Gaz de France.
Une mort lente.
Il
y a belle lurette que l’on ne l’appelle plus comme ça. L’époque où l’Etat
fixait le prix du gaz et confiait la commercialisation à un acteur unique, l’entreprise
publique GDF, est révolue depuis la décision en 2005 d’ouverture du marché du
gaz, autrement dit l’entrée du privé dans le capital de l’entreprise publique,
GDF. Ultime étape de la privatisation : la récente loi PACTE – plan d’action
pour la croissance et la transformation des entreprises - prévoit le
désengagement de l’Etat, non seulement des Aéroports de Paris, de la Française
des Jeux, mais également de GRT Gaz et
d’Engie.
Gaz de
France : de la nationalisation à la privatisation. Un long processus.
Au
lendemain de la 2ème guerre mondiale, l’Etat décide de nationaliser
les entreprises privées qui gèrent la production, le transport et la
distribution de gaz et d’électricité. La loi du 8 avril 1946 crée deux EPIC
(établissement public à caractère industriel et commercial) EDF et GDF, qui
feront l’objet d’une privatisation partielle en 2005. Ainsi l’EPIC GDF devient une
Société Anonyme, avec introduction en Bourse, l’Etat restant actionnaire
majoritaire. En 2008, en décidant la fusion de GDF avec Suez, l’Etat devient
actionnaire minoritaire. En 2015, GDF-Suez change de nom et devient ENGIE.
Aujourd’hui,
ENGIE est une Société Anonyme (avec participation de 24% de l’Etat au capital)
et deux filiales : GRDF et GRT Gaz/
GRDF-Gaz - Réseau Distribution France – filiale créée en 2008 est propriété
d’Engie à 100 %. Elle est en charge du réseau de distribution et du
raccordement des entreprises et particuliers. GRDF se situe en 1ère
position sur le marché, où l’on trouve des concurrents comme Total direct
énergie, EDF, ENI, etc.
GRT Gaz est la 2ème filiale. Société anonyme,
propriété d’Engie à 75 % et de Caisse des dépôts/CNP Assurances à 25 %. Elle a en
charge les réseaux de transmission du gaz, gère la grande majorité des gazoducs
français (plus de 32 500 kms) et 3 terminaux méthaniers. Elle a ainsi la main sur l’approvisionnement de la
France en gaz naturel, qui nous vient, par voie terrestre, en majorité de
Norvège (40.4 %), Russie (25.6 %) et des Pays Bas (11,1 %) (chiffres 2017). Le
transport par méthaniers en provenance d’Algérie, du Nigéria, du Qatar, mais
aussi d’Australie, aboutit dans les 4 ports méthaniers français (2 à Fos-sur-Mer,
un en pays de Loire à Montoir-de-Bretagne et un à Dunkerque.
La
France produit peu de gaz naturel (environ 2 % de sa consommation) : du bio-méthane
(issu du biogaz produit par méthanisation, de biomasse énergie ou de boues de
station d’épuration), filière de « gaz renouvelable » développée par
GRT, et du gaz de mine (grisou) provenant des anciennes mines du Pas de Calais),
le reste 98% est importé. La France est donc totalement dépendante des
producteurs étrangers sur un marché qui évolue rapidement. Ainsi si la Russie,
l’Iran, le Qatar, l’Algérie, sont des fournisseurs importants, la production de
gaz des Etats-Unis avec les gaz de schiste devient un enjeu géostratégique
mondial.
C’est
dire l’importance, pour un Etat souverain, de conserver la maîtrise publique
sur la fourniture et la distribution de ses ressources énergétiques. C’est
pourtant le chemin inverse qui a été décidé : en 2005, le gouvernement
Chirac/Villepin privatise Gaz de France, mettant en oeuvre la politique
européenne dite de respect des critères de convergence, et notamment par la
privatisation de services et entreprises, approuvée par tous les gouvernements qui
suivront. Précisons que les privatisations ont commencé dès 1986, sous le
gouvernement de cohabitation Mitterrand/Chirac, et que cette politique
européenne a été inscrite dans le traité de Maastricht approuvé en 1992,
contraignant les Etats membres à plusieurs critères dont l’interdiction d’un
déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB et l’interdiction d’une dette
publique supérieure à 60 % du PIB (la dette = ensemble des emprunts contractés
par l’Etat et l’ensemble des administrations publiques dont la sécurité
sociale). Cette politique n’a jamais été remise en cause par les gouvernements
de droite et de « gauche », et se traduit, aujourd’hui, par la loi
PACTE – Pour la Croissance et la Transformation des Entreprises – portée par
Macron et adoptée le 11 avril 2019.
