Rwanda.
Pays du
miracle quoiqu’il en coûte… ?
Un
petit pays de moins de 12 millions d’habitants, situé dans l‘Est de l’Afrique,
dans la région des Grands Lacs, est considéré aujourd’hui comme la Suisse, ou
le Singapour de ce continent. Sa capitale est un lieu très prisé des
« décideurs », à la pointe de l’innovation, le nouveau « hub »
des grands congrès internationaux. Ce pays, qui connaît une croissance moyenne
depuis l’année 2000 de près de 8%, accueille (accueillait) nombreux touristes
qui venaient contempler les paysages, et observer les animaux sauvages, ou se
recueillir au Mémorial du Génocide.
Ce
pays c’est le RWANDA, sa capitale KIGALI. C’est ce même pays qui
a vécu, en 1994, une tragédie meurtrière. Entre avril et juillet, près
d’un million de personnes y furent systématiquement, méthodiquement, massacrées
en raison de leurs classes sociales (les Tutsis), en raison de leurs actes (les
Hutus modérés qui ont tenté de leur venir en aide). Près d’un million de morts
sur une population d’environ 8 millions !
Le
Rwanda, pays aux mille collines, d’une superficie proche de celle de la
Bretagne, est essentiellement agricole. Son sol volcanique, fertile et son
climat chaud et humide ont toujours favorisé cette activité. On est dans une
région verdoyante loin des déserts sahéliens. Son éloignement des côtes lui a
permis d’échapper à l’esclavage et d’être colonisé assez tardivement.
Ce
sont les Allemands qui arrivent en 1894. Ils y trouvent une
population homogène, vivant plutôt bien des produits de l’agriculture. Tous
parlent la même langue, tous ont les mêmes croyances. Ils font partie du même
groupe ethnique. Des différenciations sociales existent cependant. Les Tutsis,
éleveurs (minoritaires), sont plus riches, et dirigent le pays à travers une
monarchie. Les Hutus, agriculteurs, ne participent pas au pouvoir. Il n’y a pas
de réelle domination des Tutsis envers les Hutus.
Rapidement
c’est la Belgique sous mandat de la SDN (Société des Nations) qui va
coloniser le pays. Pour cela les Belges vont s’appuyer sur les Tutsis et
renforcer leurs pouvoirs. Ils vont surtout créer artificiellement une
différence ethnique là où il n’y avait qu’une différence sociale et ils vont
faire figurer sur les papiers d’identité des rwandais les termes de Tutsi ou de
Hutu. Cette différence qui n’était que sociale va se transformer au fil du
temps en une haine entre les deux communautés, les colonisateurs réservant par
exemple l’accès aux études ou aux postes administratifs aux Tutsis. Tutsi devient alors synonyme de
noble, Hutu de roturier.
Dans les années 50, les Tutsis
étant devenus peut-être « un peu trop » instruits, « un peu trop »
émancipés commencent à parler d’indépendance. Les Belges vont alors renverser
leur alliance et soutenir les Hutus, plus faciles à contrôler. En 1959 une
guerre civile éclate et entraîne le départ en exil de 300 000 Tutsis.
En novembre de cette même année, la majorité Hutu prend le pouvoir avec le
soutien de la Belgique et de l’église catholique.
Le 1er juillet 1962 le pays est indépendant avec, à sa tête,
un gouvernement hutu. Le 1er
août les troupes belges quittent le pays. Dès lors, les Tutsis vont être
systématiquement discriminés avec des pics de violences sporadiques. Par
exemple en décembre 1962, des affrontements entraînent la mort de 10 000 à
20 000 Tutsis.
En 1972, les élèves et les
professeurs tutsis sont expulsés des écoles ce qui entraîne une vague d’exode notamment
en Ouganda où les exilés tutsis vivent avec l’espoir d’un retour et d’une
revanche.
En
1973, Juvenal Habyarimana (hutu) prend le pouvoir. La France signe avec
lui un accord militaire. En 1978, il instaure un régime de parti unique qui
comptera plusieurs millions d’adhérents puisque tous les Rwandais en étaient
membres d’office... ! La situation des Tutsis est bien résumée par le
journaliste Gérard Prunier : « Les Tutsis n’avaient pas la vie
facile car ils étaient victimes de discriminations institutionnelles. Dans la
vie quotidienne la situation restait tolérable, il y avait un accord
tacite : ne vous mêlez pas de politique c’est la prérogative des Hutus.
