Un enfant
qui se tient sage…
La
supériorité de l’adulte sur l’enfant est rarement remise en cause. De l’avis
général, les mômes seraient naturellement inférieurs. De toutes les formes de
domination, celle que les adultes exercent sur les minots est sans doute la
plus répandue, la plus visible et, paradoxalement, la moins questionnée.
Pourquoi des voix dissonantes militent pour
l’abrogation du statut de mineur ? Comment les « valeurs » capitalistes –
concurrence, compétition- et ses méthodes punitives s’appliquent à eux ?
N’y-a-t-il pas d’alternatives ? Quid des « tenues républicaines »…
C’est pour
ton bien…
Dans
l’immense majorité des familles, tous milieux sociaux confondus, il est
communément admis de contraindre les enfants et de décider à leur place :
après tout, c’est pour leur bien… Car
un gamin, on est quasiment tous d’accord là-dessus, ça ne se rend pas compte,
c’est fragile, ça ne sait pas faire. Autant de justifications qu’Yves
Bonnardel, auteur du livre La Domination
adulte : l’oppression des mineurs refuse en bloc. Pour lui, cette
domination est à envisager au même titre que les autres : systémique et
politique.
« Quel type de régime se caractériserait par l’imposition
des horaires pour manger, dormir, travailler, par le contrôle de ses
fréquentations et de son emploi du temps, par l’impossibilité de saisir la
justice, par l’obligation de demander l’autorisation pour tout et n’importe
quoi ? Un régime dictatorial ? Un régime esclavagiste ? Un
régime totalitaire ? Certes, mais c’est aussi le régime de l’enfance ».
Voici comment la sociologue Charlotte Debest résume le propos de M. Bonnardel.
Ce
livre aborde l’abrogation du statut de mineur, thème réfléchi depuis longtemps.
John Holt, éducateur et écrivain, avançait déjà il y a plusieurs décennies que,
sous prétexte de protéger l’enfant, le statut de mineur le prive en fait de la
plupart des droits fondamentaux qui nous permettent de nous soustraire à
l’arbitraire et à la violence des autres. Et c’est parfois de leur famille
qu’ils devraient pouvoir se protéger : 1 enfant meurt tous les 4 jours
sous les coups de ses parents (1). En 2018, 85% des parents disaient user de
violence sur leurs enfants. Jusqu’en 2019 et la loi contre les violences
éducatives ordinaires, les enfants étaient d’ailleurs la seule catégorie de la
population envers laquelle il était légalement permis de faire preuve de
violence. La pédocriminalité a mis longtemps à être reconnue comme un problème
de société majeur. Sur les 300 000 victimes de viols estimées chaque année, 60%
sont des enfants (et seul 0,3% des violeurs sont condamnés).
Sous
l’Ancien Régime, l’enfant était la propriété du père. Aujourd’hui on se garde
bien de parler de propriété, on parle d’autorité sur l’enfant dans son « intérêt supérieur ». Mais dans les
faits, les parents gardent le pouvoir sur lui et continuent de le considérer
comme « à eux ». Il y a
d’ailleurs une idée fondamentalement ancrée selon laquelle les parents peuvent
faire ce qu’ils veulent de leurs enfants : les éduquer comme ils
l’entendent, leur faire croire à la religion qu’ils choisissent ou modeler leur
corps sans leur consentement.
La
société, l’Etat et les institutions continuent de s’approprier l’enfant.
Notamment à travers l’école, où le jeune œuvre surtout à la reproduction
sociale : il s’agit pour l’enfant d’apprendre la discipline, le dressage
du corps et la résignation. L’idée est tout de même de former de futurs
salariés, de futurs citoyens et de futurs consommateurs. L’enfant est vu comme
un moyen pour la perpétuation de la société et non pas comme étant en lui-même le
but ultime.
Un feu qu’on
allume
L’éducation
consiste à allumer un feu plutôt qu’à remplir un vase, sans projection sociale,
voici quelques exemples inspirants.
