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vendredi 29 janvier 2021

 

Liberté pour Julian Assange

Chronique intempestive

 

Son nom s’écrie « Liberté ! », c’est un cri pour lui et pour notre liberté de savoir. Il a œuvré, au temps des illusions de l’internet libre, avant que cet instrument ne soit phagocyté par les GAFA. Emprisonné illégalement depuis des lustres, son cas est traité par les médias dominants, dans un silence assourdissant. Comme aux temps reculés de la féodalité, les Etats-Unis veulent le jeter dans un cul de basse fosse, aux oubliettes, pour ne plus entendre les révélations dont il nous a nourris pour résister aux guerres illégales. Comme lors de l’avènement de la Commune de Paris, il est à l’image de Blanqui, « l’enfermé », traité pire qu’un criminel. Encore faut-il rappeler que les nazis ont eu droit à un procès à Nuremberg, procès public avec droit à la défense, comme Eichmann. Si Julian Assange est enfermé à vie, c’est une nouvelle affaire Dreyfus, propre à notre époque liberticide qui s’annonce.

 

Mais, qui est donc Julian Assange ?

 

C’est d’abord un génie informatique, un pacifiste qui entend dénoncer les mensonges d’Etat, comme les armes de destruction massive qu’aurait possédées Saddam Hussein, ou l’opération Fer à Cheval permettant la guerre menée par l’OTAN en Yougoslavie. Mais ses révélations vont bien au-delà, elles concernent la corruption, dans laquelle nagent les gouvernements, les marchands d’armes, ainsi que les pratiques d’assassinats ciblés, y compris de journalistes.

 

Cet Australien crée le système Wikileaks, fonde une société en Islande, sur le conseil d’Eva Joly. Wikileaks est un système informatique crypté garantissant l’anonymat aux lanceurs d’alerte. Les documents produits sont vérifiés par un réseau d’une centaine de journalistes qui en examinent le contenu et expurgent tout ce qui concerne la vie intime. Julian Assange crée, par ailleurs, un partenariat avec la presse, les documents fournis sont gratuits. Dix ans plus tard, lorsqu’il sera emprisonné, les milliardaires possédant ces journaux imposent la censure à leurs rédacteurs. Julian Assange n’est plus une « bonne affaire » qui fait vendre.

 

Les motivations de Julian Assange sont claires : contre la désinformation, la manipulation, la surveillance globale, il met en lumière le fonctionnement réel des gouvernements : face au « secret-défense », pour lui, « la vérité est sacrée ». Elle est susceptible, pour lui, d’empêcher les guerres.

 

Les révélations de Julian Assange et les ripostes du gouvernement US

 

Parmi les nombreux documents fournis, les guerres illégales en Afghanistan et en Irak, sans autorisation de l’ONU, sont révélées, tout comme la collusion de Tony Blair avec le grand-frère américain. Bilan : 1,5 million de victimes afghanes et autant en Irak. A quoi il faut ajouter les assassinats ciblés de civils et de journalistes, qu’Obama et les agents israéliens ont perpétrés. Ces crimes de guerre, voire ces crimes contre l’Humanité, pointent du doigt les humiliations, les  tortures, les prisons secrètes, en dehors de Guantanamo. Ce qui va provoquer l’ire du gouvernement américain, ce sont les documents prouvant les manigances menées par Hilary Clinton pour évincer Bernie Sanders, avec l’appui de l’appareil démocrate, lors de la présidentielle l’opposant à Trump. Les accusations portées contre Julian Assange, affirmant qu’il agissait comme un agent russe, ne pourront étouffer les déclarations publiées d’Hilary Clinton, voulant porter la guerre contre l’Iran, tout en reconnaissant que l’Arabie Saoudite et le Qatar financent les terroristes en Syrie. 

 

Face à ces millions de documents publiés, on oppose souvent le cas de Bradley/Chelsea Manning qui n’aurait pas été protégé par le système Wikileaks. C’est faux. En fait, ce soldat US, avant de confier ses documents à Wikileaks, les a transmis au New York Times et au Washington Post, qui ont refusé de les publier, puis s’est confié à un hacker qui n’était autre qu’un agent de la CIA. Résultat : il a été condamné et emprisonné.