Tant qu’ils respectaient ce principe on les laissait en paix. »
Dans les années 80 les Tutsis
vont se mêler de politique. Intérieurement, en réclamant un meilleur partage du
pouvoir, extérieurement, en créant le Front Patriotique Rwandais (FPR),
en Ouganda sous la houlette Paul Kagamé. En 1990, le FPR
multiplie les incursions militaires aux frontières du pays. Celles-ci sont
bloquées par l’armée française dans le cadre de l’opération Noroît. Tout est en place pour arriver à
une guerre civile ou des massacres de populations : le pouvoir Hutu, toujours soutenu par la France, de plus en plus
répressif et autoritaire d’une part et d’autre part une armée extérieure Tutsi
de plus en plus organisée, active et « revancharde ».
Il
suffit d’une étincelle. Ce sera le 6 avril 1994 quand l’avion du
Président J. Habyarimana est abattu par un tir de roquettes entrainant sa mort.
On ne sait toujours pas qui a tiré. Mais les Hutus extrémistes ont tout
naturellement désigné les Tutsis comme responsables. Ils vont se venger en
massacrant les Tutsis et également les Hutus modérés qui tentaient de les
protéger. L’armée française et les casques bleus présents ne s’interposeront
pas. L’ONU retire ses troupes. La France
évacue ses ressortissants puis observe,
alors que le pays est le théâtre de massacres généralisés. Presqu’1 million de
personnes vont être tuées sous les yeux des soldats français. Ces massacres
étaient orchestrés, encouragés, organisés par le gouvernement rwandais avec le
soutien de l’Eglise catholique. Le 23 juin, la France mandatée par l’ONU lance
l’opération Turquoise. Celle-ci
consiste à créer une zone humanitaire dans le sud-ouest du pays, censée protéger
les rescapés Tutsis mais va également, et surtout, permettre aux génocidaires
Hutus de fuir le pays face à l’avancée du FPR. Celui-ci prend le pouvoir à
Kigali le 4 juillet. 2 millions de réfugiés fuient au Zaïre, l’actuelle
République Démocratique du Congo. Le Rwanda est dévasté, presque 1 million
de morts, 2 millions d’exilés sur une population de moins de 8 millions
d’habitants. La reconnaissance par l’ONU du crime de génocide donnera lieu
en novembre 1994 à la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda
qui siègera en Tanzanie. Pierre Hazan,
spécialiste de la justice internationale et de l’action humanitaire, résume
l’action du TPIR en ces termes : « c’est le plus grand
fiasco de la justice internationale ». Les accusés sont beaucoup
mieux traités que les victimes, il y aura très peu de condamnations, et la France semble bien être devenue un havre de paix pour nombre de génocidaires.
Au Rwanda, dans chaque famille, dans chaque village vont devoir cohabiter des
assassins et des parents de victimes.
Tout
laissait à penser que ces derniers allaient se venger et enclencher un nouveau
cycle de violences. Pourtant cela ne s’est pas produit. Les femmes
rwandaises ont pris une grande part dans cette réconciliation nationale et
dans la reconstruction du pays, les morts du génocide étant majoritairement des
hommes. Et puis, après avoir atteint un tel niveau d’horreurs, le besoin de
revivre pacifiquement a certainement pris le pas sur le désir de vengeance.
Paul Kagamé, l’homme fort du nouveau régime a pris sa part dans cette
pacification puisqu’il supprimera les termes de Tutsi et Hutu sur les cartes
d’identité. Il tournera le dos à la France, accusant celle-ci d’avoir été
complice du génocide et rendra l’anglais, langue officielle du pays.
Le
Rwanda connait à partir de cette époque une modernisation spectaculaire. Quelques chiffres : depuis 2000
quasiment 8% de croissance annuelle, 96 % de la population ont accès à la 4G,
la capitale est entièrement reliée à la fibre optique… Le 27 février 2019, le
Rwanda lance un satellite depuis la base de Kourou en Guyane française pour
connecter les écoles rurales à internet, 92% de la population disposent d’une
« couverture maladie publique ». A Kigali, on paie les transports en
commun avec son téléphone portable, le pays dispose d’un réel réseau routier en
bon état. Concernant la santé, les infrastructures, l’organisation dans les
zones urbaines est proche des standards européens. C’est le seul pays au monde
où les femmes sont majoritaires au Parlement : 64 %. Certes celui-ci n’a
pas un rôle principal dans le fonctionnement du pays, c’est Paul Kagamé qui le
dirige, mais on n’a guère de leçons à donner en matière de démocratie
parlementaire !
