Répression en Birmanie
Ce
1° février 2021, contrairement aux
faits, l’information donnée par de nombreux médias affirmait : « il n’y a pas eu de coup d’Etat en
Birmanie ». D’après les militaires birmans, ce qui s’est officiellement
passé est « un remaniement
ministériel en raison d’un déséquilibre dans les pouvoirs en République de
l’Union du MYANMAR »… Certes, ils ont annulé le résultat des élections
de 2020, ils ont emprisonné de nombreux responsables politiques, les opposants,
ils ont repris toutes les rênes du pouvoir mails ils n’appellent pas cela un
coup d’état. Les militaires birmans ne manquent pas d’un certain
humour !
Quelques explications
Depuis
2010, la Birmanie s’appelle la République de l’Union du Myanmar. La junte
militaire au pouvoir à cette époque changea
le nom de ce pays, l’hymne national, le drapeau et la capitale. C’était
une façon pour les militaires de réaffirmer leur légitimité symbolique en se
référant au passé. Les anciens rois birmans changeaient régulièrement de capitale.
Le nouveau nom du pays fait référence au premier Peuple qui a vécu sur cette
terre : Myanmar signifie pays merveilleux.
Concernant
les évènements du 1er février 2021, la Constitution prévoit la prise
du pouvoir par les militaires, l’instauration de l’Etat d’urgence pour un an,
l’arrestation des ministres, des élus, des opposants : Constitution
rédigée bien évidemment par les militaires birmans.
Comment en est-on arrivé à cette situation ?
D’abord,
ce pays un peu plus grand que la France, avec environ 55 millions d’habitants
(le chiffre officiel est inconnu !), se situe entre le Laos, la Thaïlande,
le Bengladesh, l’Inde et la Chine. Il est peuplé depuis longtemps par une
mosaïque de groupes ethniques, 135 recensés, dont les Rohingyas, une minorité
apatride musulmane. La principale ethnie, ce sont les Birmans (ou Bamars), 70% de la population.
Cette
population est à 90% bouddhiste (6% sont chrétiens et 4% musulmans). Elle
occupe les zones centrales plus riches, domine les sphères de l’Etat et
est très présente dans l’armée.
Les
différents empires se succèdent jusqu’en 1826, date à laquelle les guerres
anglo-birmanes se terminent par la victoire des Britanniques. Ceux-ci, pour
s’approprier les ressources naturelles, occuperont progressivement tout le
pays.
En
1886, la Birmanie fut offerte à la
Reine Victoria en cadeau de Nouvel-An !
En
1948, le pays devient indépendant (cf
encart), sous la conduite d’AUNG SAN, sous la forme d’une démocratie
parlementaire. Il sera assassiné et
deviendra le héros de cette indépendance. Des insurrections éclatent
régulièrement un peu partout sur son territoire entre les différentes ethnies
ou contre le pouvoir central, soutenues souvent par le Parti Communiste
Chinois. Ce gouvernement réussira tant bien que mal à assurer la stabilité du
pays.
En
1962, des militaires renversent le
gouvernement, s’engagent, comme ce 1er février 2021, à organiser des
élections libres une année plus tard. Ce régime dictatorial durera en fait 26
ans (on comprend mieux la méfiance des Birmans face aux évènements actuels… !).
En
1988, un fort mouvement de
contestation populaire, réprimé dans le sang (plus de 3000 morts), oblige la
junte, sous la pression internationale, à introduire un peu de démocratie dans
les institutions du pays. Des élections seront organisées et remportées par la
Ligue Nationale Démocratique (LND), dirigée par AUNG SAN SUU KYI, fille de Aung
San. Celles-ci seront immédiatement annulées par les militaires qui mettront en
place un nouveau régime dictatorial appelé pompeusement « Conseil d’Etat
pour la Paix et le Développement » et ce jusqu’en 2010.
Pendant
cette période, Aung San Suu Kyi sera, soit emprisonnée, soit en résidence
surveillée. Les militaires birmans lui donneront le droit de quitter le pays
pour rejoindre son mari et ses enfants en Angleterre mais avec interdiction de
retour au pays. Même pour les obsèques de son mari elle ne quittera pas la
Birmanie pour pouvoir continuer son combat pour la démocratie et les droits
humains.
