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dimanche 30 septembre 2018


Nouvelle Calédonie ou Kanaky ?

Le 4 novembre prochain, suite aux accords de Nouméa de 1998, aura lieu un référendum, la population calédonienne devant se prononcer pour ou contre l’indépendance. Cette colonie française, devenue un département disposant d’une certaine autonomie, fait partie de la chaîne des confettis de l’empire colonial de la « République ». Cette collectivité territoriale, constituée d’îles et d’archipels, est située dans l’océan Pacifique Sud à pratiquement égale distance de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande (1 400 km) mais… à 16 740 km de la France. Sans connaissance du passé imposé par les gouvernements coloniaux, les enjeux présents confinent à la méconnaissance, voire à l’indifférence. Pour les plus aisés, la Nouvelle-Calédonie devrait rester un territoire voué au tourisme quand ce n’est pas à l’enrichissement rapide de métropolitains qui pourraient y séjourner. Or, le passé colonial ne passe pas ; il reste inscrit dans l’histoire de ce territoire malgré les « réformes » néocoloniales. Malgré toutes les tentatives de dissoudre les aspirations à l’indépendance, la volonté de se débarrasser de la tutelle de la France demeure. Pour l’heure, la résistance à l’oppression a connu certes quelques avancées mais surtout à travers des échecs et des répressions sanglantes du peuple Kanak.

Colonisation et résistances

C’est sous Napoléon III, le 24 septembre 1853, que la « France » prend possession de l’île et de ses dépendances. L’heure est à la compétition coloniale avec la Grande-Bretagne. De 1842 à 1906, cette expansion impériale se poursuivra dans cette région Pacifique (Tahiti, Wallis et Futuna, les Nouvelles-Hébrides…). La stratégie d’occupation est pensée en termes de colonisation de peuplement comme en Algérie. Pire, il s’agit de faire de la Nouvelle Calédonie « l’Australie de la France » par la disparition progressive des indigènes kanaks et une terre de relégation (pour les condamnés, Communards et droits communs) (1). 1864 est la date d’ouverture du bagne, qualifié de colonie pénitentiaire à « vocation humanitaire ». Elle s’accompagne d’une politique d’expropriation foncière, d’enfermement des Kanaks dans des réserves. Cette réalité évoque le sort des Indiens d’Amérique du Nord, voire des Palestiniens. L’île n’est-elle pas un territoire sans peuple ou en voie de le devenir ? De 100 000 Kanaks, il n’en reste plus que 34 000 en 1900 et 27 000 en 1920. Malgré la colonisation  de peuplement entreprise, les anciens bagnards restés sur place et les Européens qui se sont installés, ne sont que 14 200 en 1901. La République française va dès lors, encourager l’immigration d’Asiatiques, de Polynésiens pour combler le déficit d’Européens volontaires et ce, d’autant plus que la fin du 19ème siècle est aussi celle de l’exploitation des mines de nickel. Il s’agit, non seulement de « planter du Blanc » mais également, de submerger le peuple kanak d’autres immigrants, ce qui, dans la novlangue deviendra « la riche diversité ethnique ». En effet, malgré le code de l’indigénat (2), imposé en mai 1871, et le recours au « travail forcé » au profit des colons, les Kanaks s’opposent et ne sont même pas intéressés par les salaires de misère dans les mines. Quant aux « colons européens trop rares, trop chers », ils répugnent à travailler à la mine sinon comme gardes-chiourmes (3).

Les révoltes localisées qui s’accumulent sont motivées par le refus du salariat et du travail forcé ainsi que par l’opposition à la christianisation et à la spoliation des terres. En 1878, l’exacerbation est à son comble (4), l’insurrection éclate. Elle va durer 10 mois, provoquant la mort de 200 colons et de 1 200 Kanaks. La répression est impitoyable, 1 500 villages sont incendiés, les prisonniers exécutés, les chefs de tribus déportés. Le chef Ataï est décapité, sa tête est envoyée en 1879 à Paris… au musée ethnographique. Pour encourager les soldats, une prime est versée pour chaque rebelle tué. Mais, comme la soldatesque apportait surtout des oreilles de femmes et d’enfants, la pièce à conviction d’élimination devint la tête, suite à décapitation.

1917, nouvelle insurrection provoquée par le refus kanak de l’enrôlement forcé dans l’armée française et de nouvelles spoliations de terres. La répression fut tout autant impitoyable quoique plus… civilisée. Une prime de 20 francs fut attribuée pour un prisonnier et 25 F pour un « mélanésien » tué.

