Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 20 décembre 2018


Brésil. Vers la dictature fascisante ?

Comment expliquer la fulgurante percée électorale de l’extrême droite dans ce pays qui fut considéré, par les gauches occidentales et les altermondialistes, comme un modèle d’émergence d’une « démocratie participative » ? Son emblème, Porto Allegre, son leader, Lula, ont pu faire illusion pour tous ceux qui ont ignoré l’histoire et la réalité de la formation sociale brésilienne. Pour tenter de comprendre l’échec du dit Parti des Travailleurs (PT), il convient d’abord de signaler quelques repères sur l’évolution de cette société si particulière et sur les choix que la classe dominante fut amenée à opérer dans la dernière période. De fait, après la dictature militaire (1964-1985), les classes dominantes fortes du boom économique et pétrolier ont misé sur l’élargissement du marché intérieur en y intégrant les fractions des classes dominées. Le PT fut l’instrument de cette politique. Et lorsque la crise fut venue (2014-2015), tenue en laisse par ses alliances contre nature, cette social-démocratie singulière appliqua sans vergogne des politiques d’austérité dans un contexte de généralisation de la corruption, gangrenant toutes les élites politiques. Face au chaos et aux contradictions délétères, ne restait que l’option dictatoriale. Peut-elle véritablement être mise en œuvre avec l’illusionniste Bolsonaro, homophobe et raciste ? Difficile de répondre à cette question si ce n’est pour affirmer que luttes de classes intensives et répressions contre les opposants vont être rapidement à l’ordre du jour.

Bref retour historique pour mieux saisir la singularité brésilienne

« Découvert » par les Portugais en 1500, le Brésil fut très rapidement colonie de peuplement, repoussant aux marges les peuples autochtones à défaut de pouvoir les éliminer entièrement. Entre 1500 et 1760, 700 000 Portugais s’y établirent. La grande période d’immigration ne commença qu’en 1870. On compte parmi les ascendants des immigrants, 30 millions d’Italiens, 700 000 Allemands, 1 million de Français, autant de Japonais et d’Espagnols, le reste étant composé d’Asiatiques et d’Amérindiens (1). En 1889, après l’intermède d’un empire relié au Portugal, cette colonie put acquérir son indépendance et instaurer une République oligarchique nationaliste ; elle ne pouvait fonctionner qu’en important sur les terres agricoles des esclaves. On considère que 5,5 millions d’Africains furent déportés à cet effet. Si l’esclavage fut aboli en 1888, la Constitution refusa le droit de vote aux analphabètes, soit 70% en 1890, 50% en 1950, 20% en 1980. La fin de la dictature militaire institue, dans la Constitution de 1988, le suffrage universel. Cette société métissée de ségrégation sociale et raciale, se perpétua : actuellement, les 5% les plus riches détiennent autant que les 95% de la population. En outre, le Brésil demeure la 2ème nation chrétienne dans le monde (83%), les catholiques étant concurrencés par la montée du protestantisme évangélique.  

Cette société capitaliste est profondément machiste, les viols sont monnaie courante et les évangélistes, défenseurs de la famille reproductive, ont surfé sur la vague anti-mariage homosexuel pour se présenter comme des parangons de vertu, alors même qu’ils sont impliqués dans des scandales de corruption. Non seulement ils ont rallié à la cause anti Parti des Travailleurs, l’Eglise catholique, mais également réussi à infiltrer, contaminer, les plus de 30 partis existants. Cette République fédérative présidentialiste est, en effet, extrêmement divisée, notamment entre un Nord plus pauvre et un Sud plus industriel. Ainsi le PRB (républicains droitiers) partage, entre autres, les thèses créationnistes contre le darwinisme scientifique. Ils sont également opposés à tout interventionnisme d’Etat.

La crise de 1998 suscite l’intervention du FMI (prêts de 41.5 milliards de dollars) et ses ajustements structurels pour la rembourser (privatisations, austérité). La découverte, en 2008, d’immenses gisements pétroliers, et la rente qu’elle procure, change la donne. C’est dans cette conjoncture de relative prospérité que le Parti des Travailleurs parvient au pouvoir. Pour les classes dominantes, il s’agit de conserver leurs privilèges, tout en accroissant le marché intérieur.

