Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 27 septembre 2019


Gaz de France. Une mort lente.

Il y a belle lurette que l’on ne l’appelle plus comme ça. L’époque où l’Etat fixait le prix du gaz et confiait la commercialisation à un acteur unique, l’entreprise publique GDF, est révolue depuis la décision en 2005 d’ouverture du marché du gaz, autrement dit l’entrée du privé dans le capital de l’entreprise publique, GDF. Ultime étape de la privatisation : la récente loi PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises - prévoit le désengagement de l’Etat, non seulement des Aéroports de Paris, de la Française des Jeux, mais également de  GRT Gaz et d’Engie.

Gaz de France : de la nationalisation à la privatisation. Un long processus.

Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, l’Etat décide de nationaliser les entreprises privées qui gèrent la production, le transport et la distribution de gaz et d’électricité. La loi du 8 avril 1946 crée deux EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) EDF et GDF, qui feront l’objet d’une privatisation partielle en 2005. Ainsi l’EPIC GDF devient une Société Anonyme, avec introduction en Bourse, l’Etat restant actionnaire majoritaire. En 2008, en décidant la fusion de GDF avec Suez, l’Etat devient actionnaire minoritaire. En 2015, GDF-Suez change de nom et devient ENGIE.

Aujourd’hui, ENGIE est une Société Anonyme (avec participation de 24% de l’Etat au capital) et deux filiales : GRDF et GRT Gaz/

GRDF-Gaz - Réseau Distribution France – filiale créée en 2008 est propriété d’Engie à 100 %. Elle est en charge du réseau de distribution et du raccordement des entreprises et particuliers. GRDF se situe en 1ère position sur le marché, où l’on trouve des concurrents comme Total direct énergie, EDF, ENI, etc.

GRT Gaz est la 2ème filiale. Société anonyme, propriété d’Engie à 75 % et de Caisse des dépôts/CNP Assurances à 25 %. Elle a en charge les réseaux de transmission du gaz, gère la grande majorité des gazoducs français (plus de 32 500 kms) et 3 terminaux méthaniers. Elle  a ainsi la main sur l’approvisionnement de la France en gaz naturel, qui nous vient, par voie terrestre, en majorité de Norvège (40.4 %), Russie (25.6 %) et des Pays Bas (11,1 %) (chiffres 2017). Le transport par méthaniers en provenance d’Algérie, du Nigéria, du Qatar, mais aussi d’Australie, aboutit dans les 4 ports méthaniers français (2 à Fos-sur-Mer, un en pays de Loire à Montoir-de-Bretagne et un à Dunkerque.  

La France produit peu de gaz naturel (environ 2 % de sa consommation) : du bio-méthane (issu du biogaz produit par méthanisation, de biomasse énergie ou de boues de station d’épuration), filière de « gaz renouvelable » développée par GRT, et du gaz de mine (grisou) provenant des anciennes mines du Pas de Calais), le reste 98% est importé. La France est donc totalement dépendante des producteurs étrangers sur un marché qui évolue rapidement. Ainsi si la Russie, l’Iran, le Qatar, l’Algérie, sont des fournisseurs importants, la production de gaz des Etats-Unis avec les gaz de schiste devient un enjeu géostratégique mondial.  

C’est dire l’importance, pour un Etat souverain, de conserver la maîtrise publique sur la fourniture et la distribution de ses ressources énergétiques. C’est pourtant le chemin inverse qui a été décidé : en 2005, le gouvernement Chirac/Villepin privatise Gaz de France, mettant en oeuvre la politique européenne dite de respect des critères de convergence, et notamment par la privatisation de services et entreprises, approuvée par tous les gouvernements qui suivront. Précisons que les privatisations ont commencé dès 1986, sous le gouvernement de cohabitation Mitterrand/Chirac, et que cette politique européenne a été inscrite dans le traité de Maastricht approuvé en 1992, contraignant les Etats membres à plusieurs critères dont l’interdiction d’un déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB et l’interdiction d’une dette publique supérieure à 60 % du PIB (la dette = ensemble des emprunts contractés par l’Etat et l’ensemble des administrations publiques dont la sécurité sociale). Cette politique n’a jamais été remise en cause par les gouvernements de droite et de « gauche », et se traduit, aujourd’hui, par la loi PACTE – Pour la Croissance et la Transformation des Entreprises – portée par Macron et adoptée le 11 avril 2019.  

