Forçage génétique,
l’affaire de tous
Le congrès mondial de la
nature, organisé par le plus grand organisme international l'Union
Internationale de la Conservation de la Nature (UICN), est prévu à Marseille du
2 au 11 septembre 2021. Très influentes au sein des COP biodiversité, ses
recommandations sont à l'origine de l'adoption de traités internationaux
importants comme la Convention sur la Diversité Biologique ou la convention sur
le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées
d'extinction.
A l'approche du congrès,
plusieurs centaines d'associations à travers le monde, dont 78 européennes,
dans une lettre ouverte à la commission européenne, et 16 françaises au 1er
ministre Jean Castex, demandent un moratoire, voire l'interdiction d'une
pratique portée à l'ordre du jour : le forçage génétique.
La folie OGM
Éradiquer les moustiques
vecteurs du paludisme, les espèces considérées comme nuisibles, guérir ou ne
pas contracter certains handicaps, maladies (à l'image de ces 2 jumelles
humaines génétiquement modifiées contre le VIH, nées en Chine en 2018) (1) ou
encore tailler des espèces sauvages sur mesure... La liste est longue tant le
champ d'application de cette technique
est étendu. Classée au rang des armes potentielles de destruction massive
par la NASA, son utilisation est très controversée car elle représente un
danger incommensurable dans tous les domaines.
Découvert en 2012, le
forçage génétique CRISPRcas9 est une nouvelle manière d'utiliser la transgenèse
en l'accompagnant d'un contournement des lois de l'hérédité chez les espèces
sexuées. Ce ciseau moléculaire est capable de couper une séquence ADN ciblée et
d'en insérer une autre avec précision, et ce, pour un coût dérisoire. La
séquence ADN présente la particularité de s'autorépliquer dans l'intégralité du
génome, ce qui assure sa transmission à toutes les générations suivantes.
Introduire un gène à une espèce entière en " forçant " sa transmission aux générations suivantes, le
vivant ne le fait pas. Les lois de l'hérédité biologique des espèces sexuées
imposent que seulement 50% des gènes proviennent du mâle et 50% de la femelle,
ce qui laisse une chance sur deux pour que la descendance directe hérite d'un
gène particulier, et plus les générations se succèdent, plus la probabilité est
faible, mais toujours possible dans la mesure où il apporterait un avantage à
l’espèce.
Si son utilisation en
biomédecine suscite autant d'espoir que de danger et pose de sérieuses
questions d'ordre éthique (notamment un relent d'eugénisme), le forçage
génétique trouvera sa véritable utilisation dans l'agriculture. Des centaines
de brevets déposés en attestent, avec, à terme, le risque qu’aucune espèce liée
de près ou de loin à l'agriculture ne soit épargnée. On y trouve l'intention de
modifier génétiquement des plantes, taxées d'être de mauvaises herbes, pour
réduire leurs capacités de résistance au Roundup et autre herbicide ; des
sauterelles forcées génétiquement pour empêcher l'essaimage ; le bétail
pour augmenter sa masse musculaire ; éradiquer les pucerons vecteurs de la
maladie du verdissement aux agrumes ; éradiquer les rats, les souris et
les dendroctones de la farine infestant les silos à grains ; modifier les
abeilles pour les rendre résistantes au Roundup ou encore leur insérer un gène
optogénétique, gène « faussaire » prévu pour duper les sens de
l'abeille au contact d'un faisceau lumineux artificiel, lui donnant l'illusion
de capter certaines odeurs et l'orienter sur les cultures que nous souhaitons
voir polliniser.
Si ces « produits »
technologiques ne sont pas encore au point et nécessitent quelques recherches
supplémentaires, d'autres en revanche le sont et n'attendent que l'autorisation
de mise sur le marché pour être commercialisées. C'est le cas par exemple de la
mouche à vinaigre, un « nuisible » qui affecte la productivité des plantations de
pêchers, de cerisiers et de pruniers dans les zones d'agriculture industrielle
en Asie de l'Est, en Amérique du Nord et en Europe. Le but étant
d'éliminer la population actuelle de mouches ou éventuellement la
remplacer par un variant génétiquement modifié.
A la manœuvre, et
financés par le California Cherry Board (groupe de producteurs de fruits), des
scientifiques de l’Université de Californie à San Diego, dirigés par Anna Buchman
et Omar Akbari y voient une nouvelle méthode de manipulation des populations de
ces ravageurs envahissants. Pour ce faire, est utilisée la technologie MEDEA
(arrêt maternel à effet embryonnaire dominant), une autre technique de forçage
génétique. Akbari a déposé un brevet américain couvrant l’utilisation de MEDEA,
non seulement pour cette mouche, mais également pour d’autres espèces de
mouches des fruits : la mouche caribéenne, la mouche de l’olive, la mouche
antillaise des fruits ainsi que le moustique de la fièvre jaune et le
moustique Anopheles gambiae, un
des principaux vecteurs du paludisme en Afrique subsaharienne.