Noyer le nationalisme kanak

A la répression susmentionnée, succéda en apparence une longue nuit des aspirations kanaks dans la période de l’avant et de la 2ème guerre mondiale (5). Puis vint la période des mouvements de libération nationale. A la fin de la guerre d’Algérie, le gouvernement, conscient du renouveau nationaliste, installa 2 600 Pieds-noirs en Nouvelle Calédonie. En 1972, le 1er ministre Pierre Messmer incita à poursuivre l’effort d’implantation de « blancs » pour constituer « une masse démographique majoritaire y compris avec femmes et enfants ». Cette stratégie fut couronnée d’un relatif succès. Les Kanaks représentant 51.1 % de la population, se réduisirent à 42.4%, remontant à 44 % en 1996. De 2004 à 2009, pour la contrer, 14 000 métropolitains furent installés avec des avantages confortables (salaires des agents de l’Etat (notamment) majorés de 73 à 94 % par rapport à ceux versés en France). Cette marginalisation des Kanaks s’accompagna d’une division géographique. Dans les îles Loyauté, les Kanaks représentaient 94 % de la population, 70 % dans le Nord de la « Grande Terre » et seulement 26 % dans la province du Sud (chiffres 2004).

Le pillage pouvait en apparence se poursuivre : le nickel qui représente 20 % des ressources mondiales fut extrait à raison de 7.5 millions de tonnes par an, la pèche de thons, de crevettes suivit l’augmentation de la demande mondiale. Il fut d’autant moins question d’abandonner ce confetti de l’ex-empire (18 500 km2) après la découverte non encore exploitée de ressources en hydrocarbures du sous-sol marin. En outre, l’heure était aux essais nucléaires à proximité (6) et à la maîtrise des mers, face à la concurrence des USA et de la Chine. Toutefois, c’était sans compter sur la résurgence des mouvements kanaks.

Mobilisations, répression et néo-colonialisme (1974-1988)

1969, apparition des « foulards rouges » du groupe 1878 (en l’honneur de la première insurrection) qui fusionnent en 1975, pour donner le FLNKS après 1979. En 1974, la polarisation sociale s’est accentuée, les « tribus » délaissées ne disposent ni de l’électricité, ni de l’eau courante et l’indépendance acquise par de nombreuses îles du Pacifique dès 1962 fait renaître l’espoir. Le 24 septembre, une manifestation contre la commémoration de la conquête coloniale de 1853 est suivie de nombreuses arrestations, notamment de femmes.

Giscard d’Estaing par le statut Stirn (7) et le plan dit de développement économique tente la stratégie d’intégration. Le Front Indépendantiste refuse ses manœuvres, en appelle à l’ONU. Il est soutenu par les Etats non-alignés et ceux de la région Pacifique opposés aux essais nucléaires français. Les colons lui opposent une stratégie de tensions qui aboutit à l’assassinat du leader indépendantiste Pierre Declerq en 1981. Les Kanaks multiplient les barrages routiers, les sit-in, les manifestations face à l’indifférence affichée du gouvernement français. Le FLNKS en 1984 appelle au boycott actif des élections (49.87 % d’abstention parmi les Kanaks) et ensuite à des actions de plus en plus dures : occupations de mairies, de la gendarmerie de Thio puis d’Ouvéa, séquestration du sous-préfet des îles Loyauté, barrages routiers, occupation de la ville de Thio du 30 novembre au 12 décembre. Aux manifestations pacifiques mais déterminées, les colons répondent par des expéditions meurtrières. Sur les murs de Nouméa, les slogans sont limpides : « Colon prends ton fusil », « Caldoches, aux armes »…  Et le 5 décembre 1984, c’est le massacre de Hienghène, 10 Kanaks sont tués, les 7 colons responsables seront… acquittés en septembre 1986. Le 12 décembre 1986, Eloi Machoro et Marcel Nonnaro, deux leaders indépendantistes, sont assassinés (pardon… « neutralisés ») par le GIGN en collaboration avec des colons d’extrême droite. On apprendra en 1986, aux Assises de l’Aisne, après le retour de la droite au pouvoir, et par la voix d’un ex-gendarme : « Nous avions l’ordre d’exécuter les deux hommes ». Cette période de la gauche au pouvoir, c’est en Kanaky, celle de l’état d’urgence, des ratonnades organisées par les colons.

