Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 20 décembre 2018


Injustice espagnole


Le reportage qui suit démontre que peu de  choses ont véritablement changé depuis la période franquiste et post-franquiste, du moins au sein de l’appareil judiciaire. L’énormité des condamnations requises pour délits d’opinion, vis-à-vis de personnalités indépendantistes catalanes, en dit long sur le passage de témoin qui s’est produit après la mort de Franco. Plus inquiétante, pratiquement au même moment en Andalousie, la percée de l’extrême droite. Le parti Vox a obtenu 11 % des voix et la droite s’apprête à gouverner cette région avec une formation dont les volontés réactionnaire sont sans équivoque : antiféministe, pour l’abrogation des textes réprimant les violences faites aux femmes, anti-immigration, xénophobe, pour l’interdiction des partis autonomistes et indépendantistes… Certes, on peut toujours gloser sur les 41 % d’abstention, sur l’effondrement du PSOE (social-libéral) après 36 ans de règne sans interruption. Son clientélisme et les corruptions dont il est gangrené lui ont valu un rejet légitime. Toutefois, Podemos et les ambiguïtés dont il est porteur, notamment en terme d’alliance avec les sociaux-libéraux, n’en tire pas profit. En Catalogne, comme dans toute l’Espagne, seules l’occupation des places, le renouveau démocratique par le bas, peuvent changer la donne. CR le 19.12.2018



 L’automne est certainement la saison préférée des Catalans : il fait beau, moins chaud qu’en été, et les touristes partis, ils peuvent enfin circuler normalement, aller à la plage, au restaurant, sortir en famille sans cuire 2 heures dans leur voiture ! Cette période commence en septembre. Les enfants étant en vacances jusqu’au 15, beaucoup de Catalans prennent leurs vacances à ce moment-là. Le point d’orgue de cette période est le 11 septembre, Fête nationale catalane : la DIADA.
Pour le mouvement indépendantiste, ce jour est toujours l’occasion de manifestations spectaculaires. Par exemple en 2014, une chaîne humaine relia le Nord au Sud de cette région sur près de 400 kms. Cette année, l’idée était de crier très fort « LIBERTAD » à 17h14 afin « que ce cri de soutien » aux prisonniers politiques catalans soit entendu jusqu’à Madrid. Pourquoi 17h14 ? Car la Diada est la commémoration du 11 septembre 1714, date de la chute de Barcelone face aux troupes de Philippe V et donc de la fin de l’indépendance de la Catalogne, qui durait depuis 998.
La fête nationale catalane est donc la commémoration d’une défaite, c’est dire le tempérament belliqueux, agressif, impérialiste de ce peuple… ! Cette fête est un des symboles très fort de la différence entre la Catalogne et l’Espagne. Le 11 septembre, les Catalans commémorent une défaite en organisant dans les arènes des concours de Castellers *. Plus tard, le 12 octobre, l’Espagne célèbre sa fête nationale, commémoration du jour où Christophe Colomb découvrit l’Amérique et donc du génocide des autochtones amérindiens. Ce jour-là, dans les arènes espagnoles, pas de Castellers mais des mises à mort sadiques de taureaux.
 Cette année, ce mois de septembre festif se prolongeait jusqu’au 1er octobre, 1er anniversaire du référendum et des violentes répressions policières. Dans de nombreux villages, au programme habituel des fêtes catalanes : castellers, concerts, discours, repas et ce 1er octobre, manifestation en soutien aux prisonniers politiques. A ce jour, 9 femmes et hommes politiques se trouvent sous les verrous ou en exil, pour d’autres, depuis quasiment une année, pour avoir organisé un référendum, pour avoir permis aux Catalans d’exprimer leurs opinions sur l’indépendance de leur région.
Ces manifestations étaient teintées de différents sentiments : d’une part, la colère de voir des personnes intègres privées de liberté, d’autre part, l’espoir de les voir libérées car, en novembre, la justice espagnole devait annoncer les peines encourues. Beaucoup de Catalans espéraient que la justice espagnole se montre clémente avec des gens qui n’ont exercé aucune violence, qui n’ont détourné aucun argent public (le matériel électoral a été acheté par les militants indépendantistes et non par le gouvernement de la Catalogne).
Le 4 novembre : coup de massue judiciaire sur les indépendantistes. La justice espagnole a annoncé qu’ils seraient jugés pour rébellion (ce qui sous-entend l’usage de la force), alors que le jour du référendum la violence était du côté de la Guardia Civil. Les peines requises par le Parquet général espagnol sont donc extrêmement lourdes.
-        Oriol Jonquera : ex vice-président du gouvernement catalan : 25 ans de réclusion
-        Jordi Sanchez et Jordi Cuixar : présidents d’associations indépendantistes : 17 ans de réclusion
-        Carme Forcadell : ex-présidente du parlement : 17 ans de réclusion
-        Joaquim Forn : ancien ministre de l’Intérieur : 16 ans de réclusion
-        Jordi Turull : ancien adjoint à la Présidence : 16 ans de réclusion
-        Raoul Romera : ancien ministre des Affaires Etrangères : 16 ans de réclusion
-        Josep Rull : ancien ministre de l’Equipement : 16 ans de réclusion
-        Dolores Bassa : ancienne ministre du Travail : 16 ans de réclusion
Ces personnes sont actuellement en détention préventive. Pour 13 autres inculpés, actuellement en liberté ou en exil, les peines encourues vont de 7 ans d’emprisonnement à 30 000 euros d’amende. Au total, 214 années de prison sont requises par le Parquet. L’indignation est monumentale en Catalogne, chez les indépendantistes mais pas que… Ces réquisitions sont vécues comme une énorme gifle à la démocratie, une rupture définitive avec l’Espagne. La justice espagnole montre une fois de plus un manque de proportionnalité flagrant. Le contraste avec le cas d’Inaki Urdangarin, beau-frère du roi, qui a détourné des sommes colossales en utilisant sa condition de membre de la  famille royale, est saisissant : celui-ci n’a écopé que de quelques années de prison dans un établissement de luxe. La justice espagnole n’est visiblement pas la même pour tous. A noter, mais ce ne fut pas une surprise pour les Catalans, le silence assourdissant de l’Europe. Les seuls soutiens vinrent de quelques mouvements indépendantistes, dont le mouvement corse. Leur communiqué résume parfaitement la situation aux yeux des Catalans indépendantistes : « 214 ans de prison cumulés requis par la justice espagnole contre les dirigeants catalans pour avoir organisé un référendum d’autodétermination, 214 ans pour avoir mis des urnes dans un bureau de vote : l’Espagne est une parodie de démocratie post-franquiste ».
JLL

*CASTELLERS : pyramide humaine réalisée par des équipes de villages (ou de quartiers pour les grandes villes). Cette activité crée énormément de lien social car toute la population est concernée. Les bases de la pyramide sont formées par les hommes les plus forts, puis les étages suivants par des personnes de plus en plus légères et de plus en plus jeunes. Le dernier étage est assuré par un ou deux enfants de 6 ou 7 ans. Les plus hautes pyramides atteignent 9 étages, le tout est accompagné par un groupe de musique locale qui rythme la construction de l’édifice. Tout au long de l’année, à l’échelle du village ou du quartier, un soir par semaine, tous les participants se retrouvent pour s’entraîner à la réalisation de la pyramide, puis comme toujours en Catalogne, ils partagent un repas convivial intergénérationnel et festif. Vous pouvez voir ces pyramides sur internet. JLL.