Liberté pour Julian Assange
Chronique
intempestive
Son
nom s’écrie « Liberté ! », c’est un cri pour lui et pour notre
liberté de savoir. Il a œuvré, au temps des illusions de l’internet libre,
avant que cet instrument ne soit phagocyté par les GAFA. Emprisonné
illégalement depuis des lustres, son cas est traité par les médias dominants,
dans un silence assourdissant. Comme aux temps reculés de la féodalité, les
Etats-Unis veulent le jeter dans un cul de basse fosse, aux oubliettes, pour ne
plus entendre les révélations dont il nous a nourris pour résister aux guerres
illégales. Comme lors de l’avènement de la Commune de Paris, il est à l’image
de Blanqui, « l’enfermé », traité pire qu’un criminel. Encore faut-il
rappeler que les nazis ont eu droit à un procès à Nuremberg, procès public avec
droit à la défense, comme Eichmann. Si Julian Assange est enfermé à vie, c’est
une nouvelle affaire Dreyfus, propre à notre époque liberticide qui s’annonce.
Mais, qui
est donc Julian Assange ?
C’est
d’abord un génie informatique, un pacifiste qui entend dénoncer les mensonges
d’Etat, comme les armes de destruction massive qu’aurait possédées Saddam
Hussein, ou l’opération Fer à Cheval permettant la guerre menée par l’OTAN en
Yougoslavie. Mais ses révélations vont bien au-delà, elles concernent la
corruption, dans laquelle nagent les gouvernements, les marchands d’armes,
ainsi que les pratiques d’assassinats ciblés, y compris de journalistes.
Cet
Australien crée le système Wikileaks, fonde une société en Islande, sur le
conseil d’Eva Joly. Wikileaks est un système informatique crypté garantissant
l’anonymat aux lanceurs d’alerte. Les documents produits sont vérifiés par un
réseau d’une centaine de journalistes qui en examinent le contenu et expurgent
tout ce qui concerne la vie intime. Julian Assange crée, par ailleurs, un
partenariat avec la presse, les documents fournis sont gratuits. Dix ans plus
tard, lorsqu’il sera emprisonné, les milliardaires possédant ces journaux
imposent la censure à leurs rédacteurs. Julian Assange n’est plus une
« bonne affaire » qui fait vendre.
Les
motivations de Julian Assange sont claires : contre la désinformation, la
manipulation, la surveillance globale, il met en lumière le fonctionnement réel
des gouvernements : face au « secret-défense », pour lui,
« la vérité est sacrée ».
Elle est susceptible, pour lui, d’empêcher les guerres.
Les
révélations de Julian Assange et les ripostes du gouvernement US
Parmi
les nombreux documents fournis, les guerres illégales en Afghanistan et en Irak,
sans autorisation de l’ONU, sont révélées, tout comme la collusion de Tony
Blair avec le grand-frère américain. Bilan : 1,5 million de victimes
afghanes et autant en Irak. A quoi il faut ajouter les assassinats ciblés de
civils et de journalistes, qu’Obama et les agents israéliens ont perpétrés. Ces
crimes de guerre, voire ces crimes contre l’Humanité, pointent du doigt les
humiliations, les tortures, les prisons
secrètes, en dehors de Guantanamo. Ce qui va provoquer l’ire du gouvernement
américain, ce sont les documents prouvant les manigances menées par Hilary
Clinton pour évincer Bernie Sanders, avec l’appui de l’appareil démocrate, lors
de la présidentielle l’opposant à Trump. Les accusations portées contre Julian
Assange, affirmant qu’il agissait comme un agent russe, ne pourront étouffer
les déclarations publiées d’Hilary Clinton, voulant porter la guerre contre
l’Iran, tout en reconnaissant que l’Arabie Saoudite et le Qatar financent les
terroristes en Syrie.
Face
à ces millions de documents publiés, on oppose souvent le cas de Bradley/Chelsea
Manning qui n’aurait pas été protégé par le système Wikileaks. C’est faux. En
fait, ce soldat US, avant de confier ses documents à Wikileaks, les a transmis
au New York Times et au Washington Post, qui ont refusé de les publier, puis
s’est confié à un hacker qui n’était autre qu’un agent de la CIA. Résultat :
il a été condamné et emprisonné.
La
riposte américaine s’est faite en deux temps : d’abord, par la nomination
de 12 agents US, spécialistes en informatique, chargés de détruire le système
Wikileaks. Ce fut un échec technique : inviolable ou trop long à décoder.
