Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 5 mai 2019


Jaunes, rouges, verts…
 contre les régressions sociales de Macron

Certes, on ne va pas faire la fine bouche : le mouvement social des Gilets Jaunes tient, après plus de 5 mois de manifestations, de présence aux ronds-points, de volonté de structuration en Assemblée des assemblées à Commercy puis à Saint Nazaire… Macron a dû, en décembre, lâcher quelques miettes : retrait de la taxe carbone, mesurettes pour le pouvoir d’achat… Mais ne gâchons pas notre plaisir de constater que, malgré le dénigrement, les violences, les tentatives de division, les mises en garde à vue, les peines et amendes contre les Gilets Jaunes, le jaune est toujours dans la rue et… timidement, côte à côte, le rouge et le vert. Paniqué - les européennes approchant - Macron lance le « grand débat », dit « le grand enfumage ». Le « roi » consulte « son » peuple et, faute de peuple, ce sont les maires et autres édiles qui sont convoqués ; en bons courtisans, ils font « remonter » leurs doléances et voici…. le 25 avril… la révélation ! Le « roi » sort « transformé » par cette immersion dans le peuple ; il a « senti dans sa chair » l’injustice sociale, fiscale, territoriale. Diantre ! Il a « beaucoup appris sur ce sentiment d’abandon, ce manque de considération et de confiance », en rencontrant ces femmes seules, ces enfants dans la précarité, ces handicapés, ces retraités pauvres… « Les plaies de la société lui ont été révélées », il a compris leur « peur des grands changements à venir (climat, immigration, numérique) ». Alors, arrêter tout ? Non bien sûr. « Mes orientations sont justes, les mesures ne sont pas assez radicales » pour réduire le déficit des services publics, accélérer la croissance, parvenir au plein emploi, etc… « Face au sentiment d’injustice, il faut un projet plus humain ». « Face aux grands changements à venir, il faut garder la maîtrise de nos vies, redonner une espérance de progrès… en demandant des efforts à chacun ». Et « il n’aura pas de répit » (pour nous imposer des efforts) « car il y a tant d’attentes » ! Il faut gagner centimètre par centimètre du « bonheur civique et républicain » !!! Traduit en langage direct, sans langue de bois, c’est quoi le programme ?    

1 - Rien pour taxer les riches

La suppression de I’ISF a coûté 3.2 milliards d’euros au budget de l’Etat. Cet impôt ne sera pas ré-institué car, cette mesure, dit Macron, ne consistait pas à faire un cadeau aux riches mais à les faire produire plus afin que leurs réinvestissements « ruissellent » sur les pauvres  (moins de chômage, plus de pouvoir d’achat, etc…). Pour l’heure, la fondation Copernic a fait les comptes : la suppression de l’ISF a permis en 2019, un regain de pouvoir d’achat de 6.4 % pour… les 1 % les plus riches et de 17.5 % pour… les 0.1 % les plus fortunés. Les pauvres sont bien trop impatients !!!

Dans « l’annonce faite à son peuple », le « roi » promet la baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros), soit une recette en moins au budget de l’Etat, de 5 milliards. Qui va payer ? Serait-ce au prix de nouvelles mesures d’austérité et de fermeture de services publics, accroissant encore les inégalités ? Conclusion : pas touche à la répartition des richesses tout en continuant à casser les services publics. Ah ! mais, tout de même, il a annoncé la « suppression des niches fiscales pour les entreprises », sans en préciser les contours, ni les niches, ni les entreprises concernées. Aussitôt, le Medef monte au créneau pour clamer son désaccord. Rassurons-le ! Macron ne s’est pas converti à la justice fiscale et sociale ! D’ailleurs, il ne touche pas au CICE, au Crédit Impôt Recherche... Rien sur l’augmentation du SMIC, rien sur la suppression de la TVA pour les produits de première nécessité… Il va continuer à faire suer sous le burnous les classes populaires et les classes moyennes à coup de contre-réformes laminant les systèmes de solidarité existants.

2 - Le « libre choix » de travailler plus

Pas question de revenir sur les 35 heures. Pas question d’un jour férié en moins, mais laisser le « libre choix » à chacun de travailler plus longtemps.

