Jaunes,
rouges, verts…
contre les régressions sociales de Macron
Certes,
on ne va pas faire la fine bouche : le mouvement social des Gilets Jaunes
tient, après plus de 5 mois de manifestations, de présence aux ronds-points, de
volonté de structuration en Assemblée des assemblées à Commercy puis à Saint
Nazaire… Macron a dû, en décembre, lâcher quelques miettes : retrait de la
taxe carbone, mesurettes pour le pouvoir d’achat… Mais ne gâchons pas notre
plaisir de constater que, malgré le dénigrement, les violences, les tentatives
de division, les mises en garde à vue, les peines et amendes contre les Gilets
Jaunes, le jaune est toujours dans la rue et… timidement, côte à côte, le rouge
et le vert. Paniqué - les européennes approchant - Macron lance le « grand
débat », dit « le grand enfumage ». Le « roi »
consulte « son » peuple et, faute de peuple, ce sont les maires et
autres édiles qui sont convoqués ; en bons courtisans, ils font
« remonter » leurs doléances et voici…. le 25 avril… la révélation !
Le « roi » sort « transformé »
par cette immersion dans le peuple ; il a « senti dans sa chair » l’injustice sociale, fiscale,
territoriale. Diantre ! Il a « beaucoup
appris sur ce sentiment d’abandon, ce manque de considération et de confiance »,
en rencontrant ces femmes seules, ces enfants dans la précarité, ces
handicapés, ces retraités pauvres… « Les
plaies de la société lui ont été révélées », il a compris leur « peur des grands changements à venir (climat,
immigration, numérique) ». Alors, arrêter tout ? Non bien sûr.
« Mes orientations sont justes, les
mesures ne sont pas assez radicales » pour réduire le déficit des
services publics, accélérer la croissance, parvenir au plein emploi, etc… « Face au sentiment
d’injustice, il faut un projet plus
humain ». « Face aux
grands changements à venir, il faut garder la maîtrise de nos vies, redonner
une espérance de progrès… en demandant
des efforts à chacun ». Et « il n’aura pas de répit » (pour nous imposer des efforts) « car il y a tant d’attentes » !
Il faut gagner centimètre par centimètre du « bonheur
civique et républicain » !!! Traduit en langage direct, sans
langue de bois, c’est quoi le programme ?
1 - Rien
pour taxer les riches
La
suppression de I’ISF a coûté 3.2 milliards d’euros au budget de l’Etat. Cet
impôt ne sera pas ré-institué car, cette mesure, dit Macron, ne consistait pas
à faire un cadeau aux riches mais à les faire produire plus afin que leurs
réinvestissements « ruissellent » sur les pauvres (moins de
chômage, plus de pouvoir d’achat, etc…). Pour l’heure, la fondation Copernic a
fait les comptes : la suppression de l’ISF a permis en 2019, un regain de
pouvoir d’achat de 6.4 % pour… les 1 % les plus riches et de 17.5 % pour… les
0.1 % les plus fortunés. Les pauvres sont bien trop impatients !!!
Dans
« l’annonce faite à son peuple », le « roi » promet la
baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros),
soit une recette en moins au budget de l’Etat, de 5 milliards. Qui va
payer ? Serait-ce au prix de nouvelles mesures d’austérité et de fermeture
de services publics, accroissant encore les inégalités ? Conclusion :
pas touche à la répartition des richesses tout en continuant à casser les
services publics. Ah ! mais, tout de même, il a annoncé la « suppression des niches fiscales pour
les entreprises », sans en préciser les contours, ni les niches,
ni les entreprises concernées. Aussitôt, le Medef monte au créneau pour clamer
son désaccord. Rassurons-le ! Macron ne s’est pas converti à la justice
fiscale et sociale ! D’ailleurs, il ne touche pas au CICE, au Crédit Impôt
Recherche... Rien sur l’augmentation du SMIC, rien sur la suppression de la TVA
pour les produits de première nécessité… Il va continuer à faire suer sous le
burnous les classes populaires et les classes moyennes à coup de
contre-réformes laminant les systèmes de solidarité existants.
2 - Le
« libre choix » de travailler plus
Pas
question de revenir sur les 35 heures. Pas question d’un jour férié en moins,
mais laisser le « libre choix » à chacun de travailler plus
longtemps.