En
2007, la situation de l’économie birmane
est catastrophique alors qu’au moment de l’Indépendance elle était l’un des
plus riches pays d’Asie : en 2006, elle est classée 130° sur 137 selon
l’Indice de Développement Humain (IDH). Son PIB par habitant est d’environ 1800
dollars était au niveau de celui de la Corée du Nord. La gestion par les
militaires est la cause essentielle de cette situation. En 2007, face à
l’augmentation continuelle des prix, un nouveau mouvement social se développe
soutenu par les moines bouddhistes, appelé la « révolution de
safran ». La junte résiste tant bien que mal à ces évènements mais
finalement….
En
2011, les militaires au pouvoir mettent
en place une politique d’ouverture, de libéralisation, plus pour échapper aux
sanctions internationales que pour faire de la Birmanie une réelle
démocratie. Les élections seront organisées
et remportées par le Parti de l’Union et de la Solidarité et du Développement
du président Thein Sein. La Birmanie n’en deviendra pas pour autant « un
paradis démocratique » puisque des militaires s’octroient 25 % des sièges
à l’Assemblée Nationale (hors élections) ET 3 ministères-clés : Défense,
Intérieur, Affaires frontalières.
En
2015, les élections seront cette fois
remportées par la Ligue Nationale Démocratique
(LND)
de Aung San Suu Kyi, (libérée en 2010), qui, bien que leader du Parti
victorieux ne sera jamais Présidente du pays puisque la Constitution prévoit
qu’une personne mariée à un étranger.ère ne peut le devenir. Pour changer la
Constitution, il fallait réunir 75 % des votes des députés : on comprend
mieux pourquoi les militaires se réservaient 25 % de ces sièges. Elle sera donc
soit Cheffe du gouvernement, Conseillère spéciale de l’Etat ou porte-parole de
la Présidence.
2017 est marquée par la tragédie des ROHINGYAS.
Ceux-ci, de religion musulmane, se
voient toujours privés de la nationalité birmane (loi de 1982) et sont victimes
d’un nettoyage ethnique méthodique organisé par les militaires, entrainant
leur fuite au Bangladesh.
Cette
répression est attisée par le mouvement 969, organisation bouddhiste
ouvertement islamophobe. Toutes
ces exactions : massacres,
meurtres en masse, viols, violences, disparitions, tortures, incendies de
villages entiers, enfants brûlés vifs, privations de nourriture… sont l’œuvre des militaires et de milices
bouddhistes.
Mais
Aung San Suu Kyi, qui a obtenu le prix Nobel de la Paix en 1991, et son Parti
ont laissé faire, ont soutenu cet ethnocide. Elle ira jusqu’à
assurer elle-même la défense de la Birmanie accusée de génocide devant la Cour Internationale
de Justice à la Haye. Son image, au
niveau international en souffrira énormément. Mais en Birmanie, elle est restée
extrêmement populaire. Preuve en est : en novembre 2020, elle et son
Parti, connaitront un triomphe électoral puisqu’ils rafleront 82% des sièges à
l’Assemblée Nationale hors sièges réservés aux militaires.
Face
à cette victoire, les militaires craignent de perdre le contrôle du pouvoir
avec tous les avantages qu’ils en tirent. La Birmanie est très riche en
ressources naturelles (rubis, jade, pétrole, gaz …) qui sont exploitées
par des entreprises dirigées par les militaires qui s’en approprient les
revenus alors qu’un quart de la population birmane vit sous le seuil de
pauvreté.
Le
1er Février 2021 ils appliquent
l’article de la Constitution qui leur permet de reprendre les choses en mains,
annulent les élections, emprisonnent à nouveau Aung San Suu Kyi et reprennent
totalement le pouvoir en Birmanie. Bref, c’est un coup d’Etat.
Des
manifestations populaires ont lieu
chaque jour, des appels à la désobéissance civile sont lancés mais il est très
difficile de savoir ce qui se passe réellement dans ce pays complètement fermé.
La répression est de plus en plus violente. Le 20 février, 3 manifestants
ont été tués par la police. L’avenir
paraît sombre pour le peuple birman, qui, sous le régime militaire de 1962 à
2010, après une très timide transition démocratique, retombe en 2021 sous le
joug d’un régime dictatorial.