De l’ascension à la chute du Parti des Travailleurs

Il n’est guère envisageable, dans cet article, de retracer l’histoire du Parti des Travailleurs et de ses dérives (2). Il est nécessaire, pourtant, d’évoquer le cadre de son installation au pouvoir. La fin de la dictature militaire (1985) a été précédée de la loi d’amnistie (1979) des militaires et tortionnaires qui avaient exécuté, torturé, réprimé le Parti communiste du Brésil, les groupes de guérillas. La CIA, avec d’autres gouvernements de l’Amérique latine, a mis en œuvre l’opération Condor, faite de disparitions et de meurtres. Tout fut passé à la trappe de l’oubli (3). La démocratie parlementariste s’imposa d’autant plus que le développement de l’économie capitaliste restait entravé. Les forces productives devaient être libérées du carcan militariste et le secteur industriel se diversifier : implantation des multinationales, exportation de café, cacao, canne à sucre… Le secteur minier aussi le souhaitait.… C’est donc sur la base de la marginalisation du PCB (Parti Communiste Brésilien), de l’écrasement des luttes armées, de l’essor des luttes ouvrières et de l’influence des secteurs, tels l’Eglise catholique (de la théologie de libération) que le Parti des Travailleurs voit le jour en 1980. Sa création, il la doit aux grandes luttes ouvrières et syndicales de mai 1978 (métallurgistes de Sao Paulo) et de 1983 (grève générale, 2 millions de grévistes). C’est donc bien l’essor d’un mouvement ouvrier combattif qui contraignit la classe dominante à abandonner la forme dictatoriale du régime. Les secteurs de la métallurgie et de l’automobile en ont été le fer de lance. Le PT fut composé, à l’origine, de catholiques progressistes, d’anciens de la lutte armée, de dissidents du PCB qui avaient survécu et de partisans d’un nouveau syndicalisme, tel Lula, mais aussi de forces extra-parlementaires. S’appuyant également sur le mouvement des paysans sans terre, des forces organisatrices des mouvements sociaux et syndicaux, le PT prit ses distances avec le marxisme et ses dérives (stalinisme, eurocommunisme). Il va se transformer à partir de 1990 en parti institutionnel, électoraliste. Après avoir obtenu 8 députés en 1982, 16 en 1986, après les échecs aux présidentielles de son candidat Lula en 1989 et 1994, il gagne les présidentielles en 2003. Au cours de cette période, des franges de plus en plus importantes de la bourgeoisie entrepreneuriale lui apportent un soutien financier pour ses campagnes électorales. Le PT doit pouvoir, pour ces dernières, leur apporter la paix sociale, développer, par les concessions offertes, le marché intérieur et le développement de l’économie capitaliste. Pour gouverner, se maintenir au pouvoir, le PT en est réduit à s’allier avec des partis du centre droit. En s’insérant dans le système politicien corrompu, il prend le risque d’être lui-même gangrené. Pour faire passer certaines lois, l’achat de voix auprès de parlementaires véreux est de mise. S’insérer dans un système crapuleux, c’est l’adopter.

Période de prospérité en trompe-l’œil

Toutefois, dans une première phase, celle de la relative prospérité des deux premiers mandats de Lula, des millions de personnes sortent de la pauvreté. Le système de bourses aux familles démunies a permis aux plus miséreux d’inscrire leurs enfants à l’école, les médecins cubains, envoyés dans les endroits les plus défavorisés, ont secouru un système de santé défaillant. Si quelques concessions furent faites aux sans-terres, elles n’ont pas été à la hauteur de leurs aspirations, loin s’en faut ; les grands propriétaires, y compris les latifundiaires, n’ont guère été touchés faute de réforme agraire. En revanche, c’est une nouvelle classe moyenne évangéliste qui a profité de l’essor économique. Cette période est également marquée par la découverte de gisements pétroliers (2008), et l’essor de Petrobras, cette compagnie appelée à devenir la pompe à fric de toutes les malversations et dessous de table. Le PT « social libéral » faisant le grand écart entre les altermondialistes (les budgets participatifs assurant sa promotion progressiste) et les grands leaders mondiaux du G20 et des BRICS. Il fut bien embarrassé lorsque la crise fut venue (2014). Appliquant dès lors une politique d’austérité, il vit son influence décroître et sa fonction de maintien de la paix sociale se déliter. D’ouvrière et syndicaliste, sa base sociale se rétrécit, les femmes, les Afro-brésiliens, les plus pauvres et les sans-terres lui assurant toujours leur soutien. Pour preuve, avant même l’élection de Bolsonaro, les différents scores présidentiels en baisse : Lula en 2002 61%, même score en 2006 pour sa réélection, 2010 Dilma Rousseff 56%, 2014 la même 52%. L’effondrement du pétrole et la crise qui s’en suivit brisa le pacte rentier pétrolier. Ne restait que la voie de l’austérité et du chaos qui allait suivre.  