Nous
voilà au cœur de la régression sociale, celle de la suppression du système
solidaire de retraite, ouvrant la porte à d’autres sur la sécurité sociale, l’assurance-chômage…
Bref, la destruction, pan par pan, des conquis sociaux en 1945, que le Medef
poursuit depuis de longues années. Kessler (1) l’avait formulé ainsi en 2007
« Il s’agit aujourd’hui de sortir de
1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la
Résistance ». C’est toujours d’actualité. Depuis une trentaine
d’années, les gouvernements successifs n’ont cessé, au nom d’une équité de
façade, d’allonger la durée d’activité, de repousser l’âge de départ à la
retraite, de réduire le montant des pensions et de le déconnecter des salaires
(cf encart). Aujourd’hui, Macron veut donner le coup de grâce au système de
retraite par répartition à prestations définies, pour le remplacer par un
régime à points dit « universel et
responsabilisant », selon sa formule : « un euro cotisé doit rapporter les mêmes droits à tous ».
Le
Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Delevoye, s’apprête à boucler la
période de concertation entreprise il y a plus d’un an, avec les représentants
des salariés et des employeurs, pour présenter le projet en juin, qui serait
soumis au vote au Parlement courant du dernier trimestre 2019, avec une mise en
œuvre envisagée en 2025.
Cette
« contre-réforme » est la réponse aux exigences européennes de
diminution de la part du PIB, actuellement consacré aux retraites (14 %) qui devrait
baisser de 24 % d’ici 2050. Macron, en accord avec la politique de l’UE,
propose « un régime universel plus juste »
qui regrouperait les 42 régimes existants. Cela signifie-t-il que les salariés du
régime général, les fonctionnaires et autres régimes spéciaux (SNCF, EDF, etc.)
cotiseront au même niveau et à revenu identique, auront les mêmes droits à la
retraite ? La CGT affirme qu’aujourd’hui, si les mécanismes sont
différents, ils produisent pour une carrière complète, un niveau comparable de
pension à qualification équivalente. En fait, ce sont les modalités de
calcul liées aux différences de carrières suivant les régimes qui varient, pour
aboutir à peu près au même taux de remplacement. Depuis 2014, des structures de
coordination concernant l’ensemble des régimes, de base, complémentaires, du
privé et du public, sont en place pour veiller à aligner les droits entre les
régimes. La France dépasse encore largement les autres pays européens pour le
montant des retraites, avec un taux de remplacement de 73 % contre une moyenne
de 63 % pour les pays de l’OCDE (2).
La
contre-réforme annoncée poursuit un tout autre objectif que celui de la
« justice sociale ». Delevoye l’affirme : il s’agit de « faire en sorte que le système de demain soit
adaptable soit aux périodes de tempête soit aux périodes de croissance et que
nous puissions, sans psychodrame, avoir cette capacité d’adaptation ».
En d’autres termes, si la caisse de retraite est déficitaire, la variable
d’ajustement sera le montant des pensions. La Suède a choisi ce modèle, ce qui
lui a permis de diminuer les pensions en 2009, suite à la crise économique de
2008 et au regard de son évolution démographique.
« Plus tu travailles, plus tu gagnes ! »
Le
système actuel (à prestations définies) tient compte des années travaillées et des années attribuées (en cas de
chômage, maladie, maternité, etc.). Le projet de Macron c’est « plus tu travailles, plus tu gagnes des
points. Si tu ne travailles pas (maladie, maternité, chômage…), c’est zéro
point ».
Dans
le système à points, les cotisations versées chaque mois, sont transformées en
points. Au moment du départ, le montant de la pension est égal au nombre de
points cumulés, multiplié par la valeur du point, celle-ci fluctuant en
fonction de la situation financière du régime et de la santé économique du
pays. En période de chômage – donc moins de cotisations en recettes - et
d’espérance de vie plus longue - donc plus de pensions en dépenses – le point
va baisser, les pensions vont, en conséquence, diminuer. D’autant qu’il n’y a
plus possibilité d’augmenter le taux de cotisation (part salariale et part
patronale), celui-ci étant bloqué à 28 % du salaire brut.
Deuxième
phénomène. Le calcul individuel des droits s’appuie sur le nombre de points
acquis tout au long de la vie professionnelle et non plus sur le niveau des
salaires des 26 meilleures années pour le régime général, par exemple. Le taux
de remplacement n’est plus garanti. En
conséquence, un euro cotisé ne donne pas les mêmes droits d’une année sur l’autre !