Nous voilà au cœur de la régression sociale, celle de la suppression du système solidaire de retraite, ouvrant la porte à d’autres sur la sécurité sociale, l’assurance-chômage… Bref, la destruction, pan par pan, des conquis sociaux en 1945, que le Medef poursuit depuis de longues années. Kessler (1) l’avait formulé ainsi en 2007 « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ». C’est toujours d’actualité. Depuis une trentaine d’années, les gouvernements successifs n’ont cessé, au nom d’une équité de façade, d’allonger la durée d’activité, de repousser l’âge de départ à la retraite, de réduire le montant des pensions et de le déconnecter des salaires (cf encart). Aujourd’hui, Macron veut donner le coup de grâce au système de retraite par répartition à prestations définies, pour le remplacer par un régime à points dit « universel et responsabilisant », selon sa formule : « un euro cotisé doit rapporter les mêmes droits à tous ».

Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Delevoye, s’apprête à boucler la période de concertation entreprise il y a plus d’un an, avec les représentants des salariés et des employeurs, pour présenter le projet en juin, qui serait soumis au vote au Parlement courant du dernier trimestre 2019, avec une mise en œuvre envisagée en 2025.
 
Cette « contre-réforme » est la réponse aux exigences européennes de diminution de la part du PIB, actuellement consacré aux retraites (14 %) qui devrait baisser de 24 % d’ici 2050. Macron, en accord avec la politique de l’UE, propose « un régime universel plus juste » qui regrouperait les 42 régimes existants. Cela signifie-t-il que les salariés du régime général, les fonctionnaires et autres régimes spéciaux (SNCF, EDF, etc.) cotiseront au même niveau et à revenu identique, auront les mêmes droits à la retraite ? La CGT affirme qu’aujourd’hui, si les mécanismes sont différents, ils produisent pour une carrière complète, un niveau comparable de pension à qualification équivalente. En fait, ce sont les modalités de calcul liées aux différences de carrières suivant les régimes qui varient, pour aboutir à peu près au même taux de remplacement. Depuis 2014, des structures de coordination concernant l’ensemble des régimes, de base, complémentaires, du privé et du public, sont en place pour veiller à aligner les droits entre les régimes. La France dépasse encore largement les autres pays européens pour le montant des retraites, avec un taux de remplacement de 73 % contre une moyenne de 63 % pour les pays de l’OCDE (2). 

La contre-réforme annoncée poursuit un tout autre objectif que celui de la « justice sociale ». Delevoye l’affirme : il s’agit de « faire en sorte que le système de demain soit adaptable soit aux périodes de tempête soit aux périodes de croissance et que nous puissions, sans psychodrame, avoir cette capacité d’adaptation ». En d’autres termes, si la caisse de retraite est déficitaire, la variable d’ajustement sera le montant des pensions. La Suède a choisi ce modèle, ce qui lui a permis de diminuer les pensions en 2009, suite à la crise économique de 2008 et au regard de son évolution démographique.

« Plus tu travailles, plus tu gagnes ! »

Le système actuel (à prestations définies) tient compte des années travaillées et des années attribuées (en cas de chômage, maladie, maternité, etc.). Le projet de Macron c’est  « plus tu travailles, plus tu gagnes des points. Si tu ne travailles pas (maladie, maternité, chômage…), c’est zéro point ». 

Dans le système à points, les cotisations versées chaque mois, sont transformées en points. Au moment du départ, le montant de la pension est égal au nombre de points cumulés, multiplié par la valeur du point, celle-ci fluctuant en fonction de la situation financière du régime et de la santé économique du pays. En période de chômage – donc moins de cotisations en recettes - et d’espérance de vie plus longue - donc plus de pensions en dépenses – le point va baisser, les pensions vont, en conséquence, diminuer. D’autant qu’il n’y a plus possibilité d’augmenter le taux de cotisation (part salariale et part patronale), celui-ci étant bloqué à 28 % du salaire brut.