 

La riposte américaine s’est faite en deux temps : d’abord, par la nomination de 12 agents US, spécialistes en informatique, chargés de détruire le système Wikileaks. Ce fut un échec technique : inviolable ou trop long à décoder. Le second scénario s’est révélé à la fois plus cynique et plus rocambolesque. Il s’agissait, non plus de s’en prendre au système mais à son créateur, afin de casser sa notoriété et, par voie de conséquence, de décourager et intimider les lanceurs d’alerte, permettant ainsi de tarir les sources. Il s’agissait d’obtenir son extradition afin de pouvoir l’incarcérer ad vitam aeternam aux USA. L’opportunité saisie consistait en une fausse affaire de viol : un procureur suédois s’est servi des confidences de deux femmes qui s’inquiétaient de la possibilité d’avoir contracté le Sida, suite à des rapports consentis avec Julian Assange, Précisons que la législation suédoise considère que les rapports consentis non protégés sont un « viol mineur ». En fait, les deux femmes n’ont jamais porté plainte et ont refusé de signer un PV préparé. Malgré cela, un mandat d’arrêt fut délivré par le procureur. Julian Assange, sentant le piège d’une extradition, alors même qu’il était en Grande-Bretagne, refusa de se déplacer en Suède. Le procureur avait tout loisir de se déplacer à Londres pour entendre le témoignage de Julian Assange. La collusion avec la justice anglaise fut ensuite manifeste : il fut placé en liberté surveillée, assigné à résidence, toute liberté de mouvement lui fut interdite. Dans le même temps, une campagne de presse occidentale fut orchestrée, ce journaliste renommé, ce « génie » informatique fut réduit à l’état de « sale type », de « pédophile », le Guardian le traitera même « d’étron ».      

 

De l’asile politique accordé puis bafoué

 

L’étau se resserrait. Julian Assange se réfugia donc à l’ambassade d’Equateur, l’asile politique lui fut accordé par le président Correa. Invoquant sa maladie et donc, la possibilité de recourir à un couloir humanitaire, comme en avait bénéficié Pinochet, en son temps ( !),il essuya un refus catégorique. En avril 2017, eut lieu en Equateur un changement de gouvernement pro-américain. Le nouveau personnel au sein de l’ambassade eut pour consigne de lui pourrir la vie ; Un système de caméras-vidéos enregistrant ses faits et gestes 24H/24, y compris lors des visites de ses avocats, fut installé par une société fantôme, derrière laquelle se cachait la CIA ; des journalistes révélèrent que son siège à Quito était vide.

Quelque temps plus tard, il fut extirpé manu militari de l’ambassade pour être enfermé dans une prison de Haute Sécurité britannique, appelée le « petit Guantanamo », réservée aux assassins en série. Ses affaires furent confisquées et pendant 8 mois, il n’eut aucun contact avec ses avocats.

L’accusation était ténue : en se réfugiant à l’ambassade équatorienne, il s’était soustrait à la justice britannique.         

 

 Arsenal juridique US et soutiens à Julian Assange

 

C’est Obama qui mobilisa de nombreux juristes pour dissocier la liberté de la presse, dont avait usé nombre de journaux, dont le New York Times, d’avec la mise en cause de Julian Assange. Il n’était qu’un pirate, un hacker, un espion, un violeur. La campagne de presse contre ce « personnage » fut orchestrée par les médias, aux mains de la finance.  Ces éléments de langage diffusés pendant 10 ans jetaient la suspicion, oblitérant le droit de savoir invoqué par Julian Assange. Les juristes patentés expurgèrent une vieille loi jamais utilisée, l’Espionnage Act de 1917 qui visait les objecteurs de conscience refusant l’incorporation dans les armées. Cette loi liberticide restreint les droits de la défense et pour éviter toute démoralisation de l’armée, elle interdit aux prévenus de présenter leurs motivations.

Mais l’arme ultime reste la loi d’extraterritorialité de la justice américaine, acceptée par de nombreux gouvernements, notamment occidentaux. Selon cette loi « totalitaire », Julian Assange risque 175 ans de prison en Quartier de Haute Sécurité, assortis de mesures spéciales : pas d’accès aux médias et un seul coup de fil par mois de 15 minutes adressé à une liste restreinte de personnes, dont la famille. Il serait jugé par une cour spéciale composée uniquement de militaires et d’agents de la CIA, sans possibilité d’appel.

 

A ce stade, on peut noter les incroyables pressions exercées sur les gouvernements européens, leur subordination fut éloquente face à une équipe de 120 agents parcourant les pays européens. Mike Pompeo, le faucon belliciste de Trump, se déplaça d’ailleurs personnellement en Suisse, menaçant : « Ne vous avisez pas de donner l’asile politique à Julian Assange ». Auparavant, les mêmes pressions avaient été exercées sur la Suède, pour renouveler les enquêtes préliminaires sur les supposés viols, alors que le dossier était vide, avant, qu’enfin, l’affaire ne soit classée sans suite.

