Les Nouvelles Routes de la Soie
L’article
de Jean-Louis, ci-après, pose indirectement la question de l’analyse de
l’expansionnisme commercial de la Chine et de la nature actuelle de son régime.
Dans l’idéologie dominante, on identifie les différentes périodes de l’histoire
de la Chine, comme si elles évoluaient forcément sur un même modèle. En fait,
l’histoire de la Chine est marquée par des luttes intenses entre différentes
conceptions et une volonté de se démarquer de l’Union soviétique. Il serait
intéressant de rappeler à la fois la distance prise par Mao Tsé-toung dès
l’origine de la création du parti communiste chinois, en prétendant qu’il était
impossible de passer par une étape capitaliste, comme le défendait Staline en
soutenant le Kuomintang (période de Sun Yat-sen), du fait même de la nature de la bourgeoisie
chinoise compradore, liée aux intérêts étrangers. Il a été ainsi amené à
construire la théorie de la guerre populaire
qui fut reprise ensuite par les Vietnamiens… ; en 1949, c’est le modèle
russe qui s’imposa provoquant une mise en minorité de Mao Tsé-toung puis son retour avec les périodes successives
des Cent fleurs, des Communes populaires puis de la Révolution culturelle qui
aboutiront à des échecs et à un retour d’un modèle de capitalisme d’Etat mixte,
avec ouverture aux investissements étrangers.
Le tournant fut opéré par Den Xiao Ping et la répression qui s’ensuivit,
place Tienanmen.
Par
ailleurs, la montée en puissance de la Chine actuelle pose la question des
rapports de forces mondiaux, après les échecs successifs de l’impérialisme états-unien
d’imposer une libéralisation sauvage dans l’ex-URSS, ce qui a produit une
reprise en main nationaliste avec Poutine. De même, l’affaiblissement des
Etats-Unis, suite aux guerres au Moyen-Orient, ainsi que la prédominance mondiale
du néolibéralisme, sont des facteurs d’accroissement des tensions.
Ce
qui est nouveau dans la période, c’est la volonté des dirigeants chinois d’accroître
la vitesse de la circulation de leurs capitaux et de leurs marchandises en
installant des infrastructures dans nombre parties du monde. L’une des
conséquences est l’accroissement de la rivalité entre les Etats-Unis et la
Chine qui peut déraper à tout moment. GD.
Ce projet connu aussi sous le nom de
« Belt and Road Initiative » (une ceinture, une route) est
le plus grand projet d’investissement de l’histoire avec, pour commencer un
investissement de 1 000 milliards de dollars sur 10 ans. Il a été lancé en 2013 par Xi Jinping, le Président (à vie depuis 2018)
de la République Populaire de Chine. L’objectif gravé dans la Constitution chinoise
est de construire
« Une Communauté de Destin pour l’Humanité »
Sous cette appellation humaniste, il s’agit
en fait d’un gigantesque business :
constructions de voies ferrées, routes, ports, aéroports, centrales
électriques… visant plus d’une centaine de pays sur tous les continents. A
titre d’exemple, la construction du métro à Belgrade en Serbie, à Bogota en
Colombie, une ligne de chemin de fer Djibouti- Addis-Abeba et pour donner une
idée de l’importance des travaux :
Un
corridor économique sino-pakistanais
Son but est de relier l’Est de la Chine au
Port pakistanais de Gwadar : Il se compose d’un agrandissement du port pour
accueillir les pétroliers et autres navires de grands gabarits, un hôpital
sino-pakistanais, un nouvel aéroport, une usine de dessalement de l’eau de mer,
une voie de 2500 kms comprenant une autoroute à 6 voies, une voie de chemin de
fer, un pipeline, un oléoduc, la fibre optique et plusieurs centrales électriques
à charbon. Le but économique est de permettre dans un sens la circulation
rapide des produits chinois vers les pays du Golfe et dans l’autre sens la
circulation du gaz et du pétrole venant de ces mêmes pays, nécessaire à la
croissance chinoise. Autre exemple qui nous concerne plus directement :
La liaison
ferroviaire et routière entre la Chine et l’Europe
Actuellement les produits chinois, de plus
en plus souvent fabriqués à l’intérieur du pays, doivent déjà rejoindre par le train les grands ports de la côte
Est puis, par bateau, traverser la
mer de Chine, le détroit de Malacca, la mer Rouge, le canal de Suez, la mer
Méditerranée, le détroit de Gibraltar pour rejoindre les grands ports du Nord
de l’Europe (Le Havre, Rotterdam, Hambourg). Ce voyage dure presque 2 mois.
Certains produits rejoignent actuellement l’Europe
par le rail en passant par le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Russie... Chaque
trajet durant plus de 15 jours nécessite trois transbordements car l’écartement
des rails change selon les pays traversés et coûte beaucoup plus cher que les
trajets en bateau ; donc, est prévue :
La construction
d’une voie rapide,
voie ferroviaire doublée d’une autoroute,
les deux, à grande vitesse, sur 11 000
kms. La partie kirghize est déjà construite « à la chinoise » ;
le Kirghizistan étant en grande partie un désert extrêmement venté, les Chinois
ont donc construit le long de cette voie de nombreux parcs éoliens, par exemple celui de Dabancheng : 84
kms de long, 30 de large. Ils sont couverts d’éoliennes, au début, elles ont
été achetées à une entreprise allemande que la Chine a finalement réussi à
racheter. Elle est maintenant
le
numéro 1 mondial pour la construction d’éoliennes.