Cette
loi récente décide, non seulement la privatisation des Aéroports de Paris et de
la Française des jeux, mais aussi le désengagement total de l’Etat d’Engie et l’ouverture
au secteur privé de la filiale GRT Gaz, à condition que les actionnaires
actuels Engie (75 % des parts) et Caisse des dépôts (25 %) en gardent 50 %. L’Etat
disparaît totalement. Il aura fallu 19 ans pour démanteler complètement ce
service public.
Que
penser de la cession d’infrastructures publiques stratégiques au secteur privé,
des revenus que celui-ci en tire, à savoir des recettes dont l’Etat se prive
alors même que les droits sociaux sont loin d’être satisfaits. Que penser de l’affichage
du gouvernement français d’engager la transition énergétique alors qu’il sera
totalement dépendant dans l’approvisionnement de gaz et se laisse dicter la
marche à suivre par les marchés financiers ? Que penser de Macron et Cie,
qui salue la Marche pour le climat et bastonne les Gilets Jaunes ou
les luttes sociales qu’il estime trop radicales ?
Entre
engagements de papier et réalité des méfaits
Qu’il
signe des engagements lors de la COP 21 ou qu’il annonce la création d’une Convention Citoyenne (150 citoyens tirés
au sort) amenée à proposer des solutions pour la transition écologique, qu’il
remplace le Comité d’experts de la transition
énergétique par le Haut Conseil pour
le climat, alors qu’il existe déjà une bonne soixantaine de comités ad hoc,
chargés l’un des déchets, l’autre de l’air, ou encore le conseil économique du
développent durable… et que, parallèlement, il favorise, en privatisant les
entreprises publiques, les rachats, fusions, pour laisser la place aux géants
de la filière gaz, en particulier, l’espagnol Enagas, l’italien Snam et le
belge Fluxys... ne l’empêche pas d’affirmer, à la veille des élections
prochaines, qu’il veut sauver le climat !
C’est
que le marché du gaz est partagé entre quelques gros mastodontes. Fluxys possède
le terminal méthanier de Dunkerque, racheté à EDF en 2018 et Snam est
actionnaire principal de Terega, l’ancienne filiale de Total qui gère les
réseaux de transport de gaz dans le sud-ouest. GRT gaz, en plus de 32 500
kms de gazoducs en France et des terminaux méthaniers à Montoir-en-Bretagne et
à Fos-sur-Mer, ne pèse pas encore autant : il convient donc de l’aider à « grandir »,
en le privatisant, pour qu’il devienne un champion européen ! GRT Gaz avait été
recalé, car pas assez « libéralisé » au regard des règles européennes
et n’avait pu acquérir la grecque DEFSA en 2017. Le rapporteur de la loi Pacte
(Roland Lescure, député LaRM) l’affiche clairement « Le marché du gaz ne s’arrête plus aux Pyrénées ou au Rhin, il est
devenu global… Ce que nous souhaitons, c’est que nos champions français et
européens, Engie et GRT Gaz, puissent continuer à contribuer à cette
globalisation ».