En 1986, la donne change. Le FLNKS a obtenu la résolution suivante de l’Assemblée générale de l’ONU : « la Nouvelle-Calédonie est un territoire à décoloniser ». Le statut Pons, tout en maintenant la négation du peuple kanak et en procédant à une modeste redistribution des terres, promet un référendum d’autodétermination pour septembre 1987. Le FLNKS appelle au boycott. A la tentative d’élimination des leaders succède celle du quadrillage militaire. 8 000 soldats et unités d’élite débarquent à Nouméa, soit 1 militaire pour 7 Mélanésiens (les nazis furent bien moins nombreux proportionnellement dans la France occupée !) (8). Le FLNKS maintient la mobilisation malgré le rapport des forces défavorable : campagne de boycott des élections, mais tout va basculer le 22 avril 1988.

Ouvéa. Terreur d’Etat suivie d’intégration pour neutraliser

Ce jour-là, l’occupation pacifique de la gendarmerie du village de Feyaoué dérape. Un officier des gardes-mobiles tire, le premier sang versé est kanak, 4 gendarmes sont tués et 16 autres faits prisonniers (non « otages » !). Les militants se réfugient dans la grotte d’Ouvéa. Immédiatement, un contingent de 270 militaires ratisse la région ; par des brutalités, des tortures, ils parviennent à obtenir le lieu où se cachent les « ravisseurs ». Le gouvernement Chirac-Mitterrand (cohabitation) refuse toute négociation et la médiation proposée par le FLNKS. L’option de l’assaut violent est retenue, la zone de guerre est interdite aux témoins et journalistes. Le 5 mai, on dénombre 19 morts kanaks dont des blessés exécutés et 2 du côté des militaires français. Si Chevènement admettra qu’il y a eu des actes individuels contraires au devoir de l’armée mais qu’ils ne sauraient entacher son honneur, si Rocard en 2008 affirmera que « des meurtres ont bien été commis », ceux qui ont donné l’ordre du massacre au sein de la « monarchie républicaine » ne seront jamais inquiétés. Cette « victoire » militaire est en fait une défaite politique. Depuis lors, l’aspiration à l’indépendance est largement majoritaire dans le peuple kanak. Il convient donc de négocier pour neutraliser et gagner du temps. Le 26 juin 1988, les accords de Matignon son signés. Le FLNKS est reconnu comme représentant des Kanaks. Mais le compromis reste flou, silencieux sur le sort des prisonniers politiques. Il est suivi de nouveaux accords sur la composition du corps électoral, le principe d’amnistie sauf exceptions les plus graves ainsi que sur la définition des compétences des 3 provinces. Les accords divisent les indépendantistes, en particulier ceux qui y voient une trahison de l’objectif d’indépendance. Jean-Marie Tjibaou et Yeiwene Yeiwene sont assassinés. Le pouvoir à Paris va jouer sur cette division en pariant sur la dérive politicienne des élus kanaks et la réalité minoritaire des « natifs ». En outre, des pressions vont être exercées sur les Etats de la région qui ont soutenu l’indépendance kanak à l’ONU. La Nouvelle-Zélande quant à elle après les excuses du régime présidentialiste français  percevra, pour la destruction du Rainbow Warrior (9) appartenant à Greenpeace, 7 millions de dollars.
 
Et maintenant ?

Après les tractations sur le corps électoral visant, pour les indépendantistes, à éviter l’afflux de populations européennes et parvenir à ce qui est dénommé « rééquilibrage » - qui est loin d’être atteint - toute une campagne de propagande est développée pour susciter la peur. S’isoler de la France serait catastrophique.

