Patriarcalisme
et capitalisme : A MORT !
Alors
que s’ouvre le Grenelle contre les violences conjugales, l’année 2019 risque de
battre le triste record de féminicides
en France. Une femme meurt tous les trois jours, assassinée par un conjoint
ou ex-conjoint, parce qu’elle est une femme. Et la culture du viol minimise,
voire encourage, l’agression
sexuelle. Le tout dans un climat
d’impunité à l’égard des agresseurs et violeurs. Le patriarcalisme, la soumission et l’obéissance, sont les fondements du capitalisme donc ces
déviances sont tolérées voire alimentées. Quel est l’historique de telles croyances
aliénantes ? Comment les femmes ont résisté ? Comment et
pourquoi changer la sémantique et certaines cultures ?
Histoire du
patriarcalisme
Le
mot patriarcat vient du latin pater qui veut dire père, chef de famille et du grec arkhê qui signifie pouvoir
et commandement. Le patriarcat est un système social dans lequel l’homme,
en tant que père, est dépositaire de
l’autorité au sein de la famille ou, plus largement, dans la sphère
politique.
Selon
l’ouvrage Femmes en lutte de Justhom
(1), le patriarcat est apparu avec l’époque
néolithique. Selon certaines hypothèses, il aurait été favorisé par la
découverte du lien entre l’acte sexuel et la naissance. L’époque néolithique en
Europe occidentale a débuté vers 5000 et s’est achevée vers 2500 avant J.-C. A
partir du néolithique moyen, la vie sociale et politique est confisquée aux
femmes, pour être dominée
autoritairement par les hommes, ce qui perdure jusqu’à nos jours. Leur sort
n’était guère plus enviable que celui des esclaves.
Dans
l’Antiquité romaine, la femme était
considérée comme mineure. Elle devait rester soumise toute sa vie à l’homme,
le mariage la faisant passer de l’autorité
paternelle à l’autorité maritale.
Cette condition de mineure est toujours d’actualité dans certains pays, dont
l’Inde où le chef de famille a le droit
de vie ou de mort sur tous ceux qui habitent sous son toit. Les femmes les
plus instruites ont pu faire évoluer le sort des femmes en général ; elles
acquirent le droit de divorce au début de l’Empire.
Au
moyen-âge, la situation des femmes a régressé, entre autre, sous l’influence de
l’église, les ‘réformes grégoriennes’
ont évincé les femmes des fonctions élevées qu’elles occupaient dans la
société. Aux XV et XVIe siècles, elles
n’avaient plus le droit de pratiquer des métiers scientifiques ou artistiques.
Elles furent reléguées uniquement aux tâches
ménagères, à l’éducation des enfants
et au travail avec leurs maris.
Aux
XVII et XVIIIe siècles, la résistance se
produisit et elles jouèrent un rôle important lors des différentes
révolutions. Avant la Révolution de 1789, les femmes prennent une part
importante à la rédaction des cahiers de
doléances. La Révolution française
utilisa les femmes en première ligne
dans les manifestations. Dès le 5 octobre 1789, ce sont elles qui organisent la
‘marche des femmes de Paris’ vers
Versailles. Elles participent aux
actions politiques et descendent dans la rue.
Elles
fondent ‘des clubs’ au sein desquels
elles se retrouvent à égalité avec les hommes. Le mot ‘féminisme’ est entré dans la langue française à partir de 1837.
L’objectif de ce mouvement est la réforme
profonde des institutions pour l’égalité devant la loi, le droit au
travail, à l’éducation, au vote…
Lors
des ‘trois glorieuses’ de juillet
1830, les femmes sont très présentes sur
les barricades ; elles soulagent les blessés, apportent à boire et à
manger aux combattants… Elles combattent
également à côté des hommes.
En
1870, le peuple de Paris se soulève. Dès le 18 mars, elles sont dans la rue et empêchent les troupes de Thiers de voler
les canons qui se trouvent sur la butte Montmartre. Le 3 avril, 500 d’entre
elles marchent depuis la place de la Concorde vers Versailles ; elles sont
rejointes par 700 autres. Le 9 avril, la première
organisation structurée de femmes voit
le jour, elle a pour nom L’Union des femmes. Le 11 avril, le
premier appel aux femmes est placardé sur les murs de Paris. Son contenu est
sans équivoque : « toute inégalité
et tout antagonisme entre les sexes constituent une des bases du pouvoir des
classes gouvernantes ». Le chiffre de 10 000 combattantes est avancé durant la Semaine sanglante. La
répression fut terrible et elles seront nombreuses à être fusillées sur les
barricades mêmes.