Cette loi récente décide, non seulement la privatisation des Aéroports de Paris et de la Française des jeux, mais aussi le désengagement total de l’Etat d’Engie et l’ouverture au secteur privé de la filiale GRT Gaz, à condition que les actionnaires actuels Engie (75 % des parts) et Caisse des dépôts (25 %) en gardent 50 %. L’Etat disparaît totalement. Il aura fallu 19 ans pour démanteler complètement ce service public.

Que penser de la cession d’infrastructures publiques stratégiques au secteur privé, des revenus que celui-ci en tire, à savoir des recettes dont l’Etat se prive alors même que les droits sociaux sont loin d’être satisfaits. Que penser de l’affichage du gouvernement français d’engager la transition énergétique alors qu’il sera totalement dépendant dans l’approvisionnement de gaz et se laisse dicter la marche à suivre par les marchés financiers ? Que penser de Macron et Cie, qui salue la Marche pour le climat et bastonne les Gilets Jaunes ou les luttes sociales qu’il estime trop radicales ?

Entre engagements de papier et réalité des méfaits

Qu’il signe des engagements lors de la COP 21 ou qu’il annonce la création d’une Convention Citoyenne (150 citoyens tirés au sort) amenée à proposer des solutions pour la transition écologique, qu’il remplace le Comité d’experts de la transition énergétique par le Haut Conseil pour le climat, alors qu’il existe déjà une bonne soixantaine de comités ad hoc, chargés l’un des déchets, l’autre de l’air, ou encore le conseil économique du développent durable… et que, parallèlement, il favorise, en privatisant les entreprises publiques, les rachats, fusions, pour laisser la place aux géants de la filière gaz, en particulier, l’espagnol Enagas, l’italien Snam et le belge Fluxys... ne l’empêche pas d’affirmer, à la veille des élections prochaines, qu’il veut sauver le climat !

C’est que le marché du gaz est partagé entre quelques gros mastodontes. Fluxys possède le terminal méthanier de Dunkerque, racheté à EDF en 2018 et Snam est actionnaire principal de Terega, l’ancienne filiale de Total qui gère les réseaux de transport de gaz dans le sud-ouest. GRT gaz, en plus de 32 500 kms de gazoducs en France et des terminaux méthaniers à Montoir-en-Bretagne et à Fos-sur-Mer, ne pèse pas encore autant : il convient donc de l’aider à « grandir », en le privatisant, pour qu’il devienne un champion européen ! GRT Gaz avait été recalé, car pas assez « libéralisé » au regard des règles européennes et n’avait pu acquérir la grecque DEFSA en 2017. Le rapporteur de la loi Pacte (Roland Lescure, député LaRM) l’affiche clairement « Le marché du gaz ne s’arrête plus aux Pyrénées ou au Rhin, il est devenu global… Ce que nous souhaitons, c’est que nos champions français et européens, Engie et GRT Gaz, puissent continuer à contribuer à cette globalisation ».