Deuxième phénomène. Le calcul individuel des droits s’appuie sur le nombre de points acquis tout au long de la vie professionnelle et non plus sur le niveau des salaires des 26 meilleures années pour le régime général, par exemple. Le taux de remplacement n’est plus garanti.  En conséquence, un euro cotisé ne donne pas les mêmes droits d’une année sur l’autre ! Il est facile de deviner qu’avec la prise en compte des salaires de l’ensemble de la carrière, toutes les retraites vont baisser.

Enfin, les malades, les privés d’emploi, les salariées en congé maternité, auraient des pensions diminuées puisque, contrairement au régime actuel qui tient compte de ces interruptions de carrière, le gouvernement a précisé : « Il n’y aura plus de points gratuits ». Ces périodes ne sont plus comptabilisées. Adieu le principe de solidarité ! De la même manière, les pensions de réversion pour les veufs ou veuves de salariés sont en danger, ainsi que la majoration de durée d’assurance pour enfants. Tout ce qui ne relève pas de la cotisation sur le salaire sera considéré comme une aide aux retraités pauvres, aléatoire, prise sur un autre budget.

Alors, plus de justice ? Non, il s’agit d’une volonté d’accaparement par l’Etat des sommes non négligeables que sont les réserves des caisses complémentaires obligatoire du régime général (Arrco et Agirc) 110 milliards et les 35 milliards du fonds de réserve des retraites. Plus besoin de réserves puisque le système s’équilibre lui-même, de manière comptable.


Fin de l’âge légal de départ en retraite

La main sur le cœur, Macron a clamé « J’ai promis ». Hors de question de reculer l’âge de départ à la retraite qui restera à 62 ans ! Chacun pourra exercer son « libre choix » de s’arrêter à 62 ans ou de continuer à travailler. Et pour que le « choix » soit totalement « libre » ( !), Macron envisage de créer un système de décote, suffisamment dissuasif pour que le salarié ne prenne pas sa retraite mais continue à accumuler des points !

Le modèle anglo-saxon n’est pas loin : une pension minimale de base, complétée, pour ceux qui le peuvent, par un système de fonds de pensions privés. Le projet Delevoye n’interdit pas les régimes spéciaux, chaque entreprise ou branche est libre de maintenir des avantages comme elle le souhaite, à condition qu’elle l’assume financièrement.

Les inégalités entre les retraités vont encore grandir et l’injustice sociale s’accentuer. Ceux qui le pourront s’achèteront une retraite complémentaire par capitalisation sur le marché de l’épargne retraite, ce qui fait baver de convoitise les banques et autres fonds assurantiels. On en sera alors, comme aux Etats-Unis, où le cotisant supporte seul les risques liés au transfert de son épargne sur le marché boursier. La pension de retraite est tributaire de l’évolution de l’action de l’entreprise et en cas de krach, elle part en fumée.  

Abandon de la gestion paritaire

Le projet Delevoye prévoit la gestion du système de retraite par une structure de tête portant les 42 régimes, sous la forme d’un établissement public, doté d’un Conseil d’administration (composé de représentants des employeurs et des salariés) et d’une Assemblée générale. Qui décidera, de l’Etat ou du Conseil d’administration, de la valeur du point chaque année, tant au niveau de la cotisation qu’au moment du calcul de la pension ? Va-t-on conserver un régime de gestion paritaire indépendante de l’Etat ? Cela ne semble pas être la tendance mais, pour l’heure, les débats sont très opaques. 

Ce qui est certain, c’est que cette « réforme » permettra au gouvernement de baisser les retraites sans décision politique mais par simple « automatisme ». Choisir ce système, c’est abandonner l’idée d’une retraite équitable garantissant des prestations face à des aléas économiques et politiques ; c’est prendre en mains une gestion jusqu’alors paritaire, pour échapper au contrôle social des représentants des salariés. C’est passer d’un système solidaire et universel à un système ultralibéral favorisant les fonds de pension.