Plus récemment, un pas
en avant vers la conception d’un forçage génétique a été franchi chez un autre
genre de mouche des fruits, la mouche méditerranéenne qui s’est répandue de
manière envahissante dans de nombreuses régions du monde. Les essais en
laboratoire sur la mouche méditerranéenne prouvent l’adaptation réussie de la
perturbation génique basée sur CRISPRCas9, plus rapide, plus efficace et moins
onéreux. En théorie, si 10 individus génétiquement modifiés sont introduits
dans une population naturelle de 100 000 individus, alors en moyenne 99% des individus sont
porteurs de la séquence ADN introduite en seulement 12 à 15 générations.
Subsistent encore quelques paramètres à peaufiner pour parachever cette
technique et parvenir à un modèle qui, théoriquement, prétendrait à un résultat
de 100%. Il a été observé que les espèces sont capables de développer une
résistance au forçage génétique, mais les scientifiques travaillent
d'arrache-pied pour y remédier.
Outre le fait de décider
quelles espèces doivent vivre, voire dans certain cas, pourquoi ou plus
précisément pour qui elles doivent vivre, les effets en chaînes que produirait
une libération volontaire ou accidentelle de ces OGM nouvelle génération
seraient aussi multiples qu'incalculables. Il est impossible de prédire la
façon dont la séquence ADN introduite évoluera, il est possible qu'elle intègre
un gène non désiré, qui bénéficierait donc de cette technologie et pourrait
produire l'effet inverse de celui escompté, voire pire ! Il est également
possible que la séquence introduite soit transmise à d'autres espèces non
ciblées. Contrairement aux idées reçues,
les hybridations entre espèces ne sont pas cantonnées aux végétaux, si elles y
sont plus fréquentes, le règne animal en a toujours usé. Un autre point non
moins préoccupant est le bouleversement que causerait l'extinction d'une
espèce, la complexité des écosystèmes et la multiplicité des connexions dans
l’écosphère sont telles qu’il est impossible d’en mesurer tous les risques. Les
scientifiques qui développent ces technologies sont des spécialistes de
biologie moléculaire et n'ont pas pour objet d'étudier la dynamique des écosystèmes.
De plus, la seule perspective abordée par ses promoteurs est l’augmentation des
rendements agricoles et les profits escomptés, bien loin des préoccupations
écologiques essentielles qu’elles suscitent.
Lobbying, communication et réseaux
d’influence
Face aux vives contestations et à la forte
opposition de par le monde que rencontrent le génie génétique et toute sa gamme
d’OGM dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, ses promoteurs,
soucieux d’un rejet des populations à l’encontre de ces nouvelles techniques,
ont consciencieusement élaboré une stratégie « d’acceptation ». Tout
est question de timing ! La communication doit être restreinte à ses
applications susceptibles de bénéficier du soutien public, qu’elles soient
médicales, de conservation des espèces ou de lutte contre les maladies
vectorielles, de type paludisme, dengue, zika… L’objectif est de façonner la
perception que le public se fera de ces technologies ; une fois
approuvées, leur utilisation agricole s’imposera comme évidente.
C’est dans cette logique
que sont mis en avant des acteurs tels que la fondation Bill et Melinda Gates
dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Target Malaria, un
consortium de recherche sur le forçage génétique dirigé
par l'Imperial College de Londres, reçoit
son financement de base de 92 millions de dollars
de la fondation Gates et du projet Open Philanthropy (créé par le
cofondateur de Facebook, Dustin Moskovitz). Le projet Target Malaria
vise à décimer les moustiques porteurs du paludisme par forçage génétique
CRIPR CAS9. Un lâcher de moustiques OGM, mais pas par forçage génétique, a déjà été
effectué au Burkina. La fondation Gates, bien déterminée à obtenir
l’autorisation de développer cette
technologie, a su se construire un réseau d'influence important. Emerging
Ag Inc., une société clé de lobbying industriel agricole,
a reçu 1,6 million de dollars de la Fondation Gates. Son rôle : appliquer
une communication active et pratiquer un lobbying intense visant à promouvoir
le forçage génétique et influencer les réunions à l’ONU ; elle est aussi à
l’origine d'un réseau de sensibilisation sur le forçage génétique et administre
la World Farmers Organization, plate-forme bien connue des géants de
l’agro-industrie. Malgré le nom et le rôle de son hôte, le site web et les
fiches d’information du réseau de sensibilisation omettent totalement de
mentionner les utilisations agricoles proposées du forçage génétique, en se
concentrant uniquement sur ses utilisations de « santé mondiale » et «
conservation ». On promet au public la sauvegarde d’oiseaux rares en
diminuant les populations de rongeurs qui se nourrissent de leurs œufs !