Il est facile de deviner qu’avec la prise en compte des salaires de l’ensemble
de la carrière, toutes les retraites vont baisser.
Enfin,
les malades, les privés d’emploi, les salariées en congé maternité, auraient
des pensions diminuées puisque, contrairement au régime actuel qui tient compte
de ces interruptions de carrière, le gouvernement a précisé : « Il n’y aura plus de points gratuits ».
Ces périodes ne sont plus comptabilisées. Adieu le principe de solidarité !
De la même manière, les pensions de réversion pour les veufs ou veuves de
salariés sont en danger, ainsi que la majoration de durée d’assurance pour
enfants. Tout ce qui ne relève pas de la cotisation sur le salaire sera
considéré comme une aide aux retraités pauvres, aléatoire, prise sur un autre
budget.
Alors,
plus de justice ? Non, il s’agit d’une volonté d’accaparement par l’Etat
des sommes non négligeables que sont les réserves des caisses complémentaires
obligatoire du régime général (Arrco et Agirc) 110 milliards et les 35 milliards
du fonds de réserve des retraites. Plus besoin de réserves puisque le système
s’équilibre lui-même, de manière comptable.
Fin de l’âge légal de départ en retraite
La
main sur le cœur, Macron a clamé « J’ai
promis ». Hors de question de reculer l’âge de départ à la retraite
qui restera à 62 ans ! Chacun pourra exercer son « libre choix » de s’arrêter à 62 ans
ou de continuer à travailler. Et pour que le « choix » soit
totalement « libre » ( !), Macron envisage de créer un système
de décote, suffisamment dissuasif pour que le salarié ne prenne pas sa retraite
mais continue à accumuler des points !
Le
modèle anglo-saxon n’est pas loin : une pension minimale de base,
complétée, pour ceux qui le peuvent, par un système de fonds de pensions
privés. Le projet Delevoye n’interdit pas les régimes spéciaux, chaque
entreprise ou branche est libre de maintenir des avantages comme elle le
souhaite, à condition qu’elle l’assume financièrement.
Les
inégalités entre les retraités vont encore grandir et l’injustice sociale
s’accentuer. Ceux qui le pourront s’achèteront une retraite complémentaire par capitalisation
sur le marché de l’épargne retraite, ce qui fait baver de convoitise les banques
et autres fonds assurantiels. On en sera alors, comme aux Etats-Unis, où le cotisant
supporte seul les risques liés au transfert de son épargne sur le marché
boursier. La pension de retraite est tributaire de l’évolution de l’action de l’entreprise
et en cas de krach, elle part en fumée.
Abandon de la gestion paritaire
Le
projet Delevoye prévoit la gestion du système de retraite par une structure de
tête portant les 42 régimes, sous la forme d’un établissement public, doté d’un
Conseil d’administration (composé de représentants des employeurs et des
salariés) et d’une Assemblée générale. Qui décidera, de l’Etat ou du Conseil
d’administration, de la valeur du point chaque année, tant au niveau de la
cotisation qu’au moment du calcul de la pension ? Va-t-on conserver un
régime de gestion paritaire indépendante de l’Etat ? Cela ne semble pas
être la tendance mais, pour l’heure, les débats sont très opaques.
Ce
qui est certain, c’est que cette « réforme » permettra au
gouvernement de baisser les retraites sans décision politique mais par simple
« automatisme ». Choisir ce système, c’est abandonner l’idée d’une
retraite équitable garantissant des prestations face à des aléas économiques et
politiques ; c’est prendre en mains une gestion jusqu’alors paritaire,
pour échapper au contrôle social des représentants des salariés. C’est passer
d’un système solidaire et universel à un système ultralibéral favorisant les
fonds de pension.
