Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 28 janvier 2019


Où vont les Gilets Jaunes ?

S’il est encore difficile de pouvoir répondre à cette question, ce qui reste remarquable, c’est que ce mouvement dure toujours et qu’il conserve, dans l’opinion, un soutien persistant. Certes, il y eut le creux de la vague de la période des fêtes de fin d’année. Mais, contre toute attente, il persiste et semble rebondir. Nous ne reviendrons pas ici sur les causes structurelles et conjoncturelles qui ont favorisé son éclosion inattendue (1). Qu’il suffise de rappeler que l’injustice sociale et fiscale, le déni de démocratie, provoqués par les mesures de régression sociale depuis plus de 30 ans, ne sont désormais plus acceptées par toute une fraction de la population. La peur d’un déclassement social en cours (et à venir), la paupérisation des couches sociales les plus démunies, sont le terreau sur lequel fleurit cette mobilisation et la sympathie dont il dispose… toujours, malgré un certain tassement. La répression féroce qu’il a subie ne semble pas l’avoir brisé… tout au contraire ( !), encore moins la guerre médiatique dont il est l’objet, tout particulièrement de la part des éditocrates. Ce soulèvement populaire qui se cherche, refuse les cadres institués par le pouvoir : les rituels des défilés bien encadrés par la police, ces déambulations sans autre effet que la mise en valeur des bureaucraties syndicales pour négocier, à froid, les reculs imposés. Il ne veut pas composer mais imposer. C’est une force destituante. Il a déjà lourdement entamé la crédibilité du gouvernement Macron. Conspué, fragilisé, ce dernier de cordée ne voit, pour l’heure, se dresser devant lui un mouvement s’instituant comme une alternative avec laquelle il devrait pour le moins composer. Reste que les Gilets Jaunes, malgré les divergences exprimées dans leurs rangs, lui demandent de se soumettre ou de se démettre. Devant la persistance de cette révolte qu’il ne peut briser, face à l’essoufflement policier, malgré la main de fer de la haute hiérarchie, du ministre de l’Intérieur, de Macron lui-même, et le recours à des provocateurs et à des brutes épaisses de tous poils, le roitelet de l’Elysée a modifié sa tactique : noyer le mouvement dans le foutoir du « grand débat ». C’est sur la réalité de cette mascarade, et son possible impact, ainsi que sur les faiblesses du mouvement des Gilets Jaunes que l’on voudrait, ci-après, s’appesantir. Qui plus est, l’inertie des bureaucraties syndicales, voire les tentatives du mauvais Berger de la CFDT de venir en aide au pouvoir, sonne le glas de la faillite de « ces corps intermédiaires » qui jouent, plus ou moins, le jeu de la collaboration ou de la conciliation de classes.

Le f(l)outoir du grand débat (2)