 

Julian Assange n’est pas seul. Il a le soutien des fédérations de syndicats de journalistes, y compris anglais, d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de Reporters sans frontières. De nombreuses pétitions appelant à sa libération ont été signées par des milliers d’avocats, de juristes, de journalistes, d’artistes, tels que Ken Loach, Oliver Stone, John Pilger… Ils dénoncent tous la torture psychologique infligée à Julian Assange et qualifient cette opération de crime contre l’Humanité. Mais ils furent tous marginalisés, voire censurés : ces voix, on ne voulait pas les entendre.   

 

Le procès

 

Pour la justice britannique, il s’agissait d’extrader « l’incriminé » et d’éviter le plus possible les manifestations de soutien. Ainsi, le procès fut déporté hors de Londres, dans un no man’s land difficile d’accès, truffé de check points. 50 ONG, dont Reporters sans Frontières et Amnesty International, furent interdites d’accès ; toutefois, une salle annexe fut installée, munie d’une vidéo qui s’avéra défectueuse (interruptions du son, puis de l’image…). C’est le 7 septembre 2020 que se tint ce procès politique bâillon, kafkaïen. Julian Assange fut présenté dans une cage de verre avec l’impossibilité de se concerter avec ses avocats.

Les accusations américaines transmises au procureur et aux avocats s’avérèrent changeantes jusqu’au dernier moment, pour déstabiliser la défense. Furent invoqués successivement le grand banditisme international puis l’espionnage, la trahison du secret-défense (alors même qu’aucun document n’avait été livré à une puissance étrangère mais au public…), mise en danger de vies humaines…   

Au cours de l’audience, 4 heures furent réservées à l’accusation, une seule heure pour la défense. Les avocats, scandalisés, eurent néanmoins une bonne surprise : le témoignage de Daniel Ellsberg, 80 ans, (ex-fonctionnaire US - 1er lanceur d’alerte, transmit au New York Times puis au Washington Post, en 1971, pour publication, les Pentagone Papers relatifs au processus de décision au cours de la guerre du Vietnam) déclara : « Ce que j’ai fait, c’est ce que Julian Assange a fait, moi avec du papier, lui avec la technologie ».

Malgré les précautions prises par le gouvernement britannique, l’affaire s’ébruita dans les médias. Magnanime !! Le tribunal refusa l’extradition pour des motifs humanitaires et remit l’intéressé dans sa prison de Haute Sécurité, où 70 % des détenus ont le Covid. Dernière nouvelle : la justice étatsunienne a décidé de faire appel.  Quant à la demande des avocats de sa mise en liberté, elle fut à nouveau refusée au motif que Julian Assange ne peut être libéré puisqu’il n’est pas condamné !   

 

Eléments de conclusion

 

Le seul « crime » de Julian Assange est d’avoir osé transgresser un tabou : révéler ce que les puissants trament dans l’ombre contre les peuples, les manigances des spéculateurs bénéficiant des paradis fiscaux, ce qui lui vaut plus de 10 ans sans voir le soleil. Il est à l’image du courageux Edward Snowden, réfugié en Russie, après avoir dénoncé la surveillance globale pratiquée par la NSA. On se souvient que, même le téléphone portable de Merkel était espionné, ce qui fit dire à Eva Joly « l’œil et l’oreille de la CIA sont partout ».

Une autre leçon peut être tirée de cette affaire : la complicité incroyable entre gouvernements, procureurs, presse. Tout doit être justifié jusqu’à l’injustifiable par des journalistes embarqués (guerre en Irak) ou par des journalistes prompteurs qui, pour se dédouaner, invoqueront leur neutralité, cette déontologie de bazar qui les rend complices.

A l’heure du déclin relatif de l’impérialisme US, les nouvelles technologies et l’extraterritorialité de la justice américaine, s’appuyant sur la suprématie du dollar, tentent d’asphyxier les gouvernements récalcitrants à l’aide de sanctions pharaoniques et d’embargos unilatéraux (Cuba, Venezuela, Iran…).

Comme le déclare Viktor Dedaj (avocat) : « la justice états-unienne est un instrument de pouvoir pas de justice, tout est affaire de négoce » et de chantages.

La restriction des libertés et du droit de savoir a bien des adeptes en France avec la loi « Sécurité globale ». Quant à la presse dominante, bien docile, elle se contente d’être un commentateur du prêt-à-penser.

 

Gérard Deneux, le 22 janvier 2021

 

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les sources sur youtube : Le grand soir interview de Viktor Dedaj et le canard réfractaire