En 2017, Open
Philanthropy a attribué au programme de développement économique de l'Union
africaine (UA) 2 350 000 dollars, pour « soutenir l'évaluation, la
préparation et le déploiement potentiel des technologies de forçage génétique
dans certaines régions africaines ». En juillet 2018, l'UA a publié
son rapport soutenant le développement de la technologie du forçage
génétique ainsi qu’une « législation
habilitante » pour son déploiement dans ses États membres.
Dans un rapport paru en
2019, ETC Groupe (2) révèle de graves partis pris et conflits d'intérêts chez
les membres du groupe d'experts réuni par la très influente UICN, organisatrice
du congrès international à Marseille. Plusieurs membres du groupe
seraient employés par ou associés à Revive and Restore (un groupe de
conservation de biologie synthétique) ou encore à deux projets de forçage
génétique s'élevant à plusieurs millions de dollars. Le projet Target
Malaria et le projet GBIRd (contrôle biologique génétique des rongeurs
invasifs) un consortium de cinq organisations partenaires
dont deux agences gouvernementales aux États-Unis et en Australie, a pour
mission de prévenir la disparition d’espèces insulaires en éliminant les
espèces envahissantes. Les conclusions d’une étude menée par l'UICN suggère
d’utiliser le forçage génétique à des fins de conservation des espèces
menacées.
Jim Thomas, co-directeur
d’ETC, s’alarme : « avec 40% des espèces d'insectes en déclin, il est
incompréhensible que l'un des plus grands et des plus anciens organismes de
conservation au monde ouvre la porte au soutien actif apporté à une technologie
d'extinction aussi délibérée ».
En Europe, l’autorité mandatée par
la commission européenne, afin de préparer un cadre réglementaire, est
l’autorité européenne de sécurité des aliments EFSA (cf encart). Elle
doit évaluer les risques liés à cette technologie et déterminer si
les protocoles existants pour OGM première génération pourraient être appliqués à ce nouveau type d’OGM.
Dans le cadre de ces travaux, l’Agence a mené au printemps dernier une
consultation publique, à laquelle POLLINIS a participé.
Dans son avis scientifique
publié le 12 novembre 2020, l’EFSA a finalement conclu que les lignes
directrices existantes étaient insuffisantes pour l’évaluation des risques
environnementaux et la surveillance environnementale post-commercialisation de
ces nouveaux organismes mais s’est bien gardée de se prononcer plus
explicitement sur les limites scientifiques de l’évaluation actuelle de
ces risques spécifiques. Les effets réels qu’ils pourraient engendrer
demeurent largement inconnus et ne sont pas traités dans l’avis scientifique.
L’Agence, tout en reconnaissant les incertitudes et l’imprévisibilité des
effets indésirables, propose d’utiliser des outils de modélisation mathématique
pour tenter de combler les lacunes de l’évaluation.
Pour POLLINIS, il
y existe trop de risques inconnus, des conséquences imprévisibles
incontrôlables et irréversibles, ces effets négatifs possibles affecteront les
espèces, les populations, les écosystèmes et les services écosystémiques. Comme
suggéré par l’association, l’EFSA a par ailleurs supprimé dans son avis final
sa référence à la possibilité d’utiliser cette nouvelle technologie pour la
conservation de la biodiversité ou l’amélioration des systèmes de production
agricole. POLLINIS considère qu’en l’absence de connaissance suffisante
de cadre juridique adéquat et de débat transdisciplinaire et citoyen sur les
risques posés, le gouvernement français doit prendre position sur ce dossier en
interdisant la dissémination dans la nature de tout organisme issu de cette
technique, y compris les essais en plein champ.
Une « science » néolibérale
Ces technologies sont une boîte de
Pandore, l’ouvrir, c’est franchir le point de non-retour.