Que pouvait-il faire d’autre, alors même que le 1er  de cordée n’en finissait pas de dévisser dans l’opinion, alors même qu’il lui fallait, à l’approche des élections européennes, éviter la débâcle annoncée ? Le remaniement ministériel, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’appel à de nouvelles élections législatives furent autant de scénarii abandonnés, tant ils signifiaient l’échec du cap macronien, de régressions sociales promises comme des panacées. Pour Macron, abandonner la réduction des droits à l’indemnisation chômage, la baisse des pensions de retraite, la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires, il n’en est nullement question. Par ailleurs, composer avec les « partenaires sociaux », ce serait tout autant redonner de la crédibilité à des structures qui lui semblent moribondes et prendre le risque de se voir contester par la CGT, SUD et la FSU. Ce remède lui vaudrait, qui plus est, face au lest à lâcher, les remontrances de « ceux qui lui tiennent la laisse », à savoir la finance, les multinationales et les eurocrates. Ne restaient donc que les petits notables de la France profonde, les maires et députés qui, complaisants, voudraient bien jouer ce jeu de dupes. Après quelques hésitations, le roitelet de l’Elysée finit par admettre que tout pourrait être déballé, y compris l’impôt sur la fortune, le CICE, la loi dite Travail, sans qu’il soit possible d’envisager de détricoter ce qui avait été imposé. Et ce fut cette adresse aux Français, cette lettre ampoulée et pleine de compassion et de compréhension larmoyantes et démocratistes pour tenter de sortir du guêpier des Gilets Jaunes. Et le petit Jupiter en dégringolade descendit dans l’arène des échanges, avec les écharpes tricolores, tant il était assuré qu’il débattrait avec eux, bien mieux qu’avec des porteurs de gilets. Les médias dominants applaudirent devant sa performance. Toutefois, les maires, convoqués à Souillac, à qui l’on voulait refiler la patate chaude de l’effervescence sociale, l’eurent saumâtres : toute une journée parqués, d’abord dans l’attente du grand maître de cérémonie, après avoir franchi moult barrages policiers et contrôles d’identité, puis subi la mise en scène d’un pseudo débat très encadré ! Ces maires, au milieu de quelques ministres et nombre de macroniens pur jus, durent entendre religieusement les doléances bien mesurées des maires, choisis par le préfet, et la leçon toute monarchique de Macron : « je ne changerai pas de cap ». Outré, René Revol s’empressa illico, après cette mascarade, de poster sur youtube, une déclaration sans équivoque (3). Il dénonça les cireurs de pompes, cette grand’messe présidée par un ministre et tous ces échanges obséquieux, où ne furent aucunement abordés la pauvreté, les salaires, les retraites, au cours duquel il ne fut question de faire payer les riches, encore moins des revendications des Gilets Jaunes, exclus et contenus bien loin de ce cérémonial de la parole présidentielle.

Qu’adviendra-t-il de la répétition dans les campagnes de ces grands raouts, ces fêtes de discursivité mondaines où le peuple des « gueux » est maintenu à distance. En fait, ce qui importe à Macron, c’est la caisse de résonnance médiatique de ces prétendues envolées démocratiques. Il espère regagner les faveurs, au moins d’une partie de l’opinion, isoler et diviser les Gilets Jaunes. Entre ceux qui sont prêts à jouer le jeu pervers de déposer leurs doléances et ceux qui refusent cet enfumage destiné à les engluer dans un référendum à venir bien cadré, la désagrégation du mouvement pourrait survenir. D’ailleurs, tout le ramdam autour d’une loi anticasseurs ou sur les quotas d’immigration a déjà permis à Macron de grignoter l’électorat le plus conservateur, voire réactionnaire, des Républicains de Wauquiez. La manifestation contre l’avortement n’augure rien de bon si ce n’est de conforter cette dérive droitière.

Les faiblesses du mouvement des Gilets Jaunes

La colonne vertébrale des Gilets Jaunes, ce sont ses revendications sociales et fiscales, tout comme l’aspiration démocratique à être consultés. Plus qu’avoir réussi à faire lâcher quelques miettes amères, comme la prime d’activité ou les heures supp sans cotisations sociales, la force du mouvement a fragilisé le pouvoir, différé les régressions sociales annoncées. Reste que le mouvement ne parvient pas, ou rencontre des difficultés, à se structurer. Les assemblées citoyennes ou les comités les regroupant sont encore trop rares. Le refus ou l’hésitation à déléguer se manifeste à la fois par le recours à des notions ambigües, comme « messagers » (de quoi, désignés par qui ?), par les appels à manifester de porte-parole auto-désignés, par les recours à des électrons libres anonymes sur les réseaux sociaux. L’appel à une assemblée des assemblées citoyennes de Commercy indique, en revanche, un chemin démocratique que contredisent les démarches auprès des maires, voire auprès des autorités. Toutefois, plus ou moins spontanément, face à la violence policière, le mouvement fait preuve de souplesse tactique, comme en atteste la manifestation de femmes Gilets Jaunes ou le recours à un service d’ordre, évitant ainsi les provocations. Non seulement, le mouvement doit parvenir à faire vivre, en son sein, la démocratie dont il se revendique, mais surtout, gagner en consistance face au piège du « grand débat » et obtenir, pour ce faire, des victoires qui soient autant de reculs macroniens sur les revendications Gilets Jaunes. Là où le bât blesse, c’est bien évidemment sur l’ampleur des manifestations encore trop mesurées qu’il est toujours capable d’organiser dans la durée. Quant à l’aspiration de consultations périodiques du peuple, que concéderait le pouvoir, il ne faut guère se faire d’illusions. L’actuel rapport de forces contredit cette espérance, d’autant que le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) n’a rien de magique. Pire, il semble occulter la nature même de l’appareil d’Etat au service du capitalisme financiarisé, dont Macron n’est que le desservant.

