette de Kohler, secrétaire général de la présidence ;
ce « 2ème cerveau de
Macron » possède, à sa main, ses « mormons » (ils se désignent ainsi), mais également une cohorte
de communicants et de gardes-chiourmes pour ses basses œuvres. Pas moins de
50 conseillers com d’une part, pour
leurrer « en même temps » le populo sur l’austérité et sur l’apparence
de social tronqué, et d’autre part, des gros bras recrutés pendant la campagne
présidentielle.
Benalla
(et d’autres) intime du Président et de sa Brigitte, ce personnage trouble issu
d’un sous-prolétariat (2), adepte de la baston, n’a cessé d’accompagner son
chef qui, du Touquet au Louvre lors de l’intronisation de Zeus, puis après le 1er
mai alors qu’il était soi-disant mis à pied, au Panthéon le 1er
juillet, au défilé du 14 juillet, puis, lors du retour en fanfare des footeux
pour leur intimer l’ordre reçu directement de Macron, d’aller parader
médiatiquement devant le grand chef. Cette mascarade sur l’Olympe jupitérienne
a tourné court. Après l’ivresse de l’altitude vint la profondeur des turpitudes
macroniennes : révélations du Monde
le 18 juillet, suite à la diffusion de la Benalla-baston, le 19 juillet
ouverture d’une enquête « pour violences,
usurpation de fonction et de signes réservés à l’autorité publique »
puis placement en garde à vue avant mise en examen le 22 juillet. Sans cette
intervention de la presse, « la
grosse bêtise » serait restée étouffée, tout comme les armes dont il
disposait.
En
outre, la transmission au mis en cause, pour… mieux se défendre, de la vidéo
dont disposait la préfecture de police, et la décision qu’il a bien fallu prendre,
à savoir la suspension de 3 hauts fonctionnaires préfectoraux qui s’étaient
prêtés à la manoeuvre, révèlent tout autre chose : leur servilité vis-à-vis
du pouvoir en place, et, en même temps ( !) les rapports de pouvoir
conflictuels au sein de l’appareil répressif de l’Etat. Qui donc doit avoir la
prééminence, la police dépendante du ministère de l’Intérieur, la gendarmerie
ou la milice en formation près du Président ? L’affaire n’est pas nouvelle
(cf encart 1), encore moins le « copinage
malsain », tout comme la guerre des polices au sommet de l’Etat et
l’opacité des conflits de pouvoir. En effet, le Groupe de Sécurité de la
Présidence de la République (GSPR) est composé de 80 policiers et gendarmes
issus des ministères de l’Intérieur et des armées. Et, bien qu’ils soient en
dehors de tout contrôle, les conflits de prééminence sont fréquents. Une
réflexion était engagée à laquelle participait le gorille Benalla qui, nommé
lieutenant-colonel, disposant d’un appartement de fonction et plus de
8 000€/mois, était pressenti pour prendre la tête de cette garde prétorienne
« rationnalisée ». En fait,
il s’agit, outre de réduire les pouvoirs de la préfecture de Paris, cet « Etat dans l’Etat », d’éviter les
fuites organisées par le syndicat de police. L’éviction de ce corps d’Etat au
profit de militaires habitués à la fermer, devait colmater en toute opacité ces
brèches mal venues. FO Police ne s’y est pas trompé lors des révélations de
l’affaire, en dénonçant la « milice
privée » en formation, sur la voie publique.
Ce
nid de barbouzes, découvert, a fait déraper Jupiter : « Benalla n’est pas mon amant » même
si je lui adressais des « notes
confidentielles », « le
responsable, c’est moi », « qu’ils
viennent me chercher » ces « journalistes
qui racontent n’importe quoi ». Ce qui est sûr, c’est que ce montage
de police parallèle est pour l’heure compromis, tout comme la tambouille
constitutionnelle qui est en passe de provoquer des indigestions
parlementaristes.