Sous Dilma Rousseff, le PT, pour se maintenir au pouvoir vaille que vaille, fit le choix funeste de l’austérité draconienne. Non seulement il révélait ainsi sa propre nature mais il fut, également, l’instrument d’exacerbation des contradictions sociales, sur fond de révélations d’un système politique pourri jusqu’à l’os. Déjà, avant même les Jeux Olympiques, les systèmes de santé, d’éducation et les finances publiques s’effondrèrent. Les salaires de la police, des enseignants, des médecins hospitaliers, les fournitures des urgences, étaient réglés en retard, sapés par l’inflation. Les emblèmes du Brésil furent bafoués : les ¾ des subventions du Carnaval de Rio supprimés, les ¾ des employés du stade Maracana licenciés. Face aux manifestations de protestation, le pouvoir mit les militaires et la police, avec véhicules blindés, dans les rues.

La classe moyenne supérieure, qui depuis longtemps, ne pouvait plus supporter d’être mélangée avec la petite bourgeoisie bigarrée, surgie de l’ère de relative prospérité des deux mandants de Lula, exprima ouvertement son racisme de classe et de race, tout en se réjouissant des manifestations exprimant leur rejet de Dilma Rousseff. La colère, l’angoisse, le ressentiment s’exprimèrent jusque dans les favelas. La prolifération des gangs, la lèpre de la corruption révélée, l’énormité des dépenses engagées à l’occasion des Jeux Olympiques (2016, choix opéré en 2009) qui atteignirent 96,5 milliards de réals, furent autant d’éléments désapprobateurs. Les médias relayèrent l’exaspération généralisée, alimentée par l’opération « lavage express » menée par le petit juge Sergio Moro : 200 mises en examen dont la tête de turc, Lula, qui, loin d’être le plus corrompu, finit par être incarcéré. Entretemps, le PT avait tenté, pour ne pas sombrer, de présenter sa figure emblématique encore populaire. Mais rien n’y fit. Trop tard. Les classes dominantes avaient signé son acte de décès politique. Il n’était plus utile. Les favelas abandonnées à leur triste sort étaient devenues le terreau et le terrain de jeu des maffias et des évangélistes. Ainsi, sur les hauteurs de la baie de Rio, dans l’une d’elles, s’entassent 22 000 habitants, sans infrastructures publiques, leurs rues n’étant que terrains boueux ceinturés de baraques. Ils peuvent contempler la baie polluée par le déversement des égouts (17 tonnes par jour), de pétrole (7 tonnes) et de métaux lourds. Les pécheurs s’en remettent aux prêcheurs, à défaut de poisson. Pas étonnant qu’ils aient voté pour Bolsonaro. Après avoir vu les installations sportives délaissées, l’incendie du vélodrome déserté, ils n’attendaient plus rien de Lula.

Marcello Crivella, le maire de Rio, conspué lui-même, cet ancien pasteur et chanteur de Gospel, lui, le ministre de Dilma Roussef, avait tout fait avec son groupe parlementaire pour destituer Dilma Rousseff en se saisissant d’une sombre affaire de tripatouillage budgétaire dont on l’accusait. Après 12 années de corruption, le pays exaspéré, la classe des politiciens honnis, elle ne pouvait se réhabiliter. Le successeur de Dilma Rousseff, son ex vice-président Temer, qui accentuait la politique néolibérale d’austérité, ne pouvait survivre. Lors des élections, le parti démocratique du travail, de centre « gauche », et tous les autres grands partis de droite libérale, malgré leur appellation, allaient être emportés. Quant au candidat du PT, Haddad, ce professeur situé à son aile droite, cet ex-ministre de l’éducation, il ne pouvait au mieux que résister à la vague dégagiste. Les classes dominantes avaient choisi leur champion. Le résultat, après force intimidations, démagogie et rumeurs mensongères, fut sans appel. Au 2ème tour des présidentielles : 55,1 % pour Bolsonaro, 44,9 % pour Haddad. Ainsi, le Brésil de Lula avait élu un soudard pratiquement inconnu quelques mois auparavant, un politicien apparemment sans relief, certes truculent, provocateur, mais inactif en tant que député. Où se trouvait la clé de sa fulgurante ascension ?

