Des guerres
aux soulèvements populaires
Editorial de
PES n° 67
Pour
l’essentiel, le pouvoir et les médias dominants restreignent l’information à la
réalité angoissante du Covid et du crime d’un illuminé d’Allah. Rien, ou si peu,
ne se passe en dehors de nos frontières ? « En guerre », nous
sommes. Les conseils de défense tournent au burlesque et le petit Prince,
général, s’apparente à Tartarin de Paris, chassant les fauves : offensive
contre le Covid qui circule si peu le jour, au travail et dans les transports.
Son lieutenant concentre ses tirs sur la viande hallal. Tout doit être fait
pour masquer les faiblesses du front sanitaire dégarni, et surtout, les
secousses sismiques qui ébranlent nombre de pays.
Il
y a la persistance des guerres (Syrie, Libye, Afghanistan), leur extension
géographique (Haut Karabakh), la montée des tensions (Chine, Etats-Unis, Inde…)
qui provoquent des migrations de populations, mais surtout, des révoltes
populaires perturbant l’ordre capitaliste. C’est la multiplication de ces
soulèvements que l’on voudrait évoquer ci-après afin de dégager, au-delà de
leurs spécificités, leurs
caractéristiques communes.
Dans
les pays du Sud, comme à l’Est, le vent de la contestation souffle par
bourrasques.
Au Nigéria, pays le plus riche d’Afrique (200 millions d’habitants)
où les inégalités sont abyssales, la jeunesse urbaine affronte les violences
policières. A Lagos (20 millions d’habitants) et dans les grandes villes, les
manifestants persistent à demander la démission du président Buhari, la
suppression de la brigade spéciale pratiquant tortures et exécutions sommaires,
malgré les tirs à balles réelles (plus de 13 morts et des dizaines de blessés).
La pègre soudoyée est utilisée pour semer le trouble. Les jeunes (60 % de la
population a moins de 24 ans) exigent le changement, la fin du grand banditisme
dans le delta du Niger, l’aide aux populations rurales, gangrenées par Boko Haram,
et la distribution de la rente pétrolière.
Après
le Mali, la Guinée Conakry s’insurge
contre les élections truquées et la modification arbitraire de la Constitution
permettant au despote Alpha Condé de se maintenir au pouvoir tout en continuant
à manipuler les divisons ethniques entre Peuls et Malinkés. Depuis octobre
2019, 104 personnes ont été tuées. Malgré la répression, ils sont des milliers
de la société civile, des syndicats et partis d’opposition à continuent de se
mobiliser.
De
fait, toute l’Afrique, notamment de l’ouest, est grosse de révoltes à
venir. Au Burkina Faso, au Togo, au Bénin, en passant par la Côte d’Ivoire…
néocolonialisme, corruption, élections truquées et misère rurale sont les
ferments de destabilisation des satrapes.
En Asie du Sud, on assiste à des phénomènes similaires.
En
Thaïlande, l’oligarchie
militaro-monarchique est sur la sellette. A Bangkok et dans d’autres villes, la
jeunesse étudiante et lycéenne occupe la rue, exige la démission du 1er
ministre, remet en cause le roi, son immense fortune (30 milliards $), brocarde
son caractère divin, se moque du crime de lèse-majesté (12/15 ans de
prison !). Le pouvoir réprime mais hésite à étouffer dans le sang cette
contestation qui gagne en popularité dans le pays. La sacralité du roi, la
constitution liberticide de 1972, le poids des généraux dans l’appareil d’Etat,
semblent obsolètes… d’autant que l’industrie touristique s’est effondrée,
accroissant le nombre de chômeurs (14 millions avant la pandémie).
La
situation en Indonésie est encore
plus emblématique de notre époque. Dans le plus grand pays musulman du monde (260
millions d’habitants) dans lequel s’est imposé un régime parlementariste, les
régressions néolibérales ne passent pas. Le président Widodo, réélu en 2010,
lié aux puissants milieux d’affaires, prétend mettre en œuvre des lois,
susceptibles de faire écho dans la France macronienne. Raison du black-out
médiatique ? 7 millions de chômeurs, une gestion catastrophique de la
pandémie et dans ce contexte, la volonté du gouvernement de supprimer le Smic,
de réduire les droits des travailleurs, les indemnités de licenciements, de
légitimer la déforestation intensive et, dans le même temps, de réduire les
impôts des sociétés capitalistes, de supprimer les prérogatives de l’agence de
lutte contre la corruption. Le 8 octobre, des milliers d’ouvriers, employés,
syndicalistes, rejoints par des écologistes, défenseurs des droits de l’homme,
ont envahi les rues de la capitale et des grandes villes. Ils sont soutenus par
les associations musulmanes ( !) qui dénoncent les projets de loi favorisant
les capitalistes.
A l’Est, dans l’ex-empire dit soviétique, le vent de la
contestation souffle par rafales.
En Biélorussie, les élections truquées du 9 août ont soulevé les
populations. Les ouvriers ont rejoint la classe moyenne, les femmes se sont
mises au premier rang des manifestants pour contenir la répression policière, les
tortures pratiquées dans les prisons. 50 jours de mobilisation, 10 500
arrestations, pour exiger la démission du dictateur Loukachenko, de nouvelles
élections, la libération des prisonniers politiques. Ce président d’un autre
temps se réfugie dans l’ombre de Poutine, ses opposants, instruits par
l’expérience ukrainienne, affirment que leur pays doit rester indépendant de
l’Est et de l’Ouest…
Au Kirghizistan, en Asie centrale, la fraude aux législatives a
provoqué des émeutes depuis le 4 octobre, sur fond de tensions ethniques, de
corruption des élites. Dans ce pays riche de mines d’or, de charbon, la
pauvreté est devenue insupportable.
En Bulgarie, ce pays de l’UE, des milliers de jeunes étudiants
manifestent tous les soirs depuis 3 mois. Ils réclament la démission du 1er
ministre Borissov et du procureur général Guechev. Ils dénoncent la corruption
maffieuse, le détournement de fonds, les arrestations arbitraires… La
commission européenne s’abstient de tout commentaire ou critique, tout comme vis-à-vis
de la Pologne : le Tribunal
constitutionnel, aux ordres du pouvoir, interdit l’avortement. Des milliers de
« femmes en noir » ont protesté devant le domicile du 1er
ministre Kaczynski. Sa réponse : gaz lacrymogènes.
A
l’autre extrémité de la planète, au Chili,
la mobilisation a repris malgré la pandémie, afin d’obtenir la suppression de
la constitution Pinochet. Le 18 octobre, sur la place de la Dignité ( !),
des dizaines de milliers de manifestants ont affronté les violences policières…
la droite affairiste vient de concéder l’organisation d’un référendum de
révision de la constitution de sinistre mémoire néolibérale.
Après
l’échec des printemps arabes, les peuples semblent, dans le contexte de crise
économique et sanitaire, se remettre en mouvement. S’ils dénoncent tous les
inégalités, la corruption, le despotisme, les trucages électoraux, ils ne sont
pas à l’abri de détournements de leurs aspirations, de l’instrumentalisation de
leurs frustrations, faute de projets et d’organisations autonomes. Il n’empêche,
dans l’action, les peuples apprennent de leurs propres insuffisances…
GD,
le 28.10.2020