Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 6 décembre 2020

 

Des guerres aux soulèvements populaires

Editorial de PES n° 67

 

Pour l’essentiel, le pouvoir et les médias dominants restreignent l’information à la réalité angoissante du Covid et du crime d’un illuminé d’Allah. Rien, ou si peu, ne se passe en dehors de nos frontières ? « En guerre », nous sommes. Les conseils de défense tournent au burlesque et le petit Prince, général, s’apparente à Tartarin de Paris, chassant les fauves : offensive contre le Covid qui circule si peu le jour, au travail et dans les transports. Son lieutenant concentre ses tirs sur la viande hallal. Tout doit être fait pour masquer les faiblesses du front sanitaire dégarni, et surtout, les secousses sismiques qui ébranlent nombre de pays.

 

Il y a la persistance des guerres (Syrie, Libye, Afghanistan), leur extension géographique (Haut Karabakh), la montée des tensions (Chine, Etats-Unis, Inde…) qui provoquent des migrations de populations, mais surtout, des révoltes populaires perturbant l’ordre capitaliste. C’est la multiplication de ces soulèvements que l’on voudrait évoquer ci-après afin de dégager, au-delà de leurs spécificités,  leurs caractéristiques communes.

 

Dans les pays du Sud, comme à l’Est, le vent de la contestation souffle par bourrasques.

 

Au Nigéria, pays le plus riche d’Afrique (200 millions d’habitants) où les inégalités sont abyssales, la jeunesse urbaine affronte les violences policières. A Lagos (20 millions d’habitants) et dans les grandes villes, les manifestants persistent à demander la démission du président Buhari, la suppression de la brigade spéciale pratiquant tortures et exécutions sommaires, malgré les tirs à balles réelles (plus de 13 morts et des dizaines de blessés). La pègre soudoyée est utilisée pour semer le trouble. Les jeunes (60 % de la population a moins de 24 ans) exigent le changement, la fin du grand banditisme dans le delta du Niger, l’aide aux populations rurales, gangrenées par Boko Haram, et la distribution de la rente pétrolière.

Après le Mali, la Guinée Conakry s’insurge contre les élections truquées et la modification arbitraire de la Constitution permettant au despote Alpha Condé de se maintenir au pouvoir tout en continuant à manipuler les divisons ethniques entre Peuls et Malinkés. Depuis octobre 2019, 104 personnes ont été tuées. Malgré la répression, ils sont des milliers de la société civile, des syndicats et partis d’opposition à continuent de se mobiliser.

De fait, toute l’Afrique, notamment de l’ouest, est grosse de révoltes à venir. Au Burkina Faso, au Togo, au Bénin, en passant par la Côte d’Ivoire… néocolonialisme, corruption, élections truquées et misère rurale sont les ferments de destabilisation des satrapes.

 

En Asie du Sud, on assiste à des phénomènes similaires.

En Thaïlande, l’oligarchie militaro-monarchique est sur la sellette. A Bangkok et dans d’autres villes, la jeunesse étudiante et lycéenne occupe la rue, exige la démission du 1er ministre, remet en cause le roi, son immense fortune (30 milliards $), brocarde son caractère divin, se moque du crime de lèse-majesté (12/15 ans de prison !). Le pouvoir réprime mais hésite à étouffer dans le sang cette contestation qui gagne en popularité dans le pays. La sacralité du roi, la constitution liberticide de 1972, le poids des généraux dans l’appareil d’Etat, semblent obsolètes… d’autant que l’industrie touristique s’est effondrée, accroissant le nombre de chômeurs (14 millions avant la pandémie).

La situation en Indonésie est encore plus emblématique de notre époque. Dans le plus grand pays musulman du monde (260 millions d’habitants) dans lequel s’est imposé un régime parlementariste, les régressions néolibérales ne passent pas. Le président Widodo, réélu en 2010, lié aux puissants milieux d’affaires, prétend mettre en œuvre des lois, susceptibles de faire écho dans la France macronienne. Raison du black-out médiatique ? 7 millions de chômeurs, une gestion catastrophique de la pandémie et dans ce contexte, la volonté du gouvernement de supprimer le Smic, de réduire les droits des travailleurs, les indemnités de licenciements, de légitimer la déforestation intensive et, dans le même temps, de réduire les impôts des sociétés capitalistes, de supprimer les prérogatives de l’agence de lutte contre la corruption. Le 8 octobre, des milliers d’ouvriers, employés, syndicalistes, rejoints par des écologistes, défenseurs des droits de l’homme, ont envahi les rues de la capitale et des grandes villes. Ils sont soutenus par les associations musulmanes ( !) qui dénoncent les projets de loi favorisant les capitalistes.

 

A l’Est, dans l’ex-empire dit soviétique, le vent de la contestation souffle par rafales.

En Biélorussie, les élections truquées du 9 août ont soulevé les populations. Les ouvriers ont rejoint la classe moyenne, les femmes se sont mises au premier rang des manifestants pour contenir la répression policière, les tortures pratiquées dans les prisons. 50 jours de mobilisation, 10 500 arrestations, pour exiger la démission du dictateur Loukachenko, de nouvelles élections, la libération des prisonniers politiques. Ce président d’un autre temps se réfugie dans l’ombre de Poutine, ses opposants, instruits par l’expérience ukrainienne, affirment que leur pays doit rester indépendant de l’Est et de l’Ouest…

Au Kirghizistan, en Asie centrale, la fraude aux législatives a provoqué des émeutes depuis le 4 octobre, sur fond de tensions ethniques, de corruption des élites. Dans ce pays riche de mines d’or, de charbon, la pauvreté est devenue insupportable.

En Bulgarie, ce pays de l’UE, des milliers de jeunes étudiants manifestent tous les soirs depuis 3 mois. Ils réclament la démission du 1er ministre Borissov et du procureur général Guechev. Ils dénoncent la corruption maffieuse, le détournement de fonds, les arrestations arbitraires… La commission européenne s’abstient de tout commentaire ou critique, tout comme vis-à-vis de la Pologne : le Tribunal constitutionnel, aux ordres du pouvoir, interdit l’avortement. Des milliers de « femmes en noir » ont protesté devant le domicile du 1er ministre Kaczynski. Sa réponse : gaz lacrymogènes.

 

A l’autre extrémité de la planète, au Chili, la mobilisation a repris malgré la pandémie, afin d’obtenir la suppression de la constitution Pinochet. Le 18 octobre, sur la place de la Dignité ( !), des dizaines de milliers de manifestants ont affronté les violences policières… la droite affairiste vient de concéder l’organisation d’un référendum de révision de la constitution de sinistre mémoire néolibérale.

 

Après l’échec des printemps arabes, les peuples semblent, dans le contexte de crise économique et sanitaire, se remettre en mouvement. S’ils dénoncent tous les inégalités, la corruption, le despotisme, les trucages électoraux, ils ne sont pas à l’abri de détournements de leurs aspirations, de l’instrumentalisation de leurs frustrations, faute de projets et d’organisations autonomes. Il n’empêche, dans l’action, les peuples apprennent de leurs propres insuffisances…

 

GD, le 28.10.2020