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vendredi 26 février 2021

 

Répression en Birmanie

 

Ce 1° février 2021, contrairement  aux faits, l’information donnée par de nombreux médias affirmait : « il n’y a pas eu de coup d’Etat en Birmanie ». D’après les militaires birmans, ce qui s’est officiellement passé est « un remaniement ministériel en raison d’un déséquilibre dans les pouvoirs en République de l’Union du MYANMAR »… Certes, ils ont annulé le résultat des élections de 2020, ils ont emprisonné de nombreux responsables politiques, les opposants, ils ont repris toutes les rênes du pouvoir mails ils n’appellent pas cela un coup d’état. Les militaires birmans ne manquent pas d’un certain humour !

 

Quelques explications

 

Depuis 2010, la Birmanie s’appelle la République de l’Union du Myanmar. La junte militaire au pouvoir à cette époque changea  le nom de ce pays, l’hymne national, le drapeau et la capitale. C’était une façon pour les militaires de réaffirmer leur légitimité symbolique en se référant au passé. Les anciens rois birmans changeaient régulièrement de capitale. Le nouveau nom du pays fait référence au premier Peuple qui a vécu sur cette terre : Myanmar signifie pays merveilleux.

 

Concernant les évènements du 1er février 2021, la Constitution prévoit la prise du pouvoir par les militaires, l’instauration de l’Etat d’urgence pour un an, l’arrestation des ministres, des élus, des opposants : Constitution rédigée bien évidemment par les militaires birmans.

 

Comment en est-on arrivé à cette situation ?

 

D’abord, ce pays un peu plus grand que la France, avec environ 55 millions d’habitants (le chiffre officiel est inconnu !), se situe entre le Laos, la Thaïlande, le Bengladesh, l’Inde et la Chine. Il est peuplé depuis longtemps par une mosaïque de groupes ethniques, 135 recensés, dont les Rohingyas, une minorité apatride musulmane. La principale ethnie, ce sont  les Birmans (ou Bamars), 70% de la population.

Cette population est à 90% bouddhiste (6% sont chrétiens et 4% musulmans). Elle occupe  les zones centrales  plus riches, domine les sphères de l’Etat et est très présente dans l’armée.

 

Les différents empires se succèdent jusqu’en 1826, date à laquelle les guerres anglo-birmanes se terminent par la victoire des Britanniques. Ceux-ci, pour s’approprier les ressources naturelles, occuperont progressivement tout le pays.

 

En 1886, la Birmanie fut offerte à la Reine Victoria en cadeau de Nouvel-An !

 

En 1948, le pays devient indépendant (cf encart), sous la conduite d’AUNG SAN, sous la forme d’une démocratie parlementaire. Il sera assassiné  et deviendra le héros de cette indépendance. Des insurrections éclatent régulièrement un peu partout sur son territoire entre les différentes ethnies ou contre le pouvoir central, soutenues souvent par le Parti Communiste Chinois. Ce gouvernement réussira tant bien que mal à assurer la stabilité du pays.

 

En 1962, des militaires renversent le gouvernement, s’engagent, comme ce 1er février 2021, à organiser des élections libres une année plus tard. Ce régime dictatorial durera en fait 26 ans (on comprend mieux la méfiance des Birmans face aux évènements actuels… !).

 

En 1988, un fort mouvement de contestation populaire, réprimé dans le sang (plus de 3000 morts), oblige la junte, sous la pression internationale, à introduire un peu de démocratie dans les institutions du pays. Des élections seront organisées et remportées par la Ligue Nationale Démocratique (LND), dirigée par AUNG SAN SUU KYI, fille de Aung San. Celles-ci seront immédiatement annulées par les militaires qui mettront en place un nouveau régime dictatorial appelé pompeusement « Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement » et ce jusqu’en 2010.

 

Pendant cette période, Aung San Suu Kyi sera, soit emprisonnée, soit en résidence surveillée. Les militaires birmans lui donneront le droit de quitter le pays pour rejoindre son mari et ses enfants en Angleterre mais avec interdiction de retour au pays. Même pour les obsèques de son mari elle ne quittera pas la Birmanie pour pouvoir continuer son combat pour la démocratie et les droits humains.