Cinq
écoles de Hambourg, qui réunissaient environ 600 élèves ont, à la fin de la
première guerre mondiale, prôné l’ « auto-éducation ». Elles refusaient quelque endoctrinement que
ce soit des enfants, même pacifiste ou anarchiste. On parlait alors de vivre
ensemble et non plus d’éduquer.
Dans
le village démocratique de Pourgues (2), le mot d’ordre est liberté, les
décisions sont prises au consensus et tout le monde – enfants compris- vote.
Les
écoles Sudbury ont été fondées par Daniel Greenberg en 1969 dans le
Massachusetts. Il en existe une quarantaine dans le monde. La pédagogie est un
cadre dans lequel les enfants sont auteurs et responsables de leur vie
quotidienne, au sein d’un collectif d’âges mélangés de 6 à 19 ans. Sa pédagogie
repose sur deux principes :
-
les
apprentissages autonomes : les jeunes sont libres de déterminer leurs
propres objectifs, avec la même légitimité dans toutes les entreprises et tous
les domaines. Ils se consacrent à ce qui les intéresse sans contrainte de
programme ni de temps. Les membres du personnel sont garants de cette approche
et les traitent en tant que personnes indépendantes.
-
la gestion démocratique :
la vision de l’éducation démocratique est celle donnée par l’EUDEC (European
Democratic Education Community) « Les
jeunes devraient pouvoir choisir ce qu’ils
font, quand, où, comment et avec qui, du moment que leurs décisions ne
transgressent pas la liberté des autres de faire de même ». Les
statuts de ces écoles attribuent un pouvoir égal à chaque membre, quel que soit
son âge, pour participer aux décisions collectives.
Les
écoles en nature, ou Forest School, sont des structures scolaire où on fait
classe dans la nature, un ou plusieurs jours par semaine, qu’il s’agisse d’une
forêt, d’un jardin, d’une montagne… Ces écoles reposent sur la pédagogie de
l’Outdoor Education, c’est-à-dire une éduction hors les murs. « La nature est un espace d’explorations et
d’expériences sans limite », explique Sarah Wauquier, auteure du livre
Les Enfants des bois, « un espace de jeu et d’apprentissage pour les
enfants, mais surtout un outil pédagogique pour le développement de leur lien à
la vie ».
Depuis
vingt ans, le Clept (Collège lycée élitaire pour tous) accueille à Grenoble une
centaine de jeunes qui avaient quitté le système scolaire. Cet établissement
public alternatif fonctionne sans surveillant, sans sonnerie, sans carnet de
correspondance ni conseil de discipline mais avec du respect mutuel et de
véritables relations humaines. Et les résultats sont là : seuls quelques-uns
« décrochent » et le taux
d’obtention au bac est de 80 à 100%.
L’enfermement
des enfants
Quand
un enfant ne « rentre pas dans le
rang », le système punitif et la répression carcérale s’appliquent plutôt que l’innovation éducative. Au 1er
Juillet, 670 mineurs étaient écroués, la plupart dans des établissements
pénitentiaires pour mineurs (EPM), les autres dans les quartiers dédiés des
prisons pour adultes. Il faut ajouter aussi les jeunes étrangers qui attendent
avec leurs parents leur expulsion en centre de rétention administrative, ainsi
que les centaines d’adolescents dans les centres éducatifs fermés (CEF). 80%
des enfants incarcérés sont en détention provisoire, majoritairement pour des
faits relevant du tribunal correctionnel (vol simple, dégradations, etc.) et
venant surtout de milieux pauvres. Les CEF sont des lieux de privation de
liberté, avec une fermeture physique et juridique (une fugue étant considérée
comme une évasion). La Commission nationale consultative des Droits de l’Homme
a estimé qu’ils sont souvent des « antichambres
de la prison ».