En solution au caractère
aussi imprévisible qu’irréversible que subira l’évolution de la modification
génétique et l’individu modifié, les chercheurs ont pensé à tout, des séquences
garde-fous sont proposées. La solution est simple, trop simple ! Il
suffirait, dans le cas où la séquence ADN insérée évolue négativement et
produit des effets indésirables, d’en insérer une nouvelle qui annulerait la
première. Cependant tous les garde-fous proposés laissent des traces de la
séquence chez les individus et il n’est pas irrationnel, après l’échec de la
première, d’avoir des doutes sur la fiabilité du bon fonctionnement de la
deuxième. De plus, si un ADN étranger est déjà inséré dans la séquence
introduite et confère un avantage aux porteurs, alors c’est trop tard, le
garde-fou ne pourra pas contrer le processus car il ne sera pas aussi
avantageux aux porteurs que la séquence que l’on aimerait supprimer. Une autre
solution a un autre problème : la pollution génétique des OGM première
génération. Un brevet de forçage génétique a été déposé en vue d’éliminer la
pollution génétique induite par la pollinisation de plantes OGM, première
génération aux plantes non OGM, et l’hybridation qu’elle provoque. Bref,
toujours la même croyance, que le problème peut être réglé par le problème
lui-même. Penser que la technologie va
résoudre tous les problèmes qu’elle a elle-même créés (réchauffement
climatique, appauvrissement des terres agricoles, extinction en masse des
espèces...) sans changer notre rapport au monde relève d’une véritable technolâtrie.
Sans compter que les
sciences de la génétique n’en sont qu’à leur balbutiement, sa complexité est
bien plus importante que ce que nous pensions. La découverte de l’épigénétique
en est un indicateur, il a complètement changé la perception que l’on se
faisait du fonctionnement d’un organisme et démontre qu’il ne suffit pas
d’en isoler une composante (le gène) et la modifier pour contrôler
l’intégralité de l’organisme.
Le problème est que
cette boîte de Pandore, Cupidité, même avertie des maux qu’elle
contient - ces monstres - pourrait bien être tentée de l’ouvrir uniquement pour
libérer l’espérance, l’espérance d’un nouveau
souffle du capitalisme, des nouveaux marchés qu’elle lui promet, d’une
marchandise inépuisable : la vie elle-même.
Le forçage génétique a une spécificité
comme technique, qui le rend directement congruent avec l’extractivisme :
il est peu cher, discret, intraçable, extraordinairement efficient à court
terme et particulièrement imprédictible à long terme. Si intrinsèquement cette
technique remplit bien des critères prescrits par le néolibéralisme, c’est
encore bien plus dans l’usage qui lui est destiné que l’on en détecte la
logique. Ce qui se dessine c’est l’ingénierie, le contrôle du monde sauvage à la mode néolibérale. Tout d’abord, il
s’agit de réifier un nombre incalculable d’espèces en agents économiques, puis
manager le tout, le rationaliser, organiser les espèces sauvages de telle
sorte qu’il ne leur sera plus permis de vivre pour elles-mêmes ; elles
devront désormais vivre pour servir le genre humain (c’est-à-dire la plupart du
temps au profit d’un groupe d’humains particulier) et alimenter les marchés
financiers, ou disparaître si elles sont jugées nuisibles (à noter qu’un
nuisible en soi n’existe pas, aucune espèce n’existe dans le but de nuire). La
question est : nuisible pour qui ? Ce qui est certain c’est que cette
technique renforcera considérablement la toute-puissance des entreprises en
leur confiant rien de moins que la responsabilité de l’évolution des espèces.
<<<>>>
Le 21ème siècle et son lot high-tech nous obligent à nous questionner
sur l’orientation de la recherche scientifique et à nous interroger sur qui
produit des connaissances, dans quel but, et qui en profite ? Aujourd’hui
elle métamorphose le modèle agricole en élargissant son champ d’action qui ne
se contente plus désormais d’intervenir sur les semences ou l’élevage mais est
basée sur la gestion des nuisibles, en premier lieu, et l’exploitation des
espèces sauvages, en second. Un colonialisme in vitro des individus, une
domestication massive des espèces sauvages sans même avoir à entretenir de
relation avec elles. Sans oublier l’aspect transfrontalier que cela
suppose : un lâcher dans une région isolée du monde aurait inévitablement
des conséquences dans le monde entier, il est impossible de garantir que la diffusion
d’organismes forcés génétiquement ne contamine pas d’autres espèces non ciblées
et ne se propage pas dans d’autres pays contre leur volonté. Il est
inacceptable que de telles décisions se prennent dans les instances
gouvernementales, sans l’approbation éclairée et massive des populations du
monde entier, de surcroît dans un contexte de corruption généralisée.
MR
L’EFSA, elle aussi, sujette à polémique en 2012
Sa présidente du conseil d’administration de l’époque, Diana Banati,
« oubliait » de mentionner son siège au conseil de direction de la
branche européenne d’une organisation états-unienne pro OGM, financée en grande
partie par Coca-Cola, Nestlé, CropLife International et regroupant des
industriels du secteur de l’agro-industrie tels que BASF, DuPont, Monsanto ou
encore Syngenta. Elle fut contrainte à la démission pour conflits d’intérêts.
Sources : https://www.etcgroup.org/fr/content/forcer-lagriculture
et autres sites spécialisés