Leurs revendications évoluent, elles ne se contentent plus du droit de vote mais
exigent le droit au travail et salaire
égal.
Pendant
la première guerre mondiale, elles participent à l’effort de guerre en remplaçant les hommes dans les usines,
les chemins de fer, les exploitations agricoles, etc. Ceci n’exclue pas leur
participation sur le front : en 1918, on y comptait plus de 100 000 femmes. C’est ainsi que la place des femmes dans la
société et dans l’entreprise a pris une très grande importance, avec un sens
aigu de la lutte des classes. Elles déclenchèrent des conflits et des grèves. Dès 1915, elles sont 9 344 grévistes ;
ce chiffre atteindra 650 658 en 1917.
C’est pour ces raisons que, à la sortie de la guerre, le gouvernement les
incite à retourner dans leurs foyers en proposant aux ouvrières des usines
d’armement un mois de salaire si elles quittent leur travail.
En
1938, l’article 213 du Code civil est réformé et supprime l’incapacité
juridique des femmes : elles ne
doivent plus obéissance à leur époux.
Pendant
la seconde guerre mondiale, les femmes sont les victimes collatérales ;
elles sont sur tous les fronts :
usines, champs, hôpitaux, résistance. Pourtant elles sont les oubliées de
l’histoire et subissent les lois répressives : de la création de brigades
policières traquant les ‘faiseuses d’anges’
à l’arrestation d’une des premières militantes pro-IVG. L’avortement devient un
crime contre la sûreté de l’Etat, puni de la peine de mort.
Le
24 mars 1944, les membres de la
France Libre en réunion à Alger votent par 51 voix contre 67, le droit de vote pour les femmes.
Après
la guerre, les femmes sont très présentes dans les comités locaux de libération et dans la vie associative. C’est
ainsi qu’elles furent à l’origine de la fermeture
des maisons closes et de la création du Planning familial.
Le
21 avril 1945, le premier vote des femmes a lieu pour des élections
municipales.
De multiples avancées suivront : congé maternité de 8 puis 16 semaines,
principe d’égalité des droits entre hommes et femmes, avortement thérapeutique
autorisé, autorisation de la contraception, loi pour l’autorité parentale, loi
Veil, divorce par consentement mutuel, loi Roudy pour l’égalité
professionnelle, loi Neiertz (sanctionne le harcèlement sexuel sur le lieu de
travail), etc.
Et
aujourd’hui ?
Le
Grenelle contre les violences conjugales s’est ouvert le 3 septembre – pour
rappeler le 3919, numéro d’appel
national pour toute personne victime de violence – et se fermera le 25
novembre, journée internationale contre
les violences faites aux femmes. Au-delà des dates symboles qui, d’après
Marlène Schiappa – secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et
les hommes et de la lutte contre les discriminations - font ‘classe’, le quotidien l’est bien moins.