Ils
ont réussi à transmettre, à l’Union européenne, l’idée que le gaz devait être
le pilier de la transition énergétique, et à la convaincre d’investir des
milliards d’euros dans la construction de nouvelles infrastructures gazières,
seul moyen d’assurer l’autonomie énergétique face à la Russie et d’atteindre
les objectifs climatiques de l’UE ! Même si la quantité de tuyaux à poser,
les constructions diverses vont totalement à contre-sens du souci écologique,
en tout cas c’est une aubaine pour les constructeurs et la finance. Les lobbies
ont fait le travail. Pour convaincre, il
faut des moyens : les géants Snam, Fluxys, Enagas et GRT gaz ont engagé
900 000 euros en lobbying à Bruxelles en 2018, rencontré 47 fois les
commissaires européens entre 2014 et 2019 ; ils ont créé des instances
comme l’alliance « Gas for Climat », Gas Infrastructure Europe, etc… Et
comme le gaz naturel fossile est de moins en moins crédible en tant qu’énergie
de transition, ils parlent aujourd’hui de « gaz vert » ( ?). En
attendant, le gaz fossile venu de Russie, du Texas, d’Algérie ou du Nigeria
coule à flots et émet des gaz à effet de serre massivement.
Des
milliers de kilomètres de gazoducs se construisent et traversent les
continents. D’énormes bateaux sillonnent les océans de l’Australie à
l’Arctique, transportant du gaz liquéfié. Des chantiers nouveaux
s’ouvrent : terminaux méthaniers sur les côtes européennes, immense
gazoduc raccordant l’Azerbaïdjan à l’Italie, gazoduc MidCAt reliant la
Catalogne et Carcassonne, via les Pyrénées…. Trump et Poutine sont en
concurrence pour vendre à l’Europe le gaz des gisements du Texas ou de
Pennsylvanie et de l’Arctique.
Derrière
ces géants du gaz, on retrouve les fonds spécialisés comme l’australien
Macquarie, le fonds souverain de Singapour, EDF Invest ou encore de gros
investisseurs comme BlackRock, impatients de pomper de nouveaux dividendes. Et
il y a de quoi : entre 2009 et 2017, Engie a distribué plus de 29
milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, trois fois plus que ses
bénéfices cumulés sur la période.
Sans
vergogne, la France, qui interdit l’exploitation du gaz de schiste sur son
propre territoire, importe du gaz de schiste des Etats-Unis depuis fin 2018. En
2015, juste avant la Conférence de Paris sur le climat, Engie et EDF avaient
signé des accords d’approvisionnement avec Cheniere, pionnière de l’exportation
du gaz de schiste états-unien. La surproduction du gaz de schiste et la baisse
des prix ont dynamisé les marchés de l’exportation des Etats-Unis. Des dizaines
de nouveaux gazoducs et terminaux méthaniers sont planifiés le long des côtes
du golfe du Mexique et de la façade atlantique, dont certains sont financés par
des banques françaises, et au premier rang, la Société Générale.
« Serions-nous
à des années lumières de l’Accord de Paris pour le climat, approuvé le 12
décembre 2018 par 195 Etats et l’Union Européenne et commenté à grands renforts
de flonflons et de déclarations tonitruantes ? Qualifié d’historique,
l’accord destiné à limiter les gaz à effet de serre ignore deux gros pollueurs,
le transport aérien, en hausse constante, ainsi que le transport maritime,
grands utilisateurs de kérosène et de fuel. Et surtout, pas question d’entraver
la bonne marche des affaires… » (1). Ils tentent de nous convaincre que le
gaz de schiste est une énergie propre, sans compter les fuites de méthane
pendant la production, le transport, le traitement et la distribution, qui font
de celui-ci un contributeur de réchauffement climatique … aussi important que
le charbon.
Quant aux opposants
et aux défenseurs de l’environnement
Ils
se mobilisent contre la pose de canalisations géantes, la construction de
terminaux. Grecs et Italiens contestent le déracinement en masse d’oliviers
centenaires : le Southern Gas Corridor raccorde l’Azerbaïdjan à l’Italie,
sa dernière section reliant le nord de la Grèce au sud de l’Italie, via
l’Albanie, suscite une vive résistance en Grèce et en Italie. Suédois et
Croates dénoncent la construction de nouveaux ports gaziers. Des Espagnols
paient encore des grands projets gaziers abandonnés. En France, le gazoduc
MidCat visant à relier les réseaux espagnols et français est contesté, de même
que le projet Eridan, dans la vallée du Rhône, qui devait acheminé vers le nord
du gaz liquéfié arrivant à Fos-sur-Mer… devant passer à proximité de centrales
nucléaires… pour l’heure, ce projet est bloqué.
