Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 27 septembre 2019


De nouveaux grands-prêtres : les écocatastrophistes (1)

Il ne s’agit pas, ci-après, d’évacuer, bien au contraire, les constats les projections réalisés par les climatologues, les lanceurs d’alerte, qui soulignent, depuis des années, que si rien n’est fait pour transformer le « système », notre monde va devenir invivable pour nombre de populations, en particulier les plus démunies ou ceux qui habitent les endroits les plus exposés (côtes, régions chaudes, etc.).
Toutefois, le dérèglement climatique provoquant une succession de catastrophes (sécheresse, incendies de forêts, ouragans, érosion de la biodiversité, infertilité des sols par le recours intensif aux pesticides et autres intrants) ainsi que les alertes de scientifiques, suscitent dans le champ de l’idéologie dominante, l’apparition de deux de ses substrats. L’égologie (2) et le millénarisme catastrophiste du grand effondrement inéluctable. Ce qui suit se focalise sur le ou les discours de ceux qui nous promettent la fin du (d’un ?) monde. Pour les décrypter, il convient d’abord de démystifier un certain nombre de notions employées à saturation qui se veulent séduisantes par leur scientificité apparente. Certes, les propos tenus reposent sur des constats mais leurs projections catastrophistes relèvent d’une logique formelle reposant sur l’analogie. Quant aux solutions, aux alternatives proposées, elles laissent peu d’espoir à l’Humanité : ne resteraient, sur la terre dévastée, que les « élus », les plus résilients.

Quelques définitions pour éviter l’effet de sidération vis-à-vis de notions portant à confusion.

La collapsologie, dont se revendiquent les auteurs des thèses du grand effondrement, se présente comme une nouvelle science. Issue de la médecine (le collapsus), elle étudierait l’état pathologique, le malaise soudain dans lequel serait plongée la société (ou plutôt la société occidentale). De même, le terme de résilience, que l’on met désormais à toutes les sauces, est un concept emprunté aux sciences physiques : il désigne le rapport de l’énergie cinétique absorbée provoquant la rupture d’un métal. C’est donc de la résistance aux chocs dont il s’agit. En outre est fréquemment utilisée la notion de dissonances cognitives ; notre capacité de connaissance serait affectée par des sons désagréables et, par extension, des mythes perturbateurs. La pensée des collapsologues en est-elle affectée ? Ce qui est sûr c’est que le recours systématique à l’analogie entre différents champs scientifiques pour le transposer aux « sciences humaines », au social et à l’histoire, est pour le moins risqué : les formules mathématiques, les « lois » de la physique, de la biologie n’y sont pas transposables. On se souvient des classifications recourant à la biologie, à la médecine, pour introduire une prétendue hiérarchie entre les races… L’analogie, soit des similitudes dans des champs scientifiques différents, si elle permet d’introduire des comparaisons, n’aide pas à penser rigoureusement. Comparaisons ne sont pas des raisons issues du champ scientifique étudié. De même, l’invocation répétitive de la notion indéfinie de « l’imaginaire « brouille, écrase toute finesse d’analyse des idéologies qui se manifestent dans le champ de la superstructure « culturelle ». Sans qu’il soit besoin de convoquer Marx, l’on pense surtout aux apports, entre autres, de Foucault et de Bourdieu. En outre, la logique formelle consistant à dire que  A conduit à B ou que le monde thermo-industriel conduit inéluctablement au grand effondrement, fait l’impasse sur les nombreux facteurs qui rythment l’histoire humaine. Ceci posé, il faut entrer dans la chair des constats et des conclusions qui en sont tirées.

La prophétie cataclysmique

La cause unique de tous nos maux, c’est le monde thermo-industriel gouverné ( !) par un flux toxique à évolution linéaire, une véritable « machine qui transforme les produits en déchets » (Arthur Keller). Dans cet écosystème économique provoquant « une vulnérabilité sociétale » il n’existe pas (ou ils sont minimisés) de conflits d’intérêts, de luttes de classes, de classe dominante, nous serions tous dans le même bateau. La société analogue à la science biologique serait constituée de cellules, de membranes, d’enveloppes (Pablo Servigné) auxquels tout un chacun appartiendrait. Et de citer en vrac, la famille, le club de foot, le syndicat, la ville, l’Europe. Ces groupes d’affinités définiraient leur intériorité par rapport à l’extérieur : oui mais encore ? Ils feraient partie d’un monde de plus en plus complexe et interconnecté que l’on ne peut transformer. Entraînés par ce flux, nous subissons toutes les affres du dérèglement climatique. Et d’annoncer, courbes ou paraboles à l’appui, le plafond, le seuil catastrophique de 2030 ou 2100 où tout s’effondrera car « ça ne peut pas aller mieux ». Néanmoins, il y a une lueur d’espoir « on ne va pas tous mourir » (ouf !). Dans le monde d’après la fin du monde, de jeunes pousses prendront le relais, affirme Pablo Servigné, ingénieur agronome, faisant l’analogie avec la résilience de la forêt.