En
quelques chiffres :
176
mort.es au sein d’un couple ou ex-couple en 2017 (soit un féminicide tous les 3
jours environ)
les
femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes
219
000 femmes violentées par leur conjoint ou ex-conjoint
42
% d’écart dans les droits à la retraite
94
000 femmes déclarent avoir subi un viol (seulement 5 % font l’objet d’une
plainte)
les
femmes y consacrent 2 fois plus de temps que les hommes aux enfants et aux tâches
domestiques
Changements
sémantiques
Afin
d’avancer dans l’égalité et les droits
des femmes, des associations féministes
(les Chiennes de garde, Femmes Solidaires, Libres Mariannes, Osez le
Féminisme !, etc) proposent des
expressions à bannir et des mots
justes car, puisque la langue véhicule la pensée, autant ne pas
l’édulcorer et remplacer :
-
droits de l’Homme
par droits humains car cette
terminologie date de la Révolution française qui a exclu volontairement les
femmes de la citoyenneté
-
agressions
sexuelles par VIOLS car les viols
sont des crimes et les agressions sexuelles des délits
-
abus, abuser par agression sexuelle
-
meurtre d’une
femme par féminicide car il s’agit
de faire la différence en fonction du sexe
-
crime passionnel
par meurtre ou meurtre machiste car
ces crimes sont souvent motivés par la jalousie inhérente au machisme. Ils
montrent une situation dans lequel l’homme considère que la femme, et parfois
les enfants, sont objets et non sujets
autonomes. Parler de crime passionnel
revient à signifier ‘il l’aimait trop’
alors que le meurtre n’est jamais une preuve d’amour…
Culture du
viol
Deux
livres récents sont consacrés à la
culture du viol : Une culture du
viol à la française de Valérie Rey-Robert (2) et En finir avec la culture du viol de Noémie Renard (3). L’expression
est une traduction littéraire de l’expression anglaise « rape culture » introduite par des
féministes américaines dans les années 1970. La culture du viol est la manière dont le viol est perçu et
représenté dans l’imaginaire collectif. C’est donc un concept sociologique utilisé
pour qualifier un ensemble de
comportements et d’aptitudes partagés au sein d’une société donnée :
ils minimiseraient, normaliseraient
voire encourageraient le viol. C’est aussi la manifestation du fait que les
femmes sont considérées comme la propriété des hommes, ceux-ci leur refusant
tout respect ainsi que le droit de contrôle et de maîtrise de leur propre
corps, les traitant comme des objets. La culture du viol se nourrit des inégalités hiérarchiques
tout en les renforçant : femmes, enfants, vulnérabilité, pauvreté,
orientation sexuelle mais aussi statuts, force physique, emprise psychologique
ou différence d’âge. La culture du viol se fonde sur des mythes : on
excuse les violeurs par une maladie mentale (cela concerne moins de 7 % d’entre
eux) ou par le très flou concept de misère sexuelle (89 % auraient des rapports
sexuels consentis au moins deux fois par semaine avant leur incarcération). On
affirme que les hommes auraient des besoins irrépressibles, et que les victimes
l’auraient ‘cherché’ par la façon de
s’habiller, par la consommation de substances, par leur comportement. Le tout
est renforcé par un climat d’impunité :
un agresseur sur dix fait l’objet de poursuites et les victimes sont mal reçues,
voire moquées, lors du récit des faits et ce, qu’il s’agisse des services de
police ou de gendarmerie, mais aussi des services hospitaliers.
La
culture du viol s’aggrave par la ‘confusion
entre violence et sexualité’ qui favorise les addictions à la prostitution et la pornographie, avec une industrie du sexe florissante proposant des
films, des images de plus en plus violentes avec des femmes de plus en plus
jeunes. Il en résulte une aggravation de la traite des enfants et des femmes, du tourisme sexuel, de la criminalité
sexuelle et d’une grande part des violences
faites aux femmes.
Mais une culture se modifie, se contourne,
se conteste !
D’après
Eve Ensler, dramaturge américaine (4) : « Quand une centaine de femmes sont assassinées en moins d’un an, cela
indique que quelque chose s’est effondré dans la société ». Il faut
donc plus de travail que la simple
dénonciation ; cela signifie que « les hommes ne font pas le travail d’introspection nécessaire »
pour remettre en question l’éducation
patriarcale dans laquelle ils ont été élevés. Ils convient donc de regarder
ces violences avec les mêmes lunettes que le système capitaliste et les inégalités économiques. La façon dont certains hommes traitent notre planète
est la même que celle dont ils voient les femmes.
Il faut des procédures de réparation
contre la prédation, le sexisme, le racisme, la misogynie,
le génocide des peuples autochtones,
l’esclavage. En clair, cela veut
dire que « reconnaître, s’excuser,
juger… C’est commencer à mettre à distance la violence sur autrui, et à faire
le travail de qualification et de séparation d’avec cette violence ».
Stéphanie
Roussillon
(1)
Editions libertaires, 2017
(2)
Editions Libertalia
(3)
Editions Les petits matins
(4)
dans le Monde du 17.09.2019