L’enfermement finit toujours par créer chez
ces jeunes un sentiment de révolte, de colère, loin de l’idée qu’il produirait
une sorte de choc et de remise en question. Car ces lieux fermés finissent par
générer leurs propres règles, les jeunes sont victimes d’atteintes à leurs
droits – violences physiques, privations, humiliations. Le Contrôleur général
des lieux de privation de liberté a rendu de nombreux avis faisant ces mêmes
constats.
Et
il existe d’autres méthodes pour se faire obéir comme le raconte le journaliste
Julien Brygo dans son enquête sur « la
pilule de l’obéissance » (3), la Ritaline. C’est un médicament cousin
des amphétamines, censé « contenir »
les troubles de l’hyperactivité que des milliers de parents s’arrachent.
Utilisée à tout-va aux Etats-Unis, la Ritaline commence à trouver un marché en
France : 62 000 enfants en ont consommé en 2016. C’est que cette « pilule miracle » est aussi
prescrite pour délivrer « les
enfants d’une liste impressionnante d’imperfections, de la fâcheuse tendance à
se cabrer devant une tâche fastidieuse au rejet pur et simple de l’autorité, en
passant par l’inattention ou la déconcentration ».
Tenue
républicaine…
Les
injonctions sur les mineurs comportent aussi l’habillement, surtout quand il
s’agit d’adolescent.E.s. Ainsi, fin septembre, des adolescentes revendiquaient
le droit de s’habiller comme elles le souhaitent en classe. Le ministre de
l’Education nationale a expliqué qu’il faut venir « à l’école habillé d’une façon républicaine ». Quid de « la façon républicaine » de s’habiller mais surtout si la tenue
des filles est un problème, c’est que le problème de la sexualisation de leurs
corps en est un. Ainsi dès que leurs seins apparaissent, les filles se voient
immédiatement renvoyées à un corps sexuel. La puberté, c’est l’entrée dans son
corps sexué mais aussi la découverte de la condition de disponibilité sexuelle
qui est celle des femmes dans une société patriarcale. Les filles subissent la
violence des regards et des réflexions qui les réduisent à une sexualité dont
elles sont loin. Les mobilisations de ce 14 septembre ont manifesté pour mettre
un terme à la réduction des femmes à leur corps. Les filles n’acceptent plus de
se laisser dicter ce qu’elles doivent faire, le contrôle social sur leur corps
et les mécanismes profondément enracinés du système patriarcal.
Ce
qui pose aussi problème dans cette affaire c’est de supposer qu’en montrant un
peu de leur ventre ou de leur épaules, les filles vont perturber les garçons
qui ne vont pas pouvoir se concentrer en cours, face à cette chair « offerte ». Cela perpétue le
stéréotype que le désir des garçons est irrépressible, qu’il s’agit d’un désir
animal qu’ils sont incapables de maîtriser. Cela perpétue également la culture
du viol et cette idée que les filles sont toujours responsables de ce qui leur
arrive et notamment des agressions qu’elles subissent. Au lieu de construire
une société où il y a désexualisation du corps des filles, on a tendance à les
obliger à se conformer aux normes « républicaines ».
<<<>>>
Et
si, au lieu de chercher sans cesse à brider la fougue de la jeunesse –
notamment via le cadre ultra compétitif de la scolarité- on cherchait un peu à
la comprendre ? Si on admettait qu’elle a des choses à nous
apprendre ? Les sociétés étant vieillissantes, les enfants y représentent
une part de moins en moins importante de la population. Ce n’est pas une raison
pour ne pas questionner le sort réservé à cette minorité dominée.
Stéphanie
Roussillon
(1)
Documentaire Infrarouge
« Bouche cousue » sur les violences intrafamiliales
https://mobile.france.tv
(2)
Vidéo sur Youtube :
En Liberté ! (Le village démocratique de Pourgues)
(3)
Le Monde Diplomatique - décembre 2019