La PAC
A
l’heure où les discussions sont engagées pour définir la Politique Agricole
Commune 2021-2027, il nous semble important de faire un retour sur son
histoire, sa mise en place et ses évolutions. Quelles logiques successives ont
orienté les choix de la politique agricole de l’UE, au sein de la politique
globale communautaire ?
C’est
au lendemain de la 2ème guerre mondiale que les organisations
européennes prennent forme. Le Traité de
Paris (1952) institue la CECA – Communauté européenne du charbon et de
l’acier : cette organisation internationale est fondée pour 50 ans (elle
n’existe plus depuis 2002).
Le Traité de Rome (25.03.1957) institue
la CEE – Communauté économique
européenne - et l’EURATOM (énergie atomique). Dès l’origine, l’Europe se
construit comme un marché commun entre les 6 pays pionniers de cette
construction : Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg,
Pays-Bas. Politique du pas à pas vers la libéralisation. En 1965, la commission
européenne est créée et la fusion des CECA, CEE et EURATOM est réalisée. En
1986, l’Acte unique européen institue le
marché unique (libre circulation des biens, des personnes et des capitaux) se
substituant au marché commun ; il prendra forme en 1993, après la
signature, en 1992, du traité de Maastricht, accroissant les compétences
européennes, la communauté européenne devient l’Union Européenne (économique et
monétaire). La PAC naît du traité de Rome.
Elle
représente une part importante du budget européen (40 %) qui se répartit en
2020, comme suit :
-
une aide directe
aux exploitations (1er pilier) pour 258.60 milliards €, gérée par le
fonds européen de garantie agricole
-
une aide au
développement rural pour 77.80 milliards €, 2ème pilier, piloté et
cofinancé par l’UE, les Etats et les régions, est en charge du fonds européen
de développement rural.
Les
ressources financières de l’UE proviennent à 72 % des contributions directes
des Etats membres, et pour le reste, des droits de douanes et des transferts
d’une partie de la TVA des pays membres.
Les
lois d’orientation de la PAC sont proposées par la Commission Européenne, et SA
Commission agricole, pour être discutées, ensuite, au Parlement européen (et SA
commission agriculture).
Depuis sa création, la PAC a adapté ses objectifs au
marché et a mis en place des outils spécifiques passant des prix et des revenus
garantis, à l’aide à la surface, découplée de la production, ou encore par la limitation
des productions dont des quotas pour le lait et les céréales. L’UE s’accorde
aux règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce, créée en 1995), elle
signe en 1994 les accords agricoles de l’OMC, réduit ses aides à l’export et
aux prix, entrés en vigueur au 1er janvier 1995. La PAC change
de logique.
2 – Les deux
tournants de la construction de la PAC
Après la 2ème guerre mondiale,
la France et d’autres pays européens,
sont exsangues et le plan Marshall (1947-1952), rend la politique alimentaire
des pays d’Europe totalement dépendante des Etats-Unis. La question qui se
pose, alors, aux Européens est la suivante : continuer à acheter les
produits US ou créer un marché agricole commun ?
A
cette époque, l’agriculture européenne est rudimentaire, les propriétés exploitées
sont morcelées en petites parcelles, la mécanisation est quasi nulle (les
chevaux sont essentiels) et les rendements sont faibles. Comment, dans ces
conditions, assurer la sécurité alimentaire ? Comment assurer
l’approvisionnement des ménages, en particulier, en lait et en pain ?
Après
de longues discussions entre les six pays pionniers de l’Union européenne, dans
lesquelles la France fut moteur, la préférence communautaire et la solidarité
financière sont acceptées. Dans la foulée de la construction européenne (CEE en
1957, marché commun en 1959), est créée la PAC qui sera effective en 1962. Ces
années-là, le budget agricole commun est le premier poste des dépenses de la
CEE.
1962
La
PAC s’appuie, alors, sur la politique des prix
garantis. Il s’agit d’assurer des revenus réguliers aux producteurs et d’offrir
des prix stables aux consommateurs en garantissant l’approvisionnement. C’est
la période des incitations à la
production, chaque secteur ayant ses règles et son organisation : vin,
légumes, porc, volaille, etc. L’objectif est d’augmenter la productivité agricole
de la CEE qui aura rapidement pour effets : l’augmentation des surfaces
exploitées (le remembrement des terres agricoles a eu lieu à partir de 1959),
la mécanisation favorisée par le recours aux emprunts auprès du Crédit Agricole
(les tracteurs remplacent les chevaux) et des rendements améliorés. Par exemple
pour le blé : de 20 quintaux/hectare en 1950 on passe à 40 quintaux en
1965. Les rendements améliorés, l’extension des fermes, etc. ne cesseront plus
et ce, au détriment des petits paysans et au profit de grandes exploitations.
Cette
politique d’incitation à la production européenne intérieure, au moment des
Trente Glorieuses, aboutit à un phénomène de surproduction (exemple du beurre
européen) : l’exportation entre les pays de l’Europe se développe ;
en 1968, les droits de douanes intra-communautaires sont supprimés. Et
l’exportation est financièrement soutenue, au-delà des pays de l’Europe. Elle
pèse lourdement dans le budget avec les compensations financières entre les
prix européens et les cours mondiaux agricoles.
