Au nom de la démocratie
Pour poursuivre la réflexion entamée par Jérôme
sur les questions de la représentativité des élus et de leurs compétences, il
s’agit de définir ce que pourrait être la démocratie réelle, voire directe, que
pose son article. S’il est vrai que sélectionner les candidats que l’on n’a pas
choisis, qui d’ailleurs ont de moins en moins de programme, est illusoire. S’il
est sûr également que les élections confèrent, comme par miracle, une « compétence »,
la question essentielle, me semble-t-il, est de savoir quels intérêts défendent
ceux qui prétendent nous représenter. Par ailleurs, le pouvoir de certains élus
et des baronnies dont ils disposent démontrent bien que le système de
l’élection parlementaire possède un caractère aristocratique tel que Sieyès le
définissait : le « peuple » ne doit pas s’intéresser aux
affaires de l’Etat. Cette injonction se matérialise par le coût du processus
électoral. Les partis, les candidats doivent disposer de capitaux, recourir à
des emprunts pour mener campagne, se hisser sur la scène électorale et
médiatique. Cette « démocratie » opère, par conséquent, une sélection
par l’argent, une véritable censure imposée aux classes ouvrières et
populaires. A cette réalité, il faut ajouter que la bureaucratie d’Etat et les
prétendants au pouvoir qui sortent de l’ENA baignent dans une pensée
néo-libérale qui n’admet aucune objection à son idéologie : il n’y a pas
d’alternative (Margaret Thatcher), il n’y a pas de démocratie en dehors des
traités européens (Wolfgang Schäuble).
Toutefois, si on se place au-delà des promesses
électorales et si l’on invoque la possibilité de contrôle du mandat qui est
donné et de révocation des élus, on commence à changer, dès lors, le système de
représentation actuel qui entend tout décider à notre place. Ceci dit, il faut insister
sur le fait que la 5ème République, cette monarchie dite
républicaine, est aujourd’hui à bout de souffle. Les partis politiques
dominants, partageant largement les options d’un capitalisme libéralisé et
financiarisé, sont aujourd’hui de plus en plus discrédités. A preuve les
abstentions de plus en plus importantes et le règne d’une statocratie qui a
pris le relais permettant aux hauts fonctionnaires de passer impunément du
public au privé et vice-versa.
Plus qu’hier, l’appareil d’Etat est une machine
étrangère à la « société » : la haute administration, la
justice, la police, ne servent que le pouvoir dominant où l’on continue de
parler de démocratie alors même que son absence est patente.
En effet, la démocratie « réelle »
signifierait, pour le moins, que la souveraineté populaire puisse s’exercer,
non pas à partir de trombinoscopes mais vis-à-vis de choix réels. Aux questions
suivantes, l’ensemble du « peuple » devrait pouvoir répondre :
que produire ? Pour satisfaire quels besoins ? y compris pour
maintenir une planète durable ? Comment produire ? Ce qui pose
immédiatement d’autres problèmes comme ceux des conditions de travail et de la
complémentarité des entreprises. Il est dès lors possible de pointer la réalité
d’une démocratie inexistante dans les entreprises et les bureaux. En outre,
dans les pays dits développés, des modifications importantes se sont produites,
des activités se sont concentrées dans de grandes conurbations, désertifiant la
périphérie. Il faudra bien s’attaquer à cette contradiction de plus en plus
explosive entre les villes et les campagnes qu’a mise en lumière, pour partie,
la mobilisation des Gilets jaunes.
Une autre considération doit être prise en
compte, en particulier celle pointée par Robert Michels, ce sociologue qui, à
la veille de la 1ère guerre mondiale, dans son œuvre Les partis politiques, démontrait qu’ils
favorisaient la constitution d’oligarchies prétendument savantes. Cette
réflexion s’est enrichie avec Durkheim, Bourdieu, pointant la tendance générale
du système à reproduire des élites, confisquant l’initiative des militants, et
favorisant, au sein des appareils, des tendances au despotisme. Plus
généralement, la recherche de solutions doit être centrée sur les rapports de
production et d’échanges. Il n’y a aucune raison que les moyens de production
soient aux mains des actionnaires et que la souveraineté populaire soit
confisquée par les banques privées et tous les fonds spéculatifs. En d’autres
termes, on ne peut instaurer une souveraineté alimentaire et industrielle sans
les classes ouvrières et populaires. Cette révolution ferait surgir
immédiatement la contre-révolution et produirait des possibilités d’embargo, de
déstabilisation, provoquées par d’autres pays. Il va de soi que, dans ces
conditions, l’autarcie serait un piège à éviter car il est évident qu’un
certain nombre de besoins à satisfaire posent les questions de ce qu’il est
impossible de produire ici et maintenant et donc, des relations avec d’autres
pays ou Etats pour contourner cette difficulté.
Indépendamment de ces considérations
« stratégiques », on doit se poser le problème de l’idéologie qui est
diffusée actuellement et des mots piégés que l’on nous ressasse et qui font
partie de cette pensée sclérosante qui
nous est administrée. Trois exemples :
-
le
mot peuple est ambigu. Nous sommes
dans des formations sociales constituées historiquement, formées de rapports de
classe. Le « peuple » n’existe en fait que dans la conflictualité où
un ensemble de classes et de couches sociales font irruption sur la scène
publique pour défendre leurs intérêts : toute l’histoire en atteste, des Bras nus aux Sans culottes et aux Gilets
Jaunes. Dans la formation sociale qui caractérise la France, comme
d’ailleurs d’autres pays, nous avons affaire à un système d’organisation des
classes dominantes qui représentent à peine 5 % de la population et parviennent
à en influencer durablement 15 à 20 % qui espèrent en faire partie
-
le
mot République. Son sens, c’est la
chose publique, le bien commun qui appartient à tous. Or, la réalité c’est
l’appropriation notamment des biens publics et du pouvoir de décision par une « élite »
qui entend bien inverser la réalité et prétendre qu’elle représente les
intérêts de toute la population.
-
autre
mot piégé dont s’est emparé le pouvoir dominant, c’est la laïcité. Son sens réel c’est la séparation de l’Eglise et de
l’Etat. Pour tenter d’éviter toute convergence entre les quartiers populaires,
les couches sociales d’origine maghrébine et africaine, les partis dominants
ont transformé son sens en laïcisme pour désigner et construire un ennemi
intérieur, ceux précisément de confession musulmane. Il s’agit d’une arme de
combat pour ségréguer, diviser davantage tous ceux qui ont intérêt à s’unir pour
ne pas subir.
Ces quelques éléments de réflexion sont un appel
à poursuivre la discussion et à s’interroger sur ce qui pourrait se produire
dans les prochains mois et ce, dans une conjoncture mitée où s’additionnent
plusieurs crises, sanitaire, économique, financière, sociale et climatique.
Gérard D
le 22.02.2021