Ce qui est certain, toutefois, c’est que l’on assiste à une crise de régime, celle de la 5ème République. Cette démocrature présidentialiste, soumise aux diktats de Bruxelles, n’est pas en mesure de lâcher du lest, comme ce fut le cas en 1968. Elle est, depuis au moins la fin des années 1980, encore plus depuis la crise de 2007-2008, vouée à la mise en œuvre des politiques de privatisation et de mesures austéritaires. Comme on l’a vu, à l’occasion du sauvetage des banques privées et à l’occasion de l’étranglement de la Grèce, les marchés financiers, les eurocrates, sont prêts à jouer le chaos et la stratégie du choc, afin d’éviter l’émergence d’une alternative contraire à ses intérêts. Ceux qui ont trempé dans la chimère de la bienveillance des institutions européennes, comme Tsipras, n’ont fait que trahir les classes populaires. Quant à Podemos, en Espagne, ses alliances parlementaristes, avec un parti socialiste moribond, le conduisent à se transformer en social-démocratie bis, face aux sociaux-libéraux. Les déconvenues de voies sans issue entrouvrent la porte à l’extrême droite. Il n’y a pas à s’étonner de voir actuellement surgir, en Grèce, un mouvement nationaliste contre la Macédoine, dans lequel « l’Aube dorée » nazie fait son nid. Pas de quoi non plus s’étonner de voir, dans l’Espagne que l’on pensait vaccinée contre le franquisme, sourdre, des catacombes méphitiques, des fascistes en Andalousie, s’alliant à la droite du Parti dit Populaire (PP).

L’effervescence sociale non aboutie s’est illustrée au cours de la dernière période : printemps arabes, occupation des places, Nuit debout. Elle souligne a contrario la faiblesse du « mouvement » ouvrier. Certes, le carcan ou l’inertie des bureaucraties syndicales, pèse lourdement. On n’assiste à aucun appel à rejoindre la mobilisation des Gilets Jaunes, même si, certaines fédérations départementales (de CGT et SUD) ont rallié les manifestations des Gilets Jaunes. La partition de la direction de la CGT, en solo, après bien des hésitations, prouve s’il en est besoin, que le corporatisme d’organisation prévaut sur les aspirations populaires, qu’il faudrait défendre sans rechigner. En outre, quoi de mieux que d’être au sein du mouvement pour y combattre les idées minoritaires xénophobes et complotistes !

Le risque d’émiettement des Gilets Jaunes est réel. Sans stratégie claire, en proie déjà à la lutte d’égos de « chefs » autoproclamés, pris par l’invocation incantatoire du Référendum d’initiative Citoyenne (voir le débat dans les articles qui suivent) et les pressions démagogiques du « grand débat » macronien, son rabougrissement est possible. Toutefois, la polarisation du corps social, le creusement des inégalités, en passe de s’accentuer avec la mise en œuvre controversée des régressions promises par Macron, appellent à un rebond plus torrentiel encore. Face à la voie de la souveraineté populaire, démocratique et sociale, susceptible d’entraîner l’adhésion d’autres peuples, s’en dresse une autre : le repli sur la « souveraineté » nationaliste et xénophobe. Cette deuxième voie, régressive, suppose une reconfiguration des classes et castes dominantes ; elle s’inscrit dans le cadre de l’amplification de la guerre commerciale et économique, qui a pris corps dans la dernière période. Des Etats-Unis à la Russie, des pays de l’Est de l’Europe à l’Italie, en passant par l’Autriche et le Royaume Uni, la voie nationaliste et xénophobe a donc le vent en poupe. Aux partisans de l’émancipation sociale, des insoumis et anticapitalistes, de la contrer en s’appuyant sur les révoltes actuelles et à venir. Vaste défi !

Gérard Deneux, le 22.01.2019    



(1)    Voir PES n° 49,  article « le peuple des Gilets Jaunes »
(2)    F(l)outoir : expression du Canard Enchaîné