Injustice espagnole
Le reportage qui suit démontre que peu
de choses ont véritablement changé
depuis la période franquiste et post-franquiste, du moins au sein de l’appareil
judiciaire. L’énormité des condamnations requises pour délits d’opinion,
vis-à-vis de personnalités indépendantistes catalanes, en dit long sur le
passage de témoin qui s’est produit après la mort de Franco. Plus inquiétante,
pratiquement au même moment en Andalousie,
la percée de l’extrême droite. Le
parti Vox a obtenu 11 % des voix et
la droite s’apprête à gouverner cette région avec une formation dont les
volontés réactionnaire sont sans équivoque : antiféministe, pour
l’abrogation des textes réprimant les violences faites aux femmes, anti-immigration,
xénophobe, pour l’interdiction des partis autonomistes et indépendantistes…
Certes, on peut toujours gloser sur les 41 % d’abstention, sur l’effondrement
du PSOE (social-libéral) après 36 ans de règne sans interruption. Son
clientélisme et les corruptions dont il est gangrené lui ont valu un rejet
légitime. Toutefois, Podemos et les
ambiguïtés dont il est porteur, notamment en terme d’alliance avec les
sociaux-libéraux, n’en tire pas profit. En Catalogne, comme dans toute
l’Espagne, seules l’occupation des places, le renouveau démocratique par le
bas, peuvent changer la donne. CR le 19.12.2018
L’automne est certainement la saison préférée
des Catalans : il fait beau, moins chaud qu’en été, et les touristes
partis, ils peuvent enfin circuler normalement, aller à la plage, au restaurant,
sortir en famille sans cuire 2 heures dans leur voiture ! Cette période
commence en septembre. Les enfants étant en vacances jusqu’au 15, beaucoup de Catalans
prennent leurs vacances à ce moment-là. Le point d’orgue de cette période est
le 11 septembre, Fête nationale catalane :
la DIADA.
Pour le mouvement
indépendantiste, ce jour est toujours l’occasion de manifestations
spectaculaires. Par exemple en 2014, une chaîne humaine relia le Nord au Sud de
cette région sur près de 400 kms. Cette année, l’idée était de crier très fort
« LIBERTAD » à 17h14 afin
« que ce cri de soutien »
aux prisonniers politiques catalans soit entendu jusqu’à Madrid. Pourquoi
17h14 ? Car la Diada est la commémoration du 11 septembre 1714, date de la chute de Barcelone face aux troupes
de Philippe V et donc de la fin de l’indépendance
de la Catalogne, qui durait depuis 998.
La fête nationale catalane
est donc la commémoration d’une défaite, c’est dire le tempérament belliqueux,
agressif, impérialiste de ce peuple… ! Cette fête est un des symboles très
fort de la différence entre la Catalogne et l’Espagne. Le 11 septembre, les Catalans
commémorent une défaite en organisant dans les arènes des concours de Castellers *. Plus tard, le 12 octobre,
l’Espagne célèbre sa fête nationale, commémoration du jour où Christophe Colomb
découvrit l’Amérique et donc du génocide des autochtones amérindiens. Ce
jour-là, dans les arènes espagnoles, pas de Castellers mais des mises à mort
sadiques de taureaux.
Cette année, ce mois de septembre festif se
prolongeait jusqu’au 1er octobre, 1er anniversaire du référendum
et des violentes répressions policières. Dans de nombreux villages, au
programme habituel des fêtes catalanes : castellers, concerts, discours,
repas et ce 1er octobre, manifestation en soutien aux prisonniers
politiques. A ce jour, 9 femmes et hommes politiques se trouvent sous les
verrous ou en exil, pour d’autres, depuis quasiment une année, pour avoir organisé
un référendum, pour avoir permis aux Catalans d’exprimer leurs opinions sur l’indépendance
de leur région.