Le second scénario s’est révélé à la fois plus cynique et plus rocambolesque. Il
s’agissait, non plus de s’en prendre au système mais à son créateur, afin de
casser sa notoriété et, par voie de conséquence, de décourager et intimider les
lanceurs d’alerte, permettant ainsi de tarir les sources. Il s’agissait
d’obtenir son extradition afin de pouvoir l’incarcérer ad vitam aeternam aux
USA. L’opportunité saisie consistait en une fausse affaire de viol : un
procureur suédois s’est servi des confidences de deux femmes qui s’inquiétaient
de la possibilité d’avoir contracté le Sida, suite à des rapports consentis
avec Julian Assange, Précisons que la législation suédoise considère que les
rapports consentis non protégés sont un « viol mineur ». En fait, les
deux femmes n’ont jamais porté plainte et ont refusé de signer un PV préparé. Malgré
cela, un mandat d’arrêt fut délivré par le procureur. Julian Assange, sentant
le piège d’une extradition, alors même qu’il était en Grande-Bretagne, refusa
de se déplacer en Suède. Le procureur avait tout loisir de se déplacer à
Londres pour entendre le témoignage de Julian Assange. La collusion avec la
justice anglaise fut ensuite manifeste : il fut placé en liberté
surveillée, assigné à résidence, toute liberté de mouvement lui fut interdite.
Dans le même temps, une campagne de presse occidentale fut orchestrée, ce
journaliste renommé, ce « génie » informatique fut réduit à l’état de
« sale type », de « pédophile », le Guardian le traitera
même « d’étron ».
De l’asile
politique accordé puis bafoué
L’étau
se resserrait. Julian Assange se réfugia donc à l’ambassade d’Equateur, l’asile
politique lui fut accordé par le président Correa. Invoquant sa maladie et
donc, la possibilité de recourir à un couloir humanitaire, comme en avait
bénéficié Pinochet, en son temps ( !),il essuya un refus catégorique. En
avril 2017, eut lieu en Equateur un changement de gouvernement pro-américain. Le
nouveau personnel au sein de l’ambassade eut pour consigne de lui pourrir la
vie ; Un système de caméras-vidéos enregistrant ses faits et gestes
24H/24, y compris lors des visites de ses avocats, fut installé par une société
fantôme, derrière laquelle se cachait la CIA ; des journalistes révélèrent
que son siège à Quito était vide.
Quelque
temps plus tard, il fut extirpé manu militari de l’ambassade pour être enfermé
dans une prison de Haute Sécurité britannique, appelée le « petit Guantanamo »,
réservée aux assassins en série. Ses affaires furent confisquées et pendant 8
mois, il n’eut aucun contact avec ses avocats.
L’accusation
était ténue : en se réfugiant à l’ambassade équatorienne, il s’était soustrait
à la justice britannique.
Arsenal juridique US et soutiens à Julian
Assange
C’est
Obama qui mobilisa de nombreux juristes pour dissocier la liberté de la presse,
dont avait usé nombre de journaux, dont le New York Times, d’avec la mise en
cause de Julian Assange. Il n’était qu’un pirate, un hacker, un espion, un
violeur. La campagne de presse contre ce « personnage » fut
orchestrée par les médias, aux mains de la finance. Ces éléments de langage diffusés pendant 10
ans jetaient la suspicion, oblitérant le
droit de savoir invoqué par Julian Assange. Les juristes patentés
expurgèrent une vieille loi jamais utilisée, l’Espionnage Act de 1917 qui
visait les objecteurs de conscience refusant l’incorporation dans les armées.
Cette loi liberticide restreint les droits de la défense et pour éviter toute
démoralisation de l’armée, elle interdit aux prévenus de présenter leurs
motivations.
Mais
l’arme ultime reste la loi d’extraterritorialité de la justice américaine,
acceptée par de nombreux gouvernements, notamment occidentaux. Selon cette loi
« totalitaire », Julian Assange risque 175 ans de prison en Quartier
de Haute Sécurité, assortis de mesures spéciales : pas d’accès aux médias
et un seul coup de fil par mois de 15 minutes adressé à une liste restreinte de
personnes, dont la famille. Il serait jugé par une cour spéciale composée
uniquement de militaires et d’agents de la CIA, sans possibilité d’appel.
A
ce stade, on peut noter les incroyables pressions exercées sur les
gouvernements européens, leur subordination fut éloquente face à une équipe de
120 agents parcourant les pays européens. Mike Pompeo, le faucon belliciste de
Trump, se déplaça d’ailleurs personnellement en Suisse, menaçant : « Ne vous avisez pas de donner l’asile
politique à Julian Assange ». Auparavant, les mêmes pressions avaient
été exercées sur la Suède, pour renouveler les enquêtes préliminaires sur les
supposés viols, alors que le dossier était vide, avant, qu’enfin, l’affaire ne
soit classée sans suite.