 

En 2007, la situation de l’économie birmane est catastrophique alors qu’au moment de l’Indépendance elle était l’un des plus riches pays d’Asie : en 2006, elle est classée 130° sur 137 selon l’Indice de Développement Humain (IDH). Son PIB par habitant est d’environ 1800 dollars était au niveau de celui de la Corée du Nord. La gestion par les militaires est la cause essentielle de cette situation. En 2007, face à l’augmentation continuelle des prix, un nouveau mouvement social se développe soutenu par les moines bouddhistes, appelé la « révolution de safran ». La junte résiste tant bien que mal à ces évènements mais finalement….

 

En 2011, les militaires au pouvoir mettent en place une politique d’ouverture, de libéralisation, plus pour échapper aux sanctions internationales que pour faire de la Birmanie une réelle démocratie.  Les élections seront organisées et remportées par le Parti de l’Union et de la Solidarité et du Développement du président Thein Sein. La Birmanie n’en deviendra pas pour autant « un paradis démocratique » puisque des militaires s’octroient 25 % des sièges à l’Assemblée Nationale (hors élections) ET 3 ministères-clés : Défense, Intérieur, Affaires frontalières.

 

En 2015, les élections seront cette fois remportées par la Ligue Nationale Démocratique

(LND) de Aung San Suu Kyi, (libérée en 2010), qui, bien que leader du Parti victorieux ne sera jamais Présidente du pays puisque la Constitution prévoit qu’une personne mariée à un étranger.ère ne peut le devenir. Pour changer la Constitution, il fallait réunir 75 % des votes des députés : on comprend mieux pourquoi les militaires se réservaient 25 % de ces sièges. Elle sera donc soit Cheffe du gouvernement, Conseillère spéciale de l’Etat ou porte-parole de la Présidence.

 

 2017 est marquée par la tragédie des ROHINGYAS. Ceux-ci, de religion musulmane, se voient toujours privés de la nationalité birmane (loi de 1982) et sont victimes d’un nettoyage ethnique méthodique organisé par les militaires, entrainant leur fuite au Bangladesh.

Cette répression est attisée par le mouvement 969, organisation bouddhiste ouvertement islamophobe. Toutes ces exactions : massacres, meurtres en masse, viols, violences, disparitions, tortures, incendies de villages entiers, enfants brûlés vifs, privations de nourriture sont  l’œuvre des militaires et de milices bouddhistes.

 

Mais Aung San Suu Kyi, qui a obtenu le prix Nobel de la Paix en 1991, et son Parti ont laissé faire, ont soutenu cet ethnocide. Elle ira jusqu’à assurer elle-même la défense de la Birmanie accusée de génocide devant la Cour Internationale de Justice à la Haye.  Son image, au niveau international en souffrira énormément. Mais en Birmanie, elle est restée extrêmement populaire. Preuve en est : en novembre 2020, elle et son Parti, connaitront un triomphe électoral puisqu’ils rafleront 82% des sièges à l’Assemblée Nationale hors sièges réservés aux militaires.

 

Face à cette victoire, les militaires craignent de perdre le contrôle du pouvoir avec tous les avantages qu’ils en tirent. La Birmanie est très riche en ressources naturelles (rubis, jade, pétrole, gaz …) qui sont exploitées par des entreprises dirigées par les militaires qui s’en approprient les revenus alors qu’un quart de la population birmane vit sous le seuil de pauvreté.

 

Le 1er Février 2021 ils appliquent l’article de la Constitution qui leur permet de reprendre les choses en mains, annulent les élections, emprisonnent à nouveau Aung San Suu Kyi et reprennent totalement le pouvoir en Birmanie. Bref, c’est un coup d’Etat.

 

Des manifestations populaires  ont lieu chaque jour, des appels à la désobéissance civile sont lancés mais il est très difficile de savoir ce qui se passe réellement dans ce pays complètement fermé. La répression est de plus en plus violente. Le 20 février, 3 manifestants ont été tués par la police.  L’avenir paraît sombre pour le peuple birman, qui, sous le régime militaire de 1962 à 2010, après une très timide transition démocratique, retombe en 2021 sous le joug d’un régime dictatorial.