<<<>>>
On
ne peut penser une seconde que la bataille pour le climat puisse réussir sans
des mobilisations fortes, mettant en cause les véritables destructeurs de l’équilibre
écologique, dénonçant sans concession les gouvernements responsables des
fausses solutions, préservant le modèle économique et financier qui consiste à
favoriser les multinationales, les fonds de pension et autres banquiers avides
de profits. L’on ne peut à la fois défendre « la transition
énergétique » et privatiser l’exploitation et la gestion de l’énergie.
« Réduire les gaz à effet de serre
sans toucher à l’organisation de l’économie mondiale, c’est mission impossible »
(1)
Odile
Mangeot, le 22 septembre 2019
(1)
Eva Lacoste
« Gaz de schiste américain. Cap sur
la France » in Golias Hebdo du 18/24 avril 2019
Sources :
bastamag.net (articles d’Olier Petitjean)
et
EDF ?
Electricité
de France a suivi le même chemin : de l’établissement public à caractère
industriel et commercial en 1946, elle est devenue société anonyme le 19
novembre 2004, et fait son entrée en Bourse le 21 novembre 2005. La voilà
privatisée.
Sauf,
qu’en 2019, le comité de stratégie d’EDF veut nationaliser le nucléaire… et
privatiser les énergies renouvelables. Surnommé Hercule, le chantier de séparation des activités d’EDF en en deux
entités est lancé. EDF Bleu
deviendrait une structure 100 % publique, regroupant la production
d’électricité nucléaire et sa commercialisation sur le marché de gros ainsi que
les productions thermique et hydraulique. La seconde EDF Vert rassemblerait toutes les filiales : EDF Renouvelables
pour le solaire et l’éolien, Dalkia pour la biomasse et la géothermie, Enedis
pour la distribution. Cette entité serait ouverte aux capitaux privés.
Cette
opération s’inscrit dans un contexte financier critique pour EDF. Entre 2019 et
2025, la moitié des 58 réacteurs nucléaires français atteindra l’âge de 40 ans.
Evaluation du coût de ce « grand carénage », environ 55 milliards d’euros
d’ici à 2025 selon EDF, 100 milliards d’euros d’ici à 2030 selon le rapport
2016 de la Cour des Comptes. A ces coûts s’ajoutent ceux du chantier de l’EPR
de Flamanville et ceux de l’EPR d’Hinkley Point en Grande-Bretagne. Actuellement,
EDF n’a pas les moyens de faire face à toutes ces dépenses. Son endettement
financier net s’élevait fin 2018 à 33,4 milliards d’euros, la dette brute à 69
milliards d’euros et EDF a vendu tous les bijoux de famille sans arriver à l’éponger,
seulement à la stabiliser. Alors ? les contribuables à la rescousse du
nucléaire ? Selon la formule qui consiste à socialiser les pertes et à
privatiser les profits ! Des questions importantes se posent, et
notamment : comment va être répartie la dette et qui va la payer ?
Qu’adviendra-t-il de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire
historique), un dispositif qui impose à EDF de vendre à ses concurrents 100
térawhattheure de son électricité nucléaire à un prix fixe de 42
euros/mégawattheure ? Quel statut
pour les salariés ? etc.
Les
syndicats s’inquiètent de la séparation des activités, la branche commerciale,
dont les marges sont très faibles du fait des concurrents qui ont
majoritairement délocalisé leurs services client, risque de disparaître,
activité qui compte plus de 6 000 salariés.
Pour
l’heure, la mobilisation syndicale contre ce découpage qui a eu lieu le 19
septembre, trouve des soutiens inattendus : une tribune de députés LR
opposés au projet Hercule ont dénoncé un « rêve de financiers »
s’inquiétant « d’un risque sur la souveraineté du service public de
l’électricité ». Prudent, Macron n’entend pas donner son feu vert au
projet avant mi-2021, pour laisser passer les séances électorales prochaines.
OM Sources : Reporterre et Le
Monde