Cette ouverture de la Chine vers l’Europe
par cette voie terrestre n’est pas encore rentable financièrement mais elle
pourrait le devenir rapidement si, par exemple, les tensions militaires en mer
de Chine perturbaient le trafic maritime. Une telle éventualité est possible si
Pékin concrétisait par exemple ses menaces militaires à l’encontre de Taïwan.
Tous ces grands travaux permettront à la
Chine d’utiliser au mieux les trois surplus fondamentaux du pays :
-
surplus
de devises dues aux excédents commerciaux qui serviront à financer les projets
-
surplus
de productions chinoises (ciments, aciers qui seront consommés dans ces
travaux)
-
surplus
de main d’œuvre qui sera utilisée pour la réalisation de ces travaux
Les milliards investis dans ces Nouvelles Routes
de la Soie profitent, en grande partie, aux entreprises d’Etat chinoises. Loin
de suivre les règles du commerce international, les appels d’offres sont
souvent biaisés, voire inexistants.
Ces cadeaux faits aux pays souvent « en
voie de développement » peuvent, dans un premier temps, paraître
attractifs, les gens de Bogota peuvent prendre le métro. Mais c’est avant tout
le moyen pour la Chine de se placer dans ces pays et d’y importer le modèle sociétal
et idéologique chinois avec tout ce que cela implique, et là certains risquent
de déchanter.
En Chine, pas de syndicats libres, seulement des syndicats d’entreprises à la
botte du Parti Communiste. Pas de droit
de grève (retiré de la Constitution en 1982). Ceux qui osent braver le
pouvoir chinois le paient très cher : arrêtés, emprisonnés, licenciés,
massacrés comme à Tienanmen, et récemment à Hong Kong.
La loi prévoit 50 heures de travail par
semaine mais quasiment tous les ouvriers travaillent selon la formule du 996, c’est-à-dire de 9 h du
matin à 9 h du soir, 6 jours par semaine. Les ouvriers sont fortement incités à
accepter ces heures supplémentaires (cf paragraphe suivant)
Jack Ma ex-patron d’Ali Baba, l’Amazone
chinois, considérait que c’est « une bénédiction pour ces salariés de
travailler 72 h par semaine ».
En Chine, les gens sont notés par le Comité de quartier, selon
leur « civisme » et leurs comportements. Les « bons » citoyens peuvent voyager
à l’intérieur de la Chine, les « très bons » ont le droit de voyager à
l’international (13% de la population), les « mauvais » citoyens ont le droit
de ... rester chez eux ! Ce sont ces mêmes Comités de quartier qui, à Wuhan ont
contrôlé pendant 72 jours la population qui n’avait pas le droit de mettre un
pied en dehors de leur appartement.
En Chine, plus de 600 millions de caméras à reconnaissance faciale sont installées
(même le masque n’empêche pas l’identification de la personne). Les nouveaux
appartements sont équipés de nouvelles serrures électroniques qui transmettent
directement à la police les heures de départ et d’arrivée des occupants...
En Chine, il était interdit à partir de 1980 d’avoir plus d’un enfant. Un
demi-million de fonctionnaires étaient chargés de surveiller l’application de
cette loi. Si la naissance d’un second enfant était constatée, les parents
payaient une forte amende... En 2013, les couples dont l’un des conjoints est
lui-même un enfant unique sont autorisés à avoir 2 enfants. En 2015,
l’autorisation est étendue à tous les couples mariés.
En Chine mieux vaut ne pas faire d’humour
avec les hauts responsables politiques. Ren Zhiqiang, un magnat de l’immobilier
qui avait vertement critiqué le manque de liberté de la Presse, et la manière
dont Xi Jinping avait géré la crise
Covid 19 en déclarant « c’est un
clown » a été exclu du Parti Communiste pour sérieuse violation de la
discipline et de la loi, et « accessoirement » condamné le 22
septembre à 18 ans de prison.
En Chine, les minorités sont « normalisées »
manu militari. Les Tibétains en ont
fait l’expérience. Actuellement, ce sont les
Ouïgours qui « profitent » de ce traitement de choc. La nouvelle voie
ferrée, qui rejoindra l’Europe traverse le territoire de cette minorité
turcophone et musulmane (12 millions de personnes), prévue pour leur apporter «
le bonheur », cette voie ferrée
a surtout servi à acheminer les troupes chinoises pour les mettre au pas.
Actuellement environ 1 million
d’Ouïgours sont parqués dans des Centres de Détention et environ 2 millions sont en Centre de
Rééducation appelés officiellement « Centre de formation
professionnelle ». Sous couvert de la lutte anti-terrorisme, cette mise au pas
a commencé en 2016.
Certains bénéficiaires des cadeaux des
Nouvelles Routes de la Soie commencent d’ailleurs à regretter de les avoir
acceptés, par exemple le Sri Lanka, où la Chine a construit le port en eau
profonde de Hambantota. Elle a financé 85% des 360 millions d’investissement, mais
le Sri Lanka, ne pouvant pas rembourser les 15% restants, s’est vu obligé de
lui céder le port pour 99 ans.
Derrière toutes ces infrastructures « offertes
aux pays en voie de développement », se dissimule l’idéologie chinoise du modèle de Xi Jinping qui veut redonner
à la Chine la place de leader mondial qu’elle a eue pendant des siècles : l’efficacité économique avant tout, au
mépris du respect des Droits de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant.
Jean-Louis Lamboley