 

Il faut craindre que la lutte de ce peuple ressemble à celle du pot de terre contre le pot de fer. Ce sera d’autant plus difficile que la Chine, voisine de la Birmanie, y possède de nombreux intérêts économiques. Dans le cadre des nouvelles Routes de la Soie, un corridor économique de 1700 kms est en construction. Il reliera directement la Chine à l’Océan Indien, évitant aux marchandises chinoises de traverser la mer de Chine et le Détroit de Malacca, zone maritime sous tensions. Ce corridor se compose classiquement d’une autoroute, d’une voie ferrée, d’un oléoduc, d’un gazoduc, de centrales électriques… pour se terminer par un port en eau profonde. La Chine veut également profiter des ressources naturelles de la Birmanie (pierres précieuses, or, cuivre…) et d’une future main d’œuvre abondante et bon marché. En effet 27 % de la population birmane a moins de 14 ans. D’ailleurs la Chine n’a pas condamné « le coup d’Etat » du 1er février. Elle veut absolument garder la Birmanie dans sa zone d’influence pour éviter qu’elle ne bascule du coté occidental, ou encore pire, du côté indien. Quant aux sanctions internationales, elles n’impressionnent guère les dirigeants birmans. Les entreprises occidentales qui se retireront du pays seront immédiatement remplacées par des homologues chinoises et russes traditionnelles, alliées de poids de la Birmanie.

Il faut espérer que cette situation d’exception, qui, selon la Constitution ne doit durer qu’un an, ne se prolonge, comme en 1962, quelques dizaines d’années pour le plus grand malheur des Birmans. 

 

Néanmoins, ce 22 février sera une date charnière où tout devrait basculer d’un côté ou d’un autre. Les Birmans sont passionnés de numérologie et astrologie et ils voient dans la date du 22.02.2021 le signe de la possibilité d’une victoire sur la junte militaire. Ils vont  jeter toutes leurs forces dans cette lutte pour la liberté.  A suivre. 

 

Jean-Louis Lamboley le 22 février 2021 

 

 

encart

Retour sur le passé pour mieux comprendre le présent

 

La conquête coloniale britannique s’étend de 1824 à 1886. Ce pays devient, officiellement, colonie britannique, séparée de l’Inde, à partir de 1937. La 2ème guerre mondiale allait modifier la donne par l’invasion japonaise. L’occupation nippone s’exerça de 1942 à 1945. Elle fut contrecarrée par l’armée britannique qui entendait, avec les Alliés, fournir des armes à Tchang Kaï-Chek afin que la Chine « nationaliste » puisse affaiblir le Japon. Pour ce faire, un chemin de fer doublé d’une route furent construits par des milliers de Birmans et de minorités ethniques, contraints au travail forcé. L’armée britannique, comme en Inde, enrôla des milliers de soldats du cru pour parvenir à ses fins.

 

L’empire britannique, après bien des hésitations, au sortir de la 2ème guerre mondiale, accorda l’indépendance à ce pays (comme en Inde…) au vu des nombreux troubles sociaux et nationalistes, guérillas anti-anglaises  auxquels  elle aurait dû s’opposer. C’est ainsi que le général Aung San prit le pouvoir, tout en restant dans le Commonwealth. La forme néocoloniale de l’indépendance semblait ainsi assurée mais c’était sans compter avec la réalité de l’époque, celle des luttes de libération nationale. Après l’assassinat de Aoung San en 1947, trop pro-anglais pour les nationalistes, les premiers gouvernements successifs birmans, tout en s’assurant de la coopération de l’armée, s’inscrivirent dans les pays non-alignés où se retrouvèrent l’Inde de Nehru, la Yougoslavie de Tito, la Chine de Mao-Tsé-Toung et de Chou en Laï…

 

Face aux troubles sociaux qui  continuaient de secouer ce pays, les militaires birmans prirent le pouvoir et instaurèrent une dictature en 1962. Au vu des répressions successives, la fille d’Aung San, Aung San Suu Kyi, représenta, dans l’esprit des Birmans, la figure de résistance à la dictature et d’ouverture aux libertés. Dans les pays occidentaux, elle fut dès lors une icône, représentant l’accès du pays à la mondialisation néolibérale. Malgré les sanctions toutes relatives des pays occidentaux, les firmes étrangères, qu’elles soient japonaises, chinoises ou occidentales, continuèrent à exploiter le pays avec de la main-d’œuvre à bas coût (Total, British Petroleum, etc.) investissant plusieurs milliards d’euros par an. La Birmanie offre également la possibilité aux pavillons de complaisance d’y trouver refuge.  GD