Ces manifestations
étaient teintées de différents sentiments : d’une part, la colère de voir
des personnes intègres privées de liberté, d’autre part, l’espoir de les voir
libérées car, en novembre, la justice espagnole devait annoncer les peines
encourues. Beaucoup de Catalans espéraient que la justice espagnole se montre
clémente avec des gens qui n’ont exercé aucune violence, qui n’ont détourné
aucun argent public (le matériel électoral a été acheté par les militants
indépendantistes et non par le gouvernement de la Catalogne).
Le 4 novembre : coup de massue judiciaire sur les indépendantistes. La justice espagnole a annoncé qu’ils seraient jugés pour rébellion
(ce qui sous-entend l’usage de la force), alors que le jour du référendum la
violence était du côté de la Guardia Civil. Les peines requises par le Parquet général
espagnol sont donc extrêmement lourdes.
-
Oriol Jonquera : ex vice-président du gouvernement
catalan : 25 ans de réclusion
-
Jordi Sanchez et Jordi Cuixar : présidents d’associations
indépendantistes : 17 ans de réclusion
-
Carme Forcadell : ex-présidente du parlement :
17 ans de réclusion
-
Joaquim Forn : ancien ministre de l’Intérieur : 16
ans de réclusion
-
Jordi Turull : ancien adjoint à la Présidence : 16
ans de réclusion
-
Raoul Romera : ancien ministre des Affaires
Etrangères : 16 ans de réclusion
-
Josep Rull : ancien ministre de l’Equipement : 16
ans de réclusion
-
Dolores Bassa : ancienne ministre du
Travail : 16 ans de réclusion
Ces personnes sont
actuellement en détention préventive. Pour 13 autres inculpés, actuellement en
liberté ou en exil, les peines encourues vont de 7 ans d’emprisonnement à
30 000 euros d’amende. Au total, 214 années de prison sont requises par le
Parquet. L’indignation est monumentale en Catalogne, chez les indépendantistes
mais pas que… Ces réquisitions sont vécues comme une énorme gifle à la
démocratie, une rupture définitive avec l’Espagne. La justice espagnole montre
une fois de plus un manque de proportionnalité flagrant. Le contraste avec le
cas d’Inaki Urdangarin, beau-frère du roi, qui a détourné des sommes colossales
en utilisant sa condition de membre de la
famille royale, est saisissant : celui-ci n’a écopé que de quelques
années de prison dans un établissement de luxe. La justice espagnole n’est
visiblement pas la même pour tous. A noter, mais ce ne fut pas une surprise
pour les Catalans, le silence assourdissant de l’Europe. Les seuls soutiens
vinrent de quelques mouvements indépendantistes, dont le mouvement corse. Leur
communiqué résume parfaitement la situation aux yeux des Catalans
indépendantistes : « 214 ans de
prison cumulés requis par la justice espagnole contre les dirigeants catalans
pour avoir organisé un référendum d’autodétermination, 214 ans pour avoir mis
des urnes dans un bureau de vote : l’Espagne
est une parodie de démocratie post-franquiste ».
JLL
*CASTELLERS :
pyramide humaine réalisée par des équipes de villages (ou de quartiers pour les
grandes villes). Cette activité crée énormément de lien social car toute la
population est concernée. Les bases de la pyramide sont formées par les hommes
les plus forts, puis les étages suivants par des personnes de plus en plus
légères et de plus en plus jeunes. Le dernier étage est assuré par un ou deux
enfants de 6 ou 7 ans. Les plus hautes pyramides atteignent 9 étages, le tout est
accompagné par un groupe de musique locale qui rythme la construction de l’édifice.
Tout au long de l’année, à l’échelle du village ou du quartier, un soir par
semaine, tous les participants se retrouvent pour s’entraîner à la réalisation
de la pyramide, puis comme toujours en Catalogne, ils partagent un repas
convivial intergénérationnel et festif. Vous pouvez voir ces pyramides sur
internet. JLL.