Leur monde craque
(éditorial de PES n° 69)
On a toutes les raisons d’être pessimistes vis-à-vis de la conjonction de crises qui s’annoncent en 2021. Au-delà de la gestion catastrophique du Covid 19, on en oublie la mise en cause de l’écosystème planétaire. Pourtant, l’on sait que la déforestation, le saccage des habitats sauvages, sont la source d’apparition de nouveaux virus mais la course folle à l’exploitation de la planète continue. Le dérèglement climatique entraîne la fonte des glaces, le réchauffement des mers et la multiplication de cyclones, d’inondations, notamment dans les deltas. Les climatologues ne sont pas entendus ; ils annoncent, pourtant, que le seuil d’irréversibilité se situerait entre 2025 et 2050. Nous sommes loin en effet, par les politiques mises en œuvre, de pouvoir maintenir le réchauffement à + 1.5 ° par rapport à l’ère du début de l’industrialisation. Ces catastrophes climatiques pourraient entraîner des guerres dites ethniques, du fait même de la croissance démographique dans les pays du Sud, le partage des terres entre nomades et sédentaires risque d’aviver les tensions et leur instrumentalisation. On assisterait, ainsi, à des ethnocides et à des écocides. Il suffit de penser aux dizaines de milliers d’exilés, en particulier les Rohingyas. Les pouvoirs chercheront à culpabiliser les populations pour éviter qu’on mette en cause ce que certains appellent le capitalocène : ce ne sont pas les humains qui sont responsables, c’est la logique du système capitaliste productiviste.
On
en arrive, en effet, à des déclarations qui laissent pantois. Un économiste
libéral étatsunien déclare cyniquement que le système capitaliste aurait
seulement besoin de 20 % de la population. Les 80 % restants, ceux qui ne
comptent pas, pourraient être gérés au minimum, par la production de gadgets au
Nord, la misère au Sud et la répression pour tous. Telle est la logique de la
perpétuation de la mondialisation financière.
Si
l’on réfléchit un tant soit peu aux relations géopolitiques, l’on ne peut que
constater l’accentuation de la concurrence entre les USA et la Chine. Cette
guerre économique et commerciale implique, pour l’impérialisme américain, la
construction médiatique d’un ennemi, le nouveau « péril jaune » et la
montée des replis identitaires ; le nationalisme chauvin a de belles
heures devant lui. Le basculement du monde qui est en train de s’opérer en
faveur de l’Asie inaugure la course sans fin à la mainmise sur les matières
premières, en particulier les terres rares et le pétrole dans les zones
jusqu’ici épargnées (Alaska, Arctique).
L’élection
de Jo Biden aux Etats-Unis ne changera pas grand-chose à cette réalité. Certes,
l’impérialisme US reste la première puissance militaire mondiale ; elle a
de gros bras mais une assise sociale fragile. La fracturation de cette société
inégalitaire tend à prouver, en effet, que ce colosse aux pieds d’argile est
désormais un tigre blessé qui pourrait être d’autant plus agressif.
Quant
à la Chine, elle va continuer sa conquête de parts de marchés et inaugure ainsi
un nouveau colonialisme soft. Nous savons par ailleurs les contradictions et
les ambitions d’un certain nombre de pays, que ce soit la Russie, l’Iran ou la
Corée du Nord qui, pour protéger leurs intérêts, brandissent la bombe atomique,
autrement dit, l’équilibre de la terreur. Il se pourrait que l’administration
américaine s’attaque à un adversaire à sa portée, à savoir l’Union Européenne,
pour accélérer son démembrement ; le jeu d’influences entre les USA, la
Chine et l’Allemagne s’exacerbe déjà. La Chine investit dans certains pays de
l’Est de l’Europe au grand dam de l’Allemagne. Celle-ci, pour tenter de
contenir la pénétration de la Chine, vient de signer un accord unilatéral avec
elle – sans l’UE. Les USA, pour leur part, veulent assujettir l’Allemagne afin
de rééquilibrer leur balance commerciale et de restreindre, par conséquent, la
vente, notamment, d’automobiles allemandes sur le territoire états-unien.
Leur
monde chaotique est insoutenable. Paul Jorion, économiste, anthropologue, l’un
des premiers à avoir annoncé la crise financière de 2007-2008, nous en suggère
l’ampleur : 8 personnes dans le monde, possèdent autant que la moitié de
la population la plus pauvre. Un PDG étatsunien perçoit aujourd’hui, en
moyenne, 450 fois le salaire moyen US, alors que le salaire d’Henri Ford, dans
les années 1950, « n’était que » 10 fois supérieur. Toujours
dans ce pays en déclin, 46 % de l’activité est concentrée dans la finance
spéculative où la richesse et les pouvoirs atteignent des summums. Plus
globalement, une étude de 2011 révélait que 140 entreprises transnationales,
dont 50 sont des banques, accaparaient 50 % des richesses du monde.
Il
est plus que temps que les peuples réalisent que la liberté invoquée est celle
d’exploiter, d’opprimer, de réprimer, de manipuler. Quant à l’égalité, elle
n’est que formelle, c’est le cache-sexe des inégalités grandissantes. Pour les
castes dirigeantes, la fraternité c’est l’entre soi pour défendre leurs
intérêts. Le dilemme posé en son temps par Rosa Luxembourg doit être présent
dans tous les esprits : socialisme ou barbarie ? Leur monde craque, il
s’agit de faire advenir sa transformation où l’entraide et la coopération
prévaudront, avec la fin de l’exploitation capitaliste de la planète.
GD,
le 18.01.2021