Dans cette histoire excluant les rapports sociaux de production et d’échanges, les classes dominantes, les luttes de classes et l’exploitation des peuples, il n’y a plus d’histoire. Seuls les résilients s’en sortiront car ils auront « pensé le monde lorsque celui-ci s’arrêtera ». D’où sortiront ces nouveaux élus d’un autre monde ? D’où peut naître la lueur d’espoir ? Elle est en nous. Tout se résume en effet, quelles que soient les classes sociales, entre l’égoïsme et l’altruisme. Cette dernière potentialité qui est propre à l’espèce humaine, peut servir ceux qui développeront pour eux-mêmes et avec autrui, la nouvelle culture d’entraide.

Que nous recommandent les nouveaux apôtres collapsologues ?

Il s’agit d’abord de « voir en nous-mêmes », d’évacuer nos peurs, d’éviter le désespoir, pour affronter le cataclysme qui vient. Ce travail sur soi serait porteur d’espoir car il ferait le deuil du monde et « ça fait du bien même aux activistes de l’écologie ». La collaposologie déboucherait donc sur une éco-psychologie permettant d’entamer un processus de libération parcourant trois stades : de la dépendance, stade de l’enfance, à l’indépendance, celui de l’adolescence, à l’interdépendance, celui de la période adulte. Cette psychologie de bazar serait capable de nous ouvrir, de développer notre authenticité et, par conséquent, d’éliminer notre agressivité afin d’avoir des relations réciproques, d’entraide et de coopération, avec ceux qui font preuve d’altruisme : telle est la prophétie de Pablo Servigné. Arthur Keller semble plus optimiste pour l’avenir immédiat et plus intéressé en tant que conseiller : s’adapter à l’effondrement à venir serait susciter des échanges, des réseaux, des éco-villages sur le territoire, faire de la permaculture, créer des coopératives locales qui pourraient faire système. Ce serait donner du pouvoir aux territoires ; il suffirait de « demander aux maires de prêter un terrain et les gens vont se débrouiller » ( !). Il construirait des maisons en bois, en paille…et lui, consultant, construirait le programme pour que tout se passe bien.

Ces deux « transitionneurs », ceux qui pensent l’après fin du monde effondré, dont l’un avoue ne pas avoir fait encore l’expérience de son retrait du monde, l’autre vit dans la montagne lorsqu’il n’est à Paris, sont prêts à assumer le rôle de grands prêtres nous préparant au monde d’après. Ces experts en altruisme se revendiquant scientifiques transdisciplines, seraient avec d’autres collapsologues, les nouveaux apôtres de tribus de la bienveillance qu’ils appellent à constituer. Dans un monde dérégulé, en perte de repères et de projet politique de transformation sociale et démocratique, ils entendent jouer sur les peurs en les dissipant…

Quand on demande à Servigné « qu’est-ce que l’on doit faire ? », il avoue « je suis un peu perdu par cette question » pour ajouter aussitôt pour lui-même, des interviews, des livres et puis pour tout un chacun, ce sera selon leurs affinités pour gagner en résilience. Bref, on n’a pas fini de prendre des coups et mieux, sans peur et sans colère ! Bref, tendez la joue gauche quand on vous gifle la droite ! Mais rassurons-nous l L’effondrement serait par lui-même, à force de rationnement, catalyseur d’actions altruistes. Et le monde après la fin du monde, celui des « jeunes pousses » survivantes, il faudra des règles, des normes, une spiritualité pour  ne pas retomber dans les affres de l’égoïsme, de la concurrence, de la lutte de tous contre tous. Comment s’imposeraient ces normes ? On ne sait mais l’on est déjà sûr que l’on « limitera les ultra-riches et l’on donnera le minimum aux pauvres ». Bon, il n’y a encore pas de grandes différences avec le monde d’avant !

Que nous dit cette idéologie « nouvelle » ?

D’abord que les Gilets Jaunes doivent ranger leurs gilets et remballer leur colère. Les vieux dans les EPHAD, les sans-travail, les manifestants dans tous les secteurs, dans les hôpitaux, les trésoreries, les casernes de pompiers, et tous ces précaires qui « traversent la rue » sans trouver de boulot, ces migrants qui errent… Faites retour sur vous-mêmes ! Vos luttes sont dérisoires, voilà le message. Tous les tyrans, les marchands d’armes peuvent dormir tranquilles en attendant le grand effondrement. Comme le souligne Jean-Baptiste Mallet, dans le Monde Diplo du mois d’août, les 821 millions de personnes sous-alimentées, le milliard vivant dans les bidonvilles, les 2.1 milliards de sans-accès à l’eau potable… n’ont pas su,  malgré leurs résilience, leur altruisme, trouver le chemin de leur éveil. Vite, des collapsologues ! A moins que cette nouvelle scientologie ne soit pas faite pour eux. En tout cas, elle peut, sur certains esprits occidentaux, les milieux sans repères, avoir un effet : développer l’aquoibonisme, canaliser ou rendre inoffensives les dissidences, et désamorcer les révoltes (agressives !). 