Le programme et les soutiens de Bolsonaro

Comment le sulfureux Bolsonaro est-il devenu la coqueluche fréquentable des médias dominants, des hommes d’affaires et d’une fraction majoritaire de l’électorat ? Avait-il tout pour plaire, cet ex-capitaine misogyne, raciste, homophobe et antimarxiste, ce politicien falot mais truculent qui siège depuis 27 ans à l’assemblée nationale ? Lui qui fait l’éloge de la dictature, lui reprochant toutefois d’avoir commis « l’erreur de torturer au lieu de tuer » et qui promet de « fusiller les sympathisants du PT » ? L’amuseur public aux « blagues » nauséabondes comme celle adressée à une député du PT « Je ne vous violerai pas, vous ne le méritez pas », se présente comme un parangon de vertu, viril, ennemi de la corruption, alors que lui-même est poursuivi pour des affaires louches dans lesquelles il a trempé. Lui encore, qui affiche son mépris pour « les indigènes, les noirs, les femmes, les homosexuels et les imbéciles », est celui que la classe dominante a adoubé pour sortir de la crise politique, sociale, économique et morale que traverse le pays. L’ultralibéralisme despotique, militariste, néofasciste doit l’emporter pour qu’après les affaires, les affaires continuent et tant pis si ceux à qui on a graissé la patte sont emportés par la vague réactionnaire.

L’alliance BBB a bien été dénoncée pendant la campagne électorale hystérique qui a secoué le Brésil, Des Balles, la Bible et le Bœuf. Cette conjonction d’intérêts entre le lobby des armes, de l’armée et les évangélistes avec l’agro-négoce et les grands propriétaires terriens a fourni à Bolsonaro les finances nécessaires à sa fulgurante ascension. Porté par un électorat de classes moyennes supérieures, par tous ceux qui ont peur, sont horrifiés par la corruption, il a su gagner un public de jeunes supporters de 18 à 24 ans. L’ordre viril doit régner, les politiciens véreux doivent dégager. L’attentat, dont Bolsonaro a été victime (le coup de poignard d’un déséquilibré) pendant la campagne électorale, a ajouté l’auréole de martyr à son menton mussolinien. Et surtout, lui a évité la confrontation télévisuelle avec ses concurrents. La campagne électorale faite d’intimidations, de mensonges putrides, de menaces contre ses adversaires a fait le reste avec le soutien de la presse droitière et les réseaux sociaux sur lesquels il avait la main.

Son programme, tel qu’il le présente, consiste à combiner, comme le Pinochet du Chili, l’ultralibéralisme et la dictature militaire. D’abord réduire la dette publique de 20% comme lui suggère son maître à penser Paulo Guedes. Mais surtout pour satisfaire les BBB :
-        privatiser l’enseignement, promouvoir l’enseignement créationniste et entamer une véritable chasse aux sorcières contre les enseignants. Les parents doivent les dénoncer, tout comme les élèves pourraient les filmer pour les jeter à la vindicte publique
-        emprisonner les dissidents y compris les défenseurs des droits de l’homme et de la liberté de la presse
-        « éventrer les terres indigènes », protégées par la Constitution, poursuivre les paysans sans terres, ces « terroristes » qui s’en prennent à la propriété privée
-        engager la déforestation de l’Amazonie et combattre « le complot marxiste de prétendu réchauffement climatique »
-        Lutter contre les gangs en libéralisant l’achat d’armes à feu, porter à cet effet la majorité pénale à 16 au lieu de 18 ans
-        Abolir le mariage gay, promulgué en 2013, car Bolsonaro « préfère voir son fils mort plutôt qu’homosexuel ».

Quant aux relations internationales que veut promouvoir le futur dictateur, il ne peut que réjouir Trump : le projet de déménagement de l’ambassade du Brésil à Jérusalem, la dénonciation de la Chine qui achèterait le Brésil ainsi que la prétendue barbarie des médecins cubains qui seraient des esclaves du régime totalitaire. Cuba a d’ailleurs réagi à ces calomnies en organisant le départ des 8 332 médecins qui opéraient dans les régions les plus misérables du pays.

Pour mettre en œuvre le programme délirant de celui qui annonce « ne rien comprendre à l’économie », Bolsonaro s’appuie sur Paulo Guedes, ce disciple de Milton Friedman et de l’école de Chicago. Outre ce qui a été signalé ci-dessus, ce professeur, cofondateur de la Banque Pactual, coqueluche des milieux d’affaires et des entrepreneurs, compte supprimer la progressivité de l’impôt, promouvoir la flat tax (taux d’impôt unique), « réformer » les retraites, privatiser les entreprises publiques, afin d’obtenir l’équivalent de 164 à 234 milliards d’euros pour éponger la dette (84% du PIB). Il se voit déjà ministre de l’économie.