Si la France injecte 1,3 milliard d’euros par an, c’est surtout pour payer les fonctionnaires d’Etat qui résident dans l’archipel. Cette somme ne représente d’ailleurs que 15% du PIB et, par ailleurs, 80 % des compétences transférées sont assumées localement (santé, aides sociales, retraites, infrastructures). Certes, il resterait à financer de nouvelles fonctions (justice monnaie, enseignement supérieur, défense). C’est possible. Depuis 30 ans, des cadres administratifs, politiques… ont émergé. Quant aux coûts, un gouvernement indépendant pourrait abroger la gratuité des installations militaires françaises, remettre en cause la zone économique exclusive marine au profit des industriels français, tout comme le rapatriement de leurs profits en métropole et contingenter, par ailleurs, l’achat de produits français. La Kanaky aurait en effet tout intérêt à construire son développement avec son environnement proche dans le Pacifique. Mais qu’en serait-il de l’apport économique et social de la France ? Et la propagande de faire valoir que le PIB par habitant est supérieur à celui des pays de la Loire, le taux de croissance à 3 % et (en 2011) le salaire médian mensuel de 1 927 euros alors qu’il n’est que de 1 630 en France. C’est occulter, non seulement le niveau moyen des prix, de 24 % supérieur à la zone euro (une pizza vaut 16€  à Nouméa) mais surtout, les inégalités sociales énormes. En 2009, 55 % des Kanaks de 15 à 64 ans sont sans emploi (34 % pour les non-Kanaks), le taux de pauvreté atteint 52 % de la population dans les îles Loyauté, 35 % dans les provinces du Nord et seulement 9 % dans les provinces du Sud où les Kanaks sont très minoritaires. Bref, le rêve d’une « petite patrie au sein de la grande nation française » est principalement celui des colons et des gouvernements français. Le 5 mai 2017, Macron déclarait dans les Echos : « la Nouvelle Calédonie doit rester française ». De même Valls, en voie d’exportation à Barcelone, est allé en mission le 23 février 2018 prêcher dans le même sens à Nouméa, auprès des colons convaincus. Et, dernièrement, Laurent Wauquiez le 13 septembre  y est allé de son couplet : « la Calédonie française autonome mais au cœur de la France sinon c’est l’apocalypse » et, désignant les jeunes petits délinquants : « il faut arrêter ceux qui font le foutoir ». Dans la lignée du « grand dialogue », Macron, du 3 au 5 mai, a tenté de s’inviter lors de la commémoration à Gossana du massacre d’Ouvéa. Sa présence ayant été jugée inacceptable, faute d’accès aux archives de l’Etat et des obstacles non levés pour la vérité, il s’est répandu en mots creux sur les « valeurs (prétendument) partagées entre les oppresseurs et les opprimés ». 

Reste que les Kanaks sont minoritaires et qu’il n’est pas sûr qu’ils réussissent à entraîner avec eux les Asiatiques venus faire souche en Nouvelle-Calédonie malgré les efforts déployés par le syndicat « Union des travailleurs Kanaks et des exploités ». Si le Non l’emporte, ce sera un nouvel échec mais, à terme, comme d’autres confettis de l’Empire, la Kanaky vivra avec son entourage proche. On sait toutefois que l’indépendance politique, au regard de la réalité de la Françafrique qui perdure, ne signifie pas la fin de la tutelle française. La domination économique peut prendre le relais en corrompant les élites locales.

La promesse de référendum qui date de 1987, plusieurs fois différée, prouve, s’il en est besoin, que les manœuvres néocoloniales vont perdurer.

Gérard Deneux, le 23.09.2018

(1)    Le 28 août 1873, Louise Michel est déportée en Nouvelle-Calédonie avec de nombreux Communards. Elle ne sera libérée qu’en novembre 1880. Plus de 2 000 condamnés d’Afrique du Nord, essentiellement des révoltés algériens, furent déportés dans le bagne de Nouvelle-Calédonie.
(2)    Le code de l’indigénat est aboli en 1946. Le bagne est supprimé en 1924.
(3)    Ce sont des investisseurs, notamment la famille Rothschild, qui développeront l’activité minière et métallurgique et la création de la Société de Nickel (SLN)
(4)    Les Kanaks furent d’abord regroupés sur 1/10ème de leur territoire
(5)    Durant la 2ème guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie se rallie à la France Libre dès 1940. A partir du 12 mars 1942, elle devient une importante base arrière américaine contre le Japon
(6)    200 essais nucléaires dans le Pacifique et au Sahara de 1940 à 1996 furent pratiqués, soit l’équivalent de 1 000 fois la bombe d’Hiroshima. Voir le site « Sortir du nucléaire » et celui de l’Observatoire des armements
(7)    La loi du 28.12.1976 donne à la Nouvelle Calédonie, pour la première fois compétence d’attribution dans quelques domaines (notamment missions régaliennes)
(8)    Le quadrillage et l’occupation armée en Nouvelle-Calédonie équivaut à cette époque, proportionnellement, à 7 millions d’Allemands dans la France occupée !
(9)    Le Rainbow Warrior, navire écologique de Greenpeace, coulé par les services secrets français le 10 juillet 1985 en Nouvelle-Zélande. Il devait, suite à son escale, se diriger vers la zone des essais nucléaires, vers l’atoll de Mururoa. Le ministre de la défense, Charles Hernu, au vu de l’ampleur du scandale, dut démissionner

Sources principales : le blog de Saïd Bouamama, Billets d’Afrique avril et mai 2018, le Monde, Politis du 20 au 30 mai 2018