Les
importations des pays extérieurs à la CEE
sont dissuadées par l’instauration de taxes, ce qui fit grincer des
dents les Etats-Unis, jugeant les mesures protectionnistes contraires aux
règles du GATT (puis de l’OMC). Les conséquences de cette politique
contraignent l’Europe, pour enrayer la surproduction, à prendre des mesures
comme la limitation des productions dont les quotas laitiers en 1984.
Dans
le contexte du traité de Maastricht (1992) et de la création de l’OMC (Organisation
Mondiale du Commerce), l’UE est contrainte à entrer de plain-pied dans le
libéralisme débridé, où la concurrence libre et non faussée est la règle
absolue. C’est le grand tournant de 1992.
1992
En
1992, l’objectif de compétitivité de l’agriculture est inclus dans l’accord
donnant naissance à l’OMC. Il s’agit pour l’UE de se mettre en conformité avec ses
règles. L’objectif principal et de s’adapter au contexte international et de rendre l’agriculture européenne plus
compétitive, entre autres, par une baisse des prix agricoles et des mesures
compensatoires pour les producteurs. Cette orientation va bouleverser le
principe de garantie des prix et institue des aides techniques à l’exploitation :
une aide unique à l’exploitation est mise en place. Elle se substitue aux
différentes aides à l’exploitation. L’aide est fixée par la Commission et
régionalisée, selon les rendements historiques moyens.
Pour
le lait, le régime des quotas reste l’outil principal pour réguler la
production, pour les céréales également : le principe est le suivant,
au-delà d’un quota défini par région et par exploitation, celui qui produit
plus voit son prix de vente diminuer ou doit payer des pénalités.
Au
fil des années, ces politiques de production « contrôlée » s’accentuent.
En 2003, les aides sont conditionnées et indépendantes de la façon de
travailler les sols. Bruxelles impose le gel des terres pour faire face à la
surproduction. En 2014-2015, les aides en faveur de l’élevage (notamment
intensif) sont réajustées. En 2015, les quotas laitiers sont supprimés. Parmi
les effets de la PAC, il faut souligner
la chute du nombre d’exploitations laitières : de 427 000
exploitations en 1983 à 70 000 en 2014. De même, le beurre exporté par
l’UE passe de 380 000 tonnes en 1983 à 150 000 tonnes en 2014.
Le
Parlement européen, co-législateur avec la Commission de l’UE, détermine ses priorités
pour le développement rural, dont un soutien à l’innovation, un renforcement de
la compétitivité et de l’utilisation efficace des ressources. En 1999,
l’élargissement de l’UE aux pays de l’Est, nécessite d’abonder les fonds
structurels en faveur de ces pays. Le poids de la PAC passe de près de 70 %
dans les années 1980 à moins de 50 % depuis 2000.
Les
producteurs sont soumis à une plus forte volatilité des prix, les diktats du
marché s’imposent, il faut produire –
vendre – pour produire plus, augmenter les surfaces exploitées, utiliser des
intrants (pesticides, fongicides, engrais…) pour des rendements toujours plus
performants, s’endetter par l’achat de matériels toujours plus puissants… Dans ce cycle infernal, au mépris de
l’écosystème, les exploitations et les petits paysans qui ont longtemps
constitué le tissu environnemental social et économique de nos campagnes
disparaissent. Entre 1955, la France compte 2,3 millions d’exploitations, 1
million en 1989 et 500 000 en 2014. La politique agricole européenne a
favorisé la concentration des terres, la disparition de nombre de paysans,
principalement les « moins performants » au profit de l’agro-business
industriel, multipliant la culture du soja, maïs, etc… sans se soucier de la
souveraineté alimentaire.
Parmi
les effets négatifs des PAC successives, il a été constaté la création de
rentes et d’inégalités. Les producteurs de fruits et légumes, par exemple, sont
les grands oubliés et l’Allemagne n’a jamais respecté la politique des
quotas laitiers, préférant payer les pénalités.
et pour 2021-2027 ?
La
négociation est engagée pour définir « une
PAC 2021-2027 plus verte mais surtout plus juste » a déclaré le
ministre de l’agriculture français. Ce qui s’annonce, selon la Confédération
paysanne, s’éloigne du caractère commun de la PAC en faveur d’une logique bien
plus individuelle : pas de régulation des marchés, mais une « flexibilité nécessaire pour garantir la
compétitivité des agriculteurs », soit la course à l’agrandissement et
à la spécialisation, tournant ainsi le dos aux solutions indispensables face au
changement climatique et aux aléas du marché.
Parmi
les innovations technologiques qui impacteront l’agriculture mondiale et
l’alimentation, citons le steak in vitro sans animaux, inventé en 2013 et déjà
en vente. L’agriculture verticale (inventée en 1999), à savoir une ferme en
gratte-ciel, des petites surfaces et des rendements plus grands, avec des
récoltes toute l’année, une ferme pourrait nourrir 50 000 personnes !
La Confédération paysanne défend une nouvelle PAC qui favorise le revenu et
l’emploi paysan et notamment
-
en garantissant
la rémunération du travail par des prix couvrant les coûts et la production
-
en maintenant une
activité diversifiée sur le territoire (grâce à primes plus justes). La PAC
doit soutenir les productions locales, les marchés locaux, les outils de
transformation et les zones défavorisées.
-
en donnant un
coup d’arrêt à la disparition des exploitations. En Europe, une ferme disparaît toutes les 3 minutes.
Denis
Favez, le 01.12.2020