Derrière Bolsonaro, d’autres figures encore plus sinistres s’apprêtent à réduire l’Etat à ses seules fonctions répressives. Des généraux se tiennent en embuscade, partisans d’une intervention militaire « tout de suite ». En effet, le PSL (parti social libéral), instrument de Bolsonaro, reste minoritaire dans les assemblées parlementaires et ce n’est pas le recrutement du juge de l’opération « lavage express », en qualité de ministre de la justice, qui va faire à lui tout seul le ménage. Tel est le dilemme que s’apprêteraient à résoudre
-        Le général Hamilton Mourao, celui qui n’a que mépris pour les Indigènes, Afro-descendants, « ces indolents et ces rusés » et qui prétend que « les enfants de mères célibataires sont des inadaptés »
-        Le général Augusto Heleno, chef de la mission de l’ONU en Haïti en 2004-2005, dont les troupes furent suspectées de violences sexuelles, lui qui défend le recours aux snipers pour en finir avec les gangs
-        Le général Ferreira, futur ministre du transport… pour assurer la logistique.

Inquiétantes, ces figures patibulaires ? Les classes ouvrières et populaires peuvent-elles réagir ? Pour l’heure, seules des femmes courageuses se sont réellement mobilisées. Le mouvement des femmes unies contre Bolsonaro qui regrouperait 3,8 millions de membres, a multiplié les manifestations. Sa leader, Ludmilla Teixeira, 36 ans, maire, anarchiste (« aucun parti ne me représente »), défenseure des minorités, agnostique, activiste, adepte d’un féminisme noir, est la bête noire de la droite dure qui l’insulte, la traite « d’idiote, de crétine ». Peut-elle entraîner d’autres secteurs de la population à qui les évangélistes prêchent l’individualisme entrepreneurial du « sauve- toi toi-même » ?

Et après ? Qu’en conclure ?

Les gouvernements occidentaux, prétendus défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme, se sont empressés de reconnaître, quelques-uns en se pinçant le nez, la victoire de Bolsoranro. Ils ne bougeront pas, Trump le premier, le soutiendra. Les classes ouvrières et populaires désillusionnées, de révolte contenue, sont  gagnées par la passivité, les organisations syndicales et le PT les ont trahies, tout est à reconstruire. De même, les sans-terres qui ont pu conserver une marge d’autonomie vis-à-vis du PT, risquent d’être pourchassés sans pitié. Dans la lutte des classes qui s’annonce, les réactionnaires ont la force et l’initiative. D’autant que la formation sociale brésilienne (le rapport de classes dans une société), le poids de l’idéologie chrétienne, conservatrice sur le plan sociétal (avortement, homosexualité) ainsi que le machisme dominant, n’ont jamais été combattus par le PT.

Il ne fut jamais, malgré ses proclamations, une force de transformation sociale : pas de véritable réforme agraire, pas de mise au pas de l’agro-négoce, des médias aux mains des milieux d’affaires, pas de socialisation des banques et des secteurs clés de l’économie… En intégrant l’appareil d’Etat corrompu, il s’est délité en un parti clientéliste, surfant sur la période faste lors des deux premiers mandats de Lula, en signant le pacte rentier avec Petrobras. Et lorsque la crise fut venue, tout s’effondra, pour le pire.

Certains peuvent être tentés de voir, dans l’évolution du Brésil, un signe prémonitoire de ce qui pourrait se passer en Europe. Les analogies de ce type sont trompeuses car les sociétés, leurs histoires, les rapports de force de classes, leurs traditions, sont différents. En insistant, d’entrée de jeu, sur la singularité brésilienne, j’ai voulu, en creux, montrer que les comparaisons pouvaient être trompeuses.  Il n’en reste pas moins que la montée des extrêmes-droites en Europe, notamment, sont préoccupantes et interpellent sur la nécessaire formation de véritables instruments organisationnels de transformation sociale, de démocratie radicale, mais c’est là une autre histoire.

Gérard Deneux, le 16.12.2018





(1)   Brésil : 206 millions d’habitants. Le plus grand pays d’Amérique latine d’une superficie de 8 500 000 km2, plus de 12 fois la France.
(2)   Pour en savoir plus sur le PT, lire Histoire du Parti des Travailleurs du Brésil de Lincoln Socio, historien et professeur à l’université de Sao Paulo. Ed. du Sextant, paru en France en août 2016 (21€)
(3)   Les années Condor. Comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme sur trois continents. De John Dinges, ed. la Découverte, 2008