3 - Des
miettes pour retraités pauvres
Lors
de son allocution du 25 avril, Macron a promis qu’il n’y aurait plus aucune retraite
en-dessous du minimum contributif de
1000 euros (actuellement de 700 euros). Ce montant annoncé ne concerne que les
salariés ayant atteint l’âge du taux
plein et il ne s’appliquera qu’aux nouveaux retraités en 2020. Vaut-il
mieux un minimum contributif à 1000 euros, à 62 ans après 43 annuités de
travail dur, ou un minimum vieillesse à 903 euros ? Annoncer une mesure
aussi rabougrie est d’une indécence inacceptable. Ainsi, Macron pointe du doigt
des retraités qui « profiteraient » du minimum-vieillesse plutôt que
de gagner leur retraite… et pour lutter contre, il dit vouloir « créer un
différentiel (93 euros !) entre les gens qui ont travaillé toute leur vie
et ceux qui reçoivent le minimum vieillesse ». De biens pauvres mesures
pour mépriser les pauvres !
Autre
annonce : la « sous-indexation » imposée sur les retraites en
2019 (0.3 % d’augmentation contre 1.8 % d’inflation) ne se répètera pas. En
2020, les retraites (en-dessous de 2000 euros) seront réindexées sur
l’inflation, et en 2021, elles seraient toutes réindexées. Impossible de calculer
ce que cela va représenter en euros, d’autant que l’on ne sait pas si la base
retenue de 2000 euros est en net, en brut, sans ou avec le prélèvement à la
source de l’impôt sur le revenu, etc…
Ces
annonces, tout comme la baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent
moins de 2000 euros par mois) relèvent, à la veille des élections européennes du
26 mai prochain, d’une opération séduction des retraités, qui sont encore très
nombreux, voire majoritaires, sur les ronds-points des Gilets Jaunes.
En
conclusion
La
grandiloquence des objectifs de Macron cache mal une politique qui reste
inchangée après 6 mois de Gilets Jaunes et 3 mois de grand débat. Dans les
prochains numéros, nous analyserons la capacité gymnastique de Macron à
pratiquer les grands écarts du type : vouloir créer dans chaque canton des
« Maisons France Services » ou dédoubler toutes les classes de la
grande section maternelle au CE1, tout en affichant la suppression de 120 000
postes de fonctionnaires ; ou encore, sortir de l’échec des négociations
de l’assurance-chômage, prévoyant notamment un malus pour les entreprises abusant
des contrats courts, tout en leur promettant la suppression de certaines niches
fiscales… Autant d’embûches qui peuvent le faire trébucher, nous laissant
espérer que le mouvement des Gilets Jaunes pourrait se structurer autour d’un
projet social et écologique, ouvrant des perspectives de convergences avec
d’autres acteurs porteurs de revendications similaires.
Odile
Mangeot, le 30 avril 2019
(1)
Denis Kessler –
vice-président du Medef de 1998 à 2002. Depuis 2002, PDG du groupe SCOR – 5ème
réassureur mondial - propose aux compagnies d’assurances une offre de services
pour maîtriser la gestion des risques (solutions financières dans les domaines
des grandes catastrophes ainsi que dans les assurances Vie et longévité).
(2)
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement Economiques (36 membres à travers le monde). source : CGT
Fédération des organismes sociaux août 2018
Reculer
l’âge de départ effectif sans l’annoncer
L’âge légal de départ à la retraite, rabaissé de 65 à
60 ans en 1983, est remonté progressivement à 62 ans depuis 2011. D’autres
leviers ont été utilisés pour retarder l’âge de départ effectif, sans toucher à
l’âge légal. Le passage de 37.5 ans (150 trimestres) à 40 ans (160 trimestres),
puis à 41.5 ans (166 trimestres), nécessaires pour bénéficier d’une retraite à
taux plein, et le calcul sur la base du salaire moyen des 25 meilleures années
(au lieu des 10 meilleures), ont déjà rapproché des 63 ans l’âge effectif moyen
de départ d’un salarié du privé non-cadre. Cette tendance a été brutalement
accélérée par la réforme des retraites complémentaires Agirc-Arrco qui a
instauré, au 1er janvier 2019, un malus de 10% pendant 3 ans pour
tous ceux qui liquident leur retraite avant 63 ans. Le taux de remplacement du
salaire par la retraite, qui était encore de 83 % au début des années 1990 pour
les salariés ayant effectué une carrière complète dans le privé, n’est aujourd’hui
maintenu à ce niveau que pour ceux qui liquident leur retraite à 67 ans. Ramené
à moins de 73 %, il a chuté de 10 points pour ceux qui font liquider leur
retraite à l’âge légal de 62 ans.
Rapport annuel du COR – juin 2018