Ce fatras est-il nouveau ? Que nenni. Bien des utopies coopératives avaient pour enjeu de se protéger de ce monde invivable. Pour preuve, les utopies américaines, fouriéristes, messianiques qui ont fini, toutes, lamentablement. Elles étaient pourtant porteuses, pour la plupart, d’espoir, de transformations, à leur échelle (3).

Reste le constat du réchauffement et du dérèglement climatiques qui est indéniable. Les alertes des climatologues nous disent qu’au-delà de la fonte des glaciers, de la montée des océans, des sécheresses, du déclin de la biodiversité, la « croissance » induite par le mode de production et d’échanges capitaliste recourant à l’extractivisme forcené et aux hydrocarbures, est responsable des maux qu’ils décrivent, des projections qu’ils établissent. Cette croissance est à la fois celle des profits accaparés par une minorité, et celle des inégalités, de l’exploitation et du pillage des ressources naturelles. Elle ne peut se maintenir qu’en modelant les esprits dans l’acceptabilité, la soumission à l’ordre existant. Lorsque la révolte surgit, le néolibéralisme recourt à la répression, à l’autoritarisme, à l’instrumentalisation des divisions existant au sein des formations sociales (racisme, démagogie…). Pour y faire face, l’altruisme est pour le moins inopérant. Certes, il ne s’agit pas de jeter la pierre aux élans de générosité vis-à-vis des plus démunis, à tous ces bénévoles, par exemple des Restos du Cœur et ailleurs, qui leur permettent de survivre. C’est d’ailleurs beaucoup plus efficient que de s’en remettre à l’introspection, pour finir par tenter de s’extraire de ce monde en attendant sa fin.

Comprendre le monde pour le transformer, mener les luttes d’idées contre celles qui nous dominent, former des collectifs de luttes, est bien plus efficace, pourvu que l’on évite les fausses routes sur le chemin escarpé de la libération sociale. Des collectifs de luttes sont nécessaires pour autant qu’ils ne s’embourbent pas dans les marécages de l’économisme, des corporatismes, ou ne s’en prennent essentiellement qu’aux symboles de richesse (comme les black bloc) ou aux gardiens de l’ordre dans un affrontement inégal.

Etre radical, prendre les choses par leurs racines, c’est désigner la cible, les classes dominantes, les pouvoirs politiques, l’Etat qui les sert. La dérégulation du système capitaliste, et par conséquent l’accélération de ses méfaits en termes climatiques, a bien été l’oeuvre des Reagan, Thatcher puis Mitterrand… après l’expérimentation sanglante de Pinochet. Elle n’a pu se matérialiser qu’à coups de remaniement des technologies de pouvoir (4). Si « la fin du monde n’aura pas lieu » pour reprendre le titre de l’article de Jean-Baptiste Malet, le monde nouveau sortira des entrailles de l’ancien.   


Gérard Deneux

(1)    Le contenu de cet article se réfère aux vidéos que l’on trouve sur internet en allant visiter les interventions de deux auteurs, notamment Pablo Servigné et Arthur Keller.  Le texte critique de Jean-Baptiste Mallet, paru dans le monde Diplomatique d’août 2019, « la fin du monde n’aura pas lieu » est intéressant pour, au moins deux raisons : non seulement, pour son argumentation contre ces « millénaristes laïcs » mais également sur l’importance de cette offensive idéologique qui envahit les rayons des librairies.
(2)    Pour saisir la similitude entre les écologistes bobos et les écocatastrophistes, quant aux solutions alternatives proposées, la lecture du petit livre d’Aude Vidal est éclairante : « Egologie : écologie, individualisme et course au bonheur » éd. Le monde à l’envers (4 €)
(3)    Sur la volonté de vivre en –dehors de la logique de la société et la réalité récurrente des échecs de ces expériences, l’ouvrage de Ronald Creagh est intéressant. Dans « Utopies américaines, expériences libertaires du 19ème siècle à nos jours », il retrace la vie et « l’effondrement » des communautés fouriéristes, des mouvements contestataires des années 60 à l’écologie et aux groupes punks d’aujourd’hui. Cet ouvrage est d’autant plus intéressant qu’il émane d’un auteur libertaire. La « comparaison » avec les collapsologues nous fait saisir l’indigence de cette pensée transitionniste au regard des utopies anarchisantes (Robert Owen, Fourier…).
(4)    Lire à ce sujet Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski (ed. Gallimard) et La société ingouvernable. Une généalogie de libéralisme autoritaire de Grégoire Chamayou (ed. la Fabrique)