Le projet de
verticalité du pouvoir mis à mal
Le
chambard des révélations successives, les mensonges, omissions, contradictions
des protagonistes de l’affaire Benalla, les protestations ampoulées des commissions
d’enquête parlementaires, leurs relais médiatiques, ont revigoré les oppositions
parlementaires et repoussé, voire compromis en partie… la réforme
constitutionnelle de l’illuminé de l’Elysée (3). Certes, la tambouille des modifications
à introduire dans le régime de la 5ème République, pas encore
suffisamment bonapartiste au goût de Macron, portait sur des aspects qui
avaient le goût du public. En même temps en effet, en s’appuyant sur
l’antiparlementarisme ambiant, il s’agissait de s’assurer une popularité à bon
compte. Trop d’élus qui coûtent trop cher et, tout à trac, de supprimer la Cour
de Justice de la République qui les protège et, dans la même élan, d’introduire
la spécificité de la Corse, de modifier le peu de pouvoir dont dispose le
Conseil Economique et Social ainsi que le Conseil Supérieur de la Magistrature.,
le tout assorti d’une pincée de proportionnelle.
Pour
réduire la minorité des voix discordantes, quoi de mieux que de supprimer le
nombre de parlementaires, quitte à les affronter devant l’opinion publique ?
Et l’on pouvait, entretemps, par la séduction pouvoir compter sur la veulerie
d’un certain nombre de sénateurs, voire de députés d’opposition, prêts à
changer de camp. Patatras ! Vint l’affaire Benalla démontrant les
turpitudes autoritaristes peu reluisantes du « nouveau monde ». Face
à la caste dominante derrière Macron, qui est persuadée que l’alternance ne
fonctionne plus, les alliés et opposants
incrédules faisant fi de leurs divisions revêtirent l’habit de la
défense intransigeante de la façade parlementariste du régime présidentialiste.
Peut-on recourir à une loi organique sans passer par la réunion du Congrès qui
nécessite l’impossible majorité des deux Chambres et prendre le risque
d’un désaveu constitutionnel ? Celui de bafouer l’article 61 de la Constitution
qui donne pouvoir aux parlementaires (60 députés et 60 sénateurs) de déposer un
recours devant le Conseil Constitutionnel ?
Le
coup de force est-il possible à l’approche des Européennes ? Tel est le
dilemme provoqué par la bronca Benalla. Bon ! S’asseoir à l’aise sur les
lois est de pratique courante : l’article 40 du Code de Procédure Pénale qui
enjoint tout fonctionnaire de dénoncer tout crime ou délit, sans délai, auprès
du Procureur de la République, ne serait, pour les proches du Prince qu’une
procédure superfétatoire, propre à la « rigidité (intolérable) du droit ».
De même pour les casseroles délictueuses qui s’accumulent pour les Kohler,
Nyssen, Pennicaud après les Ferrand et autres bien en cours. La démagogie sur
l’exemplarité rencontre ses limites. Et Macron de s’en émouvoir, sa com ne
suffit plus « la presse s’est substituée
à la justice » (sic), « le
pouvoir médiatique veut devenir un pouvoir judiciaire ? ».
Diantre ! En Macronie, les belles images sur papier glacé sont froissées.
Certes, l’histoire de l’effritement du pouvoir macronien reste à écrire mais les
retombées grandguignolesques de l’affaire Benalla se poursuivent et ne sont pas
du meilleur effet.