Il
faut craindre que la lutte de ce peuple ressemble à celle du pot de terre
contre le pot de fer. Ce sera d’autant plus difficile que la Chine, voisine de
la Birmanie, y possède de nombreux intérêts économiques. Dans le cadre des
nouvelles Routes de la Soie, un corridor économique de 1700 kms est en
construction. Il reliera directement la Chine à l’Océan Indien, évitant aux
marchandises chinoises de traverser la mer de Chine et le Détroit de Malacca,
zone maritime sous tensions. Ce corridor se compose classiquement d’une
autoroute, d’une voie ferrée, d’un oléoduc, d’un gazoduc, de centrales
électriques… pour se terminer par un port en eau profonde. La Chine veut
également profiter des ressources naturelles de la Birmanie (pierres
précieuses, or, cuivre…) et d’une future main d’œuvre abondante et bon marché.
En effet 27 % de la population birmane a moins de 14 ans. D’ailleurs la Chine
n’a pas condamné « le coup d’Etat » du 1er février. Elle
veut absolument garder la Birmanie dans sa zone d’influence pour éviter
qu’elle ne bascule du coté occidental, ou encore pire, du côté indien. Quant
aux sanctions internationales, elles n’impressionnent guère les dirigeants
birmans. Les entreprises occidentales qui se retireront du pays seront
immédiatement remplacées par des homologues chinoises et russes traditionnelles,
alliées de poids de la Birmanie.
Il
faut espérer que cette situation d’exception, qui, selon la Constitution ne
doit durer qu’un an, ne se prolonge, comme en 1962, quelques dizaines d’années
pour le plus grand malheur des Birmans.
Néanmoins,
ce 22 février sera une date charnière où tout devrait basculer d’un côté ou
d’un autre. Les Birmans sont passionnés de numérologie et astrologie et ils
voient dans la date du 22.02.2021 le signe de la possibilité d’une victoire sur
la junte militaire. Ils vont jeter
toutes leurs forces dans cette lutte pour la liberté. A suivre.
Jean-Louis
Lamboley le 22 février 2021
encart
Retour sur le
passé pour mieux comprendre le présent
La
conquête coloniale britannique s’étend de 1824 à 1886. Ce pays devient,
officiellement, colonie britannique, séparée de l’Inde, à partir de 1937. La 2ème
guerre mondiale allait modifier la donne par l’invasion japonaise. L’occupation
nippone s’exerça de 1942 à 1945. Elle fut contrecarrée par l’armée britannique
qui entendait, avec les Alliés, fournir des armes à Tchang Kaï-Chek afin que la
Chine « nationaliste » puisse affaiblir le Japon. Pour ce faire, un
chemin de fer doublé d’une route furent construits par des milliers de Birmans
et de minorités ethniques, contraints au travail forcé. L’armée britannique,
comme en Inde, enrôla des milliers de soldats du cru pour parvenir à ses fins.
L’empire
britannique, après bien des hésitations, au sortir de la 2ème guerre
mondiale, accorda l’indépendance à ce pays (comme en Inde…) au vu des nombreux
troubles sociaux et nationalistes, guérillas anti-anglaises auxquels elle aurait dû s’opposer. C’est ainsi que le
général Aung San prit le pouvoir, tout en restant dans le Commonwealth. La
forme néocoloniale de l’indépendance semblait ainsi assurée mais c’était sans
compter avec la réalité de l’époque, celle des luttes de libération nationale. Après
l’assassinat de Aoung San en 1947, trop pro-anglais pour les nationalistes, les
premiers gouvernements successifs birmans, tout en s’assurant de la coopération
de l’armée, s’inscrivirent dans les pays non-alignés où se retrouvèrent l’Inde
de Nehru, la Yougoslavie de Tito, la Chine de Mao-Tsé-Toung et de Chou en Laï…
Face
aux troubles sociaux qui continuaient de
secouer ce pays, les militaires birmans prirent le pouvoir et instaurèrent une
dictature en 1962. Au vu des répressions successives, la fille d’Aung San, Aung
San Suu Kyi, représenta, dans l’esprit des Birmans, la figure de résistance à
la dictature et d’ouverture aux libertés. Dans les pays occidentaux, elle fut
dès lors une icône, représentant l’accès du pays à la mondialisation
néolibérale. Malgré les sanctions toutes relatives des pays occidentaux, les
firmes étrangères, qu’elles soient japonaises, chinoises ou occidentales,
continuèrent à exploiter le pays avec de la main-d’œuvre à bas coût (Total,
British Petroleum, etc.) investissant plusieurs milliards d’euros par an. La
Birmanie offre également la possibilité aux pavillons de complaisance d’y
trouver refuge. GD