Ils ont réussi à transmettre, à l’Union européenne, l’idée que le gaz devait être le pilier de la transition énergétique, et à la convaincre d’investir des milliards d’euros dans la construction de nouvelles infrastructures gazières, seul moyen d’assurer l’autonomie énergétique face à la Russie et d’atteindre les objectifs climatiques de l’UE ! Même si la quantité de tuyaux à poser, les constructions diverses vont totalement à contre-sens du souci écologique, en tout cas c’est une aubaine pour les constructeurs et la finance. Les lobbies ont fait le travail.  Pour convaincre, il faut des moyens : les géants Snam, Fluxys, Enagas et GRT gaz ont engagé 900 000 euros en lobbying à Bruxelles en 2018, rencontré 47 fois les commissaires européens entre 2014 et 2019 ; ils ont créé des instances comme l’alliance « Gas for Climat », Gas Infrastructure Europe, etc… Et comme le gaz naturel fossile est de moins en moins crédible en tant qu’énergie de transition, ils parlent aujourd’hui de « gaz vert » ( ?). En attendant, le gaz fossile venu de Russie, du Texas, d’Algérie ou du Nigeria coule à flots et émet des gaz à effet de serre massivement.    

Des milliers de kilomètres de gazoducs se construisent et traversent les continents. D’énormes bateaux sillonnent les océans de l’Australie à l’Arctique, transportant du gaz liquéfié. Des chantiers nouveaux s’ouvrent : terminaux méthaniers sur les côtes européennes, immense gazoduc raccordant l’Azerbaïdjan à l’Italie, gazoduc MidCAt reliant la Catalogne et Carcassonne, via les Pyrénées…. Trump et Poutine sont en concurrence pour vendre à l’Europe le gaz des gisements du Texas ou de Pennsylvanie et  de l’Arctique.

Derrière ces géants du gaz, on retrouve les fonds spécialisés comme l’australien Macquarie, le fonds souverain de Singapour, EDF Invest ou encore de gros investisseurs comme BlackRock, impatients de pomper de nouveaux dividendes. Et il y a de quoi : entre 2009 et 2017, Engie a distribué plus de 29 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, trois fois plus que ses bénéfices cumulés sur la période.

Sans vergogne, la France, qui interdit l’exploitation du gaz de schiste sur son propre territoire, importe du gaz de schiste des Etats-Unis depuis fin 2018. En 2015, juste avant la Conférence de Paris sur le climat, Engie et EDF avaient signé des accords d’approvisionnement avec Cheniere, pionnière de l’exportation du gaz de schiste états-unien. La surproduction du gaz de schiste et la baisse des prix ont dynamisé les marchés de l’exportation des Etats-Unis. Des dizaines de nouveaux gazoducs et terminaux méthaniers sont planifiés le long des côtes du golfe du Mexique et de la façade atlantique, dont certains sont financés par des banques françaises, et au premier rang, la Société Générale.    

« Serions-nous à des années lumières de l’Accord de Paris pour le climat, approuvé le 12 décembre 2018 par 195 Etats et l’Union Européenne et commenté à grands renforts de flonflons et de déclarations tonitruantes ? Qualifié d’historique, l’accord destiné à limiter les gaz à effet de serre ignore deux gros pollueurs, le transport aérien, en hausse constante, ainsi que le transport maritime, grands utilisateurs de kérosène et de fuel. Et surtout, pas question d’entraver la bonne marche des affaires… » (1). Ils tentent de nous convaincre que le gaz de schiste est une énergie propre, sans compter les fuites de méthane pendant la production, le transport, le traitement et la distribution, qui font de celui-ci un contributeur de réchauffement climatique … aussi important que le charbon.

Quant aux opposants et aux défenseurs de l’environnement

Ils se mobilisent contre la pose de canalisations géantes, la construction de terminaux. Grecs et Italiens contestent le déracinement en masse d’oliviers centenaires : le Southern Gas Corridor raccorde l’Azerbaïdjan à l’Italie, sa dernière section reliant le nord de la Grèce au sud de l’Italie, via l’Albanie, suscite une vive résistance en Grèce et en Italie. Suédois et Croates dénoncent la construction de nouveaux ports gaziers. Des Espagnols paient encore des grands projets gaziers abandonnés. En France, le gazoduc MidCat visant à relier les réseaux espagnols et français est contesté, de même que le projet Eridan, dans la vallée du Rhône, qui devait acheminé vers le nord du gaz liquéfié arrivant à Fos-sur-Mer… devant passer à proximité de centrales nucléaires… pour l’heure, ce projet est bloqué.  