Julian
Assange n’est pas seul. Il a le soutien des fédérations de syndicats de
journalistes, y compris anglais, d’Amnesty International, de Human Rights
Watch, de Reporters sans frontières. De nombreuses pétitions appelant à sa
libération ont été signées par des milliers d’avocats, de juristes, de journalistes,
d’artistes, tels que Ken Loach, Oliver Stone, John Pilger… Ils dénoncent tous
la torture psychologique infligée à Julian Assange et qualifient cette
opération de crime contre l’Humanité. Mais ils furent tous marginalisés, voire
censurés : ces voix, on ne voulait pas les entendre.
Le procès
Pour
la justice britannique, il s’agissait d’extrader « l’incriminé » et d’éviter
le plus possible les manifestations de soutien. Ainsi, le procès fut déporté
hors de Londres, dans un no man’s land difficile d’accès, truffé de check
points. 50 ONG, dont Reporters sans Frontières et Amnesty International, furent
interdites d’accès ; toutefois, une salle annexe fut installée, munie
d’une vidéo qui s’avéra défectueuse (interruptions du son, puis de l’image…).
C’est le 7 septembre 2020 que se tint ce procès
politique bâillon, kafkaïen. Julian Assange fut présenté dans une cage de
verre avec l’impossibilité de se concerter avec ses avocats.
Les
accusations américaines transmises au procureur et aux avocats s’avérèrent
changeantes jusqu’au dernier moment, pour déstabiliser la défense. Furent
invoqués successivement le grand banditisme international puis l’espionnage, la
trahison du secret-défense (alors même qu’aucun document n’avait été livré à
une puissance étrangère mais au public…), mise en danger de vies humaines…
Au
cours de l’audience, 4 heures furent réservées à l’accusation, une seule heure
pour la défense. Les avocats, scandalisés, eurent néanmoins une bonne
surprise : le témoignage de Daniel Ellsberg, 80 ans, (ex-fonctionnaire US
- 1er lanceur d’alerte, transmit au New York Times puis au Washington
Post, en 1971, pour publication, les Pentagone
Papers relatifs au processus de décision au cours de la guerre du Vietnam) déclara :
« Ce que j’ai fait, c’est ce que
Julian Assange a fait, moi avec du papier, lui avec la technologie ».
Malgré
les précautions prises par le gouvernement britannique, l’affaire s’ébruita
dans les médias. Magnanime !! Le tribunal refusa l’extradition pour des
motifs humanitaires et remit l’intéressé dans sa prison de Haute Sécurité, où
70 % des détenus ont le Covid. Dernière nouvelle : la justice étatsunienne
a décidé de faire appel. Quant à la
demande des avocats de sa mise en liberté, elle fut à nouveau refusée au
motif que Julian Assange ne peut être libéré puisqu’il n’est pas
condamné !
Eléments de
conclusion
Le
seul « crime » de Julian Assange est d’avoir osé transgresser un
tabou : révéler ce que les puissants trament dans l’ombre contre les
peuples, les manigances des spéculateurs bénéficiant des paradis fiscaux, ce
qui lui vaut plus de 10 ans sans voir le soleil. Il est à l’image du courageux
Edward Snowden, réfugié en Russie, après avoir dénoncé la surveillance globale
pratiquée par la NSA. On se souvient que, même le téléphone portable de Merkel
était espionné, ce qui fit dire à Eva Joly « l’œil et l’oreille de la CIA sont partout ».
Une
autre leçon peut être tirée de cette affaire : la complicité incroyable
entre gouvernements, procureurs, presse. Tout doit être justifié jusqu’à
l’injustifiable par des journalistes embarqués (guerre en Irak) ou par des
journalistes prompteurs qui, pour se dédouaner, invoqueront leur neutralité,
cette déontologie de bazar qui les rend complices.
A
l’heure du déclin relatif de l’impérialisme US, les nouvelles technologies et
l’extraterritorialité de la justice américaine, s’appuyant sur la suprématie du
dollar, tentent d’asphyxier les gouvernements récalcitrants à l’aide de
sanctions pharaoniques et d’embargos unilatéraux (Cuba, Venezuela, Iran…).
Comme
le déclare Viktor Dedaj (avocat) : « la justice états-unienne est un instrument de pouvoir pas de justice,
tout est affaire de négoce » et de chantages.
La
restriction des libertés et du droit de savoir a bien des adeptes en France
avec la loi « Sécurité globale ». Quant à la presse dominante, bien
docile, elle se contente d’être un commentateur du prêt-à-penser.
Gérard
Deneux, le 22 janvier 2021
Pour
en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les sources sur youtube : Le grand soir interview de Viktor Dedaj
et le canard réfractaire