Pour
une fois que des bonnes nouvelles viennent d’Afrique, on ne va pas bouder notre
plaisir… !
Pourtant
le tableau n’est pas aussi parfait
qu’il n’y paraît. La modernisation et l’amélioration des conditions de vie des
habitants ne touchent pas toutes les couches de la population, la communauté
paysanne Hutu par exemple est en dehors des effets du progrès. Kigali est un exemple
frappant. C’est une ville moderne, propre, sûre, où les bidonvilles ont été
rasés, mais les gens pauvres qui y vivaient, ont été « priés » de
disparaître du paysage. Ils ont été remplacés par une classe sociale plus
élevée. Un samedi par mois, les habitants de Kigali doivent nettoyer la ville.
C’est un travail bénévole et obligatoire.
Mais
surtout, cette évolution ne repose pas sur une base démocratique. Le pouvoir
est entre les mains d’un homme et d’un clan et pour arriver à leurs objectifs :
pas de discussion, pas de concertation, pas d’explication, Paul Kagamé décide
et les Rwandais sont priés d’exécuter ! Ce dernier par un référendum de
2015 s’est autorisé à exercer le pouvoir jusqu’à 2034. Amnesty International note que « les médias sont
fortement réprimés, les journalistes emprisonnés, harcelés, parfois assassinés,
ou contraints à l’exil ». En 201O, les deux journaux indépendants
du pays ont été suspendus de parution pour critique du régime. Le rédacteur en
chef de l’un des deux a été retrouvé… tué par balles. Amnesty décrie également « un manque évident
d’opposition politique, des dérives répressives du pouvoir, par exemple
l’assassinat de l’opposant Jean Damascene Habarugira le 11 mai 2017. Depuis que
le FPR est au pouvoir, il est difficile aux Rwandais de participer à la vie
publique et de critiquer les politiques gouvernementales, certains le paient de
leur vie... »
A
écouter les autorités rwandaises ce pays est devenu un paradis sur terre.
Certes, par rapport à la situation de 1994, il n’y a aucune comparaison. Beaucoup
de Maliens, de Guinéens ou de Soudanais aimeraient y vivre. Mais reposant
seulement sur un homme et son clan, sur une répression féroce de toutes
oppositions, et pas sur une organisation démocratique du pays, c’est une
situation extrêmement précaire et instable.
Ces
« bonnes » nouvelles dissimulent une réalité bien plus sombre. Seule
une véritable participation de l’ensemble du peuple rwandais dans un cadre
réellement démocratique pourra assurer à ce pays et à sa population un avenir
meilleur.
Et
au Rwanda aujourd’hui, on en est encore très très loin… !
Jean-Louis
Lamboley
le
24.01.2021
Encart
La France
complice du génocide
« Dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas
très important ». Cette phrase du président Mitterrand, en 1994,
résume le mépris et le cynisme de la politique française en Afrique. En cessant
de soutenir son allié rwandais, la France risquait de perdre pied dans ce pays
aux portes du Zaïre (devenu RDC) et de ses richesses minières. Elle apporta donc son soutien au pouvoir rwandais.
Les intérêts géopolitiques de la France et sa fidélité à ses alliés,
fussent-ils des régimes autoritaires et criminels, furent les priorités de
l’engagement français. Elles le sont toujours dans d’autres pays africains que
la France considère comme son pré-carré, la Françafrique, dénoncée par
l’association Survie depuis plus de 30
ans.
Agone éditions et Survie viennent de publier : « l’Etat français et le génocide des Tutsis au
Rwanda », de Raphaël Doridant et François Graner. Ils affirment :
« La complicité d’un petit groupe de
décideurs français (Mitterrand et quelques militaires proches), qui ont soutenu
des génocidaires en connaissance de cause, nous paraît avérée ».
Survie, la FIDH, la LDH sont partie civile dans 4 actions concernant le
génocide, ont déposé des plaintes mais le secret-défense est bien gardé…
Macron, qui avait promis (tout comme Hollande qui ne l’a pas fait) l’ouverture
des archives, vient, en partie, de faire marche arrière. http://survie.org