<<<>>> 

On ne peut penser une seconde que la bataille pour le climat puisse réussir sans des mobilisations fortes, mettant en cause les véritables destructeurs de l’équilibre écologique, dénonçant sans concession les gouvernements responsables des fausses solutions, préservant le modèle économique et financier qui consiste à favoriser les multinationales, les fonds de pension et autres banquiers avides de profits. L’on ne peut à la fois défendre « la transition énergétique » et privatiser l’exploitation et la gestion de l’énergie. « Réduire les gaz à effet de serre sans toucher à l’organisation de l’économie mondiale, c’est mission impossible » (1)


Odile Mangeot, le 22 septembre 2019

(1)    Eva Lacoste « Gaz de schiste américain. Cap sur la France » in Golias Hebdo  du 18/24 avril 2019

Sources : bastamag.net (articles d’Olier Petitjean)
              

et EDF ?

Electricité de France a suivi le même chemin : de l’établissement public à caractère industriel et commercial en 1946, elle est devenue société anonyme le 19 novembre 2004, et fait son entrée en Bourse le 21 novembre 2005. La voilà privatisée.
Sauf, qu’en 2019, le comité de stratégie d’EDF veut nationaliser le nucléaire… et privatiser les énergies renouvelables. Surnommé Hercule, le chantier de séparation des activités d’EDF en en deux entités est lancé. EDF Bleu deviendrait une structure 100 % publique, regroupant la production d’électricité nucléaire et sa commercialisation sur le marché de gros ainsi que les productions thermique et hydraulique. La seconde EDF Vert rassemblerait toutes les filiales : EDF Renouvelables pour le solaire et l’éolien, Dalkia pour la biomasse et la géothermie, Enedis pour la distribution. Cette entité serait ouverte aux capitaux privés.    
Cette opération s’inscrit dans un contexte financier critique pour EDF. Entre 2019 et 2025, la moitié des 58 réacteurs nucléaires français atteindra l’âge de 40 ans. Evaluation du coût de ce « grand carénage », environ 55 milliards d’euros d’ici à 2025 selon EDF, 100 milliards d’euros d’ici à 2030 selon le rapport 2016 de la Cour des Comptes. A ces coûts s’ajoutent ceux du chantier de l’EPR de Flamanville et ceux de l’EPR d’Hinkley Point en Grande-Bretagne. Actuellement, EDF n’a pas les moyens de faire face à toutes ces dépenses. Son endettement financier net s’élevait fin 2018 à 33,4 milliards d’euros, la dette brute à 69 milliards d’euros et EDF a vendu tous les bijoux de famille sans arriver à l’éponger, seulement à la stabiliser. Alors ? les contribuables à la rescousse du nucléaire ? Selon la formule qui consiste à socialiser les pertes et à privatiser les profits ! Des questions importantes se posent, et notamment : comment va être répartie la dette et qui va la payer ? Qu’adviendra-t-il de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), un dispositif qui impose à EDF de vendre à ses concurrents 100 térawhattheure de son électricité nucléaire à un prix fixe de 42 euros/mégawattheure ?  Quel statut pour les salariés ? etc.
Les syndicats s’inquiètent de la séparation des activités, la branche commerciale, dont les marges sont très faibles du fait des concurrents qui ont majoritairement délocalisé leurs services client, risque de disparaître, activité qui compte plus de 6 000 salariés.
Pour l’heure, la mobilisation syndicale contre ce découpage qui a eu lieu le 19 septembre, trouve des soutiens inattendus : une tribune de députés LR opposés au projet Hercule ont dénoncé un « rêve de financiers » s’inquiétant « d’un risque sur la souveraineté du service public de l’électricité ». Prudent, Macron n’entend pas donner son feu vert au projet avant mi-2021, pour laisser passer les séances électorales prochaines.
OM                Sources : Reporterre et Le Monde