3 - Des miettes pour retraités pauvres

Lors de son allocution du 25 avril, Macron a promis qu’il n’y aurait plus aucune retraite en-dessous du minimum contributif de 1000 euros (actuellement de 700 euros). Ce montant annoncé ne concerne que les salariés ayant atteint l’âge du taux plein et il ne s’appliquera qu’aux nouveaux retraités en 2020. Vaut-il mieux un minimum contributif à 1000 euros, à 62 ans après 43 annuités de travail dur, ou un minimum vieillesse à 903 euros ? Annoncer une mesure aussi rabougrie est d’une indécence inacceptable. Ainsi, Macron pointe du doigt des retraités qui « profiteraient » du minimum-vieillesse plutôt que de gagner leur retraite… et pour lutter contre, il dit vouloir « créer un différentiel (93 euros !) entre les gens qui ont travaillé toute leur vie et ceux qui reçoivent le minimum vieillesse ». De biens pauvres mesures pour mépriser les pauvres !   
  
Autre annonce : la « sous-indexation » imposée sur les retraites en 2019 (0.3 % d’augmentation contre 1.8 % d’inflation) ne se répètera pas. En 2020, les retraites (en-dessous de 2000 euros) seront réindexées sur l’inflation, et en 2021, elles seraient toutes réindexées. Impossible de calculer ce que cela va représenter en euros, d’autant que l’on ne sait pas si la base retenue de 2000 euros est en net, en brut, sans ou avec le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, etc…

Ces annonces, tout comme la baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros par mois) relèvent, à la veille des élections européennes du 26 mai prochain, d’une opération séduction des retraités, qui sont encore très nombreux, voire majoritaires, sur les ronds-points des Gilets Jaunes. 

En conclusion

La grandiloquence des objectifs de Macron cache mal une politique qui reste inchangée après 6 mois de Gilets Jaunes et 3 mois de grand débat. Dans les prochains numéros, nous analyserons la capacité gymnastique de Macron à pratiquer les grands écarts du type : vouloir créer dans chaque canton des « Maisons France Services » ou dédoubler toutes les classes de la grande section maternelle au CE1, tout en affichant la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires ; ou encore, sortir de l’échec des négociations de l’assurance-chômage, prévoyant notamment un malus pour les entreprises abusant des contrats courts, tout en leur promettant la suppression de certaines niches fiscales… Autant d’embûches qui peuvent le faire trébucher, nous laissant espérer que le mouvement des Gilets Jaunes pourrait se structurer autour d’un projet social et écologique, ouvrant des perspectives de convergences avec d’autres acteurs porteurs de revendications similaires.

Odile Mangeot, le 30 avril 2019
   

(1)   Denis Kessler – vice-président du Medef de 1998 à 2002. Depuis 2002, PDG du groupe SCOR – 5ème réassureur mondial - propose aux compagnies d’assurances une offre de services pour maîtriser la gestion des risques (solutions financières dans les domaines des grandes catastrophes ainsi que dans les assurances Vie et longévité).
(2)    OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques (36 membres à travers le monde). source : CGT Fédération des organismes sociaux août 2018

Reculer l’âge de départ effectif sans l’annoncer

L’âge légal de départ à la retraite, rabaissé de 65 à 60 ans en 1983, est remonté progressivement à 62 ans depuis 2011. D’autres leviers ont été utilisés pour retarder l’âge de départ effectif, sans toucher à l’âge légal. Le passage de 37.5 ans (150 trimestres) à 40 ans (160 trimestres), puis à 41.5 ans (166 trimestres), nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein, et le calcul sur la base du salaire moyen des 25 meilleures années (au lieu des 10 meilleures), ont déjà rapproché des 63 ans l’âge effectif moyen de départ d’un salarié du privé non-cadre. Cette tendance a été brutalement accélérée par la réforme des retraites complémentaires Agirc-Arrco qui a instauré, au 1er janvier 2019, un malus de 10% pendant 3 ans pour tous ceux qui liquident leur retraite avant 63 ans. Le taux de remplacement du salaire par la retraite, qui était encore de 83 % au début des années 1990 pour les salariés ayant effectué une carrière complète dans le privé, n’est aujourd’hui maintenu à ce niveau que pour ceux qui liquident leur retraite à 67 ans. Ramené à moins de 73 %, il a chuté de 10 points pour ceux qui font liquider leur retraite à l’âge légal de 62 ans.
Rapport annuel du COR – juin 2018