« C’est arrivé demain. Attendez-vous à savoir » (4)
La
perquisition et ses suites dans l’appartement de Benalla valent d’être contées :
les flics n’ont, dans un premier temps, pu y procéder. Ils n’en possédaient pas
les clés et Benalla non plus ( !). Ils sont revenus le lendemain pour
constater… qu’entretemps, une armoire forte avait disparu, celle où le gorille
avait déposé ses armes. Dissimulation de preuves ? Nenni, le scotch
symbolisant les scellés n’avait pas été brisé. L’amateur de castagne d’affirmer
qu’il avait confié les clés à un(e) ami(e), la poulaille omettant de lui en
demander l’identité et l’adresse… L’affaire suit son cours : aux dernières
nouvelles, le téléphone portable de Myriam, sa concubine disparue, aurait été
logé dans le 16ème arrondissement. Dans les prétoires demain, peut-être
on en saura plus…
Dans
les sommets du pouvoir en revanche, c’est bouche cousue sur ce
« dossier » et la fuite en avant pour ne pas se dédire. Le missionné
du CAC 40 a fort à faire, lui qui se voyait déjà en futur chef de l’Europe
libérale maintenue face à l’affaiblissement de Merkel, doit encore gagner en
crédibilité austéritaire. Lui qui rêvait d’une grande coalition française où
n’existeraient plus contre lui que les Insoumis
et les néo-fascistes nationalistes et xénophobes doit déchanter. Les élections
européennes, tout comme les municipales qui suivront, sont autant de taches sur
sa zenitude. Qui plus est, ce chantre de l’Europe, malade du Brexit, fracturée
par les gouvernements italiens, polonais, hongrois… et la guerre commerciale
menée par son « ami » Trump, est bien à la peine. Et que dire de son
propre camp, les ambitieux qui attendent leur heure, ceux qui se défaussent,
prennent déjà leur distance et tous ces novices de LRM croyants mais déçus ?
Toutefois,
il peut toujours compter sur l’apparente apathie des classes ouvrières et populaires
et sur les couches moyennes et supérieures qui rêvent d’enrichissement rapide, de
toujours moins d’impôts et de charges inacceptables pour elles. A moins de
l’avènement d’un évènement beaucoup plus destabilisateur que les succédanés
benallistes, le fringant Macron plein de morgue pourra se maintenir dans son
Olympe, y compris en recourant à plus de répression si nécessité l’y oblige.
Gérard
Deneux, le 26.08.2018
(1)
La CNIL - Commission
Nationale de l’informatique et des libertés – chargée… en principe, de protéger
la vie privée. Autorité pseudo-indépendante créée en 1978, elle ne donne que
des avis. Elle dispose d’un budget de plus de 17 millions d’euros… Excusez
du peu.
(2)
Benalla fut
d’abord recruté par le PS (Martine Aubry)
puis, il créa des sociétés privées de surveillance, avec son compère
Crase
(3)
L’illuminé de
l’Elysée – référence à sa volonté d’être un président jupitérien, puissant
parmi les puissants, écrasant la pogne de Trump, toisant Poutine, baisant la
bague du pape François. Lors de la campagne présidentielle, ses envolées
mystiques, les bras en croix, font de cet évangéliste des marchés, un cas.
Faut-il rappeler sa grand’messe au château de Versailles et son homélie devant
les 900 parlementaires venus pieusement l’écouter…
(4)
Allusion aux
chroniques de la journaliste Geneviève Tabouis qui, dans les années 50,
scandait ses rubriques de ses tendances prévisionnistes.
Encart
1
Benalla et ses précédents
La
5ème République est coutumière des polices parallèles. De Gaulle
avait ses barbouzes du « Service d’Action Civique », les hommes de
l’ombre de Foccart dans la Françafrique. Mitterrand, parvenu au pouvoir
installa les siens, les Prouteau, Barril et autres sbires qui eurent autant
d’éclats nauséabonds : l’écoute téléphonique de personnalités, la
protection du secret de Mazarine et surtout l’affaire des Irlandais de
Vincennes et le coulage du Rainbow Warrior. Dans le 1er cas, il
s’agissait (1982) d’introduction d’armes, lors d’une perquisition sans titre,
et de condamner comme terroristes des réfugiés irlandais ; dans le 2ème
cas, de couler le navire de Greenpeace, en route vers Mururoa, pour protester
contre les essais nucléaires dans cet archipel.
Au
sommet de l’Etat, cette tentation perdura. En 1982, Mitterrand s’entourait
uniquement de gendarmes, Chirac revint à la mixité police-gendarmerie, Sarko
après son passage au ministère de l’Intérieur, ne faisait confiance qu’aux
policiers, Hollande revint à la mixité et Macron tente un retour à l’ère de
Mitterrand. Le groupe de sécurité de la Présidence de la République n’en finit
pas de connaître des soubresauts en dehors de tout contrôle et en toute
opacité.